Citations ajoutées le 05 avril 2009

  
Seymour Papert

  1. Dans la vision que j'ai du futur, les objets de l'ère spatiale, entre autres les petits ordinateurs, devraient pouvoir franchir ces barrières culturelles et pénétrer l'univers privé des enfants de partout. Et pas seulement en tant qu'objets matériels. Je veux parler du rôle qu'ils joueront en tant que porteurs d'idées productrices* et d'évolution culturelle, montrer comment ils nous amèneront à nouer avec le savoir des relations nouvelles, débordant les frontières classiques entre sciences pures et sciences humaines ; comment la connaissance de soi en serait elle-même transformée.

    * Idée productrice : le terme anglais est « powerful idea » évoquant en même temps puissance et efficacité ; c'est le « concept opératoire » au sens de Piaget.

    (Jaillisement de l'esprit, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, p.14, Champs-Flammarion/210, 1981)
     
  2. [...] il y a un monde entre ce que les ordinateurs pourraient faire et ce que la société choisira de leur faire faire.
    (Jaillisement de l'esprit, p.15, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  3. Dans bien des écoles aujourd'hui, l'expression « enseignement assisté par ordinateur » signifie que l'ordinateur est programmé pour enseigner à l'enfant. On pourrait dire que l'ordinateur sert à programmer l'enfant. Dans ma vision des choses, l'enfant programme l'ordinateur et, ce faisant, acquiert la maîtrise de l'un des éléments de la technologie la plus moderne et la plus puissante, tout en établissant un contact intime avec certaines des notions les plus profondes de la science, des mathématiques, et de l'art de bâtir des modèles intellectuels.
    (Jaillisement de l'esprit, p.15, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  4. Tout enfant normal apprend à parler. Pourquoi, en ce cas, un enfant ne pourrait-il pas apprendre à « parler » avec un ordinateur ?
    (Jaillisement de l'esprit, p.16, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  5. [...] apprendre à communiquer avec un ordinateur a toutes les chances de modifier la façon dont se déroulent les autres apprentissages.
    (Jaillisement de l'esprit, p.16, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  6. L'idée de « parler mathématique » avec un ordinateur peut être élargie à celle d'apprendre les mathématiques en « Mathématie », tout comme on apprendrait l'italien en Italie.
    [...] Mon hypothèse est donc qu'une large part de ce que nous considérons à l'heure actuelle comme « trop formel » ou « trop mathématique » s'apprendra aussi simplement que la langue du pays dès l'instant où, dans un futur très proche, les enfants grandiront dans un monde riche en ordinateurs.

    (Jaillisement de l'esprit, p.17, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  7. Les difficultés rencontrées en mathématiques ne sont souvent que la première étape d'un processus intellectuel envahissant qui nous conduit, les uns et les autres, à nous définir nous-mêmes comme une somme d'aptitude et d'inaptitudes ; certains seraient «matheux», d'autres pas, certains «artistes», certains «musiciens», sans parler des épithètes telles que «profond» ou «superficiel», «intelligent» ou «bête»... Ainsi nos manques nous définissent-ils, nous nous identifions à eux, et tout l'apprentissage en devient marqué : de la libre exploration du monde à laquelle se lançait l'enfant, on passe à la corvée d'apprendre, une obligation que viennent gâter encore le doute de soi et les restrictions que nous nous imposons nous-mêmes.
    (Jaillisement de l'esprit, p.18, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  8. [...] le rôle que j'attribue à l'ordinateur est celui de porteur de «semences», de «germes» culturels, dont les produits n'auront pas besoin de support technique une fois enracinés dans un esprit en croissance active.
    (Jaillisement de l'esprit, p.20, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  9. Ce qui compte ici pour moi, c'est l'éternelle question de savoir comment nous pensons, et comment nous apprenons à penser.
    (Jaillisement de l'esprit, p.21, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  10. Ce qui m'intéresse, c'est le processus d'invention de ces «objets-pour-penser-avec», des objets qui doivent comporter l'intersection d'une présence culturelle, d'un savoir incorporé et de la possibilité d'une identification personnelle.
    (Jaillisement de l'esprit, p.23, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  11. Et en s'efforçant d'apprendre à penser à l'ordinateur, l'enfant se lance dans une exploration : il lui faut retrouver comment il pense lui-même. Cette expérience peut l'emmener très loin. Penser sur sa pensée, c'est devenir épistémologue ; c'est entrer dans une étude critique de sa propre réflexion - une expérience que bien des adultes ne vivent jamais.
    (Jaillisement de l'esprit, p.31, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  12. [...] quand un enfant apprend à programmer, le processus d'apprentissage est inversé ; il se présente sous une forme active et autodirigée. La connaissance acquise, en particulier, l'est dans une intention personnelle et consciemment perçue. L'enfant fait quelque chose avec. Ce savoir nouveau est source de pouvoir, et perçu comme tel dès l'instant où il commence à prendre forme dans l'esprit de l'enfant.
    (Jaillisement de l'esprit, p.33, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  13. Je suis convainque que l'ordinateur peut nous permettre de déplacer la frontière entre concret et formel.
    (Jaillisement de l'esprit, p.33, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  14. [...] nous n'avons pas de terme propre pour désigner ces idées productrices que les informaticiens nomment «bug» et «debugging».
    (Jaillisement de l'esprit, p.35, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  15. Beaucoup d'enfants, par exemple, sont bloqués dans l'acte d'apprendre parce que, pour eux, quand on apprend, c'est tout ou rien : on a compris, ou pas compris. Mais quand on apprend à programmer un ordinateur, on n'y arrive presque jamais du premier coup. Apprendre à passer maître en l'art de programmer, c'est devenir hautement habile à déceler où se nichent les «bugs» et à y remédier, autrement dit à écheniller les points du programme qui l'empêchent d'avancer. La question à se poser, au sujet d'un programme, n'est pas de savoir s'il est juste ou faux, mais si l'on peut l'arranger.
    (Jaillisement de l'esprit, p.36, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  16. Il est bien évident que la Tortue [le LOGO] peut contribuer à l'enseignement d'un programme traditionnel, mais je l'ai conçue pour permettre un apprentissage piagétien, c'est-à-dire, pour moi, un apprentissage sans programme.
    (Jaillisement de l'esprit, p.45, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  17. Dans notre culture, il faut le dire, la peur de tout apprentissage est tout aussi répandue que celle des mathématiques (mais plus fréquemment camouflée). Les enfants démarrent dans la vie avec une grande faim d'apprendre, et pour apprendre, ils s'y connaissent ! La triste réalité, c'est que les difficultés d'apprentissage leur sont littéralement inculquées - et plus particulièrement les difficultés en mathématiques. Dans les deux sens de la racine math, au sens littéral comme au sens vaste, il y a passage de la mathophilie à la mathophobie, passage du goût pour les maths à l'horreur des maths, du goût d'apprendre à l'horreur d'apprendre...
    (Jaillisement de l'esprit, p.55, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  18. Imaginons que l'on veuille faire aborder la danse aux enfants. Seulement, avant de les autoriser à pratiquer quelques pas de danse, on les contraindrait d'abord, une heure par jour, à dessiner des pas de danse sur du papier quadrillé, puis à passer des examens de «théorie de la danse»... Le résultat ne serait-il pas un monde peuplé de «dansophobes» ? Et serions-nous en droit de dire que seuls les plus «aptes à la danse» ont été ainsi détectés, afin que seuls ils aient le droit d'accéder à la salle de danse et de musique ? Eh bien, de mon point de vue, nous ne sommes pas plus en droit de conclure à une inaptitude aux mathématiques quand un enfant rechigne à faire des additions des heures durant.
    (Jaillisement de l'esprit, p.60, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  19. Il est aisé de comprendre comment les maths et la grammaire ne peuvent avoir de sens pour les enfants quand ils n'en ont aucun pour leur entourage, et pourquoi, s'il l'on cherche à aider les élèves à y trouver un sens, il y faut plus d'un discours ou qu'un croquis au tableau, si excellents soient-ils. J'ai demandé à bon nombre d'enseignants et de parents ce que représentaient les mathématiques à leurs yeux, et pourquoi il était important de les apprendre. Fort peu d'entre eux avaient de cette matière une vision assez cohérente pour justifier de lui consacrer plusieurs milliers d'heures de la vie d'un enfant - et c'est bien ainsi que les enfants le ressentent... Quand un maître répond à un élève, pour justifier toutes ces heures d'arithmétique, qu'il faut bien être capable de vérifier sa monnaie à la caisse d'un supermarché, l'élève n'en croit pas un mot. Les enfants ne voient, dans de telles réponses, qu'une preuve de plus du charlatanisme des adultes. Et l'on n'est pas plus crédible à leurs yeux quand on leur assure que les mathématiques sont une gymnastique amusante. Comme s'ils ne se doutaient pas que les adultes qui le leur affirment consacrent sûrement leur précieux temps de loisir à tout autre chose qu'à ce sport si amusant ! Et l'on n'y change rien non plus si on vient leur certifier qu'il faut faire des mathématiques pour embrasser une carrière scientifique : c'est tellement loin, et tellement abstrait pour la majorité d'entre eux ! Non, il faut l'avouer : les enfants se rendent fort bien compte que leurs enseignants n'aiment guère les mathématiques plus qu'eux, et que la seule vraie raison d'en faire est que cette discipline est inscrite au programme. Et tout cela, pour finir, ne sert qu'à entamer la confiance qu'ont les enfants envers le monde adulte et envers l'éducation que l'on cherche à leur donner. Et cela fausse, à mes yeux, toute la relation éducative, ainsi gravement entachée de tromperie.
    (Jaillisement de l'esprit, p.68, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  20. En fait, pour la plupart de ceux qui appartiennent à notre culture, il est parfaitement inconcevable que les maths scolaires puissent être bien différentes de ce qu'elles sont : ils n'en ont jamais connu d'autres.
    (Jaillisement de l'esprit, p.69, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  21. Le terme «mathétique» désigne l'ensemble des principes directeurs gouvernant tout apprentissage. Et certaines raisons qui firent des maths scolaires ce qu'elles sont se résument à ce que l'on pouvait apprendre et enseigner à l'époque préinformatique. Il me semble en particulier que la technologie primitive du crayon et du papier a dû jouer le rôle de facteur limitatif dans la définition de ce que l'on pouvait faire, dans le cadre d'une salle de classe, en matière de mathématiques. [...] Quiconque a reçu un vernis d'instruction est vaguement capable de se souvenir que y=x2 est l'équation d'une parabole. Et même si la plupart des parents n'ont vraiment qu'une petite idée de la raison pour laquelle tout un chacun devrait savoir cela, ils s'indignent si leurs enfants ne le savent pas.
    (Jaillisement de l'esprit, p.70, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  22. Une langue vivante, apprise dans le milieu où elle est parlée, s'apprend tout simplement en parlant. Nul besoin d'un maître pour doter chaque phrase d'une note, bonne ou mauvaise. Une langue morte, par contre, exige de l'enseignement un «feed-back», une réaction en réponse, indiquant constamment à l'élève s'il se trompe ou non : la note est le plus simple moyen d'assurer ce feed-back. Dans les maths scolaires, cette langue morte, c'est sur l'activité nommée «exercices» que porte essentiellement ce feed-back. Ces petits exercices de calcul, répétitifs et absurdes, n'ont réellement qu'un mérite : ils sont faciles à noter. Mais c'est ce qui leur a assuré une place de choix au centre même des maths scolaires.
    (Jaillisement de l'esprit, p.71, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  23. Des mathématiques pour enfants, si l'on veut qu'elles soient dignes de ce nom, ne sauraient être comme un médicament détestable que nous nous permettrions de leur infliger, tout en nous gardant bien d'en absorber nous-mêmes.
    (Jaillisement de l'esprit, p.73, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  24. En raison de la portée des idées de Polya, il a été souvent suggéré que les professeurs de mathématiques devraient expressément insister, dans le cadre de leur discipline, sur l'heuristique - -le processus d'investigation - autant que sur le contenu. Si cette idée n'a pas réussi à s'implanter dans le système éducatif, cela peut s'expliquer en partie par la rareté des circonstances favorables, la pénurie de situations permettant aux enfants d'affronter et d'assimiler des expériences de recherche et de découverte par eux-mêmes qui soient simples et concluantes.
    (Jaillisement de l'esprit, p.86, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  25. [...] cette idée de désigner par un symbole une quantité variable [est] l'une des meilleures et des plus fécondes trouvailles mathématiques jamais faites.
    (Jaillisement de l'esprit, p.93, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  26. L'école enseigne que les «fautes» sont un mal. Résultat, elles sont un repoussoir, et l'idée ne viendrait pas de les regarder de près, de s'y attarder, de leur accorder un peu de réflexion.
    (Jaillisement de l'esprit, p.144, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  27. Un trait capital du travail sur ordinateur [est] qu'élève et enseignant peuvent se retrouver engagés dans une vraie collaboration intellectuelle ; ils peuvent s'efforcer ensemble de faire faire à l'ordinateur ceci ou cela, et tâcher de comprendre ensemble ce qu'il fait en réalité. On voit surgir fréquemment là des situations nouvelles que ni l'enseignant, ni l'élève n'ont rencontrées auparavant, de sorte que l'enseignant n'a pas à feindre hypocritement l'ignorance. Maître et élève vivent ensemble le problème qui se présente et la recherche de sa solution, et ce que l'enfant apprend ici de l'adulte, il ne l'apprend pas en faisant «ce que dit le maître» mais plutôt «ce que fait le maître». Et l'une des choses, entre autres, que fait ce maître, c'est de s'acharner sur un problème jusqu'à l'avoir tout à fait compris.
    (Jaillisement de l'esprit, p.146, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  28. [...] l'interminable apprentissage des «notions préalables».
    (Jaillisement de l'esprit, p.154, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  29. Les savoir-faire, tout comme les connaissances coupées en tranches, sont faciles à distribuer en portions savamment dosées. Et le contrôle en est aisé. Il est à coup sûr plus facile d'imposer l'acquisition d'un savoir-faire que de vérifier si un élève est parvenu à «faire connaissance» avec une idée.
    (Jaillisement de l'esprit, p.170, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  30. L'adaptation de notre culture à la présence de l'ordinateur donnera naissance à une nouvelle façon d'être cultivé, une authentique culture informatique. Cette expression, pour le moment, est encore comprise comme désignant uniquement le fait de savoir programmer, ou de savoir se servir des ordinateurs selon leurs divers usages. Mais une authentique culture informatique ne se résume pas à savoir comment se servir des ordinateurs et des notions informatiques. Elle sous-entend que l'on sache quand leur faire appel à bon escient.
    (Jaillisement de l'esprit, p.194, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  31. [...] réfléchir sur notre savoir modifie la façon dont nous réfléchissons sur nous-mêmes.
    (Jaillisement de l'esprit, p.213, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  32. [...] l'acte d'apprendre est en lui-même un événement local.
    (Jaillisement de l'esprit, p.213, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  33. Oui, je pense qu'au sens le plus profond du terme nous sommes tous, nous tous qui apprenons, d'authentiques bricoleurs.
    (Jaillisement de l'esprit, p.216, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  34. [L'informatique peut] être bien davantage qu'une science théorique et un savoir-faire : elle peut aussi être un matériau à partir duquel façonner une conception du monde puissante et personnelle.
    (Jaillisement de l'esprit, p.261, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     
  35. Pour moi, c'est le terme d'«ordinateur-crayon» qui décrit le mieux comment, à l'avenir, les enfants devraient pouvoir se servir de l'ordinateur.
    (Jaillisement de l'esprit, p.261, Champs-Flammarion/210, trad. Rose-Marie Vassallo-Villaneau, 1981)
     

Annie Le Brun

  1. Et même si une puissance quasi générale à relier événements, idées ou formes aux corps qui les produisent restera comme la caractéristique essentielle du passage d'un siècle à l'autre, il ne faut pas en chercher l'origine dans d'insurmontables difficultés à saisir une réalité qui se déroberait mais bien au contraire dans le fait d'être de plus en plus empêchés de nous tenir à distance de ce qui est, ne serait-ce que pour discerner quel paysage est en train d'émerger, à notre insu.
    (Du trop de réalité, p.20, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  2. [...] tout ce qui s'entreprend, aujourd'hui plus que jamais, sous prétexte d'art, de littérature ou de recherche pure, fait figure de divertissement.
    (Du trop de réalité, p.32, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  3. On a les Lumières qu'on peut, notre époque se sera éclairée à la pollution lumineuse.
    (Du trop de réalité, p.36, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  4. [...] «  à la différence des époques prémodernes, qui soumettaient l'artiste à la censure de leurs mécènes, à la différence aussi de l'époque moderne qui faisait de l'artiste émancipé et subversif la victime d'une société largement obtuse, l'époque contemporaine tente d'institutionnaliser la révolte et de faire coexister la subversion et la subvention » [Rainer Rochlitz, Subversion et subvention, Gallimard, 1994, p. 19]
    (Cité dans Du trop de réalité, p.51, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  5. Mais il n'en reste pas moins que si certains de ces observateurs n'hésitent pas à parler d'une « époque où la position sociale de l'artiste n'est plus celle du poète maudit mais de plus en plus celle de l'animateur socioculturel [Thierry de Duve] », aucun d'entre eux, manifestement enclins à y voir un phénomène inéluctable, ne semble vraiment choqué par cette nouvelle dépendance de la création aux institutions.
    (Du trop de réalité, p.52, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  6. [...] le redoutable effet rétroactif de ce reconditionnement de la culture, dont le but n'est pas seulement de porter sur l'à venir de l'imaginaire mais sur le passé dont celui-ci se nourrit depuis toujours.
    (Du trop de réalité, p.56, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  7. [...] tout doit devenir matière à marchandise - impressions, sentiments, désirs... - et, de ce point de vue, les boutiques attenantes aux musées de plus en plus riches en gadgets et vidéos ne diffèrent pas fondamentalement des sex-chops.
    (Du trop de réalité, p.57, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  8. [...] il est de mots utilisés pour dire tout et n'importe quoi qui, à trop servir, deviennent calleux, avant de se constituer en langue de bois. Sont de ceux-là culture, solidarité, différence, nation, communication, concertation... On dirait même que, sous la pression d'une réalité dont l'excès consiste aussi à tout nommer, se produit un épaississement de la texture du mot, qui gagne l'ensemble de la langue jusqu'à lui donner de plus en plus quelque chose d'emprunté, dans tous les sens du terme.
    (Du trop de réalité, p.65, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  9. [...] comment ne pas imaginer à quels soins intensifs doivent être soumis des mots comme éthique, déontologie, mémoire..., pour qu'ils aient encore l'air d'avoir un sens, alors qu'ils sont jour après jour privés de ce qui les nourrit ?
    (Du trop de réalité, p.68, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  10. [...] la langue est un organisme vivant [...] qui, comme tel, se nourrit de ce qu'elle absorbe.
    (Du trop de réalité, p.73, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  11. [...] des années de nourriture trafiquée, frelatée, reconstituée... nous ont accoutumés à déguster moins la chose elle-même que le nom de la chose.
    (Du trop de réalité, p.79, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  12. [...] « en quoi consiste la barbarie, sinon précisément en ce qu'elle méconnaît ce qui excelle ? » [Goethe]
    (Cité dans Du trop de réalité, p.115, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  13. [...] c'est dans notre profondeur émotionnelle qu'est en train de s'implanter le principe conformateur d'une nouvelle sorte de totalitarisme, reposant sur la mise ne place d'un pluralisme sans heurt et sans fin.
    Si le « rideau de fer » comme la violence qui l'a maintenu plus de trois quarts de siècle sont loin de pouvoir être jetés, ainsi que certains s'y emploient, dans le fatras des accessoires désuets, voici ce qui paraît nier jusqu'à leur souvenir et n'en est pas moins un totalitarisme. Voici un totalitarisme de l'inconsistance où tout n'est pas seulement l'équivalent de tout mais où rien n'existe s'il n'est l'équivalent de tout et réciproquement.

    (Du trop de réalité, p.127, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  14. [...] l'objectivité consiste à donner cinquante pour cent tort ou raison à chacune des parties en présence.
    Ainsi le pour et le contre sont-ils devenus un couple aussi inséparable que Laurel et Hardy ou Doublepatte et Patachon.

    (Du trop de réalité, p.147, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  15. [...] personne ne remarque plus comment n'importe quel choix intellectuel, politique ou moral est aujourd'hui contrebalancé par son antidote. Il semble même devenu naturel que le moralisme réponde au laxisme, l'intégrisme au multiculturalisme, le muséisme au modernisme, la dévotion au cynisme, le sectarisme au centrisme, le fétichisme à l'indifférence, la recherche du hard à la sensation cool, le souci de sécurité au goût du risque... Avec pour nouveauté que ces antagonismes en arrivent à coexister non seulement dans un même groupe mais chez un même individu, au gré de cette rationalité de l'incohérence que nous sommes en train de faire nôtre, sans que quiconque y reconnaisse la raison même du monde « connexionniste ».
    (Du trop de réalité, p.149, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  16. [...] une culture de la différence qui a pour fonction essentielle de produire des interprétations du monde servant à empêcher de le comprendre et plus encore de le changer.
    (Du trop de réalité, p.164, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  17. « Plus le jeu admet de règles, moins il pousse à leur transgression », remarque Catherine Millet comme caractéristique de la liberté très relative consentie aux artistes dans le monde clos de la société muséographique.
    (Du trop de réalité, p.170, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  18. En elle-même, la surabondance des informations ne conduit pas à un embarras du choix qui empêcherait tout jugement, comme certains l'on avancé. C'est plutôt de ne pouvoir être replacée dans un ensemble sensible cohérent, qu'il n'est plus d'informations, futile ou importante, qui ne paraisse condamnée à se perdre dans le flux de toutes les autres. Davantage, leur défilé ininterrompu ferme une à une les perspectives qu'il était jusqu'alos naturel à l'imagination de projeter au-delà des simples données objectives pour appréhender un être, un événement, une situation... L'effondrement de la critique d'art comme de la critique littéraire ne s'explique pas autrement : faute de quelque adhésion sensible, peu importe à quoi l'on se réfère. D'où la pléthore de théories d'allure scientifique qui prospèrent de cette absence sensible, sans avoir d'autre raison d'être que de l'entretenir sous un semblant de sérieux.
    (Du trop de réalité, p.186, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  19. [...] un des effets de ce scepticisme généralisé est de susciter une multitude de dévotions intempestives.
    (Du trop de réalité, p.195, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  20. La religion est peut-être en crise mais elle n'arrête pas de voyager.
    (Du trop de réalité, p.197, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  21. Sous prétexte [...] de respecter les croyances dans leur diversité, libres penseurs et athées sont tolérés à la condition de garder le silence. Il en est même devenu aussi déplacé que démodé de s'en prendre à la religion. Malheur à qui oserait rappeler la crapulerie sans frontières qui en justifie les diverses conceptions.
    (Du trop de réalité, p.202, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  22. On a les pensées « génétiquement modifiées » qu'on mérite.
    (Du trop de réalité, p.203, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  23. Benjamin Constant : « Les sots font de leur morale une masse compacte et indivisible, pour qu'elle se mêle le moins possible avec leurs actions et les laisse libres dans tous les détails. »
    (Du trop de réalité, p.203, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  24. Daniel Wildenstein : [...] « il n'y a qu'une façon de comprendre et qu'une façon d'aimer la peinture, c'est de la voir. »
    (Du trop de réalité, p.274, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  25. Voilà déjà longtemps Novalis affirmait : « Le corps est l'organe nécessaire du monde. » Et n'est-ce pas, faute de l'être aujourd'hui, qu'il est en train de devenir la plus encombrante des prothèses ?
    (Du trop de réalité, p.277, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  26. Novalis : « On comprendra habituellement mieux l'artificiel que le naturel. Le simple réclame plus d'esprit mais moins de talent que le complexe. » Car il se pourrait bien que cette constatation soit de nature à expliquer la stupéfiante facilité avec laquelle, en dix ans à peine, le virtuel a peu à peu pris la place de l'imaginaire.
    (Du trop de réalité, p.285, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  27. [...] cette promesse de définir prochainement la propriété virtuelle : rien ne vaut la duplication de ce monde et de ses chienneries pour remplacer l'imagination.
    (Du trop de réalité, p.292, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     
  28. [...] l'apparence de la vie est utilisée pour travestir le travail de la mort.
    (Du trop de réalité, p.293, Gallimard/Folio Essais n°444, 2004)
     

Mitchel Resnick

  1. But even as the influence of decentralized ideas grows, there is a deepseated resistance to such ideas. At some deep level, people seem to have strong attachments to centralized ways of thinking. When people see patterns il the world (like a flock of birds), they often assume that there is some type of centralized control (a leader of the flock). According to this way of thinking, a pattern can exist only if someone (or something) creates and orchestrates the pattern. Everything must have cause, an ultimate controlling factor. The continuing resistance to evolutionary theories is an example : many people still insist that someone or something must have explicitly designed the complex, orderly structures that we call Life.
    (Turtles, Termites, and Traffic Jams, p.7, MIT Press, 1994)
     
  2. This growing interest in « emergent » phenomena has been accompanied by confusion and controversy, since different people use the term emergent in different ways. Many popular descriptions of emergence (and even some scientific ones) are tinged with mysticism, as if something magical is going on. But no magic is needed. As I am using the term, emergence is fully consistent with most traditional scientific idea - including Newtonian physics. The point is not that Newtonian models are wrong. It is that Newtonian models are inappropriate for trying to make sense of certain types of phenomena. New types of models are needed, operating at a different « level » from Newtonian models, focusing on the behaviors of systems, not the actions of individuals.
    (Turtles, Termites, and Traffic Jams, p.13, MIT Press, 1994)
     
  3. « The idea of special center in the brain is the most tenacious bad idea bedeviling our attempts to think about consciousness, » writes [Daniel] Dennett.
    (Turtles, Termites, and Traffic Jams, p.17, MIT Press, 1994)
     
  4. Equal access to computation, argue Turkle and Papert, requires an « epistemological pluralism » - and acceptance of the validity of multiple ways of knowing and thinking.
    (Turtles, Termites, and Traffic Jams, p.19, MIT Press, 1994)
     
  5. This idea of learning through design is on aspect of what Seymour Papert has called the constructionist approach of learning and education. Constructionism involves two types of construction. First, il asserts that learning is an active process, in which people actively construct knowledge from their experiences in the world. (This idea is based on the constructivist theories of Jean Piaget.) To this, constructionism adds the idea that people construct new knowledge with particular effectiveness when they are engaged in constructing products that are personnally meaningful. They might be constructing sand castles, LEGO machines, or computer programs. What's important is that they are actively engaged in creating something that is meaningful to themselves or to others around them.
    (Turtles, Termites, and Traffic Jams, p.23, MIT Press, 1994)
     
  6. In many hands-on activities in school classrooms, students simply follow a list of instructions (« pour the liquid in test tube A into test tube B... »). Students are told what to do, and they do it. Their hands are on, but their heads are out.
    The constructionist approach goes beyond hands-on in a variety of ways. In constructionist activities, students do not simply manipulate physical objects, they construct personally meaningful products. It is easy to see how « constructing » is better than merely « manipulating » : children are sure to learn more by builing and programming their own robots rather than manipulating store-bought, fully assembled robots. But there is a deeper point here. Children are likely to become intellectually engaged only if they are constructing personally meaningful things. When students design and construct products that are meaningful to themselves (or to others around them), they tend to approach their work with a sense of caring and interest that is missing in most school activities. In doing so, students are more likely to explore, and to make deep « connections » with, the mathematical and scientific concepts that underlie the activities. Building and programming a merry-go-round is based on the same underlying principles as building and programming a classic robot - but for a child who cares more about merry-go-rounds than robots, the merry-go-round project offers a much richer learning experience.

    (Turtles, Termites, and Traffic Jams, p.28, MIT Press, 1994)
     
  7. When programs are bases on objects, programs often become easier for non-experts to relate to and think about. Telling a turtle to take 50 steps forward has a very different « feel » from telling the computer to draw a line between the Cartesian coordinates (23, 57) and (71, -14). Students can relate to the turtle, even imagine themselves as the turtle. In the words of Seymour Papert, the turtle becomes an « object to think with. »
    (Turtles, Termites, and Traffic Jams, p.43, MIT Press, 1994)
     
  8. There is an old saying that goes something like this : If a person has only a hammer, the whole world looks like a nail. Indeed, a person's perceptions and models of the world are strongly shaped by the objects that exist in the world. The same is true for computational systems. The way people interact with (and think about) a computational system depends strongly on the objects that compose the system. If the objects are well chosen for the intended task, even novices will use the system productively. If the objects are not well chosen, even experts will struggle.
    (Turtles, Termites, and Traffic Jams, p.44, MIT Press, 1994)
     
  9. [...] I am more interested in stimulation than in simulation. My work with StarLogo is aimed more at what's in here (in the mind) than what's out there (in the world). The goal is not to simulate particular systems and processes in the world. The goal is to probe, challenge, and disrupt the way people think about systems and processes in general.
    (Turtles, Termites, and Traffic Jams, p.49, MIT Press, 1994)
     
  10. When I worked with high-school students, I played several (simultaneous and intertwined) roles :
    Observer. I observed how the students thought about decentralized systems, and how their thinking evolved during their interactions with StarLogo.
    Catalyst. I proposed experiments, asked questions, challenged assumptions, and encouraged students to reflect on their experiences as they worked with StarLogo.
    Collaborator. I helped students write their StarLogo programs, since I ws not particularly interested in studying how well students learned to program in StarLogo. More important, I worked together with students in trying to make sense of unfamiliar phenomena. Often, working with students helped clarify my own thinking about decentralized systems.

    (Turtles, Termites, and Traffic Jams, p.50, MIT Press, 1994)
     
  11. The great baseball manager Casey Stengel once said, « If you don't know where you're going, you might end up somewhere else. » My experiences with computer-based explorations have taught me a corollary : « Even if you think you know where you're going, you'll probably end up somewhere else. »
    (Turtles, Termites, and Traffic Jams, p.88, MIT Press, 1994)