Michel Serres
1930
  1. Rien ne donne plus le sens que de changer de sens.
    (Le Tiers-Instruit, p.23, Folio/essais n°199)
     
  2. Le vrai passage a lieu au milieu. Quelque sens que la nage décide, le sol gît à des dizaines ou centaines de mètres sous le ventre ou des kilomètres derrière et devant. Voici le voyageur seul. Il faut traverser pour apprendre la solitude. Elle se reconnaît à l'évanouissement des références.
    (Le Tiers-Instruit, p.24, Folio/essais n°199)
     
  3. Qui ne bouge n'apprend rien. Oui, pars, divise-toi en parts.
    (Le Tiers-Instruit, p.28, Folio/essais n°199)
     
  4. Apprendre lance l'errance.
    (Le Tiers-Instruit, p.28, Folio/essais n°199)
     
  5. Séduire : conduire ailleurs. [...]
    Partir. Sortir. Se laisser un jour séduire. Devenir plusieurs, braver l'extérieur, bifurquer ailleurs. Voici les trois premières étrangetés, les trois variétés d'altérité, les trois premières façons de s'exposer. Car il n'y a pas d'apprentissage sans exposition, souvent dangereuse, à l'autre. Je ne saurais jamais plus qui je suis, où je suis, d'où je viens, où je vais, par où passer. Je m'expose à autrui, aux étrangetés.

    (Le Tiers-Instruit, p.28, Folio/essais n°199)
     
  6. Sans connaître sens ni direction, notre errance va de l'être-là vers l'exposition, de l'humilité, véritable essence de l'humain, vers le non-lieu absent et haut, notre accomplissement, et ce mouvement crée l'écart de l'exaltation, notre grandeur et notre être, écart vide ou plein, misérable et joyeux. La misère et la joie ensemble comblent l'expérience fondamentale que nous pouvons avoir de l'être, de la vie, du monde, des autres et de la pensée.
    (Le Tiers-Instruit, p.63, Folio/essais n°199)
     
  7. Oui, la connaissance fonctionne elliptiquement, comme Kepler le dit jadis du système planétaire.
    [...]
    Pour la clarté, la connaissance s'excentre, comme le monde, mais, comme lui, dans son élan, l'énergie de son mouvement. Nous ignorons ce qui nous incite à quitter l'ignorance, motivations et finalités, plus encore ce vers quoi va le savoir. La motricité se trouve partagée entre la source aveuglante de lumière et un second point obscur. Le non-savoir borde le savoir et s'y mélange. Une, concernant le même monde et le mêmes hommes, la recherche tourne, selon ses objets, autour d'un centre également distant des deux foyers.

    (Le Tiers-Instruit, p.70, Folio/essais n°199)
     
  8. Transcrivez un modèle, on vous traite de plagiaire, mais si vous en copiez cent, vous voilà bientôt docteur.
    (Le Tiers-Instruit, p.71, Folio/essais n°199)
     
  9. Un certain désordre favorise la synthèse.
    (Le Tiers-Instruit, p.76, Folio/essais n°199)
     
  10. Jadis, on appelait pédagogue l'esclave qui conduisait à l'école l'enfant noble. Hermès accompagnait aussi parfois, comme guide. Le petit quitte la maison de famille ; sortie : deuxième naissance. Tout apprentissage exige ce voyage avec l'autre et vers l'altérité. Pendant ce passage, bien des choses changent.
    (Le Tiers-Instruit, p.85, Folio/essais n°199)
     
  11. Étrange et original, déjà mélangé des gènes de son père et de sa mère, l'enfant n'évolue que par ces nouveaux croisements ; toute pédagogie reprend l'engendrement et la naissance d'un enfant : né gauche, il apprend à se servir de la main droite, demeure gaucher, renaît droitier, au confluent des deux sens ; né Gascon, il le reste et devient Français, en fait métissé : Français, il voyage et se fait Espagnol, Italien, Anglais ou Allemand ; s'il épouse et apprend leur culture et leur langue, le voici quarteron, octavon, âme et corps mêlés. Son esprit ressemble au manteau nué d'Arlequin.
    (Le Tiers-Instruit, p.86, Folio/essais n°199)
     
  12. Aime l'autre qui engendre en toi l'esprit.
    (Le Tiers-Instruit, p.87, Folio/essais n°199)
     
  13. Il faut fréquenter les bibliothèques, certes ; il convient, assurément, de se faire savant. Étudiez, travaillez, il en restera toujours quelque chose. Et après ? Pour qu'il existe un après, je veux dire quelque avenir qui dépasse la copie, sortez de la bibliothèque pour courir au grand air ; si vous demeurez dedans, vous n'écrirez jamais que des livres faits de livres. Ce savoir, excellent, concourt à l'instruction, mais celle-ci a pour but autre chose qu'elle-même. Dehors, vous courrez une autre chance.
    (Le Tiers-Instruit, p.99, Folio/essais n°199)
     
  14. L'horrible masse des livres révèle et cache la rivière et ses origines : j'aime à dire que les sources attirent les savants parce qu'elles sont libres de savants !
    (Le Tiers-Instruit, p.101, Folio/essais n°199)
     
  15. Tout chef-d'oeuvre raconte l'engendrement de son art propre. Ce pour quoi il jouit de ce titre : chef.
    (Le Tiers-Instruit, p.106, Folio/essais n°199)
     
  16. Dites, qui peut reconnaître que la couleur rose de l'aurore caresse comme des doigts, qui, sauf un aveugle clairvoyant ?
    (Le Tiers-Instruit, p.111, Folio/essais n°199)
     
  17. Le mathématicien saura mieux le monde et même son propre langage s'il consent à la physique, le physicien connaîtra mieux les choses et même son propre outillage s'il en vient à la technique, le technicien s'il apprend l'artisanat et l'artisan s'il accède à l'oeuvre d'art. Le philosophe grammairien connaîtra mieux la langue et la connaissance et le monde s'il tolère le style et s'ouvre à ses exploits. Inversement on conçoit le progrès de l'artiste quand il se met à l'artisanat, celui de l'artisan se faisant technicien, celui du technicien... et ainsi jusqu'au bout du chemin, vers les mathématiques et la logique. Route double pour le philosophe. Et donc, en complément, le styliste n'écrit même pas sans obéissance préalable à la grammaire, sans logique ni règles de sens, syntaxe ni sémantique. S'il écrit vraiment, il y consent de fait.
    (Le Tiers-Instruit, p.123, Folio/essais n°199)
     
  18. On s'expose quand on fait, on s'impose quand on défait. Quand on défait, jamais on ne se trompe, en effet. Je ne connais pas de meilleur moyen pour avoir toujours raison. Je ne crois pas connaître, en revanche, de meilleure définition de l'homme que le vieil adage errare humanum est, à qui je fais dire : est humain celui qui se trompe. Il a au moins essayé.
    (Le Tiers-Instruit, p.128, Folio/essais n°199)
     
  19. On croit volontiers que la langue analysée par la grammaire et la philosophie vaut la langue vive inventée par l'écriture. Non. Le grammairien, le professeur, le philosophe n'écrivent pas assez pour savoir. Avez-vous remarqué, dans les classes, les écoles et les amphithéâtres, l'absence d'exercice vrai ? L'examinateur ou juge n'exige jamais poème, nouvelle, roman ni comédie, jamais de méditation, mais toujours de la critique ou de l'histoire, copie de copies. Pourquoi ? Parce qu'il ne saurait pas rédiger de corrigé. Au contraire, il exige histoire, critique, analyse. Pourquoi ? Parce qu'il peut et sait recopier. Pourquoi ? Pour la facilité. Faire explore, défaire exploite. Ne mentez pas, écrivez. Toute la vérité, mais rien qu'elle.
    Attention : elle est mortelle.

    (Le Tiers-Instruit, p.130, Folio/essais n°199)
     
  20. Dans les sciences, les théories changent, non point par le merveilleux pouvoir de leur véracité, mais parce que les tenants des théories adverses prennent leur retraite, meurent donc aux colloques et pour l'administration ; et il se trouve toujours quelque historien pour déterrer les cadavres et condamner derechef tel ou tel inventeur oublié à errer sans repos dans l'enfer de l'erreur et des ombres décevantes. Histoire : puits des ressentiments.
    (Le Tiers-Instruit, p.137, Folio/essais n°199)
     
  21. Qui attend l'inspiration ne produira jamais que du vent, tous deux aérophagiques. Tout vient toujours du travail, y compris le don gratuit de l'idée qui arrive. S'adonner, ici et maintenant, d'un coup, à n'importe quoi, sans préparation, aboutit à l'art brut dont l'intérêt se borne à la psychopathologie ou à la mode : bulle passagère, pour tréteaux et bateleurs.
    (Le Tiers-Instruit, p.144, Folio/essais n°199)
     
  22. Victoire sur la mort, [l'oeuvre d'art] s'identifie à la vie et il n'y a de vie connue qu'individuelle. Singulière. Originale. Solitaire. Entêtée. L'oeuvre fait une espèce animale à soi seul, puisque son arbre, phylogénétique, produit des fruits ou des bourgeons individués, livres, musiques, films ou poèmes. Elle vient donc de la disposition unique des neurones et des vaisseaux sanguins. Jamais de la banalité collective. Inverse de la mode, opposée à ce qui se dit, elle résiste par définition aux médias, je veux dire à la moyenne.
    (Le Tiers-Instruit, p.146, Folio/essais n°199)
     
  23. Le but de l'instruction est la fin de l'instruction, c'est-à-dire l'invention. L'invention est le seul acte intellectuel vrai, la seule action d'intelligence. Le reste ? Copie, tricherie, reproduction, paresse, convention, bataille, sommeil. Seule éveille la découverte. L'invention seule prouve qu'on pense vraiment la chose qu'on pense, quelle que soit la chose. Je pense donc j'invente, j'invente donc je pense : seule preuve qu'un savant travaille ou qu'un écrivain écrit.
    (Le Tiers-Instruit, p.147, Folio/essais n°199)
     
  24. Les institutions de culture, d'enseignement ou de recherche, celles qui vivent de messages, d'images répétées ou d'imprimés copiés, les grands mammouths de l'Université, des médias ou de l'édition, les idéocraties aussi, s'entourent d'une masse d'artifices solides qui interdisent l'invention ou la brisent, la redoutent comme le pire péril. Les inventeurs leur font peur comme les saints mettaient en danger leurs églises, dont les cardinaux, parce qu'ils les gênaient, les chassaient. Plus les institutions évoluent vers le gigantesque, mieux se forment les contre-conditions de l'exercice de la pensée. Voulez-vous créer ? Vous voilà en danger.
    L'invention, légère, rit du mammouth, lourd ; solitaire, elle ignore le gros animal collectif ; douce, elle évite la haine qui colle ensemble ce collectif ; j'ai admiré ma vie durant la haine de l'intelligence qui fait le contrat social tacite des établissements dits intellectuels. L'invention, agile, rapide, secoue le ventre mou de la lente bête ; l'intention vers la découverte porte sans doute en elle une subtilité insupportable aux grosses organisations, qui ne peuvent persévérer dans leur être qu'aux conditions de consommer de la redondance et d'interdire la liberté de pensée.

    (Le Tiers-Instruit, p.147, Folio/essais n°199)
     
  25. Vous reconnaîtrez l'oeuvre et l'ouvrier authentique à ce signe qui ne manque pas : tous deux ensemble rajeunissent. Ils mourront enfants, à force de courir vers l'origine du monde. Créer veut dire aller vers les mains de l'ouvrier divin à l'aube des choses. Inverser le temps.
    (Le Tiers-Instruit, p.150, Folio/essais n°199)
     
  26. [...] rien de plus difficile que de trouver en quoi consiste le présent de notre temps. Ce que tout le monde en dit, loin de l'éclairer, le recouvre et le cache. N'oubliez pas que les médias répètent ce que disaient ceux qui les tiennent aujourd'hui, quand ils avaient vingt ans : ils retardent donc d'une génération et de deux parfois. Il faut donc chercher passionnément ce que vous êtes et non ce que l'on dit que vous êtes. N'écoutez personne. Résistez au torrent et aux influences, aux médailles.
    Voilà le seul moyen de libérer le présent, qui se définit justement par la rencontre, rare, miraculeuse, saturée d'information, de l'oeuvre et des forces vives latentes qui la conditionnent mais qu'elle seule peut délivrer.

    (Le Tiers-Instruit, p.151, Folio/essais n°199)
     
  27. Trouver le contemporain, chose difficile. Découvrir ce que l'on est, invention plus rare encore.
    (Le Tiers-Instruit, p.152, Folio/essais n°199)
     
  28. La création résiste à la mort, en réinventant la vie : cela se nomme résurrection.
    (Le Tiers-Instruit, p.158, Folio/essais n°199)
     
  29. La culture créatrice est cet enfant fragile qui expire parmi nous, nouveau-né en agonie depuis le commencement du monde.
    (Le Tiers-Instruit, p.159, Folio/essais n°199)
     
  30. Ce qui se paie ennuie vite.
    (Le Tiers-Instruit, p.162, Folio/essais n°199)
     
  31. Le mécène fait vivre l'artiste dans le monde opposé à celui où l'artiste fait survivre le mécène.
    (Le Tiers-Instruit, p.163, Folio/essais n°199)
     
  32. [...] ce qui fait le plus de bruit suit toujours l'air du temps et ne saurait le précéder ; or ce qui annonce un nouveau temps arrive toujours comme un souffle subtil de vent, doucement, sans grand tapage.
    (Le Tiers-Instruit, p.165, Folio/essais n°199)
     
  33. Sur quel objet investir ? Réponse unique des experts : sur l'authentique oeuvre d'art. Ce que je voulais démontrer.
    Mais pour l'authenticité en temps vrai, ici et maintenant, vous ne trouverez aucune expertise. Travaillez donc et prenez des risques : loterie pour audacieux à qui, dit-on, la vraie fortune, parfois, sourit.

    (Le Tiers-Instruit, p.168, Folio/essais n°199)
     
  34. L'art sort de la tombe. Si le grain ne meurt, il ne porte pas de beaux fruits.
    (Le Tiers-Instruit, p.171, Folio/essais n°199)
     
  35. Et nous ignorons le nom du misérable qui, en ce moment même, donne sa vie à l'oeuvre que nos petits-enfants consommeront pour survivre : car si l'appétit de pain parfois se calme, cette faim, je l'espère, jamais ne s'apaisera. Qu'est-ce que la culture enfin ? La résurrection irrégulière et régulière de ceux qui ont bravé la mort pour créer, qui reviennent pour coudre la tradition d'hier à la vivacité d'aujourd'hui. Sans eux pas de continuité, pas d'immortalité de l'espèce humaine, sans leur renaissance pas d'histoire.
    (Le Tiers-Instruit, p.172, Folio/essais n°199)
     
  36. Persévérer sans cesse dans son être ou dans sa puissance caractérise la physique de l'inerte et l'instinct des bêtes.
    (Le Tiers-Instruit, p.180, Folio/essais n°199)
     
  37. [...] avant de faire le bien, évite le mal. S'abstenir de tout mal, simplement se retenir. Parce qu'en s'expansant, lui aussi, comme le soleil, le bien devient très vite le mal. Cette première obligation conditionne la vie, crée une aise pour une aire d'émergence d'où viendra la nouveauté.
    (Le Tiers-Instruit, p.184, Folio/essais n°199)
     
  38. L'humanité devient humaine quand elle invente la faiblesse - laquelle est fortement positive.
    (Le Tiers-Instruit, p.185, Folio/essais n°199)
     
  39. Nous organisons méticuleusement un monde où seul le savoir canonisé régnera, espace qui risque de ressembler de près à la terre couverte de rats. Unifiée, folle, tragique, la science gagne, va bientôt régner, comme règne et gagne l'hiver. Excellent, le savoir, certes, mais comme le froid : quand il reste frais. Juste et utile, la science, assurément, mais comme la chaleur : si elle demeure douce. Qui nie l'utilité de la flamme et de la glace ? La science est bonne, qui le nie, et même, j'en suis sûr, mille fois meilleure que mille autres choses pourtant bonnes, mais si elle prétende qu'elle est seule et toute bonne, et qu'elle se conduise comme s'il en était ainsi, alors elle entre dans une dynamique de folie. La science deviendra sage quand elle retiendra elle-même de faire tout ce qu'elle peut faire.
    (Le Tiers-Instruit, p.187, Folio/essais n°199)
     
  40. Aussi judicieuse que se présente une idée, elle devient atroce si elle règne sans partage.
    (Le Tiers-Instruit, p.188, Folio/essais n°199)
     
  41. La sagesse donne l'aune de la mesure. La crainte de la solution unitaire fait le commencement de la sagesse. Aucune solution ne constitue la seule solution : ni telle religion, ni telle politique, ni telle science. Le seul espoir reste que cette dernière puisse apprendre une sagesse tolérante que les autres instances n'ont jamais su vraiment apprendre et nous évite un monde uni, follement logique, rationnellement tragique.
    (Le Tiers-Instruit, p.188, Folio/essais n°199)
     
  42. La sagesse propre à la philosophie vient de sa retenue. Si celle-ci construit un monde universalisant, l'art le borde d'une marge de beauté réservée. Philosophes, faites votre oeuvre avec exactitude et souffrez en silence qu'on vous traite de poètes : ceux qui d'ordinaire sont exclus de la cité.
    (Le Tiers-Instruit, p.190, Folio/essais n°199)
     
  43. Ainsi, par hygiène de la vie et de l'esprit, j'ai dû imaginer, pour mon usage privé, quelques règles de morale ou de déontologie :
    Après examen attentif, n'adopter aucune idée qui contiendrait, à l'évidence, quelque trace de vengeance. La haine, quelquefois, tient lieu de pensée, mais toujours la rapetisse ;
    Ne jamais se jeter dans la polémique ;
    Éviter toute appartenance : fuir non seulement tout groupe de pression mais aussi toute discipline scientifique définie, campus local et savant dans la bataille globale et sociétaire ou retranchement sectoriel dans le débat scientifique. Ni maître donc, ni surtout disciple.

    (Le Tiers-Instruit, p.207, Folio/essais n°199)
     
  44. La raison venge le néant.
    (Le Tiers-Instruit, p.210, Folio/essais n°199)
     
  45. [...] le pardon fonde l'éthique, la clémence fonde la puissance, la retenue ou miséricorde couvre la justice et descend sur le destin.
    (Le Tiers-Instruit, p.216, Folio/essais n°199)
     
  46. Je suis assez nombreux pour n'avoir jamais eu besoin de mentir.
    (Le Tiers-Instruit, p.221, Folio/essais n°199)
     
  47. Universellement, donc, parce qu'homme n'est rien, il peut : infinie capacité.
    Je suis personne et ne vaux rien : capable donc de tout apprendre et de tout inventer, corps, âme, entendement et sagesse. Depuis que Dieu et l'homme sont morts, réduits au pur néant, leur puissance créatrice ressuscite.
    Voilà pourquoi j'ai pu et dû écrire ce livre : parce que l'apprentissage, dont voilà le fondement, est l'essence blanche de l'hominité.

    (Le Tiers-Instruit, p.234, Folio/essais n°199)
     
  48. Les hauts moments des cultures commencent par ces grands éclats de gaieté juvénile : la créativité rit.
    (Le Tiers-Instruit, p.236, Folio/essais n°199)
     
  49. [En parlant d'Hergé] le Jules Verne des premières sciences humaines.
    (Le Tiers-Instruit, p.238, Folio/essais n°199)
     
  50. À quoi bon vivre si nul jamais n'enchante le monde ?
    (Le Tiers-Instruit, p.241, Folio/essais n°199)
     
  51. Apprendre : devenir gros des autres et de soi. Engendrement et métissage.
    (Le Tiers-Instruit, p.245, Folio/essais n°199)
     
  52. [...] les images des légendes disent plus vrai que l'histoire, même celle des techniques.
    (Les messages à distance, p.10, Fides/Les grandes conférences, 1995)
     
  53. [...] les réseaux de communication recrutent désormais, pour leur mise en connexion publique, l'humanité presque entière qui devient, du coup, le sujet de l'oeuvre en même temps que son objet.
    (Les messages à distance, p.20, Fides/Les grandes conférences, 1995)
     
  54. Nous construisons un monde, l'univers même, et l'humanité, du coup. Mais, par ces connexions multiples, que faisons-nous ? Un travail ? Cela n'y ressemble pas. Une oeuvre ? En dominons-nous les effets et les voies ? Des technologies ? En tous cas, nous passons, par ces routes, du local au global : l'humanité construit l'univers en se construisant par lui.
    (Les messages à distance, p.21, Fides/Les grandes conférences, 1995)
     
  55. Tout ce qui fut dit, en philosophie, sur la force et le droit, sur le droit du plus fort et la constitution de la société civile par contrat, se reproduit mot pour mot, à ce jour, pour la lutte concurrentielle à mort sur le marché des signes. Ce qui s'y dit ce jour résulte de cette bataille : le plus fort fait parler de lui, on mesure la puissance au bruit. La pression sur le centimètre carré d'imprimé ou le temps d'écoute reproduit, logiciellement, dans une transparence apparente, celle qui s'exerçait, jadis ou naguère, physiquement, sur un terrain, une ville, un pays, un homme, un groupe, une nation ou sur un produit.
    (Les messages à distance, p.23, Fides/Les grandes conférences, 1995)
     
  56. Que celui qui veut connaître son tyran tende l'oreille aux bruits les plus forts ; il y entendra, comme un chien couchant, la voix de son maître.
    (Les messages à distance, p.25, Fides/Les grandes conférences, 1995)
     
  57. En Grèce comme ici et maintenant, vrai veut dire illustre, et vérité la mise en lumière, c'est-à-dire la publicité.
    (Les messages à distance, p.28, Fides/Les grandes conférences, 1995)
     
  58. [...] qui sait si telle trouvaille se diffuse parce qu'elle est vraie ou parce que la personne, le groupe, la nation qui l'ont découverte tiennent les canaux et en tirent de la gloire ? La production de la vérité dure gît, encore, aux mains des plus forts. Elle se fait ainsi connaître. Or plus elle se fait connaître et savoir comme vraie, plus nous devons présumer qu'à celui qui la diffuse appartient le canal par où elle passe et donc son message émis par sa puissance et pour sa gloire. D'où un doute radical.
    (Les messages à distance, p.34, Fides/Les grandes conférences, 1995)
     
  59. Actuellement, la dynamique de la guerre me paraît la suivante : toute puissance armée est devenue impopulaire et elle ne peut reconquérir la popularité qu'à l'aide d'une seconde guerre, une guerre des images.[...] Il faut donc qu'il y ait toujours deux guerres : la vraie, celle qui tue, et puis la guerre qui montre qu'il s'agit d'une opération chirurgicale qui va sauver le monde.
    (Des sciences qui nous rapprochent de la singularité, p.376, in La Complexité, vertiges et promesses, Le Pommier/Poche, 2006)
     
  60. Voici ma définition de la culture : ce qui permet à un homme cultivé de n'écraser personne sous le poids de sa culture. Et la science est ce qui permet à un savant de ne pas abuser de son savoir.
    (Des sciences qui nous rapprochent de la singularité, p.383, in La Complexité, vertiges et promesses, Le Pommier/Poche, 2006)
     
  61. L'une des plus grandes découvertes des sciences est la datation, qui permet la réconciliation des sciences exactes et des sciences humaines.
    (Entrevue accordée à Philosophie Magazine, juillet-août 2007, n°11, p.51)
     
  62. [...] Nous lisons à présent la nature comme nous lisons des livres. La science a découvert et généralisé l'idée de Galilée selon laquelle la nature était écrite, notamment en langage mathématique.
    (Entrevue accordée à Philosophie Magazine, juillet-août 2007, n°11, p.52)
     
  63. Lorsque j'ai commencé à philosopher, les maîtres-mots de la philosophie et des sciences humaines étaient : l'Autre et la Différence. Aujourd'hui, ce n'est plus l'Autre, mais le Même ; ce n'est plus la Différence, mais la Communauté.
    (Entrevue accordée à Philosophie Magazine, juillet-août 2007, n°11, p.52)
     
  64. Les universités sont encore [...] à demi médiévales. La séparation des sciences et des lettres est un artefact universitaire, créé de toute pièce par l'enseignement. Il a été convenu que l'on sait soit du latin, du grec ou de la littérature moderne, soit de la biologie ou de la physique. Mais cette séparation artificielle n'existait ni chez les Grecs, ni chez les Romains, ni même à l'âge classique. Diderot tente, au XVIIIe siècle, de comprendre ce que dit le mathématicien d'Alembert, et Voltaire traduit Newton. L'université a créé l'étrange catégorie d'ignorant cultivé.
    (Entrevue accordée à Philosophie Magazine, juillet-août 2007, n°11, p.53)
     
  65. [...] Toute une ère du fonctionnement du cognitif se trouve du côté du calculable, de l'arithmétique et des algorithmes dont la philosophie n'a jamais vraiment pris acte. En épistémologie, on est toujours en retard d'une science.
    (Entrevue accordée à Philosophie Magazine, juillet-août 2007, n°11, p.53)
     
  66. [...] Philosopher, c'est anticiper.
    (Entrevue accordée à Philosophie Magazine, juillet-août 2007, n°11, p.54)
     
  67. [...] Tintin, c'est le Jules Verne des sciences humaines.
    (Entrevue accordée à Philosophie Magazine, juillet-août 2007, n°11, p.54)
     
  68. [...] Beaucoup de nos institutions se trouvent comme ces étoiles dont nous recevons la lumière et dont les astrophysiciens nous disent qu'elles sont mortes depuis bien longtemps.
    (Entrevue accordée à Philosophie Magazine, juillet-août 2007, n°11, p.55)
     
  69. Ainsi, c'est comme si l'amour avait été inventé pour et par le virtuel.
    « L'absence est à l'amour ce qu'est au feu le vent,
    Il éteint le petit, il allume le grand »

    écrivait Bussy-Rabutin. Nous sommes des bêtes à virtuel depuis que nous sommes des hommes. Pendant que je parle, une partie de mes pensées est à ce que je dois faire ensuite, une partie est à mes cours de Stanford, une autre se souvient de mon dernier voyage en Afrique du Sud... Toutes nos technologies sont le plus souvent du virtuel.

    (Propos recueillis par Michel Alberganti, Le Monde, édition du 18 juin 2001.)
     
  70. Ce ne sont pas les savoirs qui sont transformés, c'est le sujet des savoirs.
    (Propos recueillis par Michel Alberganti, Le Monde, édition du 18 juin 2001.)
     
  71. Le temps réel rend dinosaure le temps d'autrefois.
    (Propos recueillis par Michel Alberganti, Le Monde, édition du 18 juin 2001.)
     
  72. Qu'est-ce que la science ? La science, c'est ce que le père enseigne à son fils. Qu'est-ce que la technologie ? C'est ce que le fils enseigne à son papa.
    (Propos recueillis par Michel Alberganti, Le Monde, édition du 18 juin 2001.)