Jonathan Swift
1667-1745
  1. Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui.
    (En exergue dans La conjuration des imbéciles de J.K Toole, p.322 Robert Laffont)
     
  2. Nous avons justement autant de religion qu'il nous en faut pour nous haïr les uns les autres ; nous n'en avons pas assez pour nous porter à la tendresse mutuelle.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.130, Henri Scheurleer, 1757)
     
  3. Quand nous réfléchissons sur les événements passés, les Guerres, les Émeutes, les Négociations, nous nous étonnons de ce que les hommes se sont donné tant de mouvements pour des choses si passagères : si nous considérons le temps présent, nous voyons précisément la même humeur intrigante qui s'occupe sur les mêmes événements, et nous ne nous en étonnons point du tout.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.130, Henri Scheurleer, 1757)
     
  4. L'homme sage tire des conjectures et des conclusions de l'examen de toutes les circonstances des choses ; mais le moindre incident, qu'il n'est pas possible de prévoir, est capable de donner aux affaires, des tours si peu attendus, et traîne après lui des révolutions si surprenantes, que le sage est souvent aussi peu en état de juger les événements que l'homme du monde le plus ignorant,et le moins expérimenté.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.131, Henri Scheurleer, 1757)
     
  5. L'esprit décisif est une excellente qualité pour les prédicateurs et pour les avocats, parce que celui qui veut obtruder ses pensées et ses raisons à une multitude, n'en peut persuader les autres qu'à proportion qu'il en paraît fortement convaincu lui-même.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.131, Henri Scheurleer, 1757)
     
  6. Comment peut-on s'attendre à voir les hommes recevoir de bonne grâce les conseils qu'on leur donne sur leur conduite quand on les voit rejeter avec dédain les avertissements qui regardent un danger présent qui les menace.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.131, Henri Scheurleer, 1757)
     
  7. J'ai oublié si parmi les choses qui sont perdues sur la terre et qui se conservent dans la Lune, Arioste met les Conseils; il aurait dû les y placer aussi bien que le Temps.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.132, Henri Scheurleer, 1757)
     
  8. Le seul prédicateur, dont on profite, c'est le temps. Il nous donne précisément le même tour d'esprit que les gens d'âge se sont efforcés en vain de nous inspirer.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.132, Henri Scheurleer, 1757)
     
  9. Quand nous désirons ou recherchons certaines choses, notre âme ne s'attache qu'à leur force lumineuse et riante : quand nous les possédons, nous ne les considérons que de leur côté sombre et ténébreux.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.132, Henri Scheurleer, 1757)
     
  10. On remarque dans une verrerie qu'un artisan qui jette quelques poignées de charbons froids dans le feu semble l'étouffer ; mais un seul moment après la flamme se ranime et prend une nouvelle vigueur. Ce phénomène peut être un emblème juste de l'utilité des passions qui, judicieusement attisées, semblent traverser les opérations de l'âme, quoique dans le fond elles l'empêchent de tomber dans une langueur léthargique.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.132, Henri Scheurleer, 1757)
     
  11. Il semble que certaines gens croient que la religion est tombée en enfance et qu'elle doive se nourrir de miracles, comme du temps qu'elle était encore au berceau.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.133, Henri Scheurleer, 1757)
     
  12. Tous les accès du plaisir sont contrebalancés par un degré égal de chagrin et de douleur ; celui qui s'y abandonne ressemble à un prodigue qui dépense pendant l'année courante la moitié du revenu de celle qui suit.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.133, Henri Scheurleer, 1757)
     
  13. Les derniers jours de l'homme sage se passent entièrement à se guérir des folies, des préjugés et des fausses opinions qu'il a contractés dans sa jeunesse.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.133, Henri Scheurleer, 1757)
     
  14. Si un auteur veut savoir par quelles routes il se rendra agréable à la postérité ; qu'en examinant les livres de nos prédécesseurs, il prenne garde à ce qui l'y charme le plus et à ce qu'il y regrette davantage.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.133, Henri Scheurleer, 1757)
     
  15. Que les Grands Seigneurs ne soient pas les dupes des magnifiques promesses des poètes. Il est certain qu'ils ne donnent immortalité qu'à eux-mêmes. Nous admirons Homère et Virgìle et non pas Achille ou Énée. II en est tout autrement des historiens : nos pensées s'occupent entièrement des événements, des actions, des personnes, dont ils nous parlent ; à peine avons-nous le loisir de songer à celui qui nous les dépeint.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.134, Henri Scheurleer, 1757)
     
  16. Une marque certaine qu'un homme qui paraît avec éclat dans le monde est véritablement un grand génie, c'est la conspiration que tous les petits esprits trament contre lui.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.134, Henri Scheurleer, 1757)
     
  17. Les personnes qui possèdent tous les avantages de la vie humaine sont dans un état où un grand nombre d'accidents peuvent les troubler et leur donner du chagrin, et où peu de choses sont capables de leur donner du plaisir.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.134, Henri Scheurleer, 1757)
     
  18. Il est ridicule de punir les poltrons par l'infamie : s'ils l'avaient crainte, ils n'auraient pas été poltrons. Le supplice qui leur convient, c'est la mort ; puisqu'il n'y a que la mort qu'ils craignent.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.135, Henri Scheurleer, 1757)
     
  19. Les plus belles inventions sont trouvées d'ordinaire dans les siècles les plus ignorants ; telles sont l'usage de la boussole, de la poudre à canon et l'imprimerie, qui ont été tirés des ténèbres de l'ignorance par la nation la plus stupide, les A....
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.135, Henri Scheurleer, 1757)
     
  20. Une preuve, qui est seule capable de faire voir la fausseté de ce qu'on débite d'ordinaire sur les spectres et sur les apparitions, peut être tirée de l'opinion générale qui veut que les esprits ne se montrent jamais qu'à une seule personne à la fois. Si on explique ces paroles par une interprétation sensée, elles ne veulent dire, sinon qu'il arrive rarement que dans une compagnie il se trouve plus d'une personne hypocondriaque à un certain degré.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.135, Henri Scheurleer, 1757)
     
  21. Je m'imagine qu'au jour du jugement, il y aura peu de connivence pour les gens éclairés qui auront manqué du côté de la morale et pour les ignorants qui auront failli du côté de la foi. C'est ainsi que les avantages de l'habileté et de l'ignorance seront égaux. Je crois encore que quelques doutes dans les habiles gens et quelques vices dans les ignorants seront facilement pardonnés à la force de la tentation.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.136, Henri Scheurleer, 1757)
     
  22. La valeur de plusieurs circonstances dans l'histoire est extrêmement diminuée par l'éloignement des époques. Il y en a pourtant de très petites en apparence qui répandent un grand jour sur les événements ; et il faut un esprit très judicieux dans l'historien, pour en faire un bon choix.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.136, Henri Scheurleer, 1757)
     
  23. Cet âge critique est une expression devenue aussi fort en vogue parmi les auteurs que ce siècle corrompu l'est parmi les théologiens.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.136, Henri Scheurleer, 1757)
     
  24. Il y a quelque chose de comique à observer les obligations que le siècle présent impose aux siècles futurs. Les siècles futurs parleront de ce fait. C'est une affaire qui s'attirera l'attention de toute la postérité. On ne songe pas que la postérité sera comme nous et qu'elle n'emploiera son temps et ses pensées qu'au choses présentes.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.136, Henri Scheurleer, 1757)
     
  25. Le caméléon qui selon les sentiments des naturalistes ne se nourrit que d'air a de tous les animaux la langue la plus déliée, et la plus vive dans les mouvements.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.137, Henri Scheurleer, 1757)
     
  26. Il arrive dans les disputes ce qui est ordinaire dans les armées. Le parti le plus faible étale des lumières trompeuses et fait un bruit excessif pour donner à l'ennemi une haute idée de ses forces.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.137, Henri Scheurleer, 1757)
     
  27. Quand quelqu'un en Angleterre est fait Pair spirituel du Royaume, il perd son Nom de famille : si quelqu'un devient Pair temporel, il perd son nom de baptême.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.137, Henri Scheurleer, 1757)
     
  28. Certaines gens sous prétexte d'extirper les préjugés, déracinent la vertu, la probité et la religion.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.137, Henri Scheurleer, 1757)
     
  29. Dans plusieurs républiques bien réglées, on a eu soin autrefois de borner par des lois les possessions des particuliers. Plusieurs fortes raisons y ont porté les législateurs ; une entre autres, à laquelle on fait le moins d'attention. Quand on renferme les désirs des hommes dans certaines bornes, il arrive que dès qu'ils ont acquis tout ce que les lois leur permettent de posséder, leur intérêt particulier n'occupe plus leurs passions ; et ils sont obligés de leur donner pour objet l'intérêt public.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.138, Henri Scheurleer, 1757)
     
  30. L'homme n'a que trois moyens de se venger de la censure du public ; de la mépriser, d'user de représailles ; et de se conduire avec tant de précautions qu'il n'y donne désormais aucune prise. On fait ostentation de la première de ces méthodes; la dernière est presque impossible ; c'est la seconde qui a la vogue.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.138, Henri Scheurleer, 1757)
     
  31. Hérodote nous dit que dans les pays froids, les animaux, ont rarement des cornes ; mais que dans les pays chauds, ils en ont de fort grandes : on pourrait faire de cette remarque une application assez plaisante.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.138, Henri Scheurleer, 1757)
     
  32. Ceux qui font la satire la plus fine de tout ce qui regarde les procès, ce sont les astrologues quand, par les règles de leur art, ils prétendent déterminer quand ils seront finis, et à l'avantage de quel parti ils seront décidés. De cette manière, il font dépendre tout le succès de l'influence des étoiles sans avoir le moindre égard à la justice de la cause.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.139, Henri Scheurleer, 1757)
     
  33. J'ai fort souvent entendu tourner en ridicule ce qui est dit dans les livres apocryphe touchant Tobie et son chien qui le suivait. Cependant Homère s'exprime plus d'une fois de la même manière à l'égard de Télémaque. Virgile dit encore quelque chose de fort approchant à Evandre ; et je m'imagine que le livre de Tobie est en partie écrit en vers.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.139, Henri Scheurleer, 1757)
     
  34. J'ai vu des hommes qui avaient d'excellentes qualités, être d'un grand usage pour les autres et très inutiles pour eux-mêmes. C'est ainsi qu'un cadran placé au frontispice d'une maison fait savoir quelle heure il est à tous les voisins d'alentour sans rendre le même service aux propriétaires qui sont dans la maison même.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.139, Henri Scheurleer, 1757)
     
  35. Si quelqu'un avait fait un catalogue exact de toutes les opinions qu'il a eues depuis son enfance jusqu'à sa vieillesse, sur l'Amour, la Politique, la Religion et le Savoir, quel affreux chaos de contradictions n'y trouverait-il pas ?
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.140, Henri Scheurleer, 1757)
     
  36. Nous ne savons rien de ce qui se fait dans le Ciel, mais nous savons ce qui ne s'y fait pas. On ne s'y marie point et l'on n'y donne point en mariage.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.140, Henri Scheurleer, 1757)
     
  37. Quand on observe le choix de nos dames et leur manière de disposer de leurs saveurs, on ne saurait que respecter la mémoire de ces Cavalles dont parle Xénophon. Tant qu'elles conservaient leur crinière, c'est-à-dire leur beauté et leur jeunesse, elles ne voulaient pas souffrir les caresses d'un âne.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.140, Henri Scheurleer, 1757)
     
  38. La situation ia plus misérable, c'est d'être suspendu entre l'espérance et la crainte : c'est vivre dans une perpétuelle incertitude ; c'est là le triste état auquel fut condamné Arachné changée en araignée par Minerve.
    Vive quidem, pende tamen, improba, dixir.

    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.141, Henri Scheurleer, 1757)
     
  39. Vouloir trouver le moyen de suppléer à ses besoins en retranchant ses passions, c'est se couper les pieds quand on a besoin de souliers.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.141, Henri Scheurleer, 1757)
     
  40. Les médecins ne devraient point opiner sur les matières de religion, par la même raison qui nous oblige, en Angleterre, de ne point admettre les bouchers parmi les Juges jurés quand il s'agit de la vie ou de la mort de quelqu'un*.
    * On sait peut-être qu'en Angleterre, quand il s'agit de condamner quelqu'un à mort on choisit douze personnes d'entre le peuple, qu'on appelle des Jurés, parce qu'ils font serment de juger selon leur conscience.
    On leur expose le fait dans toutes ses circonstances et on le confronte avec les lois du pays. Ensuite on les laisse ensemble jusqu'à ce qu'ils soient tous du même sentiment. On n'admet pas les bouchers au nombre de ces Jurés à cause de la cruauté qu'ils contractent par le sang qu'ils répandent journellement. L'auteur ne veut pas, par une raison semblable, qu'on permette aux médecins de décider sur la Religion où il s'agit de la vie et de la mort éternelle ; parce qu'il les considère comme les bouchers au genre humain. D'ailleurs l'habitude de voir souffrir des misérables les rend durs: et la sensibilité est une excellente disposition du coeur pour adhérer à la religion.

    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.141, Henri Scheurleer, 1757)
     
  41. La raison pourquoi il y a si peu de mariages heureux, c'est que la plupart des jeunes dames s'appliquent à faire des filets, et non à faire des cages.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.142, Henri Scheurleer, 1757)
     
  42. Un homme qui prête quelque attention aux objets qui frappent ses yeux dans les rues trouvera les visages les plus gais dans les carrosses de deuil.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.142, Henri Scheurleer, 1757)
     
  43. Rien ne rend un homme plus incapable d'agir avec prudence qu'un désastre accompagné de crime et d'infamie.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.142, Henri Scheurleer, 1757)
     
  44. Le pouvoir de la fortune n'est reconnu que par les misérables. Les gens fortunés attribuent tout leur bonheur à leur prudence ou à leur mérite.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.143, Henri Scheurleer, 1757)
     
  45. On s'acquitte quelquefois des emplois les plus bas et les plus vils par un principe d'ambition. C'est ainsi qu'un homme qui monte est précisément dans la même attitude qu'un homme qui rampe.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.143, Henri Scheurleer, 1757)
     
  46. Les amis d'un mauvais caractère ressemblent aux chiens qui salissent le plus ceux à qui ils veulent marquer le plus de tendresse.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.143, Henri Scheurleer, 1757)
     
  47. La censure est une taxe qu'un grand homme paye au public pour la supériorité de ses lumières et de son mérite.
    (Pensées détachées, morales et divertissantes in Le conte du tonneau II, p.143, Henri Scheurleer, 1757)