Jean Echenoz
1947
  1. [...] un aéroport n'existe pas en soi. Ce n'est qu'un lieu de passage, un sas, une fragile façade au milieu d'une plaine, un belvédère ceint de pistes où bondissent des lapins à l'haleine chargée de kérosène, une plaque tournante infestée de courants d'air qui charrient une grande variété de corpuscules aux innombrables origines - grains de sable de tous les déserts, paillettes d'or et de mica de tous les fleuves, poussières volcaniques ou radioactives, pollens et virus, cendre de cigare et poudre de riz.
    (Je m'en vais, p.10, Les Éditions de Minuit, n°17, 1999)
     
  2. Il est, chacun peut l'observer, des personnes au physique botanique. Il en est qui évoquent des feuillages, des arbres ou des fleurs [...] quant à lui, toujours mal habillé, rappelle ces végétaux anonymes et grisâtres qui poussent en ville, entre les pavés déchaussés d'une cour d'entrepôt désaffecté, au creux d'une lézarde corrompant une façade en ruine. Étiques, atones, discrets mais tenaces, ils ont, ils savent qu'ils n'ont qu'un petit rôle dans la vie mais ils savent le tenir.
    (Je m'en vais, p.28, Les Éditions de Minuit, n°17, 1999)
     
  3. [La moitié féminine se divise] en deux populations : celles qui, juste après qu'on les quitte, et pas forcément pour toujours, se retournent quand on les regarde descendre l'escalier d'une bouche de métro, et celles qui, pour toujours ou pas, ne se retournent pas.
    (Je m'en vais, p.128, Les Éditions de Minuit, n°17, 1999)
     
  4. Le corps se transforme en passant une frontière, on le sait aussi, le regard change de focale et d'objectif, la densité de l'air s'altère et les parfums, les bruits se découpent singulièrement jusqu'au soleil lui-même qui a une autre tête.
    (Je m'en vais, p.185, Les Éditions de Minuit, n°17, 1999)