Rainer Maria Rilke
1875-1926
  1. [...] pour saisir une oeuvre d'art, rien n'est pire que la critique. Ils n'aboutissent qu'à des malentendus plus ou moins heureux. Les choses ne sont pas toutes à prendre ou à dire, comme on voudrait nous le faire croire. Presque tout ce qui arrive est inexprimable et s'accomplit dans une région que jamais parole n'a foulée. Et plus inexprimables que tout sont les oeuvres d'art, ces êtres secrets dont la vie ne finit pas et que côtoie la nôtre qui passe.
    (Lettres à un jeune poète, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, p.15, Grasset/Les Cahiers Rouges, 1937)
     
  2. Une oeuvre d'art est bonne quand elle est née d'une nécessité. C'est la nature de son origine qui la juge.
    (Lettres à un jeune poète, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, p.21, Grasset/Les Cahiers Rouges, 1937)
     
  3. [...] au fond, et précisément pour l'essentiel, nous sommes indiciblement seuls. Pour se conseiller, pour s'aider l'un l'autre, il faut bien des rencontres et des aboutissements. Toute une constellation d'événements est nécessaire pour une seule réussite.
    (Lettres à un jeune poète, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, p.26, Grasset/Les Cahiers Rouges, 1937)
     
  4. Lisez le moins possible d'ouvrages critiques ou esthétiques. Ce sont, ou bien des produits de l'esprit de chapelle, pétrifiés, privés de sens dans leur durcissement sans vie, ou bien d'habiles jeux verbaux ; un jour une opinion y fait loi, un autre jour c'est l'opinion contraire. Les oeuvres d'art sont d'une infinie solitude ; rien n'est pire que la critique pour les aborder. Seul l'amour peut les saisir, les garder, être juste envers elles.
    (Lettres à un jeune poète, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, p.33, Grasset/Les Cahiers Rouges, 1937)
     
  5. Être artiste, c'est ne pas compter, c'est croître comme l'arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant, aux grands vents du printemps, sans craindre que l'été puisse ne pas venir. L'été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s'ils avaient l'éternité devant eux.
    (Lettres à un jeune poète, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, p.35, Grasset/Les Cahiers Rouges, 1937)
     
  6. Presque tout ce qui est grave est difficile ; et tout est grave.
    (Lettres à un jeune poète, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, p.44, Grasset/Les Cahiers Rouges, 1937)
     
  7. Une seule chose est nécessaire : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer durant des heures personne, c'est à cela qu'il faut parvenir.
    (Lettres à un jeune poète, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, p.62, Grasset/Les Cahiers Rouges, 1937)
     
  8. Il est bon d'être seul parce que la solitude est difficile. Qu'une chose soit difficile doit nous être une raison de plus de nous y tenir.
    Il est bon aussi d'aimer ; car l'amour est difficile. L'amour d'un être humain pour un autre, c'est peut-être l'épreuve la plus difficile pour chacun de nous, c'est le plus haut témoignage de nous-même ; l'oeuvre suprême dont toutes les autres ne sont que les préparations.

    (Lettres à un jeune poète, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, p.73, Grasset/Les Cahiers Rouges, 1937)
     
  9. L'amour, c'est l'occasion unique de mûrir, de prendre forme, de devenir soi-même un monde pour l'amour de l'être aimé. C'est une haute exigence, une ambition sans limite, qui fait de celui qui aime un élu qu'appelle le large.
    (Lettres à un jeune poète, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, p.75, Grasset/Les Cahiers Rouges, 1937)
     
  10. Dans la mesure où nous sommes seuls, l'amour et la mort se rapprochent.
    (Lettres à un jeune poète, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, p.80, Grasset/Les Cahiers Rouges, 1937)
     
  11. Seules sont mauvaises et dangereuses les tristesses qu'on transporte dans la foule pour qu'elle les couvre.
    (Lettres à un jeune poète, trad. Bernard Grasset et Rainer Biemel, p.85, Grasset/Les Cahiers Rouges, 1937)