Raoul Vaneigem
1934
  1. L'entreprise scolaire n'a-t-elle pas obéi jusqu'à ce jour à une préoccupation dominante: améliorer les techniques de dressage afin que l'animal soit rentable?
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.8, Mille et une nuits, n°69)
     
  2. Une école où la vie s'ennuie n'enseigne que la barbarie.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.9, Mille et une nuits, n°69)
     
  3. Il faut vraiment cultiver la sottise avec une faconde ministérielle pour ne pas révoquer sur-le-champ un enseignement que le passé pétrit encore avec les ignobles levures du despotisme, du travail forcé, de la discipline militaire et de cette abstraction, dont l'étymologie - abstrahere, tirer hors de - dit assez l'exil de soi, la séparation d'avec la vie.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.10, Mille et une nuits, n°69)
     
  4. L'école demeure confinée dans le contre-jour du vieux monde qui s'effondre.
    Faut-il la détruire? Question doublement absurde.
    D'abord parce qu'elle est déjà détruite. De moins en moins concernés par ce qu'ils enseignent et étudient - et surtout par la manière d'instruire et de s'instruire -, professeurs et élèves ne s'affairent-ils pas à saborder de conserve le vieux paquebot pédagogique qui fait eau de toutes parts?
    L'ennui engendre la violence, la laideur des bâtiments excite au vandalisme, les constructions modernes, cimentées par le mépris des promoteurs immobiliers, se lézardent, s'écroulent, s'embrasent, selon l'usure programmée de leurs matériaux de pacotille.
    Ensuite, parce que le réflexe d'anéantissement s'inscrit dans la logique de mort d'une société marchande dont la nécessité lucrative épuise le vivant des êtres et des choses, le dégrade, le pollue, le tue.

    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.13, Mille et une nuits, n°69)
     
  5. Désormais, chaque enfant, chaque adolescent, chaque adulte se trouve à la croisée d'un choix : s'épuiser dans un monde qu'épuise la logique d'une rentabilité à tout prix, ou créer sa propre vie en créant un environnement qui en assure la plénitude ou l'harmonie. Car l'existence quotidienne ne se peut confondre plus longtemps avec cette survie adaptative à laquelle l'ont réduite les hommes qui produisent la marchandise et sont produits par elle.
    Nous ne voulons pas plus d'une école où l'on apprend à survivre en désapprenant à vivre.

    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.15, Mille et une nuits, n°69)
     
  6. Que l'enfance se soit prise au piège d'une école qui a tué le merveilleux au lieu de l'exalter indique assez en quelle urgence l'enseignement se trouve, s'il ne veut pas sombrer plus avant dans la barbarie de l'ennui, de créer un monde dont il soit permis de s'émerveiller.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.17, Mille et une nuits, n°69)
     
  7. Il serait vain, assurément d'accorder crédit à un gouvernement, à une faction politique, ramassis de gens soucieux de soutenir avant tout l'intérêt de leur pouvoir vacillant; ni davantage à des tribuns et maîtres à penser, personnages médiatiques multipliant leur image pour conjuguer la nullité que reflète le miroir de leur existence quotidienne. Mais ce serait surtout marcher au revers de soi que de s'agenouiller en quémandeur, en assisté, en inférieur, alors que l'éducation doit avoir pour but l'autonomie, l'indépendance, la création de soi, sans laquelle il n'est pas de véritable entraide, de solidarité authentique, de collectivité sans oppression.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.17, Mille et une nuits, n°69)
     
  8. Mettre l'école sous le signe de la compétitivité, c'est inciter à la corruption, qui est la morale des affaires.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.18, Mille et une nuits, n°69)
     
  9. Je ne suppose pas d'autre projet éducatif que celui de se créer dans l'amour et la connaissance du vivant. En dehors d'une école buissonnière où la vie se trouve et se cherche sans fin - de l'art d'aimer aux mathématiques spéculatives -, il n'y a que l'ennui et le poids mort d'un passé totalitaire.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.18, Mille et une nuits, n°69)
     
  10. Quelle devrait être la préoccupation essentielle de l'enseignement? Aider l'enfant dans son approche de la vie afin de lui apprendre à savoir ce qu'il veut et à vouloir ce qu'il sait`c'est-à-dire à satisfaire ses désirs, non dans l'assouvissement animal mais selon les affinements de la conscience humaine.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.21, Mille et une nuits, n°69)
     
  11. Une école qui entrave les désirs stimule l'agressivité.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.22, Mille et une nuits, n°69)
     
  12. Et est-il si sûr que l'école ne reste pas dans la lâcheté d'un assentiment général, un lieu de dressage et de conditionnement, auquel la culture sert de prétexte et l'économie de réalité ?
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.24, Mille et une nuits, n°69)
     
  13. Apprendre sans désir, c'est désapprendre à désirer.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.27, Mille et une nuits, n°69)
     
  14. Comment peut-on exciter la curiosité chez des êtres tourmentés par l'angoisse de la faute et la peur des sanctions? Certes, il existe des professeurs assez enthousiastes pour passionner leur auditoire et faire oublier un instant les détestables conditions qui dégradent leur métier. Mais combien, et pendant combien d'années?
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.27, Mille et une nuits, n°69)
     
  15. Si l'enseignement est reçu avec réticence, voire avec répugnance, c'est que le savoir filtré par les programmes scolaires porte la marque d'une blessure ancienne: il a été castré de sa sensualité originelle.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.29, Mille et une nuits, n°69)
     
  16. La connaissance du monde sans la conscience des désirs de vie est une connaissance morte.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.30, Mille et une nuits, n°69)
     
  17. Chaque jour, l'élève pénètre, qu'il le veuille ou non, dans un prétoire où il comparaît devant ses juges sous l'accusation présumée d'ignorance. À lui de prouver son innocence en régurgitant à la demande les théories, règles, dates, définitions qui contribueront à sa relaxation en fin d'année.
    L'expression « mettre en examen », c'est-à-dire procéder, en matière criminelle, à l'interrogatoire d'un suspect et à l'exposition des charges, évoque bien la connotation judiciaire que revêt l'épreuve écrite et orale infligée aux étudiants.
    Nul ne songe ici à nier l'utilité de contrôler l'assimilation des connaissances, le degré de compréhension, l'habileté expérimentale. Mais faut-il pour autant travestir en juge et en coupable un maître et un élève qui ne demandent qu'à instruire et à être instruit ?

    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.31, Mille et une nuits, n°69)
     
  18. Juger empêche de comprendre pour corriger.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.32, Mille et une nuits, n°69)
     
  19. Chacun possède sa propre créativité. Qu'il ne tolère plus qu'on l'étouffe en traitant comme un délit passible de châtiment le risque de se tromper. Il n'y a pas de fautes, il n'y a que des erreurs, et les erreurs se corrigent.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.34, Mille et une nuits, n°69)
     
  20. Seuls ceux qui possèdent la clé des champs et la clé des songes ouvriront l'école sur une société ouverte.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.35, Mille et une nuits, n°69)
     
  21. Épingler un papillon n'est pas la meilleure façon de faire connaissance avec lui. Celui qui transforme le vivant en chose morte, sous quelque prétexte que ce soit, démontre seulement que son savoir ne lui a même pas servi à devenir humain.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.36, Mille et une nuits, n°69)
     
  22. La conscience d'une présence vivante dans le sujet et dans l'objet n'est-elle pas de nature à manifester ce qu'il y a de maître dans l'élève et d'élève dans le maître? Où manque l'intelligence de la vie, il n'y a que des rapports de brutes. Ce qui ne vient pas de ce qu'il y a en nous de plus vivant pour y retourner se dévoie vers la mort, pour la plus grande gloire des armées et des technologies de profit. C'est pourquoi la plupart des écoles sont des champs de bataille où le mépris, la haine et la violence dévastatrice dressent le constat de faillite d'un système éducatif qui contraint l'enseignant au despotisme et l'enseigné à la servilité.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.37, Mille et une nuits, n°69)
     
  23. Celui qui porte dans son coeur le cadavre de son enfance n'éduquera jamais que les âmes mortes.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.37, Mille et une nuits, n°69)
     
  24. L'apprentissage de la vie est une promenade dans l'univers du don. Une promenade mycologique en quelque sorte, où le guide enseigne à distinguer les champignons comestibles des autres, impropres à la consommation, voire mortels mais dont un traitement approprié peut tirer des vertus curatives.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.38, Mille et une nuits, n°69)
     
  25. Rien ne tue plus sûrement que de se contenter de survivre.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.40, Mille et une nuits, n°69)
     
  26. Ce qui s'enseigne par la peur rend le savoir craintif.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.42, Mille et une nuits, n°69)
     
  27. L'autorité légalement accordée à l'enseignant prête un goût si amer à la connaissance que l'ignorance arrive à se parer des lauriers de la révolte. Celui qui dispense son savoir par plaisir n'a que faire de l'imposer mais l'encasernement éducatif est tel qu'il faut instruire par devoir, non par agrément.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.42, Mille et une nuits, n°69)
     
  28. Apprendre à démêler ce qui nous rend plus vivant de ce qui nous tue est la première des lucidités, celle qui donne son sens à la connaissance.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.43, Mille et une nuits, n°69)
     
  29. [...] la vraie richesse de l'homme : la capacité de se recréer en recréant le monde.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.44, Mille et une nuits, n°69)
     
  30. Seul le plaisir d'être soi et d'être à soi prêterait au savoir cette attraction passionnelle qui justifie l'effort sans recourir à la contrainte.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.45, Mille et une nuits, n°69)
     
  31. Si vous oubliez ce que vous êtes et dans quelle vie vous voulez être, n'espérez d'autre sort que celui d'une marchandise bonne à être jetée une fois franchi le poste de péage.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.58, Mille et une nuits, n°69)
     
  32. Le développement de la consommation a permis, en touchant une plus large couche de population, d'absorber jusqu'à un certain point une quantité croissante de marchandises conçues moins pour leur usage pratique qu'à l'effet de rapporter de l'argent. La qualité d'un produit a été traitée avec d'autant plus de désinvolture que ce n'est pas elle qui déterminait le chiffre des ventes mais le mensonge publicitaire dont elle était habillée pour séduire le client.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.58, Mille et une nuits, n°69)
     
  33. Si les hommes politiques nourrissaient à l'égard de l'éducation les bonnes intentions qu'ils ne cessent de proclamer, ne mettraient-ils pas tout en oeuvre pour en garantir la qualité? Tarderaient-ils à décréter les deux mesures qui déterminent la condition sine qua non d'un apprentissage humain: augmenter le nombre des enseignants et diminuer le nombre d'élèves par classe, en sorte que chacun soit traité selon sa spécificité et non dans l'anonymat d'une foule?
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.59, Mille et une nuits, n°69)
     
  34. Résignez-vous donc au parti pris de bêtise qu'implique l'état grégaire, car je ne vois pour éduquer une classe de trente élèves que la férule ou la ruse.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.60, Mille et une nuits, n°69)
     
  35. [...] l'éducateur n'aurait plus qu'à se consacrer à l'essentiel de sa tâche : assurer la qualité des informations reçues globalement, aider à la formation d'individus autonomes, donner le meilleur de son savoir et de son expérience en aidant chacun à se lire et à lire le monde.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.61, Mille et une nuits, n°69)
     
  36. Il n'y a pas d'enfants stupides, il n'y a que des éducations imbéciles. Forcer l'écolier à se hisser au sommet du panier contribue au progrès laborieux de la rage et de la ruse animales mais sûrement pas au développement d'une intelligence créatrice et humaine.
    Dites-vous que nul n'est comparable ni réductible à qui que ce soit, à quoi que ce soit. Chacun possède ses qualités propres, il lui incombe seulement de les affiner pour le seul plaisir de se sentir en accord avec ce qui vit. Que l'on cesse donc d'exclure du champ éducatif l'enfant qui s'intéresse plus aux rêves et aux hamsters qu'à l'histoire de l'Empire romain. Pour qui refuse de se laisser programmer par les logiciels de la vente promotionnelle, tous les chemins mènent vers soi et à la création.

    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.65, Mille et une nuits, n°69)
     
  37. C'est se condamner à ne s'atteindre jamais que de rechercher son identité dans une religion, une idéologie, une nationalité, une race, une culture, une tradition, un mythe, une image. S'identifier à ce que l'on possède en soi de plus vivant, cela seul émancipe.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.66, Mille et une nuits, n°69)
     
  38. Qui vend des béquilles a besoin d'éclopés.
    Nous sortons à peine et avec peine d'une société où, à défaut d'avoir jamais pu croire en eux, les individus ont accordé leur croyance à tous les pouvoirs qui les estropiaient en les faisant marcher. Dieu, églises, État, patrie, parti, leaders et petits pères des peuples, tout leur a été prétexte raisonnable pour n'avoir pas à vivre d'eux-mêmes. Ces enfants qu'on ne relevait jadis que pour les faire tomber, il est temps de leur apprendre à apprendre seuls. Que soit enfin rompue l'habitude d'être en demande au lieu d'être en offre, et que soit révolue la misérable société d'assistés permanents dont la passivité fait la force des corrompus.

    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.70, Mille et une nuits, n°69)
     
  39. On est au-dessous de toute espérance de vie tant que l'on reste en deçà de ses capacités.
    (Avertissement aux écoliers et lycéens, p.75, Mille et une nuits, n°69)
     
  40. Rien ne ressemble plus au tueur d'une faction que le tueur de la faction adverse. « Tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme », lançait déjà Sébastien Castellion à Calvin qui, avec les meilleures raisons théologiques, venait d'envoyer Michel Servet au bûcher.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.12, Rivages poche n°480)
     
  41. Après avoir sapé et jeté à bas l'odieuse tyrannie implantée pendant des siècles sous la férule des rois, des empereurs, des princes et autres noblaillons dont l'arbitraire se revendiquait du bon plaisir de Dieu, c'est le libre-échange et son idéologie libérale, inspiratrice des droits de l'homme, qui, deux siècles plus tard, s'érigeront en pouvoir absolu, réduisant la circulation des personnes à une circulation de marchandises.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.22, Rivages poche n°480)
     
  42. Le pouvoir de l'argent et l'argent du pouvoir ont toujours été inséparables. La folie de l'argent et le pouvoir fou vont de pair, fouaillés par l'avidité ascétique et les plaisirs réduits aux déjections de la carence affective.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.26, Rivages poche n°480)
     
  43. Des ghettos de la misère à la misère des ghettos de luxe, la conscience mercenaire supplante la conscience humaine. Le bon usage de la rapacité donne des lettres de créance au mépris des autres qui permet - un exemple entre cent - de fermer les écoles, de rentabiliser l'enseignement, d'enrager les écoliers entassés à trente dans une classe et de recourir ensuite à des méthodes policières pour les mater.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.29, Rivages poche n°480)
     
  44. L'argent surabondant, employé à se reproduire, et l'argent dont la carence compromet la survie ont un effet commun : ils tuent l'imagination et la créativité.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.32, Rivages poche n°480)
     
  45. Où prime la voix de l'argent ne s'exprime plus que le vide du coeur. L'argent a tout et il n'est rien, il achète et ne donne pas.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.32, Rivages poche n°480)
     
  46. Que peut Mohamed contre le prophète MacDonald ?
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.36, Rivages poche n°480)
     
  47. Le système d'exploitation de l'homme par l'homme réduit l'humain à un objet de profit. Telle est la malédiction qui accable la créature terrestre et qui, sans besoin d'en passer par la croyance en un Dieu, en un homme providentiel, en un gouvernement, frappe d'épouvante l'esprit qui règne dans le ciel des idées.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.39, Rivages poche n°480)
     
  48. La vie ne vaut rien mais une vie perdue vaut de l'argent. Voilà la philosophie des affaires.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.42, Rivages poche n°480)
     
  49. Or, comment le marché de la sécurité garderait-il son potentiel de profit, s'il n'entretenait pas lui-même les conditions objectives et subjectives qui le garantissent ? Pas de lutte contre la délinquance sans délinquance, pas de thérapie sans malades, pas de protection sans menaces. La logique mercantile exige que les fauteurs de rentabilité stimulent le champ social avec les galvanisations de la peur et la violence que les exorcise sans jamais y parer.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.52, Rivages poche n°480)
     
  50. Rien n'arrêtera l'émergence des nouvelles valeurs, elles achèveront de ruiner les anciennes en privilégiant la souveraineté de la vie, la générosité et la gratuité, le progrès humain, la créativité individuelle et collective, la prééminence de la femme et de l'enfant. La conscience de quelques-uns suffira à les éclairer.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.65, Rivages poche n°480)
     
  51. Il est temps d'en finir avec les nationalismes et autres identités moutonnières. Il n'y a pas d'Américains, de Français, d'Afghans, de Bretons, de Guatémaltèques, d'Arabes, de Juifs, de Papous. Il y a des individus fort différents les uns des autres, et qui s'aviseront bien un jour que la lutte pour la souveraineté de la vie annule tous les autres combats.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.72, Rivages poche n°480)
     
  52. Briser à coups de pavés la vitrine d'une banque ou d'une boutique exhibant aux niais ce qu'il « faut » acheter pour être à la mode, c'est se dédouaner à bon compte de l'absence d'une créativité qui, par exemple, inventerait une activité plus passionnante que la consommation, s'attacherait à découvrir de nouvelles énergies gratuites, piraterait les flux spéculatifs au profit d'une gestion collective des services publics...
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.74, Rivages poche n°480)
     
  53. [...] invoquer la supériorité numérique de l'adversaire n'est le plus souvent que l'alibi de l'impuissance complaisante. La quantité est le faux-semblant d'un pouvoir que la qualité d'une geste, d'une pensée, d'une vie a la faculté de dissiper. La résolution et le génie créatif de quelques-uns savent réduire à zéro le chiffre le plus élevé dont se targuent les forces adverses.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.78, Rivages poche n°480)
     
  54. Si avantageux que se veuillent le principe d'équité salariale et le souci d'une marchandise « propre », assainissant production et consommation, nous avons appris qu'une économie au service de l'homme met d'abord l'homme au service de l'économie. Les bons pasteurs de la plus-value commencent toujours par nourrir le troupeau avant de l'envoyer à la boucherie.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.93, Rivages poche n°480)
     
  55. Se protéger contre un danger sans créer les conditions qui l'éradiquent, c'est combattre la peur par une peur plus grande : le marché de l'insécurité ne procède pas autrement.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.97, Rivages poche n°480)
     
  56. L'individu a toujours été au service de la communauté, il est temps que la communauté soit au service de l'individu. Il est temps qu'à l'aveuglement grégaire se substitue la conscience individuelle. Le refus de la société marchande implique la création d'une société vivante.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.101, Rivages poche n°480)
     
  57. La foule est un monstre décervelé que la conscience humaine de quelques-uns suffit à abattre.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.102, Rivages poche n°480)
     
  58. L'exercice de la démocratie directe implique le principe : l'humain prime le nombre.
    La mathématique appelée à trancher dans le vif des décisions politiques n'a que trop tendance à transformer chacun en élément statistique, à en faire l'objet aveugle d'une comptabilité providentielle, qui finit toujours par régir le malheur.

    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.102, Rivages poche n°480)
     
  59. Aux hommes et aux peuples, il suffit de faire avaler des couleuvres pour qu'ils chient des vipères.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.103, Rivages poche n°480)
     
  60. Tolérance pour toutes les idées, même les plus abjectes, intolérance pour tout acte de violence perpétré à l'encontre d'une enfant, d'une femme, d'un homme. Tel est le postulat qu'instaure notre volonté d'accorder à la vie une souveraineté absolue.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.105, Rivages poche n°480)
     
  61. Ne permettez plus que les hommes politiques stigmatisent l'insupportable violence faite aux individus alors qu'ils la suscitent sciemment, dès l'enfance, vulgarisant, au nom de la rentabilité, un élevage concentrationnaire où, parqués de vingt-cinq à trente par classe, les écoliers se trouvent crétinisés par les principes de compétition et de concurrence, soumis aux lois de la prédation, initiés au fétichisme de l'argent, confits dans la peur de l'échec, infestés par l'arrivisme, livrés à des fonctionnaires amers et mal payés, moins enclins à nourrir la curiosité des jeunes générations qu'à se venger sur elle de leurs infortunes.
    Les collectivités d'enseignants, de parents et d'élèves n'ont-elles pas le pouvoir d'imposer des normes scolaires répondant, non à la rentabilité des malversations budgétaires, mais au souci de confier à un grand nombre d'accompagnateurs d'apprentissage, aussi avides d'enseigner que de s'instruire, de petits groupes d'enfants et d'adolescents à qui rien de ce qui est humain ne demeurera étranger ?
    Si elles ne l'ont pas, qu'elles le prennent ! Qu'elles exigent, à contre-courant des coupes et des concentrations opérées par l'économie parasitaire, la multiplication de petites écoles, permettant à l'enseignant d'individualiser son enseignement et de propager jusque dans le milieu familial et social cette intelligence sensible du vivant, seule capable de décourager la barbarie !

    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.108, Rivages poche n°480)
     
  62. [...] rien ne décourage plus le vandalisme que la beauté.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.113, Rivages poche n°480)
     
  63. « Savor reconnaître, disait Calvino, ce qui dans l'enfer n'est pas l'enfer, et lui consacrer de l'amour et du temps. »
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.123, Rivages poche n°480)
     
  64. Notre richesse est dans l'inventivité. En elle réside la naissance de notre force, celle qui brisera le mouvement de paupérisation des sociétés et des consciences.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.124, Rivages poche n°480)
     
  65. Comment la démocratie parlementaire se réformerait-elle alors que la politique clientéliste lave sa vaisselle dans l'auge du malheur ? Ne demandez pas à ceux qui vendent des remèdes contre l'infortune de casser le marché en favorisant la gratuité des plaisirs. Rien n'est plus redoutable pour le système des affaires qu'un homme qui se découvre humain et entend faire de la jouissance de soi le fondement de son existence.
    (Pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante, p.130, Rivages poche n°480)
     
  66. Le combat contre la tyrannie, dont se prévaut la liberté de parole et de pensée, est un leurre si le citoyen n'apprend pas à repérer et à distinguer dans les informations dont il a les yeux et les oreilles chaque jour encombrés, à quelles conjurations d'intérêts ou, du moins, comment elles sont ordonnées, gouvernées, déformées.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.14, Éd. La Découverte, 2003)
     
  67. Il n'y a ni bon ni mauvais usage de la liberté d'expression, il n'en existe qu'un usage insuffisant.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.15, Éd. La Découverte, 2003)
     
  68. L'absolue tolérance de toutes les opinions doit avoir pour fondement l'intolérance absolue de toutes les barbaries.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.15, Éd. La Découverte, 2003)
     
  69. Ce qui sacralise tue. L'exécration naît de l'adoration. Sacralisés, l'enfant est un tyran, la femme un objet, la vie une abstraction désincarnée.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.18, Éd. La Découverte, 2003)
     
  70. Tolérer toutes les idées n'est pas les cautionner.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.20, Éd. La Découverte, 2003)
     
  71. La plupart des polémiques à la mode ont déjà les relents d'une querelle de bouffons.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.21, Éd. La Découverte, 2003)
     
  72. La liberté d'expression cessera d'être le substitut de la liberté d'action lorsque la vitalité et l'efficience qu'elle recèle préviendront et décourageront les contrefaçons en créant une adéquation entre la fraternité des mots et la fraternité des hommes.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.23, Éd. La Découverte, 2003)
     
  73. Ce ne sont pas les propos qui doivent être condamnés, ce sont les voies de fait. Ce ne sont pas les discours ignominieux du populisme qui doivent faire l'objet de poursuites - sans quoi il faudrait dénoncer aussi leur imprégnation sournoise et leur présence masquée dans les déclarations démagogiques de la politique clientéliste et bien-pensante -, ce sont les violences à l'encontre des biens et des personnes, perpétrées par les sectateurs de la barbarie.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.26, Éd. La Découverte, 2003)
     
  74. [...] rien ne conforte mieux la sottise que de lui rendre raison par l'exécration ou la polémique. Si tant de mauvaises réputations ne sont dues qu'au mépris et à la haine, c'est qu'il existe, entre réprobateur et réprouvé, une secrète et mutuelle fascination.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.28, Éd. La Découverte, 2003)
     
  75. La pire façon de condamner certaines idées est de les imputer à crime. Un crime est un crime et une opinion n'est pas un crime, quelque influence qu'on lui impute. Interdire un propos sous le prétexte qu'il peut être nocif ou choquant, c'est mépriser ceux qui le reçoivent et les supposer inaptes à le rejeter comme aberrant ou ignoble. C'est en fait, selon la méthode du clientélisme politique et consumériste, les persuader implicitement qu'ils ont besoin d'un guide, d'un gourou, d'un maître.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.28, Éd. La Découverte, 2003)
     
  76. Il ne faut pas se tromper d'ennemi : ce qui est odieux n'est pas la parole dérangeante, en quelque sens que ce soit, c'est son asservissement au profit qui la manipule.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.31, Éd. La Découverte, 2003)
     
  77. C'est le propre de la barbarie de propager l'inhumanité jusque dans le camp de ceux qui la condamnent.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.32, Éd. La Découverte, 2003)
     
  78. Aucune vérité ne mérite que l'on s'agenouille devant elle. Tout être humain a le droit de critiquer et de contredire ce qui paraît le plus assuré ou passe pour une évidence scientifiquement établie. Les spéculations les plus folles, les assertions les plus délirantes ensemencent à leur manière le champ des vérités futures et empêchent d'ériger en autorité absolue les vérités d'une époque.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.33, Éd. La Découverte, 2003)
     
  79. Une vérité imposée s'interdit humainement d'être vraie. Toute idée reçue pour éternelle et incorruptible exhale l'odeur fétide de Dieu et de la tyrannie.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.34, Éd. La Découverte, 2003)
     
  80. Les refuges de confidentialité qui servent de chambre forte aux consortiums, aux corporations et à leurs campagnes de profit n'ont aucune raison d'exister dans une société résolue à gérer ses intérêts au seul bénéfice de ceux qui la composent.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.41, Éd. La Découverte, 2003)
     
  81. La volonté de transparence révoque l'esprit de délation. La meilleure façon de décourager les sycophantes, c'est que tout soit porté à la connaissance des citoyens.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.50, Éd. La Découverte, 2003)
     
  82. Les paparazzi n'offrent [...] que la version burlesque d'une information, manipulée pour alimenter le spectacle du monde, où chacun est convié à contempler le travestissement sensationnel de sa propre nullité.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.53, Éd. La Découverte, 2003)
     
  83. [...] « Cui prodest ? », à qui cela profite-t-il ?
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.56, Éd. La Découverte, 2003)
     
  84. Heureux celui qui, se conduisant, envers soi et en raison de l'affection qu'il se porte, comme le plus inflexible des critiques, n'a rien, sinon à attendre, du moins à redouter de l'opinion des autres.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.63, Éd. La Découverte, 2003)
     
  85. Le puritanisme a toujours été l'école du viol.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.74, Éd. La Découverte, 2003)
     
  86. L'obscurantisme a toujours été le mode d'éclairage du pouvoir.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.81, Éd. La Découverte, 2003)
     
  87. C'est une oeuvre de longue haleine que d'enseigner l'indépendance, de la soutenir par une affection dispensée sans réserve, d'ôter la peur de soi et de promouvoir en chacun cette créativité qui est la vraie richesse humaine. La mutation de civilisation à laquelle nous assistons, a plongé dans le désarroi une multitude de gens si accoutumés d'être assistés, guidés, gouvernés, qu'ils ne conçoivent d'autre changement d'existence que le choix d'autres jougs.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.82, Éd. La Découverte, 2003)
     
  88. Accepter que tout soit dit, que rien ne soit passé sous silence, c'est apprendre, dans le même temps, à démêler, à sélectionner, à décrypter, à critiquer, à ne pas tomber en dépendance d'une mise en scène spectaculaire où les factions interchangeables du bien et du mal obéissent aux manipulations des lobbies internationaux.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.88, Éd. La Découverte, 2003)
     
  89. La générosité humaine est notre pierre de touche. Le comportement l'emporte sur le discours. Les gestes de la vie priment les mots, quels qu'ils soient. La prééminence d'une attitude empreinte d'humanité possède l'art d'éveiller la parole qui en propagera les effets. Elle a le don d'Orphée d'amadouer les monstres, d'affranchir le verbe de la glaciation du « calcul égoïste ».
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.89, Éd. La Découverte, 2003)
     
  90. Ce qui est mieux connu est mieux compris et mieux aimé. Pour peu qu'il préfère une once de chair vive à une once de chair morte, un chercheur étudiant les loups, les chevêches, les fourmis, les grenouilles ou les poulpes perd toute envie de les tuer et s'attache, au contraire, à les protéger. L'approche humaine de la faune et la flore perdrait-elle sa pertinence en s'appliquant aux hommes dénaturés par une économie de prédation ?
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.90, Éd. La Découverte, 2003)
     
  91. La vigilance n'est pas la méfiance. Ce n'est pas, en l'occurrence, l'inquisition que la liberté d'expression doit susciter mais la conscience qu'il y a dans l'amer dénigrement des autres un dénigrement de soi qui mériterait plus d'attention de la part de chacun. L'indignation est une forme honorifique de l'abdication.
    (Rien n'est sacré, tout peut se dire, p.91, Éd. La Découverte, 2003)
     
  92. Les citations sont un hommage de la désinvolture à la paresse. Du moins est-ce ainsi qu'il me plaît à l'entendre en me délassant de l'attention requise par les plaisirs quotidiens, et en offrant à l'oisiveté une promenade mycologique dans les sous-bois de la culture.
    (Dictionnaire de Citations (Préface), trad. Robert Pépin , p.7, Le cherche midi éditeur, 1998)