J.-B. Pontalis
1924
  1. Comme nous redoutons que nos enfants ne nous fassent de l'ombre avant de nous transformer en ombres !
    (Traversée des ombres, p.18, Gallimard/nrf, 2003)
     
  2. [À la suite d'un deuil]
    Un creux est en nous, à jamais, mais le creux n'est pas l'abîme.

    (Traversée des ombres, p.22, Gallimard/nrf, 2003)
     
  3. Le rêve ignore le néant.
    (Traversée des ombres, p.31, Gallimard/nrf, 2003)
     
  4. Le rêve, notre hystérie secrète ?
    (Traversée des ombres, p.31, Gallimard/nrf, 2003)
     
  5. Nous créons, nous inventons nos objets d'amour.
    (Traversée des ombres, p.34, Gallimard/nrf, 2003)
     
  6. Les ressources que nous offre l'oubli sont le remède le plus sûr à la douleur de la perte.
    (Traversée des ombres, p.34, Gallimard/nrf, 2003)
     
  7. Aimer, par tous ses sens, l'éphémère.
    (Traversée des ombres, p.38, Gallimard/nrf, 2003)
     
  8. Nul ne peut s'arranger avec la mort. Mais chacun de nous trouve une issue pour s'arranger avec les morts.
    (Traversée des ombres, p.41, Gallimard/nrf, 2003)
     
  9. Qui suis-je pour établir une frontière entre un deuil légitime et un deuil pathologique ? Qui sommes-nous pour décider que tel être ne mérite pas tant de soins et d'amour, pour mesurer la douleur, pour juger que ce deuil traîne en longueur et qu'il serait temps de passer à autre chose ? Tout amour est infondé, tout amour est fou.
    (Traversée des ombres, p.45, Gallimard/nrf, 2003)
     
  10. [...] les hyperactifs, ces insomniaques du jour [...]
    (Traversée des ombres, p.60, Gallimard/nrf, 2003)
     
  11. Écrire ce n'est pas traduire un texte antérieur ; c'est s'inspirer du « rêver » qui donne une forme précaire au désordre insensé de nos désirs, à notre sauvagerie et notre infirmité natives.
    (Traversée des ombres, p.75, Gallimard/nrf, 2003)
     
  12. [...] ne pas confondre l'arrière-pays du silence et le mutisme affiché ; ni empathie et connivence, ni neutralité et indifférence.
    (Traversée des ombres, p.78, Gallimard/nrf, 2003)
     
  13. Que sont mes reliques ? mes souvenirs si précieux, mes rêves si surréels ? Qu'est-ce que j'entends préserver à tout prix, de la décomposition que nous signifie déjà, bien avant la mort, le fuite du temps ?
    (Traversée des ombres, p.88, Gallimard/nrf, 2003)
     
  14. L'art de la fiction n'est que le produit de l'art du rêve.
    (Traversée des ombres, p.117, Gallimard/nrf, 2003)
     
  15. Il y a bien des façons de passer à l'acte. Se taire en est une.
    (Traversée des ombres, p.146, Gallimard/nrf, 2003)
     
  16. Écrire est un vice impuni. Pourquoi quitter l'heureuse place du lecteur pour chercher à s'imposer comme auteur ?
    (Traversée des ombres, p.168, Gallimard/nrf, 2003)
     
  17. Je me souviens de la réponse de Masud Khan à un visiteur qui, stupéfait devant le nombre considérable d'ouvrages qu'il détenait, l'interrogeait : « Mais vous avez lu tout cela ? » Masud répliqua :« Ce qui compte, ce n'est pas de les avoir lus, ces livres, c'est de vivre en leur compagnie. »
    (Traversée des ombres, p.169, Gallimard/nrf, 2003)
     
  18. Souvent le langage, comme l'autoroute encombrée, n'est qu'une prison, n'est que contrainte. Il aliène ma liberté en excluant tout ce qui n'est pas lui, il exige les pleins pouvoirs. Mais parfois, grâce à lui, nous empruntons des routes de traverses, riches de sensations nouvelles ou oubliées, leur donnant même une intensité accrue. Il parvient à faire entendre l'inouï, à rendre visible l'invisible.
    (Traversée des ombres, p.174, Gallimard/nrf, 2003)
     
  19. Le chaos m'angoisse. Ce que je cherche dans l'art et d'abord dans la psychanalyse, c'est l'ordre caché dont personne ne peut se prévaloir d'être le maître. Un ordre qui, loin de lutter contre le désordre, ne fait qu'un avec lui.
    (Traversée des ombres, p.176, Gallimard/nrf, 2003)
     
  20. Les concepts : nos outils du jour, rien de plus. Ils ignorent l'ombre, ils récusent la nuit.
    (Traversée des ombres, p.182, Gallimard/nrf, 2003)
     
  21. Il nous faut croiser bien des revenants, dissoudre bien des fantômes, converser avec bien des morts, donner la parole à bien des muets, à commencer par l'infans que nous sommes encore, nous devons traverser bien des ombres pour enfin, peut-être, trouver une identité qui, si vacillante soit-elle, tienne et nous tienne.
    La vie est inquiète.
    La vie et la mort sont inconcevables.

    (Traversée des ombres, p.185, Gallimard/nrf, 2003)
     
  22. Il me semblait qu'il quittait lentement, en silence le monde des actifs, des affairés, de tous ceux qui sont soumis au temps que leur indiquent sans relâche la montre qu'ils portent au poignet, le journal parcouru fébrilement le soir et jeté à la poubelle le lendemain. Ce temps qui nous prend, comme il est toujours prompt à s'effacer, celui du siècle aussi bien que celui de nos jours !
    (Traversée des ombres, p.188, Gallimard/nrf, 2003)
     
  23. [...] propension du journal intime à n'être qu'un recueil de plaintes.
    (En marge des jours, p.25, Folio n°3922)
     
  24. Comment nous y prenons-nous pour tenir notre mort à la fois pour certaine et improbable ?
    (En marge des jours, p.37, Folio n°3922)
     
  25. Celui ou celle qui arrive est rarement celui ou celle qu'on attend.
    (En marge des jours, p.55, Folio n°3922)
     
  26. Quand me vient l'envie, qui me prend de temps à autre, de prélever dans mes lectures une phrase, quelques mots, une image ? Quand j'ai l'impression de rencontrer, nettement formulée, une idée autour de laquelle je tournais sans avoir pu l'énoncer et voici que cette idée me revient sous la plume d'un autre comme une évidence, une de ces évidences que parfois le rêve vous procure. Il me faut les mots d'un autre, venus d'ailleurs, pour relancer le mouvement qui me fera, avec un peu de chance, trouver les miens.
    (En marge des jours, p.71, Folio n°3922)
     
  27. Flannery O'Connor qui reçut ce conseil : « Apprenez à peindre avec des mots » déclare : « Je ne vois pas très bien ce que je pense jusqu'à ce que je voie ce que je dis. »
    (En marge des jours, p.80, Folio n°3922)
     
  28. Le portrait n'est pas un miroir, il révèle ce que je me cache.
    (En marge des jours, p.81, Folio n°3922)
     
  29. Le rêve est une pensée qui ne sait pas qu'elle pense.
    (En marge des jours, p.85, Folio n°3922)
     
  30. Chercher à avoir raison, c'est vouloir avoir raison de l'autre, c'est l'arraisonner : qu'il soit immobilisé, pétrifié, qu'il reste sans voix devant la puissance de votre argumentation, qu'il soit empêché, comme un bateau arraisonné, de poursuivre sa propre traversée, incertaine.
    Je ne récuse pas les théories. Je préfère naviguer dans leurs marges.

    (En marge des jours, p.86, Folio n°3922)
     
  31. [...] il me faut des projets, même si le plus souvent ils ne se réalisent pas, pour que le présent ne risque pas d'être immobile.
    (En marge des jours, p.93, Folio n°3922)
     
  32. Le paysage : cette invention des peintres.
    (En marge des jours, p.97, Folio n°3922)
     
  33. Non, ce que j'aimais, ce que j'aime encore, c'est une langue assez souple pour se laisser indéfiniment renouveler, insensiblement séduire, détourner du droit chemin, assez docile pour qu'il n'y ait nul besoin rageur de la casser, assez contraignante pour qu'on n'oublie jamais son altérité, pour qu'en elle, dans les moments de grâce, je puisse me fondre et, après, comme comblé par le vide des mots, me ressaisir. Si la langue était mon idéal de femme !
    (L'amour des commencements, p.24, Folio, n°2571)
     
  34. Mais la psychanalyse m'assomme quand elle entre, sans y être invitée, en tout lieu, s'affirme comme interprétation de toutes les interprétations possibles. Je revendique pour tout un chacun non le refuge dans l'ininterprétable mais un territoire, aux frontières mouvantes, de l'ininterprété.
    (L'amour des commencements, p.27, Folio, n°2571)
     
  35. [...] celui qui sait dire « il y a » a d'un seul souffle vaincu la mort et gagné le langage à sa cause.
    (L'amour des commencements, p.32, Folio, n°2571)
     
  36. On ne renonce jamais à rien. Écrire, s'écrire, c'est ça : s'assurer qu'on n'a pas vraiment renoncé, qu'à travers la succession des illusions défaites, la chose en soi demeure, qu'elle a la vie plus dure que la vie !
    (L'amour des commencements, p.41, Folio, n°2571)
     
  37. [...] l'immobile a deux faces. Il y en a une qui rassure, comme le retour des saisons qui fait croire que le rythme de la vie humaine aussi échappe au temps qui passe, comme le café pris au comptoir avant d'aller travailler, comme le chien qui ne consent à dormir que sur ce coussin-là... Cette garantie de continuité m'est nécessaire. L'autre face, accablante, je la trouvais et je la trouve toujours quand, par exemple, au retour d'un voyage, le cendrier que j'ai oublié de vider avant le départ a gardé ses mégots, quand le manuscrit que j'ai cessé de lire, par fatigue ou ennui, est resté ouvert à la même page... Ah, ces restes de nos restes, cette perpétuation du déchet, cette retombée sans fin de ce qui fut vivant !
    (L'amour des commencements, p.42, Folio, n°2571)
     
  38. [...] dire ce qui se dit déjà sous mille formes ce n'est jamais que redire. Un rêve : pouvoir peindre l'inouï ! Peindre, pas traduire. La puissance d'un art tient à ce qu'il s'affronte à ce qui le nie : la musique au visible, la littérature au silence.
    (L'amour des commencements, p.53, Folio, n°2571)
     
  39. [...] je n'ai jamais pu me faire à l'idée qu'on ne pense qu'avec sa tête !
    (L'amour des commencements, p.57, Folio, n°2571)
     
  40. Parfois le quotidien, répété, discontinu, ne me semble être qu'un intervalle entre deux toiles peintes, entre deux rêves oubliés.
    (L'amour des commencements, p.65, Folio, n°2571)
     
  41. Je tiens pour un mort en sursis celui qui considère le temps passé à dormir pour du temps mort. Le sommeil m'est source.
    (L'amour des commencements, p.66, Folio, n°2571)
     
  42. D'où nous vient l'amour des commencements sinon du commencement de l'amour ? De celui qui sera sans suite et peut-être par là sans fin.
    (L'amour des commencements, p.70, Folio, n°2571)
     
  43. Je tiens pour suspecte une pensée qui, tout en s'en défendant, a réponse à tout et tient à l'écart sa propre incertitude.
    (L'amour des commencements, p.101, Folio, n°2571)
     
  44. [...] je me représente [l'âme] comme une ellipse, peut-on imaginer une âme carrée, rectangulaire ?
    (L'amour des commencements, p.103, Folio, n°2571)
     
  45. [...] vouloir se démarquer du troupeau, c'est encore subir la marque du berger.
    (L'amour des commencements, p.142, Folio, n°2571)
     
  46. Nous avons inventé les mots pour échapper à la loi de la pesanteur, pour retarder l'instant fatal de la chute.
    (L'amour des commencements, p.147, Folio, n°2571)
     
  47. La conversation sans objet, quel luxe !
    (L'amour des commencements, p.154, Folio, n°2571)
     
  48. Quelle ascèse plus efficace, pour qui voudrait être soi-même, que de savoir imiter ! Ainsi garde-t-on une chance, par le recours à des imitations conscientes et l'accentuation délibérée des traits du modèle, de ne pas être seulement l'écho de voix admirées.
    (L'amour des commencements, p.161, Folio, n°2571)
     
  49. Que ne perd-on pas quand le moment vient où on croit avoir acquis son identité, où on se félicite qu'elle ait cessé d'être flottante et de dériver au hasard des rencontres, au gré des jours et des nuits !
    (L'amour des commencements, p.176, Folio, n°2571)
     
  50. Mais qu'est-ce qu'une vie si on ne se la raconte pas ? Et, nous le savons, pour une seule vie, il y a cent biographies possibles.
    (L'amour des commencements, p.178, Folio, n°2571)
     
  51. [...] est venu un temps où, moins tourmenté de découvrir ce à quoi on tient vraiment, on se contente d'aimer ce qui vous tient : ceux auprès de qui on vit et qui paraissent trouver quelque plaisir à votre compagnie, le travail dont on ne se demande plus qu'elle est la raison d'être, l'assurance que chaque jour donne de quoi aimer.
    (L'amour des commencements, p.183, Folio, n°2571)
     
  52. Ce que je redoute toujours, c'est d'être réduit à un présent qui ne donnerait rien, à un présent muet - muet comme une carte d'identité, comme une pierre tombale. Les mots tuent quand ils nous désignent.
    (L'amour des commencements, p.185, Folio, n°2571)
     
  53. Quand le langage se fait politique, c'est toujours le politique qui gagne et qui, insidieusement, pervertit le destin des mots en les soumettant à ses propres lois : convaincre, argumenter, désigner l'adversaire et le réduire au silence, ne s'avouer jamais désarmé.
    (L'amour des commencements, p.192, Folio, n°2571)
     
  54. Ne plus rêver, c'est être à demi mort, c'est faire de la réalité sa seule loi.
    (L'amour des commencements, p.207, Folio, n°2571)
     
  55. Et, ne l'oublions pas, en ce temps où l'on vante à l'envi la créativité de tout un chacun, la poésie est une science exacte, la peinture un métier et la littérature un style !
    (L'amour des commencements, p.212, Folio, n°2571)
     
  56. Tant qu'il y aura des livres, personne, jamais, n'aura le dernier mot.
    (L'amour des commencements [Excipit], p.214, Folio, n°2571)