Erri De Luca
1950
  1. Les livres neufs sont impertinents, les feuilles ne se laissent pas tourner sagement, elles résistent et il faut appuyer pour qu'elles restent à plat. Les livres d'occasion ont le dos détendu, les pages, une fois lues, passent sans se soulever.
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.13, Folio n°3678)
     
  2. [...] il y a des chances qui tombent dans les bras du premier venu qu'elles rencontrent, des putains de chances qui le laissent tomber aussitôt pour aller avec le suivant, et il y a des chances avisées, au contraire, qui guettent une personne et l'éprouvent lentement.
    Et les vivants se rencontrent.

    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.19, Folio n°3678)
     
  3. Les livres devraient rester sans surveillance dans les endroits publics pour se déplacer avec les passants qui les emporteraient un moment avec eux, puis ils devraient mourir comme eux, usés par les malheurs, contaminés, noyés en tombant d'un pont avec les suicidés, fourrés dans un poêle l'hiver, déchirés par les enfants pour en faire des petits bateaux, bref ils devraient mourir n'importe comment sauf d'ennui et de propriété privée, condamnés à vie à l'étagère.
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.22, Folio n°3678)
     
  4. Un arbre a besoin de deux choses : de substance sous terre et de beauté extérieure. Ce sont des créatures concrètes mais poussées par une force d'élégance. La beauté qui leur est nécessaire c'est du vent, de la lumière, des grillons, des fourmis et une visée d'étoiles vers lesquelles pointer la formule des branches.[...]
    Un arbre est une alliance entre le proche et le lointain parfait.

    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.23, Folio n°3678)
     
  5. Un arbre ressemble à un peuple, plus qu'à une personne. Il s'implante avec effort, il s'enracine en secret. S'il résiste, alors commencent les générations de feuilles.
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.28, Folio n°3678)
     
  6. Sans éclats de rire avant, les baisers sont fades.
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.34, Folio n°3678)
     
  7. Nous apprenons les alphabets et nous ne savons pas lire les arbres. Les chênes sont des romans, les pins des grammaires, les vignes sont des psaumes, les plantes grimpantes des proverbes, les sapins sont des plaidoiries, les cyprès des accusations, le romarin est une chanson, le laurier une prophétie.
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.43, Folio n°3678)
     
  8. Il y a des créatures destinées les unes aux autres qui n'arrivent jamais à se rencontrer et qui se résignent à aimer une autre personne pour raccommoder l'absence. Elles sont sages.
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.51, Folio n°3678)
     
  9. Je pense à présent que Làila et moi n'avons pas encore un oui ou un non derrière nous. Et on ne peut être deux sans les oui et les non.
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.73, Folio n°3678)
     
  10. C'est ce que doivent faire les livres, porter une personne et non pas se faire porter par elle, décharger la journée de son dos, ne pas ajouter leurs propres grammes de papier sur ses vertèbres.
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.83, Folio n°3678)
     
  11. [...] la foi vient après le rire, plus qu'après les pleurs.
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.94, Folio n°3678)
     
  12. Il est bien dur de savoir que quelqu'un pense à autre chose pendant que tu lui parles.
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.101, Folio n°3678)
     
  13. Quand il m'arrive de sentir que mon temps est peu de chose, je pense à celui qui s'écoule simultanément dans bien des endroits du monde et qui passe près du mien : ce sont des arbres qui chassent des pollens, des femmes qui attendent une rupture des eaux, un garçon qui étudie un vers de Dante, mille cloches de récréation qui sonnent dans toutes les écoles du monde, du vin qui fermente au soutirage, toutes choses qui arrivent au même moment et qui, alliant leur temps au mien, lui donnent de l'ampleur.
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.106, Folio n°3678)
     
  14. Une vie d'homme dure autant que celle de trois chevaux [...]
    (Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.115, Folio n°3678)