Philippe Claudel
1962
  1. [..] un pays où les prénoms ne signifient rien est un bien curieux pays.
    (La petite fille de Monsieur Linh, p.51, Stock, 2005)
     
  2. [...] la nuit fait éclore dans la ville des milliers de lumières qui scintillent et paraissent se déplacer. On dirait des étoiles tombées à terre et qui cherchent à s'envoler de nouveau vers le ciel. Mais elles ne peuvent le faire. On ne peut jamais s'envoler vers ce qu'on a perdu [...].
    (La petite fille de Monsieur Linh, p.111, Stock, 2005)
     
  3. Qu'est-ce donc que la vie humaine sinon un collier de blessures que l'on passe autour de son cou ? À quoi sert d'aller ainsi dans les jours, les mois, les années, toujours plus faible, toujours meurtri ? Pourquoi faut-il que les lendemains soient toujours plus amers que les jours passés qui le sont déjà trop ?
    (La petite fille de Monsieur Linh, p.145, Stock, 2005)
     
  4. [...] ce peut être aussi cela l'existence ! Des miracles parfois, de l'or et des rires, et de nouveau l'espoir quand on croit que tout autour de soi n'est que saccage et silence !
    (La petite fille de Monsieur Linh, p.159, Stock, 2005)
     
  5. La mort brutale prend les belles choses, mais les garde en l'état. C'est là sa vraie grandeur. On ne peut pas lutter contre.
    (Les âmes grises, p.46, Stock, 2003)
     
  6. [...] ça, c'est la grande connerie des hommes, on se dit toujours qu'on a le temps, qu'on pourra faire cela le lendemain, trois jours plus tard, l'an prochain, deux heures après. Et puis tout meurt. On se retrouve à suivre des cercueils [...]
    (Les âmes grises, p.78, Stock, 2003)
     
  7. La mémoire est curieuse : elle retient des choses qui ne valent pas trois sous. Pour le reste, tout passe à la grande fosse.
    (Les âmes grises, p.83, Stock, 2003)
     
  8. Il avait l'art de se servir des mots pour leur faire dire des choses auxquelles d'ordinaire ils n'étaient pas destinés.
    (Les âmes grises, p.110, Stock, 2003)
     
  9. La haine est une cruelle marinade : elle donne à la viande une saveur de déchet.
    (Les âmes grises, p.125, Stock, 2003)
     
  10. Les salauds, les saints, j'en ai jamais vu. Rien n'est ni tout noir, ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c'est pareil... T'es une âme grise, joliment grise, comme nous tous...
    (Les âmes grises, p.136, Stock, 2003)
     
  11. On tue beaucoup dans une journée, sans même s'en rendre compte vraiment, en pensée et en mots. Au regard de tous ces crimes abstraits, les assassinats véritables sont bien peu nombreux, si l'on y réfléchit. Il n'y a vraiment que dans les guerres que l'équilibre se fait entre nos désirs avariés et le réel absolu.
    (Les âmes grises, p.149, Stock, 2003)
     
  12. Le chagrin tue. Très vite. Le sentiment de la faute aussi, chez ceux qui ont un bout de morale.
    (Les âmes grises, p.155, Stock, 2003)
     
  13. Les bonnes gens partent vite. Tout le monde les aime bien, la mort aussi. Seuls les salauds ont la peau dure. Ceux-là crèvent vieux en général, et parfois même dans leur lit. Tranquilles comme Baptiste.
    (Les âmes grises, p.156, Stock, 2003)
     
  14. C'est curieux la vie. Ça ne prévient pas. Tout s'y mélange sans qu'on puisse y faire le tri et les moments de sang succèdent aux moments de grâce, comme ça. On dirait que l'homme est un de ces petits cailloux posés sur les routes, qui reste des jours entiers à la même place, et que le coup de pied d'un trimardeur parfois bouscule et lance dans les airs, sans raison. Et qu'est-ce que peut un caillou ?
    (Les âmes grises, p.172, Stock, 2003)
     
  15. Une foule, c'est quoi ? c'est rien, des pécores inoffensives si on leur cause yeux dans les yeux. Mais mis ensemble, presque collés les uns sur les autres, dans l'odeur des corps, de la transpiration, des haleines, la contemplation des visages, à l'affût du moindre mot, juste ou pas, ça devient de la dynamite, une machine infernale, une soupière à vapeur prête à péter à la gueule si jamais on la touche.
    (Les âmes grises, p.181, Stock, 2003)
     
  16. [...] quand on vit dans les fleurs, on ne pense pas à la boue.
    (Les âmes grises, p.247, Stock, 2003)
     
  17. On sait toujours ce que les autres sont pour nous, mais on ne sait jamais ce que nous sommes pour les autres.
    (Les âmes grises, p.259, Stock, 2003)
     
  18. Dis Papa c'est quoi la mort ?

    Une erreur une maison dans laquelle on s'endort
    Un songe un grand oubli
    Un vieux malentendu
    Un chien très fatigué qui oublie sa douleur en se couchant heureux
    Près d'un feu un beau soir

    (Le monde sans les enfants, p.59, Stock, 2006)
     
  19. Dis Papa c'est quoi les hommes ?

    Ce sont des princes des mendiants et des fous
    Des artistes et des gueux
    Des loups et des agneaux
    De très petites choses fragiles et admirables qu'un rien suffit à vaincre
    Des montagnes éternelles où naissent les ruisseaux

    (Le monde sans les enfants, p.60, Stock, 2006)
     
  20. Sur le chemin de l'école, il faut faire attention aux gens qui ont des fusils, car ils peuvent tirer avec, te tirer dessus, et puis là aussi tu es mort. Le problème, c'est qu'il y a plein de gens avec des fusils : il y a les militaires de mon pays, et puis des militaires d'autres pays qui sont venus dans mon pays pour faire la paix en faisant la guerre.
    (Le monde sans les enfants, p.66, Stock, 2006)
     
  21. Pense à moi comme je pense à toi, car c'est en pensant aux autres qu'on les fait exister, et ça, les guerres n'y peuvent rien changer.
    (Le monde sans les enfants, p.70, Stock, 2006)
     
  22. Parfois les rêves se réalisent, surtout dans les histoires et surtout dans la vie.
    (Le monde sans les enfants, p.132, Stock, 2006)
     
  23. La vérité, ça peut couper les mains et laisser des entailles à ne plus vouloir vivre avec, et la plupart d'entre nous, ce qu'on veut, c'est vivre. Le moins douloureusement possible. C'est humain.
    (Le rapport de Brodeck, p.12, Stock, 2007)
     
  24. J'ai toujours eu un peu de mal à parler et à dire le fond de ma pensée. Je préfère écrire. Il me semble alors que les mots deviennent très dociles, à venir me manger dans la main comme des petits oiseaux, et j'en fais presque ce que j'en veux, tandis que lorsque j'essaie de les assembler dans l'air, ils se dérobent.
    (Le rapport de Brodeck, p.47, Stock, 2007)
     
  25. La poésie ne lui avait été d'aucune utilité pour survivre. [...] La poésie ne connaît pas les chiens. Elle les ignore.
    (Le rapport de Brodeck, p.49, Stock, 2007)
     
  26. C'est très curieux la sainteté. Lorsqu'on la rencontre, on la prend souvent pour autre chose, pour tout autre chose, de l'indifférence, de la moquerie, de la conspiration, de la froideur ou de l'insolence, du mépris peut-être. On se trompe, et alors on s'emporte. On commet le pire. C'est sans doute pour cela que les saints finissent toujours en martyrs.
    (Le rapport de Brodeck, p.62, Stock, 2007)
     
  27. C'est très bizarre les noms. Parfois on ne connaît rien d'eux et on le dit sans cesse. C'est un peu comme les êtres au fond, ceux justement que l'on croise durant des années, mais qu'on ne connaît jamais, et qui se révèlent un jour, sous nos yeux, comme jamais on ne les aurait crus capables d'être.
    (Le rapport de Brodeck, p.72, Stock, 2007)
     
  28. Une vieille chanson de la montagne dit que lorsque l'amour frappe à la porte, il ne reste que la porte, et que tout le reste disparaît.
    (Le rapport de Brodeck, p.80, Stock, 2007)
     
  29. [...] être innocent au milieu des coupables, c'était en somme la même chose que d'être coupable au milieu des innocents.
    (Le rapport de Brodeck, p.92, Stock, 2007)
     
  30. L'homme est ainsi fait qu'il préfère se croire un pur esprit, un faiseur d'idées, de songes, de rêves et de merveilles. Il n'aime pas qu'on lui rappelle qu'il est aussi un être de matières, et que ce qui s'écoule entre ses fesses le constitue autant que ce qui s'agite et germe dans son cerveau.
    (Le rapport de Brodeck, p.124, Stock, 2007)
     
  31. Les hommes sont bizarres. Ils commettent le pire sans trop se poser de questions, mais ensuite, ils ne peuvent plus vivre avec le souvenir de ce qu'ils ont fait. Il faut qu'ils s'en débarrassent. Alors ils viennent me voir car ils savent que je suis le seul à pouvoir les soulager, et ils me disent tout. Je suis l'égout, Brodeck. Je ne suis pas le prêtre, je suis l'homme-égout. Celui dans le cerveau duquel on peut déverser toutes les sanies, toutes les ordures, pour se soulager, pour s'alléger. Et ensuite, ils repartent comme si de rien n'était. Tout neufs. Bien propres. Prêts à recommencer.
    (Le rapport de Brodeck, p.173, Stock, 2007)
     
  32. La guerre... Peut-être les peuples ont-ils besoin de ces cauchemars. Ils saccagent ce qu'ils ont mis des siècles à construire. On détruit ce que l'on interdisait. On favorise ce que jadis on condamnait. La guerre, c'est une grande main qui balaie le monde. C'est le lieu où triomphe le médiocre, le criminel reçoit l'auréole du saint, on se prosterne devant lui, on l'acclame, on l'adule. Faut-il donc que la vie paraisse aux hommes d'une si lugubre monotonie pour qu'ils désirent ainsi le massacre et la ruine ? Je les ai vus bondir au bord du gouffre, cheminer sur son arête et regarder avec fascination l'horreur du vide dans lequel s'agitaient les plus viles passions. Détruire ! Violer ! Égorger !
    (Le rapport de Brodeck, p.174, Stock, 2007)
     
  33. L'homme est un animal qui toujours recommence.
    (Le rapport de Brodeck, p.185, Stock, 2007)
     
  34. C'est tellement étrange une vie d'homme. Une fois qu'on y est précipité, on se demande souvent ce qu'on y fait. C'est peut-être pour cela que certains, un peu plus malins que d'autres, se contentent de pousser seulement un peu la porte, jettent un oeil, et apercevant ce qu'il y a derrière se prennent du désir de la refermer au plus vite.
    (Le rapport de Brodeck, p.192, Stock, 2007)
     
  35. Les sentiers sont comme les hommes, ils meurent aussi. Peu à peu, ils s'encombrent, se comblent, se morcellent, se laissent manger par les herbes, puis disparaissent. Et il ne faut que peu d'années pour qu'on n'en distingue plus guère que l'échine et que la plupart des êtres finissent par les oublier.
    (Le rapport de Brodeck, p.212, Stock, 2007)
     
  36. La mort d'un homme, Brodeck, ne rachète jamais le sacrifice d'un autre homme. Ce serait trop simple.
    (Le rapport de Brodeck, p.275, Stock, 2007)
     
  37. Le camp m'a appris ce paradoxe : l'homme est grand, mais nous ne sommes jamais à la hauteur de nous-même.
    (Le rapport de Brodeck, p.287, Stock, 2007)
     
  38. Il y a des heures sur terre où tout est d'une insupportable beauté, une beauté qui semble si étendue et douce uniquement pour souligner la laideur de notre condition.
    (Le rapport de Brodeck, p.320, Stock, 2007)
     
  39. [...] de l'horreur naît parfois la beauté, la pureté et la grâce.
    (Le rapport de Brodeck, p.335, Stock, 2007)
     
  40. L'idiotie est une maladie qui va bien avec la peur. L'une et l'autre s'engraissent mutuellement, créant une gangrène qui ne demande qu'à se propager.
    (Le rapport de Brodeck, p.360, Stock, 2007)