Jacques Hadamard
1865-1963
  1. L'invention dans les beaux-arts et dans les sciences n'est qu'un cas particulier. Dans la vie pratique, dans les inventions mécaniques, militaires, industrielles, commerciales, dans les institutions religieuses, sociales, politiques, l'esprit humain a dépensé autant d'imagination que partout ailleurs.
    (Th.Ribot cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  2. L'effort d'invention qui se manifeste dans tout le domaine de la vie par la création d'espèces nouvelles, a trouvé dans l'humanité seulement le moyen de se continuer par des individus auxquels est dévolue alors, avec intelligence, la faculté d'initiative, l'indépendance, la liberté.
    ( H.Bergson cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  3. En mathématiques,nous sommes davantage des serviteurs que des maîtres.
    (Hermite cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  4. Il y a toute raison de penser que la faculté mathématique doit être au moins aussi complexe que ce qu'on a constaté pour la faculté du langage.
    ( Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique.)
     
  5. L'inventeur ne connaît pas la prudence ni sa soeur cadette, la lenteur. Il bondit, il va d'un saut sur le domaine vierge et, de ce seul fait, il le conquiert. Un éclair. Le problème obscur jusque là et que nulle lampe aux lueurs timides n'aurait révélé, se trouve, du coup, inondé de lumière. On dirait une création.
    Au rebours des acquisitions progressives, un tel acte ne doit rien à la logique, à la raison...
    L'acte de découverte... serait comparable aux faits de mutation... qui ont le caractère d'accidents.
    L'acte de découverte est, lui aussi, un accident...

    (C.Nicolle, Biologie de l'inventioncité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  6. On peut comparer l'esprit d'un homme à un théâtre d'une profondeur indéfinie, dont la rampe est très étroite, mais dont la scène va s'élargissant à partir de la rampe. Devant cette rampe éclairée, il n'y a guère de place que pour un seul acteur... Au delà, sur les divers plans de la scène, sont d'autres groupes d'autant moins distincts qu'ils sont plus loin de la rampe. Au delà de ces groupes, dans les coulisses et l'arrière-fond lointain, se trouve une multitude de formes obscures qu'un appel soudain amène parfois sur la scène ou même jusque sous les feux de la rampe, et des évolutions inconnues s'opèrent incessamment dans cette fourmilière d'acteurs de tous ordres pour fournir les coryphées qui tour à tour, comme en une lanterne magique, viennent défiler devant nos yeux.
    ( Taine, De l'intelligence cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  7. L'invention est un discernement, un choix.
    ( Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique.)
     
  8. Il faut être deux pour inventer. L'un forme les combinaisons, l'autre choisit, reconnaît ce qu'il désire, et ce qui lui importe dans l'ensemble des produits du premier.
    Ce qu'on appelle "génie" est bien moins l'acte de celui-ci - l'acte qui combine - que la promptitude du second à comprendre la valeur de ce qui vient de se produire et à saisir ce produit.

    ( P.Valéry, De la simulation. cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  9. Les phénomènes inconscients privilégiés, ceux qui sont susceptibles de devenir conscients, ce sont ceux qui, directement ou indirectement, affectent le plus profondément notre sensibilité.
    On peut s'étonner de voir invoquer la sensibilité à propos de démonstrations mathématiques qui, semble-t-il, ne peuvent intéresser que l'intelligence. Ce serait oublier le sens et la beauté mathématique, de l'harmonie des nombres et des formes, de l'éloquence géométrique. C'est un véritable sens esthétique que tous les vrais mathématiciens connaissent. Et c'est bien là de la sensibilité.

    (H.Poincaré Bulletin de l'institue général de psychologie. cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  10. L'acte d'étudier une question consiste à mobiliser des idées; pas n'importe lesquelles, mais celles dont nous pouvons raisonnablement attendre la solution désirée.
    ( Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique.)
     
  11. Pour inventer , il faut penser à côté.
    ( P.Souriau cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  12. Ceux qui ont une foi excessive dans leurs idées ne sont pas bien armés pour faire des découvertes.
    ( C.Bernard. cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  13. Il faut substituer la définition au défini.
    ( B.Pascal, L'Art de Persuader cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  14. Il y a la période de la chambre noire: ici pas d'enthousiasme, car vous gâteriez votre plaque, il faut avoir vos réactifs, il faut travailler comme l'employé de vous-même, votre contremaître. Le patron vous a fourni l'étincelle; c'est à vous d'en tirer quelque chose. Ce qui est très curieux, c'est la déception qui peut s'ensuivre. Il y a des lueurs illusoires; en revoyant le résultat obtenu, le contremaître s'aperçoit que ce n'était pas fécond, c'eût été très bien si cela avait été vrai: Il y a parfois une série de jugements qui interviennent, qui s'annulent les uns les autres. Une sorte d'état d'agacement se produit; on se dit qu'on arrivera jamais à noter ce qui vous apparaît.
    (P.Valéry, Bulletin soc. philosophie cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  15. Je le vois, mais je ne le crois pas.
    ( G.Cantor cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  16. L'algébriste sait-il ce que deviennent ses idées quand il les fait entrer, sous forme de signes, dans ses formules? Les suit-il à travers toutes les phases de l'opération qu'il effectue? Non sans doute. Il les perd aussitôt de vue. Il ne s'inquiète que d'aligner et de combiner, suivant des règles connues, les signes matériels qu'il a sous les yeux; et il accepte avec une pleine sécurité le résultat obtenu.
    (P.Souriau, Théorie de l'invention cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  17. Comment savons-nous qu'il y a un ciel et qu'il est bleu. Connaîtrons-nous le ciel si nous n'avions pas de nom pour lui?
    (M.Müller, The science of thought cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  18. C'est une gêne sérieuse pour moi quand je rédige et encore plus quand je m'explique de ne pouvoir penser aussi facilement en mots qu'autrement. Il arrive souvent, après avoir durement travaillé et être arrivé à des résultats qui sont parfaitement clairs et satisfaisants pour moi, que, quand je veux les exprimer en mots, je sente que je dois commencer par me mettre sur un plan intellectuel tout à fait autre. J'ai à traduire mes pensées dans un langage qui ne me vient pas facilement. Je perds donc beaucoup de temps à chercher les mots et les phrases appropriées et je me rends compte que, lorsqu'on me demande de prendre la parole à l'improviste, je suis souvent obscur par pure maladresse verbale et non pas par manque de clarté dans la conception. C'est un des petits ennuis de ma vie.
    ( Francis Galton cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  19. Le langage, s'il joue un rôle d'indicateur, ne peut indiquer qu'en suggérant à notre conscient l'objet, pensée ou sentiment, et cela quelle que soit la forme la plus sommaire et la moins consciente sous laquelle cet objet apparaîtra en pratique.
    (Stanley, Psychological Review cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  20. Les images ont une relation plus symbolique que représentative avec les idées mathématiques considérées.
    ( Koopman, cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  21. L'imagination sera surtout d'un grand usage lorsqu'il s'agira de résoudre un problème, non plus par une simple déduction, mais par plusieurs déductions sans lien entre elles, dont il faudra ensuite coordonner les résultats après en avoir fait une énumération complète. La mémoire, en effet, sous une forme ou une autre, sera alors plus indispensable que jamais pour nous permettre, une fois les différents points de la démonstration acquis, de les considérer à nouveau en les rapprochant, afin d'en faire sortir la solution générale cherchée; nous aurons besoin d'elle aussi dans ce cas pour conserver les données du problème proposé, si nous ne nous servons pas au début de toutes ces données: nous risquerions en effet de les oublier, si nous n'avions pas sans cesse présente à l'esprit l'image de l'objet sur lequel nous raisonnons qui nous les représente toutes à chaque instant.
    (P.Bourtroux, L'imagination et les mathématiques selon Descartes.cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  22. Plus récemment, un traitement plus rigoureux des principes de la géométrie qui, logiquement parlant, ont été complètement libérés de tout appel à l'intuition, a été développé sur des bases tout à fait différentes par le célèbre mathématicien Hilbert. Son début est maintenant classique pour les mathématiciens: "Considérons tous systèmes de chose. Nous appellerons points les choses comportant le premier système, droites celles comportant le second et plans celles du troisième"; cette rédaction signifie clairement que nous ne devrions aucunement nous préoccuper de ce que ces "choses" peuvent représenter.
    ( Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique.)
     
  23. Le mot ressemble à la monnaie fiduciaire (billets de banque, chèque, etc) offrant la même utilité et les mêmes dangers.
    (Th.Ribot, Psychologie de l'attentioncité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  24. Je pense, comme le feront une majorité de scientifiques, que plus une question est difficile et complexe, plus nous nous méfions des mots, plus nous estimons que nous devons contrôler cet allié dangereux et sa précision parfois perfide.
    ( Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique)
     
  25. L'apprentissage de la numération chez les enfants, mieux encore chez les sauvages, montre combien le mot, d'abord accolé aux objets, puis aux images, s'en détache progressivement pour vivre d'une vie indépendante.
    (Th.Ribot, Psychologie de l'attention.cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  26. Les signes sont un soutien nécessaire de la pensée. Pour la pensée socialisée (stade de communication) et pour la pensée en train de se socialiser (stade de formulation) le système le plus usuel de signes est le langage proprement dit; mais la pensée intérieure, surtout quand elle est créatrice, use volontiers d'autres systèmes de signes, plus souples et moins standardisés que le langage et qui laissent davantage de liberté, de dynamisme, à la pensée créatrice... Parmi tous ces signes et symboles, il faut distinguer entre les signes conventionnels empruntés aux conventions sociales, d'une part, et d'autre part les signes personnels qui, à leur tour, peuvent se subdiviser en signes constants, appartenant aux habitudes générales, et signes épisodiques crées ad hoc et qui ne participent qu'à un seul acte créateur.
    ( R. Jakobson cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  27. Comprendre la démonstration d'un théorème, est-ce examiner successivement chacun des syllogismes dont elle se compose et constater qu'il est correct, conforme aux règles du jeu?...Oui, pour quelques-uns; quand ils auront fait cette constatation, ils diront: j'ai compris.
    Non, pour le plus grand nombre. Presque tous sont beaucoup plus exigeants, ils veulent savoir non seulement si tous les syllogismes d'une démonstration sont corrects, mais pourquoi ils s'enchaînent dans tel ordre plutôt que tel autre. Tant qu'ils leur semblent engendrés par le caprice et non par une intelligence constamment consciente des buts à atteindre, ils ne croient pas avoir compris.
    Sans doute, ils ne se rendent pas bien compte eux-mêmes de ce qu'ils réclament et ils ne sauraient formuler leur désir, mais s'ils n'ont pas satisfaction, ils sentent vaguement que quelque chose leur manque.

    (H.Poincaré, Science et méthode. cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  28. Une théorie incorrecte qui n'est pas arrêtée par une contradiction n'en est pas moins incorrecte, exactement comme une politique criminelle qui n'est pas réprimée par une cour suprême n'en est pas moins criminelle.
    ( L.E.J. Brouwer cité par J.Hadamard dans Essai sur la psychologie de l'invention en mathématique)
     
  29. Ôter la loi du tiers exclu au mathématicien équivaudrait à priver l'astronomie de son télescope et le boxeur de son poing.
    ( D.Hilbert, Die Grundlagen da Mathematik Cité par S.L.Kleene dans Logique mathématique)