René d' Argenson
1694-1757
- Ce n'est ni l'art ni la difficulté surmontée qui m'attachent et que j'admire. Mon esprit n'est point si curieux de l'esprit des autres ; mais mon imagination aime les images. Il me semble qu'à la lecture de nos vieux romanciers, le bonheur me pénètre par tous les pores.
(Mémoires du Marquis d'Argenson, p.406, Baudouin, Paris, 1825)
- Les auteurs sont naturellement d'honnêtes gens, peu versés dans l'intrigue. Ils écrivent par besoin de communiquer leurs pensées. Rarement ils montent à la tribune pour prêcher le mal. Le mal est plus discret que cela. Les gens de lettres sont communément gens de bien, et l'on gagne à les pratiquer.
(Mémoires du Marquis d'Argenson, p.407, Baudouin, Paris, 1825)
- Je suis grand extrayeur et notateur ; et les remarques que j'ai faites sur mes lectures composent déjà plusieurs gros volumes. Elles ne seront pas inutiles à mon fils, s'il veut jamais former le catalogue raisonné de sa bibliothéque.
(Mémoires du Marquis d'Argenson, p.407, Baudouin, Paris, 1825)
- Que nos jeunes gens se pénètrent bien de cette maxime, qui est exactement vraie, que plus on lit plus on a d'esprit. Ce sont les idées nouvelles que la lecture nous suggère, les réflexions qui nous les rendent propres, qui augmentent nos lumières, nous donnent à penser, étendent nos spéculations, forment notre expérience; en sorte que, qui a beaucoup d'esprit, en aurait plus encore s'il avait lu davantage.
(Mémoires du Marquis d'Argenson, p.407, Baudouin, Paris, 1825)
- Celui qui n'a jamais lu et ne lit jamais est assurément un ignorant, sujet à dire des absurdités qui font qu'on se moque de lui. L'usage du monde, et les conversations même des gens d'esprit, ne mettent point un pareil homme à l'abri du ridicule. Mais aussi, qui n'a fait que lire et étudier, et n'a jamais fréquenté le monde et la bonne compagnie, devient un pédant lourd et impoli, et dit aussi des absurdités dans un autre genre. Car, de même que le monde n'apprend pas tout sans les livres, ainsi les livres ne sauraient suppléer à l'usage du monde.
(Mémoires du Marquis d'Argenson, p.407, Baudouin, Paris, 1825)
- Inspirer l'intérêt est le grand art de tout auteur qui fait un livre. [...] Mais ce n'est pas tout que d'inspirer l'intérêt, il faut le soutenir jusqu'à la fin de l'ouvrage : hoc opus, hic labor est.
(Mémoires du Marquis d'Argenson, p.412, Baudouin, Paris, 1825)
- Il ne faut pas croire que ce soit l'imagination qui mène les pensées loin. Au contraire, c'est le jugement ; parce que celui-ci s'élève et approfondit toujours sur une ligne droite, allant de conséquence en conséquence ; au lieu que l'imagination va par bonds et par sauts, et s'égare, faute de s'attacher à aucun objet fixe.
(Mémoires du Marquis d'Argenson, p.412, Baudouin, Paris, 1825)