Michel de Montaigne
1533-1592
  1. C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit dès l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire.
    (Essais (Au lecteur), p.49, Folio n°289)
     
  2. Certes, c'est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant, que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et uniforme.
    (Essais 1.1, p.55, Folio n°289)
     
  3. Toutes passions qui se laissent goûter et digérer, ne sont que médiocres.
    (Essais 1.2, p.61, Folio n°289)
     
  4. La crainte, le désir, l'espérance nous élancent vers l'avenir, et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus.
    (Essais 1.3, p.62, Folio n°289)
     
  5. Nous devons la sujétion et l'obéissance également à tous rois, car elle regarde leur office : mais l'estimation, non plus que l'affection, nous ne la devons qu'à leur vertu.
    (Essais 1.3, p.63, Folio n°289)
     
  6. Heureux, qui savent réjouir et gratifier leur sens par l'insensibilité, et vivre de leur mort.
    (Essais 1.3, p.68, Folio n°289)
     
  7. Tout ainsi que nature nous fait voir que plusieurs choses mortes ont encore des relations occultes à la vie. Le vin s'altère aux caves, selon aucunes mutations des saisons de sa vigne. Et la chair de venaison change d'état aux saloirs et de goût, selon les lois de la chair vive, à ce qu'on dit.
    (Essais 1.3, p.69, Folio n°289)
     
  8. Quelles causes n'inventons-nous des malheurs qui nous adviennent ? À quoi ne nous prenons-nous à tort ou à droit, pour avoir où nous escrimer ?
    (Essais 1.4, p.71, Folio n°289)
     
  9. Mais nous ne dirons jamais assez d'injures au dérèglement de notre esprit.
    (Essais 1.4, p.72, Folio n°289)
     
  10. Je me fie aisément à la foi d'autrui. Mais malaisément le ferais-je lorsque je donnerais à juger l'avoir plutôt fait par désespoir et faute de coeur que par franchise et fiance de sa loyauté.
    [Fiance=confiance]

    (Essais 1.5, p.75, Folio n°289)
     
  11. Car il n'est pas dit, que, en temps et lieu, il ne soit permis de nous prévaloir de la sottise de nos ennemis, comme nous faisons de leur lâcheté.
    (Essais 1.6, p.77, Folio n°289)
     
  12. Nous ne pouvons être tenus au-delà de nos forces et de nos moyens.
    (Essais 1.6, p.79, Folio n°289)
     
  13. Je me garderai, si je puis, que ma mort dise chose que ma vie n'ait premièrement dite.
    (Essais 1.7, p.80, Folio n°289)
     
  14. L'âme qui n'a point de but établi, elle se perd : car, comme on dit, c'est n'être en aucun lieu, que d'être partout.
    (Essais 1.8, p.82, Folio n°289)
     
  15. [...] les mémoires excellentes se joignent volontiers aux jugements débiles.
    (Essais 1.9, p.83, Folio n°289)
     
  16. [...] le magasin de la mémoire est volontiers plus fourni de matière que n'est celui de l'invention.
    (Essais 1.9, p.84, Folio n°289)
     
  17. Surtout les vieillards sont dangereux à qui la souvenance des choses passées demeure et ont perdu la souvenance de leurs redites.
    (Essais 1.9, p.84, Folio n°289)
     
  18. Ce n'est pas sans raison qu'on dit que qui ne se sent point assez ferme de mémoire, ne se doit pas mêler d'être menteur.
    (Essais 1.9, p.85, Folio n°289)
     
  19. En vérité, le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes hommes et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole.
    (Essais 1.9, p.86, Folio n°289)
     
  20. Et de combien est le langage faux moins sociable que le silence.
    (Essais 1.9, p.87, Folio n°289)
     
  21. Il semble que ce soit plus le propre de l'esprit d'avoir son opération prompte et soudaine, et plus le propre du jugement de l'avoir lente et posée. Mais qui demeure du tout muet, s'il n'a loisir de se préparer, et celui aussi à qui le loisir ne donne avantage de mieux dire, ils sont en pareil degré d'étrangeté.
    (Essais 1.10, p.90, Folio n°289)
     
  22. Au rebours, tous moyens honnêtes de se garantir des maux sont non seulement permis, mais louables. Et le jeu de la constance se joue principalement à porter patiemment les inconvénients, où il n'y a point de remède.
    (Essais 1.12, p.97, Folio n°289)
     
  23. J'ai vu souvent des hommes incivils par trop de civilité, et importuns de courtoisie.
    (Essais 1.13, p.101, Folio n°289)
     
  24. C'est, au demeurant, une très utile science que la science de l'entregent. Elle est, comme la grâce et la beauté, conciliatrice des premiers abords de la société et familiarité ; et par conséquent nous ouvre la porte à nous instruire par les exemples d'autrui, et à exploiter et produire notre exemple, s'il a quelque chose d'instruisant et communicable.
    (Essais 1.13, p.101, Folio n°289)
     
  25. Les hommes (dit une sentence grecque ancienne) sont tourmentés par les opinions qu'ils ont des choses, non par les choses mêmes.
    Montaigne avait fait inscrire cette sentence d'Épictète (Manuel) sur sa bibliothèque.

    (Essais 1.14, p.102, Folio n°289)
     
  26. Toute opinion est assez forte pour se faire épouser au prix de sa vie.
    (Essais 1.14, p.105, Folio n°289)
     
  27. [...] la coutume et la longueur du temps [sont] bien plus fortes conseillères que toute autre contrainte.
    (Essais 1.14, p.107, Folio n°289)
     
  28. Forcerons-nous la générale habitude de nature, qui se voit en tout ce qui est vivant sous le ciel, de trembler sous la douleur ? Les arbres mêmes semblent gémir aux offenses qu'on leur fait. La mort ne se sent que par le discours, d'autant que c'est le mouvement d'un instant.
    (Essais 1.14, p.108, Folio n°289)
     
  29. Et à la vérité ce que nous disons craindre principalement en la mort, c'est la douleur, son avant-coureuse coutumière.
    (Essais 1.14, p.109, Folio n°289)
     
  30. Et je trouve par expérience que c'est plutôt l'impatience de l'imagination de la mort qui nous rend impatients de la douleur, et que nous la sentons doublement griève de ce qu'elle nous menace de mourir.
    (Essais 1.14, p.109, Folio n°289)
     
  31. Il est aisé à voir que ce qui aiguise en nous la douleur et la volupté, c'est la pointe de notre esprit.
    (Essais 1.14, p.111, Folio n°289)
     
  32. Comme le corps est plus ferme à la charge en le raidissant, aussi est l'âme.
    (Essais 1.14, p.112, Folio n°289)
     
  33. L'opinion est une puissante partie, hardie et sans mesure.
    (Essais 1.14, p.116, Folio n°289)
     
  34. L'achat donne titre au diamant, et la difficulté à la vertu, et la douleur à la dévotion, et l'âpreté à la médecine.
    (Essais 1.14, p.117, Folio n°289)
     
  35. De vrai, ce n'est pas la disette, c'est plutôt l'abondance qui produit l'avarice.
    (Essais 1.14, p.117, Folio n°289)
     
  36. Il n'est rien que je haïsse comme à marchander. C'est un pur commerce de trichoterie et d'impudence : après une heure de barguignage, l'un et l'autre abandonne sa parole et ses serments pour cinq sous d'amendement.
    (Essais 1.14, p.118, Folio n°289)
     
  37. Et me semble plus misérable un riche malaisé nécessiteux, affaireux, que celui qui est simplement pauvre. [...] Les plus grands princes et plus riches sont par pauvreté et disette poussés ordinairement à l'extrême nécessité. Car en est-il de plus extrême que d'en devenir tyrans et injustes usurpateurs des biens de leurs sujets ?
    (Essais 1.14, p.119, Folio n°289)
     
  38. Tout compté, il y a plus de peine à garder l'argent qu'à l'acquérir.
    (Essais 1.14, p.120, Folio n°289)
     
  39. Tout homme pécunieux est avaricieux à mon gré.
    (Essais 1.14, p.121, Folio n°289)
     
  40. Je vis du jour à la journée, et me contente d'avoir de quoi suffire aux besoins présents et ordinaires ; aux extraordinaires toutes les provisions du monde n'y sauraient suffire.
    (Essais 1.14, p.121, Folio n°289)
     
  41. [...] l'avarice [...] cette maladie si commune aux vieux et la plus ridicule de toutes les humaines folies.
    (Essais 1.14, p.122, Folio n°289)
     
  42. La fiance de la bonté d'autrui est un non léger témoignage de la bonté propre.
    (Essais 1.14, p.122, Folio n°289)
     
  43. L'aisance donc et l'indigence dépendent de l'opinion d'un chacun ; et non plus la richesse, que la gloire, que la santé, n'ont qu'autant de beauté et de plaisir que leur en prête celui qui les possède. Chacun est bien ou mal selon qu'il s'en trouve. Non de qui on le croit, mais qui le croit de soi est content. Et en cela seul la créance se donne essence et vérité.
    (Essais 1.14, p.122, Folio n°289)
     
  44. Les choses ne sont pas si douloureuses, ni difficiles d'elles-mêmes ; mais notre faiblesse et lâcheté les fait telles. Pour juger des choses grandes et hautes, il faut une âme de même, autrement nous leur attribuons le vice qui est le nôtre. Un aviron droit semble courbe en l'eau. Il n'importe pas seulement qu'on voie la chose, mais comment on la voit.
    (Essais 1.14, p.123, Folio n°289)
     
  45. [...] s'il est mauvais de vivre en nécessité, au moins de vivre en nécessité, il n'est aucune nécessité.
    (Essais 1.14, p.124, Folio n°289)
     
  46. Nul n'est mal longtemps qu'à sa faute.
    (Essais 1.14, p.124, Folio n°289)
     
  47. Qui n'a le coeur de souffrir ni la mort ni la vie, qui ne veut ni résister ni fuir, que lui ferait-on ?
    (Essais 1.14, p.124, Folio n°289)
     
  48. La vaillance a ses limites, comme les autres vertus, lesquelles franchies, on se trouve dans le train du vice.
    (Essais 1.15, p.125, Folio n°289)
     
  49. Ainsi sur tout il se faut garder, qui peut, de tomber entre les mains d'un juge ennemi, victorieux et armé.
    (Essais 1.15, p.126, Folio n°289)
     
  50. À la vérité, c'est raison qu'on fasse grande différence entre les fautes qui viennent de notre faiblesse, et celles qui viennent de notre malice.
    (Essais 1.16, p.127, Folio n°289)
     
  51. J'observe en mes voyages cette pratique, pour apprendre toujours quelque chose par la communication d'autrui (qui est une des plus belles écoles qui puisse être){, de ramener toujours ceux avec qui je confère, aux propos des choses qu'ils savent le mieux.
    (Essais 1.17, p.129, Folio n°289)
     
  52. Au jugement de la vie d'autrui, je regarde toujours comment s'en est porté le bout ; et des principaux études de la mienne, c'est qu'il se porte bien, c'est-à-dire quiètement et sourdement.
    (Essais 1.19, p.140, Folio n°289)
     
  53. Cicéron dit que philosopher ce n'est autre chose que s'apprêter à la mort.
    (Essais 1.20, p.141, Folio n°289)
     
  54. Toutes les opinions du monde en sont là, que le plaisir est notre but, quoiqu'elles en prennent divers moyens ; autrement, on les chasserait d'arrivée, car qui écouterait celui qui pour sa fin établirait notre peine et mésaise ?
    (Essais 1.20, p.141, Folio n°289)
     
  55. Le but de notre carrière, c'est la mort, c'est l'objet nécessaire de notre visée : si elle nous effraie, comme est-il possible d'aller un pas avant, sans fièvre ? Le remède du vulgaire, c'est de n'y penser pas... Mais de quelle brutale stupidité lui peut venir un si grossier aveuglement ?
    (Essais 1.20, p.144, Folio n°289)
     
  56. Il est incertain où la mort nous attende, attendons-la partout.
    (Essais 1.20, p.148, Folio n°289)
     
  57. Ce que j'ai affaire avant mourir, pour l'achever tout loisir me semble court, fût-ce d'une heure.
    (Essais 1.20, p.149, Folio n°289)
     
  58. Qui apprendrait les hommes à mourir, leur apprendrait à vivre.
    (Essais 1.20, p.151, Folio n°289)
     
  59. Comme notre naissance nous apporta la naissance de toutes choses, aussi fera la mort de toutes choses, notre mort.
    (Essais 1.20, p.154, Folio n°289)
     
  60. Le longtemps vivre et le peu de temps vivre est rendu tout un par la mort. Car le long et le court n'est point aux choses qui ne sont plus.
    (Essais 1.20, p.154, Folio n°289)
     
  61. Votre mort est une des pièces de l'ordre de l'univers ; c'est une pièce de la vie du monde.
    (Essais 1.20, p.154, Folio n°289)
     
  62. Le premier jour de votre naissance vous achemine à mourir comme à vivre.
    (Essais 1.20, p.155, Folio n°289)
     
  63. Si vous avez fait votre profit de la vie, vous en êtes repu, allez-vous-en satisfait.
    (Essais 1.20, p.155, Folio n°289)
     
  64. La vie n'est de soi ni bien ni mal : c'est la place du bien et du mal selon que vous la leur faites.
    (Essais 1.20, p.156, Folio n°289)
     
  65. Ni les hommes, ni leurs vies ne se mesurent à l'aune.
    (Essais 1.20, p.158, Folio n°289)
     
  66. Tous les jours vont à la mort, le dernier y arrive.
    (Essais 1.20, p.159, Folio n°289)
     
  67. Il est vraisemblable que le principal crédit des miracles, des visions, des enchantements et de tels effets extraordinaires, vienne de la puissance de l'imagination agissant principalement contre les âmes du vulgaire, plus molles. On leur a si fort saisi la créance qu'ils pensent voir ce qu'ils ne voient pas.
    (Essais 1.21, p.162, Folio n°289)
     
  68. À qui on a été une fois capable, on n'est plus incapable, sinon par juste faiblesse.
    (Essais 1.21, p.163, Folio n°289)
     
  69. [...] que chacun se sonde au-dedans, il trouvera que nos souhaits intérieurs pour la plupart naissent et se nourrissent aux dépens d'autrui.
    (Essais 1.22, p.172, Folio n°289)
     
  70. Car c'est à la vérité une violente et traîtresse maîtresse d'école que la coutume. Elle établit en nous, peu à peu, à la dérobée, le pied de son autorité.
    (Essais 1.23, p.173, Folio n°289)
     
  71. Les miracles sont selon l'ignorance en quoi nous sommes de la nature, non selon l'être de la nature.
    (Essais 1.23, p.177, Folio n°289)
     
  72. Car c'est la règle des règles, et générale loi des lois, que chacun observe celles du lieu où il est.
    (Essais 1.23, p.185, Folio n°289)
     
  73. [...] qui se mêle de choisir et de changer, usurpe l'autorité de juger, et se doit faire fort de voir la faute de ce qu'il chasse, et le bien de ce qu'il introduit.
    (Essais 1.23, p.188, Folio n°289)
     
  74. [Il] vaudrait mieux faire vouloir aux lois ce qu'elles peuvent, puisqu'elles ne peuvent ce qu'elles veulent.
    (Essais 1.23, p.191, Folio n°289)
     
  75. Un suffisant lecteur découvre souvent ès écrits d'autrui des perfections autres que celles que l'auteur y a mises et aperçues, et y prête des sens et des visages plus riches.
    (Essais 1.24, p.196, Folio n°289)
     
  76. [...] tout ce que notre sagesse peut, ce n'est pas grand-chose ; plus elle est aiguë et vive, plus elle trouve en soi de faiblesse, et se défie d'autant plus d'elle-même.
    (Essais 1.24, p.196, Folio n°289)
     
  77. [...] quiconque aura sa vie à mépris, se rendra toujours maître de celle d'autrui.
    (Essais 1.24, p.197, Folio n°289)
     
  78. Rien de noble ne se fait sans hasard.
    (Essais 1.24, p.198, Folio n°289)
     
  79. La prudence si tendre et circonspecte est mortelle ennemie de hautes exécutions.
    (Essais 1.24, p.198, Folio n°289)
     
  80. C'est un excellent moyen de gagner le coeur et volonté d'autrui, de s'y aller soumettre et fier, pourvu que ce soit librement et sans contrainte d'aucune nécessité, et que ce soit en condition qu'on y porte une fiance pure et nette, le front au moins déchargé de tout scrupule.
    (Essais 1.24, p.199, Folio n°289)
     
  81. [...] notre âme s'élargit d'autant plus qu'elle se remplit.
    (Essais 1.25, p.204, Folio n°289)
     
  82. Nous ne travaillons qu'à remplir la mémoire, et laissons l'entendement et la conscience vide. Tout ainsi que les oiseaux vont quelquefois à la quête du grain et le portent au bec sans le tâter, pour en faire becquée à leurs petits, ainsi nos pédantes vont pillotant la science dans les livres, et ne la logent qu'au bout de leurs lèvres, pour la dégorger seulement et mettre au vent.
    (Essais 1.25, p.207, Folio n°289)
     
  83. Nous savons dire  " Cicéron dit ainsi ; voilà les moeurs de Platon ; ce sont les mots mêmes d'Aristote. " Mais nous, que disons-nous nous-mêmes ? que jugeons-nous ? que faisons-nous ? Autant en dirait bien un perroquet.
    (Essais 1.25, p.207, Folio n°289)
     
  84. Que nous sert-il d'avoir la panse pleine de viande, si elle ne se digère ? si elle ne se transforme en nous ? si elle ne nous augmente et fortifie ?
    (Essais 1.25, p.208, Folio n°289)
     
  85. Quand bien nous pourrions être savants du savoir d'autrui, au moins sages ne pouvons-nous être que de notre propre sagesse.
    (Essais 1.25, p.208, Folio n°289)
     
  86. Or il ne faut pas attacher le savoir à l'âme, il l'y faut incorporer ; il ne l'en faut pas arroser, il l'en faut teindre  et , s'il ne la change, et améliore son état imparfait, certainement il vaut beaucoup mieux le laisser là.
    (Essais 1.25, p.212, Folio n°289)
     
  87. Toute autre science est dommageable à celui qui n'a la science de la bonté.
    (Essais 1.25, p.212, Folio n°289)
     
  88. C'est une bonne drogue que la science ; mais nulle drogue n'est assez forte pour se préserver sans altération et corruption, selon le vice du vase qui l'estuie.
    Estuie =Qui lui sert d'étui.

    (Essais 1.25, p.213, Folio n°289)
     
  89. Je n'ai point l'autorité d'être cru, ni ne le désire, me sentant trop mal instruit pour instruire autrui.
    (Essais 1.26, p.220, Folio n°289)
     
  90. Savoir par coeur n'est pas savoir : c'est tenir ce qu'on a donné en garde à sa mémoire. Ce qu'on sait droitement, on en dispose, sans regarder au patron, sans tourner les yeux vers son livre. Fâcheuse suffisance, qu'une suffisance pure livresque !
    (Essais 1.26, p.225, Folio n°289)
     
  91. Le silence et la modestie sont qualités très commodes à la conversation.
    (Essais 1.26, p.227, Folio n°289)
     
  92. [...] opiniâtreté et contester sont qualités communes, plus apparentes aux plus basses âmes ; que se raviser et se corriger, abandonner un mauvais parti sur le cours de son ardeur, ce sont qualités rares, fortes et philosophiques.
    (Essais 1.26, p.229, Folio n°289)
     
  93. On a grand tort de peindre [la philosophie] inaccessible aux enfants, et d'un visage renfrogné, sourcilleux et terrible.
    (Essais 1.26, p.235, Folio n°289)
     
  94. La plus expresse marque de la sagesse, c'est une éjouissance constante ; son état est comme des choses au-dessus de la lune : toujours serein.
    (Essais 1.26, p.236, Folio n°289)
     
  95. Puisque la philosophie est celle qui nous instruit à vivre, et que l'enfance y a sa leçon, comme les autres âges, pourquoi ne la lui communique-t-on ?
    (Essais 1.26, p.238, Folio n°289)
     
  96. La philosophie a des discours pour la naissance des hommes comme pour la décrépitude.
    (Essais 1.26, p.238, Folio n°289)
     
  97. Ce n'est pas une âme, ce n'est pas un corps qu'on dresse, c'est un homme.
    (Essais 1.26, p.240, Folio n°289)
     
  98. Le vrai miroir de nos discours est le cours de nos vies.
    (Essais 1.26, p.244, Folio n°289)
     
  99. Le monde n'est que babil, et ne vis jamais homme qui ne dise plutôt plus que moins qu'il ne doit.
    (Essais 1.26, p.245, Folio n°289)
     
  100. J'en ouïs qui s'excusent de ne se pouvoir exprimer, et font contenance d'avoir la tête pleine de plusieurs belles choses, mais à faute d'éloquence, ne les pouvoir mettre en évidence. C'est une baye. Savez-vous, à mon avis, que c'est que cela ? Ce sont des ombrages qui leur viennent de quelques conceptions informes, qu'ils ne peuvent démêler et éclaircir au-dedans, ni par conséquent produire au-dehors : ils ne s'entendent pas encore eux-mêmes.
    Baye=plaisanterie

    (Essais 1.26, p.245, Folio n°289)
     
  101. De vrai, toute belle peinture s'efface aisément par le lustre d'une vérité simple et naïve.
    (Essais 1.26, p.246, Folio n°289)
     
  102. Aille devant ou après, une utile sentence, un beau trait est toujours de saison.
    (Essais 1.26, p.247, Folio n°289)
     
  103. L'éloquence fait injure aux choses, qui nous détourne à soi.
    (Essais 1.26, p.249, Folio n°289)
     
  104. Comme aux accoutrements, c'est pusillanimité de se vouloir marquer par quelque façon particulière et inusitée ; de même, au langage, la recherche des phrases nouvelles et de mots peu connus vient d'une ambition puérile et pédantesque.
    (Essais 1.26, p.250, Folio n°289)
     
  105. La force et les nerfs ne s'empruntent point ; les atours et le manteau s'empruntent.
    (Essais 1.26, p.250, Folio n°289)
     
  106. [...] il n'y a tel que d'allécher l'appétit et l'affection [des enfants], autrement on ne fait que des ânes chargés de livres.
    (Essais 1.26, p.256, Folio n°289)
     
  107. [...] la raison m'a instruit que de condamner ainsi résolument une chose pour fausse et impossible, c'est se donner l'avantage d'avoir dans la tête les bornes et limites de la volonté de Dieu et de la puissance de notre mère nature ; et qu'il n'y a point de plus notable folie au monde que de les ramener à la mesure de notre capacité et suffisance.
    (Essais 1.27, p.258, Folio n°289)
     
  108. La nouvelleté des choses nous incite plus que leur grandeur à en chercher les causes.
    (Essais 1.27, p.259, Folio n°289)
     
  109. Combien y a-t-il de choses peu vraisemblables, témoignées par gens dignes de foi, desquelles si nous ne pouvons être persuadés, au moins les faut-il laisser en suspens ; car de les condamner impossibles, c'est se faire tort, par une téméraire présomption, de savoir jusques où va la possibilité.
    (Essais 1.27, p.259, Folio n°289)
     
  110. C'est une hardiesse dangereuse et de conséquence, outre l'absurde témérité qu'elle traîne quant et soi, de mépriser ce que nous ne concevons pas.
    (Essais 1.27, p.261, Folio n°289)
     
  111. La gloire et la curiosité sont les deux fléaux de notre âme. Celle-ci nous conduit à mettre le nez partout, et celle-là nous défend de rien laisser irrésolu et indécis.
    (Essais 1.27, p.262, Folio n°289)
     
  112. Il n'est rien à quoi il semble que la nature nous ait plus acheminé qu'à la société.
    (Essais 1.28, p.265, Folio n°289)
     
  113. L'amitié se nourrit de communication [...]
    (Essais 1.28, p.265, Folio n°289)
     
  114. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en répondant : " Parce que c'était lui ; parce que c'était moi. "
    Montaigne parle ici de son très grand ami Étienne de La Boétie. Un peu plus loin (p.275), suite à la mort de son ami, il ajoute : "  Nous étions à moitié de tout ; il me semble que je lui dérobe sa part. "

    (Essais 1.28, p.269, Folio n°289)
     
  115. C'est une religieuse liaison et dévote que le mariage ; voilà pourquoi le plaisir qu'on en tire, ce doit être un plaisir retenu, sérieux et mêlé à quelque sévérité.
    (Essais 1.30, p.296, Folio n°289)
     
  116. [...] chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage.
    (Essais 1.31, p.303, Folio n°289)
     
  117. L'estimation et le prix d'un homme consiste au coeur et à la volonté.
    (Essais 1.31, p.311, Folio n°289)
     
  118. Le vrai champ et sujet de l'imposture sont les choses inconnues. D'autant qu'en premier lieu l'étrangeté même donne crédit ; et puis, n'étant point sujettes à nos discours ordinaires, elles nous ôtent le moyen de les combattre.
    (Essais 1.32, p.315, Folio n°289)
     
  119. Je n'ai point cette erreur commune de juger d'un autre selon que je suis. J'en crois aisément des choses diverses à moi.
    (Essais 1.37, p.332, Folio n°289)
     
  120. Je désire singulièrement qu'on nous juge chacun à part soi, et qu'on ne me tire en conséquence des communs exemples.
    (Essais 1.37, p.332, Folio n°289)
     
  121. Or la vertu n'avoue rien que ce qui se fait par elle et pour elle seule.
    (Essais 1.37, p.333, Folio n°289)
     
  122. Qu'on me donne l'action la plus excellente et pure, je m'en vais y fournir vraisemblablement cinquante vicieuses intentions. Dieu sait, à qui les veut entendre, quelle diversité d'images ne souffre notre interne volonté !
    (Essais 1.37, p.334, Folio n°289)
     
  123. [...] chaque chose a plusieurs biais et plusieurs lustres. La parenté, les anciennes accointances et amitiés saisissent notre imagination et la passionnent pour l'heure, selon leur condition ; mais le contour en est si brusque, qu'il nous échappe.
    (Essais 1.38, p.340, Folio n°289)
     
  124. Il faut ou imiter les vicieux, ou les haïr. Tous les deux sont dangereux, et de leur ressembler par ce qu'ils sont beaucoup ; et d'en haïr beaucoup par ce qu'ils sont dissemblables.
    (Essais 1.39, p.341, Folio n°289)
     
  125. Il n'est rien si dissociable et sociable que l'homme : l'un par son vice, l'autre par sa nature.
    (Essais 1.39, p.342, Folio n°289)
     
  126. Par quoi, ce n'est pas assez de s'être écarté du peuple ; ce n'est pas assez de changer de place, il se faut écarter des conditions populaires qui sont en nous ; il se faut séquestrer et ravoir de soi.
    (Essais 1.39, p.344, Folio n°289)
     
  127. Il faut avoir femmes, enfants, biens, et surtout de la santé, qui peut ; mais non pas s'y attacher en manière que notre heur en dépende. Il se faut réserver une arrière-boutique toute nôtre, toute franche, en laquelle nous établissons notre vraie liberté et principale retraite et solitude.
    (Essais 1.39, p.345, Folio n°289)
     
  128. Nous avons une âme contournable en soi-même ; elle se peut faire compagnie  elle a de quoi assaillir et de quoi défendre, de quoi recevoir et de quoi donner ; ne craignons pas en cette solitude nous croupir d'oisiveté ennuyeuse.
    (Essais 1.39, p.345, Folio n°289)
     
  129. La plus grande chose du monde, c'est de savoir être à soi.
    (Essais 1.39, p.347, Folio n°289)
     
  130. Et, si la douleur de tête nous venait avant l'ivresse, nous nous garderions de trop boire. Mais la volupté, pour nous tromper, marche devant et nous cache sa suite.
    (Essais 1.39, p.351, Folio n°289)
     
  131. Je n'aime, pour moi, que les livres ou plaisants et faciles, qui me chatouillent, ou ceux qui me consolent et conseillent à régler ma vie et ma mort.
    (Essais 1.39, p.352, Folio n°289)
     
  132. La plus contraire humeur à la retraite, c'est l'ambition. La gloire et le repos sont choses qui ne peuvent loger en même gîte.
    (Essais 1.39, p.352, Folio n°289)
     
  133. C'est une lâche ambition de vouloir tirer gloire de son oisiveté et de sa cachette. Il faut faire comme les animaux qui effacent la trace à la porte de leur tanière.
    (Essais 1.39, p.353, Folio n°289)
     
  134. Il y a moyen de faillir en la solitude comme en la compagnie.
    (Essais 1.39, p.354, Folio n°289)
     
  135. De toutes les rêveries du monde, la plus reçue et plus universelle est le soin de la réputation et de la gloire [...]
    (Essais 1.40, p.362, Folio n°289)
     
  136. [...] il y a plus de distance de tel à tel homme qu'il n'y a de tel homme à telle bête.
    (Essais 1.42, p.365, Folio n°289)
     
  137. La volupté même et le bonheur ne se perçoivent point sans vigueur et sans esprit.
    (Essais 1.42, p.370, Folio n°289)
     
  138. Les biens de la fortune, tous tels qu'ils sont, encore faut-il avoir du sentiment pour les savourer. C'est le jouir, non le posséder, qui nous rend heureux.
    (Essais 1.42, p.370, Folio n°289)
     
  139. [...] la moindre piqûre d'épingle et passion de l'âme est suffisante à nous ôter le plaisir de la monarchie du monde.
    (Essais 1.42, p.370, Folio n°289)
     
  140. [...] il est bien plus aisé et plus plaisant de suivre que de guider, et que c'est un grand séjour d'esprit de n'avoir à tenir qu'une voie tracée et à répondre que de soi.
    (Essais 1.42, p.371, Folio n°289)
     
  141. Qui ne se donne loisir d'avoir soif, ne saurait prendre plaisir à boire.
    (Essais 1.42, p.372, Folio n°289)
     
  142. Car quel témoignage d'affection et de bonne volonté puis-je tirer de celui qui me doit, veuille-t-il ou non, tout ce qu'il peut ? Puis-je faire état de son humble parler et courtoise révérence, vu qu'il n'est pas en lui de me la refuser ? L'honneur que nous recevons de ceux qui nous craignent, ce n'est pas honneur.
    (Essais 1.42, p.375, Folio n°289)
     
  143. La raison nous ordonne bien d'aller toujours même chemin, mais non toutefois même train [...]
    (Essais 1.44, p.380, Folio n°289)
     
  144. [...] ce n'est pas victoire, si elle ne met fin à la guerre.
    (Essais 1.47, p.393, Folio n°289)
     
  145. [...] l'une des plus grandes sagesses en l'art militaire, c'est de ne pousser son ennemi au désespoir.
    (Essais 1.47, p.393, Folio n°289)
     
  146. [...] c'est une violente maîtresse d'école que la nécessité.
    (Essais 1.47, p.393, Folio n°289)
     
  147. [...] quand ce sont injures qui touchent au vif, elles peuvent faire aisément que celui qui allait lâchement à la besogne pour la querelle de son roi, y aille d'une autre affection pour la sienne propre.
    (Essais 1.47, p.395, Folio n°289)
     
  148. [...] il n'est passion contagieuse comme celle de la peur [...]
    (Essais 1.47, p.397, Folio n°289)
     
  149. Tout mouvement nous découvre.
    (Essais 1.50, p.417, Folio n°289)
     
  150. Notre bien et notre mal ne tient qu'à nous. Offrons-y nos offrandes et nos voeux, non pas à la fortune : elle ne peut rien sur nos moeurs.
    (Essais 1.50, p.417, Folio n°289)
     
  151. Je ne pense point qu'il y ait tant de malheur en nous comme il y a de vanité, ni tant de malice comme de sottise ; nous ne sommes pas si pleins de mal comme d'inanité ; nous ne sommes pas si misérables comme nous sommes vils.
    (Essais 1.50, p.418, Folio n°289)
     
  152. Car ce qu'on hait, on le prend à coeur.
    (Essais 1.50, p.419, Folio n°289)
     
  153. Si nous nous amusions parfois à nous considérer, et le temps que nous mettons à contrôler autrui et à connaître les choses qui sont hors de nous, que nous l'employions à nous sonder nous-mêmes, nous sentirions aisément combien toute cette notre contexture est bâtie de pièces faibles et défaillantes.
    (Essais 1.53, p.426, Folio n°289)
     
  154. Il se peut dire, avec apparence, qu'il y a ignorance abécédaire, qui va devant la science ; une autre, doctorale, qui vient après la science : ignorance que la science fait et engendre, tout ainsi comme elle défait et détruit la première.
    (Essais 1.54, p.430, Folio n°289)
     
  155. Il est peu d'hommes qui osassent mettre en évidence les requêtes secrètes qu'ils font à Dieu.
    (Essais 1.56, p.444, Folio n°289)
     
  156. Il ne faut pas demander que toutes choses suivent notre volonté, mais qu'elles suivent la prudence.
    (Essais 1.56, p.444, Folio n°289)
     
  157. Il me semble que, considérant la faiblesse de notre vie, et à combien d'écueils ordinaires et naturels elle est exposée, on n'en devrait pas faire si grande part à la naissance, à l'oisiveté et à l'apprentissage.
    (Essais 1.57, p.449, Folio n°289)
     
  158. [...] l'irrésolution me semble le plus commun et apparent vice de notre nature [...]
    (Essais 2.1, p.15, Folio n°290)
     
  159. De vrai, j'ai autrefois appris que le vice, ce n'est que dérèglement et faute de mesure, et par conséquent il est impossible d'y attacher la constance.
    (Essais 2.1, p.16, Folio n°290)
     
  160. Nous ne pensons ce que nous voulons, qu'à l'instant que nous le voulons, et changeons comme cet animal qui prend la couleur du lieu où on le couche.
    (Essais 2.1, p.17, Folio n°290)
     
  161. Je n'ai rien à dire de moi, entièrement, simplement et solidement, sans confusion et sans mélange, ni en un mot. Distingo est le plus universel membre de ma logique.
    (Essais 2.1, p.20, Folio n°290)
     
  162. [...] un fait courageux ne doit pas conclure un homme vaillant.
    (Essais 2.1, p.20, Folio n°290)
     
  163. La superstition [...] porte quelque image de pusillanimité.
    (Essais 2.1, p.21, Folio n°290)
     
  164. La vertu ne veut être suivie que pour elle-même ; et, si on emprunte parfois son masque pour autre occasion, elle nous l'arrache aussitôt du visage. C'est une vive et forte teinture, quand l'âme en est une fois abreuvée, et qui ne s'en va qu'elle n'emporte la pièce. Voilà pourquoi, pour juger d'un homme, il faut suivre longuement et curieusement sa trace.
    (Essais 2.1, p.21, Folio n°290)
     
  165. [...] nous vivons par hasard.
    (Essais 2.1, p.22, Folio n°290)
     
  166. Nous sommes tous de lopins et d'une contexture si informe et diverse, que chaque pièce, chaque moment fait son jeu. Et se trouve autant de différence de nous à nous-mêmes, que de nous à autrui.
    (Essais 2.1, p.22, Folio n°290)
     
  167. Le pire état de l'homme, c'est quand il perd la connaissance et gouvernement de soi.
    (Essais 2.2, p.25, Folio n°290)
     
  168. Tant sage qu'il voudra, mais enfin c'est un homme : qu'est-il plus caduc, plus misérable et plus de néant ?
    (Essais 2.2, p.32, Folio n°290)
     
  169. Toutes actions hors les bornes ordinaires sont sujettes à sinistre interprétation, d'autant que notre goût n'advient non plus à ce qui est au-dessus de lui, qu'à ce qui est au-dessous.
    (Essais 2.2, p.33, Folio n°290)
     
  170. [...] le sage vit tant qu'il doit, non pas tant qu'il peut.
    (Essais 2.3, p.36, Folio n°290)
     
  171. Et ce n'est pas la recette à une seule maladie : la mort est la recette à tous maux.
    (Essais 2.3, p.36, Folio n°290)
     
  172. La vie dépend de la volonté d'autrui ; la mort, de la nôtre.
    (Essais 2.3, p.36, Folio n°290)
     
  173. C'est faiblesse de céder aux maux, mais c'est folie de le nourrir.
    (Essais 2.3, p.37, Folio n°290)
     
  174. [...] quelquefois la fuite de la mort fait que nous y courons.
    (Essais 2.3, p.39, Folio n°290)
     
  175. [...] c'est une maladie particulière, et qui ne se voit en aucune autre créature, de se haïr et dédaigner.
    (Essais 2.3, p.40, Folio n°290)
     
  176. Tous les inconvénients ne valent pas qu'on veuille mourir pour les éviter.
    (Essais 2.3, p.41, Folio n°290)
     
  177. Quiconque attend la peine il la souffre ; et quiconque l'a méritée, l'attend. La méchanceté fabrique des tourments contre soi.
    (Essais 2.5, p.55, Folio n°290)
     
  178. On se peut, par usage et par expérience, fortifier contre les douleurs, la honte, l'indigence et tels autres accidents ; mais, quant à la mort, nous ne la pouvons essayer qu'une fois ; nous y sommes tous apprentis quand nous y venons.
    (Essais 2.6, p.60, Folio n°290)
     
  179. Combien facilement nous passons du veiller au dormir ! Avec combien peu d'intérêt nous perdons la connaissance de la lumière et de nous !
    (Essais 2.6, p.61, Folio n°290)
     
  180. Plusieurs choses nous semblent plus grandes par imagination que par effet.
    (Essais 2.6, p.61, Folio n°290)
     
  181. [...] à la vérité, pour s'apprivoiser à la mort, je trouve qu'il n'y a que de s'en avoisiner.
    (Essais 2.6, p.68, Folio n°290)
     
  182. Mon métier et mon art, c'est vivre.
    (Essais 2.6, p.70, Folio n°290)
     
  183. De dire moins de soi qu'il n'y en a, c'est sottise, non modestie. Se payer de moins qu'on ne vaut, c'est lâcheté et pusillanimité, selon Aristote.
    (Essais 2.6, p.70, Folio n°290)
     
  184. [...] l'honneur, c'est un privilège qui tire sa principale essence de la rareté.
    (Essais 2.7, p.73, Folio n°290)
     
  185. Aucun homme de coeur ne daigne s'avantager de ce qu'il a de commun avec plusieurs.
    (Essais 2.7, p.75, Folio n°290)
     
  186. C'est une humeur mélancolique, et une humeur par conséquent très ennemie de ma complexion naturelle, produite par le chagrin de la solitude en laquelle il y a quelques années que je m'étais jeté, qui m'a mis particulièrement en tête cette rêverie de me mêler d'écrire.
    (Essais 2.8, p.77, Folio n°290)
     
  187. Les choses nous sont plus chères, qui nous ont plus coûté ; et il est plus difficile de donner que de prendre.
    (Essais 2.8, p.79, Folio n°290)
     
  188. Il faut se rendre respectable par sa vertu et par sa suffisance, et aimable par sa bonté et douceur de ses moeurs.
    (Essais 2.8, p.81, Folio n°290)
     
  189. J'accuse toute violence en l'éducation d'une âme tendre, qu'on dresse pour l'honneur et la liberté. Il y a je ne sais quoi de servile en la rigueur et en la contrainte ; et tiens que ce qui ne se peut faire par la raison, et par prudence et adresse, ne se fait jamais par la force.
    (Essais 2.8, p.82, Folio n°290)
     
  190. Le vieux Caton disait en son temps, qu'autant de valets autant d'ennemis.
    (Essais 2.8, p.89, Folio n°290)
     
  191. Quand j'ouïs réciter l'état de quelqu'un, je ne m'amuse pas à lui ; je tourne incontinent les yeux à moi, voir comment j'en suis. Tout ce qui le touche me regarde. Son accident m'avertit et m'éveille de ce côté-là. Tous les jours et à toutes les heures, nous disons d'un autre ce que nous dirions plus proprement de nous, si nous savions replier aussi bien qu'étendre notre considération.
    (Essais 2.8, p.89, Folio n°290)
     
  192. [...] il n'est aucune si douce consolation en la perte de nos amis que celle que nous apporte la science de n'avoir rien oublié à leur dire, et d'avoir eu avec eux une parfaite et entière communication.
    (Essais 2.8, p.90, Folio n°290)
     
  193. [...] ce que nous engendrons par l'âme, les enfantements de notre esprit, de notre courage et suffisance, sont produits par une plus noble partie que la corporelle, et sont plus nôtres ; nous sommes père et mère ensemble en cette génération ; ceux-ci nous coûtent bien plus cher, et nous apportent plus d'honneur, s'ils ont quelque chose de bon. Car la valeur de nos autres enfants est beaucoup plus leur que nôtre ; la part que nous y avons est bien légère ; mais de ceux-ci toute la beauté, toute la grâce et prix est nôtre.
    (Essais 2.8, p.95, Folio n°290)
     
  194. [...] la reconnaissance de l'ignorance est l'un des plus beaux et plus sûrs témoignages de jugement que je trouve.
    (Essais 2.10, p.105, Folio n°290)
     
  195. Je ne cherche aux livres qu'à m'y donner du plaisir par un honnête amusement ; ou si j'étudie, je n'y cherche que la science qui traite de la connaissance de moi-même, et qui m'instruise à bien mourir et à bien vivre.
    (Essais 2.10, p.107, Folio n°290)
     
  196. [...] il fait beau d'apprendre la théorique de ceux qui savent bien la pratique.
    (Essais 2.10, p.113, Folio n°290)
     
  197. Toute mort doit être de même sa vie. Nous ne devenons pas autres pour mourir.
    (Essais 2.11, p.124, Folio n°290)
     
  198. La faute d'appréhension et la bêtise contrefont ainsi parfois les effets vertueux : comme j'ai vu souvent advenir qu'on a loué des hommes de ce quoi ils méritaient du blâme.
    (Essais 2.11, p.126, Folio n°290)
     
  199. [...] quand on juge d'une action particulière, il faut considérer plusieurs circonstances et l'homme tout entier qui l'a produite, avant la baptiser.
    (Essais 2.11, p.126, Folio n°290)
     
  200. Je hais, entre autres vices, cruellement la cruauté, et par nature et par jugement, comme l'extrême de tous les vices.
    (Essais 2.11, p.129, Folio n°290)
     
  201. [Il y a] un certain respect qui nous attache, et un général devoir d'humanité, non aux bêtes seulement qui ont vie et sentiment, mais aux arbres et aux plantes.
    (Essais 2.11, p.136, Folio n°290)