Louis Aragon
1897-1982
  1. Dire que l'art est difficile, suppose chez l'auteur de la phrase l'ignorance totale des mots dont il se sert. Qu'est-ce qui est difficile ? Un chemin, un client, un problème. Puis-je m'exprimer ainsi : le ciel est difficile... ? Oui, si je consens à mettre une majuscule au firmament, ce qui est un moyen de le personnaliser. Car difficile est une épithète qui ne peut se joindre qu'au défini. C'est pourquoi l'art n'est pas difficile. Il n'est pas facile non plus. Mais difficile et art ne peuvent être réduits au commun diviseur du verbe être. On voit par l'exemple qui précède que labeur surhumain est celui de l'homme qui armé d'une lanterne s'avance au milieu des livres pour y dépister les baraliptons. La critique, c'est le bagne à perpétuité. Pas de repos pour un critique.
    (Traité du style, p.41, L'Imaginaire/Gallimard n°59)
     
  2. Je demande à ce que mes livres soient critiqués avec la dernière rigueur, par des gens qui s'y connaissent, et qui sachant la grammaire et la logique, chercheront sous le pas de mes virgules les poux de ma pensée dans la tête de mon style. Parfaitement. Chaque ligne peut servir de prétexte à une infinie quantité de notes en petits caractères.
    (Traité du style, p.47, L'Imaginaire/Gallimard n°59)
     
  3. On sait que le propre du génie est de fournir des idées aux crétins une vingtaine d'années plus tard.
    (Traité du style, p.64, L'Imaginaire/Gallimard n°59)
     
  4. On peut mesurer l'influence et la force d'un esprit à la quantité de bêtises qu'il fait éclore.
    (Traité du style, p.67, L'Imaginaire/Gallimard n°59)
     
  5. Paradis artificiels. C'est un pléonasme.
    (Traité du style, p.93, L'Imaginaire/Gallimard n°59)
     
  6. Mon style est comme la nature ou plutôt réciproquement.
    (Traité du style, p.168, L'Imaginaire/Gallimard n°59)
     
  7. Bien écrire, c'est comme marcher droit.
    (Traité du style, p.189, L'Imaginaire/Gallimard n°59)
     
  8. Si vous écrivez, suivant une méthode surréaliste, de tristes imbécillités, ce sont de tristes imbécillités. Sans excuses.
    (Traité du style, p.192, L'Imaginaire/Gallimard n°59)
     
  9. La vie d'un homme, on me permettra cette remarque, n'est pas plus à l'échelle d'une phrase qu'à celle de la critique de cette phrase. Je me révolterai toujours contre tout essai de réduction d'un être vivant à une sorte de mannequin, dont les faits et gestes seraient compréhensibles à la façon des faits et gestes des monarques notés au jour le jour d'après des communiqués officiels.
    (Traité du style, p.226, L'Imaginaire/Gallimard n°59)
     
  10. Je vis dans des conditions qui me sont données, est-ce que j'ai choisi la forme de mon nez, la force de mon poing ? Quand vous lisez ce que j'écris, ne l'oubliez pas, la vie est un langage, l'écriture un tout autre. Leurs grammaires ne sont pas interchangeables. Verbes irréguliers.
    (Traité du style, p.228, L'Imaginaire/Gallimard n°59)