Citations ajoutées le 26 juillet 2007

Richard Bach

  1. Quand on passe son temps à côté de la boîte aux lettres, doit-on s'étonner de voir le facteur ?
    (De l'autre côté du temps, trad. Ariel Marinie, p.22, Flammarion, 1999)
     
  2. Chaque monde a ses propres lois et ses propres idées concernant qui est propriétaire de quoi. En général, elles divergent.
    (De l'autre côté du temps, trad. Ariel Marinie, p.75, Flammarion, 1999)
     

Jean Guitton

  1. Notre civilisation sursaturée de connaissances et de moyens de savoir offre tant de masques et de faux appuis que l'homme ne sait plus ce qu'il sait et ce qu'il ignore.
    (Le Travail intellectuel, p.14, Aubier, 1951)
     
  2. Le travail intellectuel exige deux qualités contraires : la lutte contre la dissipation, ce qui ne se peut qu'en se concentrant, mais aussi un détachement par rapport à son travail, puisque l'esprit doit prendre sa hauteur, être tenu, comme disait Étienne Pascal, au-dessus de son ouvrage.
    (Le Travail intellectuel, p.16, Aubier, 1951)
     
  3. Il y avait profit pour nous autres intellectuels à considérer le travail artiste. Les scolaires l'ignorent. Et la raison en est que la pédagogie consiste précisément à éteindre chez l'enfant le goût de ce travail artiste, désordonné d'apparence, pour lui apprendre les heures, les règles, les bonnes habitudes. Mais, quand on arrive à l'âge d'homme, il est bon de savoir qu'il y a bien d'autres manières de travailler que celle des classes et du jeune âge.
    (Le Travail intellectuel, p.17, Aubier, 1951)
     
  4. Le désavantage des vocations intellectuelles est que les fautes qu'on y commet ne mordent ni sur votre coeur ni sur votre honneur; souvent même, comme le remarquait Descartes, ce sont ces fautes qui vous donnent la gloire. Un sabotier qui tourne mal son talon a l'avantage d'être puni sur le coup : le client ne reviendra pas. Dans les métiers de pur esprit on engage de soi généralement sans risquer. Et j'ai souvent pensé que ce que plusieurs savourent dans la liberté d'opinion, c'est la certitude de n'avoir pas à répondre de leurs pensées dans la chair.
    (Le Travail intellectuel, p.21, Aubier, 1951)
     
  5. Mon idée était d'enseigner les procédés les plus simples, d'obtenir assez vite un résultat payant. Je corrigeais peu les copies, me lassant de ce rouge dans les marges, que nul ne relit. Mais je cherchais dans la copie une faute significative ; je prenais l'élève à part pour lui enseigner la règle violée et je ne permettais guère qu'elle le fût encore. Ou encore j'encadrais dans sa copie le joli, le prometteur passage (que l'on y trouve presque toujours) afin qu'il prenne conscience de son pouvoir et qu'il sache s'imiter dans ses meilleurs moments. Nous procédons par le mal, montrant la faute, comme si tout devoir était de calcul ou d'orthographe: on pourrait aussi à l'inverse vaincre le mal par le bien.
    (Le Travail intellectuel, p.27, Aubier, 1951)
     
  6. L'âge scolaire apprend à parler par allusion de ce que nous ignorons. C'est l'art suprême du rhétoricien, et qui lui permet d'envisager bien des réussites. Mais l'homme fait continue ce régime d'esprit, qui n'est pas si déplaisant. Le jour où l'on est sûr de ne plus pouvoir être interrogé sur ce qu'on ignore, on est en somme assez tranquille : il suffira d'en pouvoir parler. Avec quelques lectures, des silences, des attaques brusquées sur certains points préparés à l'avance, on est capable de tenir tête dans le monde.
    (Le Travail intellectuel, p.35, Aubier, 1951)
     
  7. La valeur d'un esprit ne tient pas tant à sa science (les dictionnaires sont à portée de la main) qu'à la possession d'habitudes toutes vives qui lui permettent d'adapter son savoir et ses principes à la singularité des cas toujours nouveaux, et inversement à discerner quelle nourriture il peut tirer de ce qui lui est offert par les hasards.
    (Le Travail intellectuel, p.36, Aubier, 1951)
     
  8. L'esprit est une puissance perplexe ; lorsqu'il sait enfin à quoi il doit s'intéresser de préférence et vers quel but il doit diriger sa pointe, il est à demi soulagé. Le plus lourd des poids pour l'âme est de ne pas savoir ce qu'il faut faire.
    (Le Travail intellectuel, p.37, Aubier, 1951)
     
  9. Sache négliger. Ne cherche point à tout comprendre. Accroche-toi à un seul point et pirouette tout autour.
    (Le Travail intellectuel, p.38, Aubier, 1951)
     
  10. La règle d'or du travail intellectuel peut se traduire ainsi : « Ne tolère ni de demi-travail ni de demi-repos. Donne-toi tout entier ou détends-toi absolument. Qu'il n'y ait jamais en toi de mélange des genres ! »
    (Le Travail intellectuel, p.39, Aubier, 1951)
     
  11. Allumer les cierges, ce n'est pas dire la messe.
    (Le Travail intellectuel, p.41, Aubier, 1951)
     
  12. Ce qui importe, c'est de se connaître et de s'accepter ; c'est d'avoir sondé sa puissance, comme s'il s'agissait de celle d'un appareil, c'est de savoir le degré de son attention, les moments du jour où elle est dans son plein, les moments où elle cesse et où elle doit se refaire dans le repos, l'alternance ou la diversion. Cette courbe de notre durée intime devrait nous être présente, comme le sont les renseignements de la météo au pilote transocéanique.
    (Le Travail intellectuel, p.42, Aubier, 1951)
     
  13. « Ne tolère rien auprès de toi, disait Ruskin, qui ne te soit utile ou que tu ne trouves beau. »
    (Le Travail intellectuel, p.43, Aubier, 1951)
     
  14. Ici, comme toujours dès qu'il s'agit d'effort, les puissances se liguent pour nous empêcher, les meilleures comme les médiocres. Ce qui fait la force d'une tentation n'est pas la grimace du mal, mais le sourire du bien qui y est mêlé. C'est pourquoi il faut brusquer et supprimer autant qu'il se peut la mise en main. Il n'est rien de préalable à l'effort ou à l'amour.
    (Le Travail intellectuel, p.50, Aubier, 1951)
     
  15. [L'effort intellectuel] consiste à passer d'un plan à un autre plan. L'intelligence a tendance à se maintenir sur le plan des seules idées ou sur le plan des seuls faits. En vérité, ce qui seul mériterait d'arrêter l'attention, c'est le fait éclairé par une idée ; c'est l'idée incarnée dans un fait. Tout l'esprit des sciences est là.
    (Le Travail intellectuel, p.50, Aubier, 1951)
     
  16. L'oeuvre de nature est celle où forme et fond sont issus d'un même geste. L'oeuvre de la vie obéit à ce même rythme. Les projets sont nécessaires, et les succès vont à ceux qui les prévoient longuement. Mais le projet doit rester souple et vacant, prêt à s'infléchir, à se restreindre, ou à s'accroître selon les occasions, les obstacles et les méandres. Les gens d'action assistent à leur vie, en même temps qu'ils la dirigent.
    (Le Travail intellectuel, p.53, Aubier, 1951)
     
  17. Le flair du génie consiste à repérer ces choses singulières qui contiennent de l'universel en puissance et qui sont susceptibles de vous donner, par le surcroît de l'analogie, beaucoup d'autres connaissances.
    (Le Travail intellectuel, p.57, Aubier, 1951)
     
  18. Choisir un gîte, un site, une situation, le sillonner d'incertitudes et de questions sans cesse posées, approfondir ce domaine, lui donner par sa curiosité et le jeu des ressemblances les dimensions de l'être entier, c'est le fond de la culture, telle du moins que l'homme peut se la proposer dans sa courte existence.
    La culture ne consiste pas à s'étendre à tout le savoir par surface, ni à se cantonner dans une seule spécialité, mais à creuser là où l'on est, jusqu'à ce que l'on retrouve la galerie creusée par le voisin et que l'on aperçoive alors la convergence de tous ces efforts. Cela impose un esprit, un désir communs; cela implique aussi qu'on ait le même genre de langage.

    (Le Travail intellectuel, p.58, Aubier, 1951)
     
  19. [Le moment où il faut produire] est pénible. Peu le supporteraient, si la nécessité ne les contraignait. [...] Si l'on n'était pas obligé de mettre au jour son vague intérieur, jamais on ne s'exprimerait. C'est une si grande peine de donner un corps à la pensée, de « se crucifier à sa plume », comme Lacordaire en donnait le conseil à Ozanam.
    (Le Travail intellectuel, p.79, Aubier, 1951)
     
  20. Ce que Bézard enseignait, c'était à prendre des notes, à rédiger des fiches qui soient utilisables toute la vie. Si j'avais suivi ses conseils, j'aurais maintenant un trésor : aucun de mes anciens efforts n'eût été perdu. Ce qui est si décourageant dans les études, c'est de voir que les connaissances ne sont jamais acquises, qu'elles ne se conservent pas, qu'elles ne s'ajoutent pas les unes aux autres dans un développement continu et substantiel.
    (Le Travail intellectuel, p.83, Aubier, 1951)
     
  21. L'esprit est volage ; l'attention ressemble à un phare qui éclaire une seconde, puis s'éteint et se rallume.
    (Le Travail intellectuel, p.85, Aubier, 1951)
     
  22. La difficulté en matière d'enseignement, d'exposition ou de propagande est de se répéter sans donner l'impression que l'on répète : car autant l'oreille et l'esprit aiment à retrouver, sous une autre apparence, ce qui vient d'être (comme on le voit dans les rimes), autant ils détestent le retour à l'identique. [...] Répéter diversement, redire de manière neuve, ce sera toujours la règle de l'art de parler aux hommes.
    [...]
    Partant de là, j'enseignais aux élèves que le secret de tout art d'exprimer consistait à dire la même chose trois fois. On l'annonce ; on la développe ; enfin on la résume d'un trait. Puis on passe à une autre idée.

    (Le Travail intellectuel, p.85, Aubier, 1951)
     
  23. Lire, c'était ainsi tirer d'un ouvrage cinq ou six fiches organisées autour de quelques idées qui rayonnent.
    (Le Travail intellectuel, p.92, Aubier, 1951)
     
  24. C'était bien dire le mérite d'un résumé, qui n'est pas tant de vous donner la substance de ce que vous avez déjà pensé que de vous orienter vers ce que vous allez penser ; le bon résumé est un instrument de prospection.
    (Le Travail intellectuel, p.93, Aubier, 1951)
     
  25. La vraie manière de se corriger, c'est de dormir et de recommencer.
    (Le Travail intellectuel, p.93, Aubier, 1951)
     
  26. Se taire, lorsqu'on ne dirait rien qui vaille. Ce précepte concerne l'enfant et le vieillard. Le silence de celui qui se retient de parler est un silence instructif et sonore.
    (Le Travail intellectuel, p.94, Aubier, 1951)
     
  27. Le plus beau livre est peut-être celui qui n'a pas été écrit pour être lu, qui n'est publié qu'après la mort de son auteur, qui n'est ombré par aucun désir de plaire, qui a la qualité d'un testament. Et il est bon que le livre soit plus ancien pour qu'il ne se rattache à nos détails présents par aucun fil, et qu'il nous fasse sentir que ce qui nous émeut, dans ce moment-ci, est provisoire.
    (Le Travail intellectuel, p.102, Aubier, 1951)
     
  28. Réserve-toi, comme livre de chevet, celui de ton adversaire le plus incisif, le plus raisonnable, comme Pascal avait Montaigne, comme Montaigne avec Sénèque.
    (Le Travail intellectuel, p.102, Aubier, 1951)
     
  29. Il faut lire des romans pour connaître le sens de notre vie et des vies de ceux qui nous entourent et que l'hébétude du quotidien nous masque. Il faut lire des romans pour pénétrer dans de milieux sociaux différents du nôtre et pour y retrouver, sous la différence des moeurs, la ressemblance de la nature humaine ; pour étudier comme au laboratoire les problèmes fondamentaux, qui sont celui du péché, de l'amour et du destin, cela d'une manière concrète et sans les transpositions de la morale ; pour enrichir enfin sa vie de la substance et de la magie d'autres existences.
    (Le Travail intellectuel, p.104, Aubier, 1951)
     
  30. Mais ceux qui lisent l'histoire doivent avoir le même genre de patience que l'historien, la patience du vivant.
    (Le Travail intellectuel, p.105, Aubier, 1951)
     
  31. Ce que le public instruit demande à l'historien, ce n'est pas l'exactitude de chaque détail, mais c'est la vérité d'un long développement.
    (Le Travail intellectuel, p.106, Aubier, 1951)
     
  32. Il est remarquable qu'un livre de science, quand il n'est pas de géométrie, ne dure pas plus de trente ans. La connaissance qui semble être la plus vraie est celle qui se gâte le plus vite : rien ne date plus qu'un ouvrage de constatation ou d'érudition, paru au début de ce siècle ; il a suffi d'une petite découverte pour les rendre caducs à jamais, alors que la poésie et la philosophie ne vieillissent pas.
    (Le Travail intellectuel, p.106, Aubier, 1951)
     
  33. Il y a certaines langues, comme la germanique, qui sont si prêtes à créer des abstractions, qu'un Allemand, quoi qu'il énonce, paraît penser, alors qu'il ne fait que construire une phrase.
    (Le Travail intellectuel, p.107, Aubier, 1951)
     
  34. En vérité, tous les genres d'expression devraient pouvoir se transposer l'un dans l'autre. C'est un plaisir que de chercher la philosophie d'un roman, ou l'histoire intime cachée sous l'abstraction.
    (Le Travail intellectuel, p.108, Aubier, 1951)
     
  35. Tout homme est religieux, dans la mesure où il est capable d'attention et de silence.
    (Le Travail intellectuel, p.108, Aubier, 1951)
     
  36. S'il suffisait d'être sincère pour être original, nous serions tous artistes !
    (Le Travail intellectuel, p.114, Aubier, 1951)
     
  37. « Fais comme moi : donne un miroir à la vie. Donne une heure à l'enregistrement de tes impressions, à l'examen silencieux de ta conscience.... Il est doux de fixer ces joies qui nous échappent ou ces larmes qui tombent de nos yeux, pour les retrouver quelques années après et pour se dire : Voilà donc de quoi j'ai été heureux ! Voilà donc de quoi j'ai pleuré ! Cela apprend l'instabilité des sentiments et des choses... » (Lamartine)
    (Le Travail intellectuel, p.114 en note de bas de page, Aubier, 1951)
     
  38. Quel plaisir goûtons-nous dans les romans, sinon celui d'assister à ce déroulement d'un destin imaginaire, de contempler dans les premières parties les présages et à la fin les accomplissements, puis de mesurer secrètement leur ressemblance ? Mais nous sommes si peu les amis de nous-mêmes que nous ne cherchons pas à faire pour le seul être réel ce que nous nous plaisons à admirer dans les êtres imaginaires.
    (Le Travail intellectuel, p.116, Aubier, 1951)
     
  39. [...] le passé, malgré son caractère inchangeable, est une argile assez humide, propre à recevoir différentes formes selon l'état de notre âme au moment présent.
    (Le Travail intellectuel, p.117, Aubier, 1951)
     
  40. [...] dans notre âge bavard, où presque chaque bachelier veut imprimer. Un livre de nos jours est une excroissance ; il faut apprendre à couvrir le papier pour faire un livre. Jadis, il fallait au contraire apprendre à se restreindre, suggérer le maximum avec peu.
    (Le Travail intellectuel, p.119, Aubier, 1951)
     
  41. Le fait d'écrire aussi vous modère, car la pensée va trop vite : elle atteint d'une extrémité à l'autre, en sautant par-dessus les intervalles. Écrire impose qu'on se serve de mots anciens, surchargés parfois d'une orthographe bizarre, qui est leur luxe. Et le respect des mots et de leur graphie, en vous distrayant d'un exercice solitaire pour vous reporter vers les usages, possède une vertu de retard et de contrôle.
    Le fait d'écrire enfin vous soulage ; il vous décharge du poids que donne l'impression de l'ineffable et d'inexprimable. Oh! qu'il est doux d'avoir une plume à la main et d'user avec elle du pouvoir magnétique des pointes! On se raconte, on enseigne; on se rappelle, on pronostique, et d'une manière si libre ! Le premier geste du tyran est se confisquer les stylos, comme nous l'avons vu en 1940.

    (Le Travail intellectuel, p.121, Aubier, 1951)
     
  42. Une connaissance qui ne peut pas se relier à d'autres connaissances et faire corps avec elles, me semble plus nuisible qu'utile. Une connaissance qui ne peut pas s'apparenter avec le genre de connaissances que nous aimons, qui n'a pas quelque proportion, quelque rapport, quelque ressemblance avec nous-même, ne sert pas davantage : je parle ici des connaissances du second âge de la vie, les examens et concours une fois passés; car, au premier âge, il faut bien amasser ; mais, dans cet âge même, il importerait de choisir autant qu'on le peut ce qui vous attire, ce qui vous ressemble et ce qui vous plaît.
    (Le Travail intellectuel, p.123, Aubier, 1951)
     
  43. Je ne crois guère à un travail qui consisterait à penser ensemble. Lorsqu'on veut s'instruire, il faut se faire disciple. La pensée se dissipe dans les entretiens, et pour que causer vous soit profitable, il faut qu'on cause avec un contradicteur sincère et perspicace ; et, dans ce cas même, je crois qu'il vaudrait mieux correspondre.
    (Le Travail intellectuel, p.130, Aubier, 1951)
     
  44. L'esprit est fugitif ; il ne se répète pas : si l'on ne retient pas l'oracle au moment où il souffle, à jamais il est perdu.
    (Le Travail intellectuel, p.131, Aubier, 1951)
     
  45. Mais la pensée est un souffle si subtil, si rare, qu'on n'a jamais assez de moyens pour la préparer, pour la susciter, la rendre agréable, pour la multiplier dans ses effets, la transmettre à un plus grand nombre d'esprits.
    (Le Travail intellectuel, p.136, Aubier, 1951)
     
  46. Les prières vocales, toujours, toujours recommencées sont une dictée à quoi nous soumettons Dieu, pour qu'il nous calme.
    (Le Travail intellectuel, p.137, Aubier, 1951)
     
  47. [...] l'art de ponctuer [est] plus précieux à mon sens que l'orthographe : car l'orthographe relève, au fond, de la mémoire, mais le sens de la différence entre le « point et virgule » et les « deux points » manifeste la pensée. Et penser vaut mieux que se souvenir.
    (Le Travail intellectuel, p.138, Aubier, 1951)
     
  48. Réussir [un discours, une conférence], c'est habituer les gens à vos défauts et à la limite, les leur faire désirer comme un alcool.
    (Le Travail intellectuel, p.141, Aubier, 1951)
     
  49. Chez les conquérants, on ne sait s'il faut admirer davantage leur victoire ou l'art de parler de cette victoire.
    (Le Travail intellectuel, p.147, Aubier, 1951)
     
  50. Composer, c'est ordonner sa pensée, en recherchant les parties, les moments et les étapes.
    (Le Travail intellectuel, p.148, Aubier, 1951)
     
  51. Chercher la composition, c'est s'approcher du vrai. S'exprimer, c'est se rapprocher du beau. Et il faut encore se souvenir que ces deux opérations se font ensemble, car le beau est un moyen d'approcher le vrai, comme le vrai s'irradie naturellement dans le beau.
    (Le Travail intellectuel, p.149, Aubier, 1951)
     
  52. Buffon l'avait noté jadis, dans une phrase qu'on attribuerait aisément à Valéry ou à Flaubert : « Toutes les beautés intellectuelles qui se trouvent dans un beau style, tous les rapports dont il est composé, sont autant de vérités aussi utiles et peut-être plus précieuses pour l'esprit public que celles qui peuvent faire le fond du sujet. »
    (Le Travail intellectuel, p.149, Aubier, 1951)
     
  53. Les seuls anciens que nous lisons encore ne sont pas ceux qui ont dit les choses les plus vraies mais ceux dont le langage a gardé la trace de leur moi.
    (Le Travail intellectuel, p.150, Aubier, 1951)
     
  54. La condition requise pour être original est de bien savoir un langage, c'est-à-dire de s'être approprié des structures anciennes.
    (Le Travail intellectuel, p.150, Aubier, 1951)
     
  55. Il est clair que la meilleure des règles, comme en toute matière où l'art paraît, c'est le contact renouvelé avec des modèles, c'est la fréquentation des maîtres, c'est l'imprégnation.
    (Le Travail intellectuel, p.151, Aubier, 1951)
     
  56. Rien n'est plus difficile que de commencer. Je ne m'étonne plus qu'on ne m'ait jamais appris les commencements. En toutes choses, l'idée d'entreprendre favorise l'angoisse, puis la paresse, enfin l'orgueil ou le désespoir. Je crois qu'il faut éviter le plus possible d'avoir à commencer. Et le mieux pour cela est de continuer ou de reprendre.
    (Le Travail intellectuel, p.154, Aubier, 1951)
     
  57. Créer, c'est renoncer à la capacité infinie des possibles pour n'en retenir qu'un seul.
    (Le Travail intellectuel, p.156, Aubier, 1951)
     
  58. Mais rien n'assure qu'une page obscure a de la profondeur par surcroît. J'ai connu un professeur de philosophie qui rédigeait d'abord un cours intelligible. Il le saupoudrait ensuite de ce qu'il appelait « l'obscurité nécessaire », sans quoi, croyait-il, sa marchandise n'aurait pas excité l'entendement des grands élèves. Il avait bien du mérite. Je soupçonne que l'obscurité n'est pas le dernier habillement et comme la voilette d'une pensée, mais le premier état et le définitif. On naît, on meurt obscur. Celui qui a reçu des dieux ce don de la confusion des pensées, qu'il se console et qu'il coure sa chance. Il risque d'être prophète, d'avoir prestige, disciples, église. L'obscurité dont on souffre en secret comme d'une impuissance, voici qu'on découvre qu'elle est adorée de certains hommes et cela vous force à devenir le prêtre d'une religion ayant racine dans votre infirmité.
    Mais la technique de l'obscurité ne s'apprend pas à l'école. Jusqu'ici, du moins, l'école devait vous apprendre à exprimer tout ce qui se dissimule. La question constante du maître à l'élève, c'est : « Qu'avez-vous voulu dire ? » L'idéal du maître, en Occident consiste à préparer un dialogue entre les hommes. Et la conversation suppose qu'on puisse à chaque moment savoir ce que l'autre vous a dit. Si vous entendez causer deux Obscurs, vous observerez que chacun attend en silence que l'autre se soit tu pour placer son chant.

    (Le Travail intellectuel, p.159, Aubier, 1951)
     
  59. La pensée est un aveu. Et le style ne va pas sans effort pour tirer de soi ce qui n'ose pas paraître.
    (Le Travail intellectuel, p.161, Aubier, 1951)
     
  60. Novalis, disait Maeterlinck, « souriait aux choses avec une indifférence très douce, il regardait le monde avec la curiosité attentive d'un ange inoccupé ».
    (Le Travail intellectuel, p.169, Aubier, 1951)
     
  61. Le secret de créer est en plusieurs cas de rêver et d'ordonner ses rêves.
    (Le Travail intellectuel, p.169, Aubier, 1951)
     
  62. Lorsque nous écrivons un ouvrage, que désirons-nous sinon un lecteur qui ait l'esprit assez inoccupé pour vraiment nous lire et se laisser silencieusement envahir ?
    (Le Travail intellectuel, p.171, Aubier, 1951)
     
  63. [...] l'oeuvre qui obtient sa signification tout de suite, risque d'épuiser dans ce furtif présent sa possibilité d'avoir plusieurs sens.
    (Le Travail intellectuel, p.174, Aubier, 1951)
     
  64. Souvent la matière de nos études est futile : à quoi peut bien servir, se dit-on, de faire ce thème latin, puisque je ne parlerai jamais en latin ? Raisonnement qui pourrait s'étendre presque à tout dans le détail de nos occupations. On ne peut le vaincre qu'en donnant une valeur absolue à l'acte d'attention, à la perfection formelle ou à la peine d'un jour, je veux dire en pensant que tout acte d'attention, de support, toute recherche de perfection minuscule, hors du profit et de tout résultat, trouve en elle-même sa récompense. Une âme poétique ici me comprendra.
    (Le Travail intellectuel, p.177, Aubier, 1951)
     
  65. [...] le moment qui sème n'est pas celui qui moissonne.
    Là où l'on a été semé, il faut pourtant s'efforcer de germer et de fleurir. Et ce s'entend de l'instant, du milieu, de ce jour-ci, de cet entourage, de ces limites-ci. N'aurions-nous fait que corriger une de nos phrases pour la rendre moins inexacte, n'aurions-nous dit qu'une seule parole pouvant porter un autre esprit à mieux penser puis à mieux faire, n'aurions-nous fait avancer la connaissance que d'un degré infiniment petit, cela serait suffisant, si sur chacune de ces parcelles nous avions frappé notre âme.
    ÉTANT DONNÉ QUE, formule des problèmes de géométrie, qui est applicable aussi au problème de l'homme et de l'usage du temps : Ce qui t'est donné en ce moment, accepte-le, améliore-le, approfondis-le. Alors, tu vivras.

    (Le Travail intellectuel, p.178, Aubier, 1951)
     
  66. Accepte tes limites de toutes parts. La limite donne la forme, qui est une condition de la plénitude.
    (Le Travail intellectuel, p.182, Aubier, 1951)
     
  67. L'idéal serait de se faire initier assez vite, par un maître sachant simplifier, à tout ce qui est vraiment indispensable pour apprendre une spécialité, afin de s'éviter les embarras inutiles du commencement ; puis l'on se donnerait du temps libre et on marcherait selon ses inspirations. Tel est bien le service que l'aîné des Broglie a rendu à son jeune frère Louis, lorsque celui-ci, après sa licence d'histoire et des études sur le moyen âge, se tourna soudain vers les mathématiques et l'étude des quanta : il était ainsi délivré de ce scolaire préparatoire qui dégoûte et qui empêche un esprit neuf de s'exercer. De même, dans un autre ordre, Cézanne : on lui avait seulement appris à se servir d'une toile, de la couleur et des brosses et j'imagine qu'une heure dut suffire. Le reste, il se donna à lui-même en face de la nature de Provence, qui fut son seul maître.
    Le principal est de faire ce que conseillait le vieil Ecclésiaste : se donner de la joie dans son travail, faire jouir son âme au milieu de son travail.

    (Le Travail intellectuel, p.184, Aubier, 1951)
     

Pierre Du Ryer

  1. [,,,] sur les grands esprits
    Un refus agit moins que ne fait un mépris.

    (Alcionée acte 1 sc. 1 (Théoxène) p.88, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  2. Quoi qu'après tant de maux la haine vous inspire,
    Dissimuler encor c'est conserver l'empire.

    (Alcionée acte 1 sc. 1 (Théoxène) p.89, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  3. De moi j'avais pensé qu'un peu d'indifférence
    Pouvait seul étouffer cette haute espérance,
    Et que pour rebuter de superbes esprits
    Une douce froideur peut autant qu'un mépris :
    Cette froideur instruit une âme ambitieuse,
    Mais la haine l'outrage et la rend furieuse,
    Et c'est souvent un trait qui ruine et qui perd
    Et celui qu'on attaque, et celui qui s'en sert.
    Ainsi j'ai toujours cru qu'une haine irritée
    Doit être aux grands desseins la dernière écoutée,
    Et qu'on n'en doit user qu'en une extrémité
    Où tout autre secours est vainement tenté.

    (Alcionée acte 2 sc. 1 (Dioclée) p.90, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  4. Étouffons l'amour que l'honneur nous défend,
    Et puisqu'il faut souffrir, souffrons en triomphant.

    (Alcionée acte 1 sc. 1 (Lydie) p.91, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  5. Et il est rare enfin qu'une témérité
    Réussisse deux fois avec impunité.

    (Alcionée acte 2 sc. 1 (Le Roi) p.4, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  6. Mais l'amour nous aveugle, et contre tout devoir
    Quiconque a de l'amour a bientôt de l'espoir.

    (Alcionée acte 2 sc. 2 (Alcire) p.101, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  7. Quand l'espoir est trop haut, il est souvent funeste.
    (Alcionée acte 2 sc. 3 (Le Roi) p.103, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  8. Et pensez-vous qu'on doive où la contrainte engage ?
    (Alcionée acte 2 sc. 3 (Le Roi) p.104, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  9. Enfin n'espérez plus, les trônes des Cieux
    Où ne doivent monter que des Rois ou des Dieux.

    (Alcionée acte 2 sc. 3 (Le Roi) p.104, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  10. Se mettre au rang des Rois, ne le devoir qu'à soi
    N'est pas moins glorieux que de sortir d'un Roi.

    (Alcionée acte 2 sc. 3 (Alcionée) p.105, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  11. Par le consentement notre amour se fait voir
    Et par l'obéissance on montre son devoir.
    L'un est libre et sans fard, l'autre est souvent forcée,
    Et souvent un effet contraire à la pensée.
    Toutefois il n'importe, et j'aime heureusement
    Si l'on vous voit au moins obéir librement.

    (Alcionée acte 3 sc. 3 (Alcionée) p.110, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  12. [...] il est équitable
    De feindre quelquefois pour punir un coupable.

    (Alcionée acte 3 sc. 5 (Lydie) p.115, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  13. [...] on peut tout entreprendre
    Quand la nécessité contraint à se défendre.

    (Alcionée acte 3 sc. 5 (Alcionée) p.117, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  14. CALLISTHÈNE
    Que peuvent peu d'amis où tant de maux s'assemblent ?
    ALCIONÉE
    Beaucoup quand ils sont vrais, peu quand ils vous ressemblent.
    CALLISTHÈNE
    Lorsqu'un peu de raison vous ouvrira les yeux,
    Vous entreprendrez moins, et me connaîtrez mieux.
    ALCIONÉE
    Où connaîtrais-je mieux un ami légitime
    Qu'en une occasion où le destin m'opprime ?

    (Alcionée acte 4 sc. 1 (121) p.4, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  15. La cause de mon mal est en moi seulement,
    Je me suis à moi-même un horrible tourment,
    Si tu veux donc m'ôter d'une misère extrême,
    Tu me dois enseigner à fuir de moi-même.

    (Alcionée acte 4 sc. 3 (Alcionée) p.125, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  16. Sire, il y faut penser, de généreux courages
    Sont toujours en état d'exciter des orages ;
    Et le malheur des Rois de tout temps a permis
    Qu'un bras qui se révolte ait trouvé des amis.

    (Alcionée acte 4 sc. 5 (Callisthène) p. 128, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  17. On s'accoutume enfin à toute impiété
    À force de faillir avec impunité

    (Alcionée acte 4 sc. 5 (Alcire) p. 128, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  18. Je pense qu'on doit craindre un esprit téméraire
    Lorsque le désespoir allume sa colère.

    (Alcionée acte 5 sc. 2 (Alcire) p. 133, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  19. On doit appréhender l'audace qui s'irrite.
    (Alcionée acte 5 sc. 2 (Alcire) p. 133, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  20. Une peur mal fondée est la honte des Princes.
    (Alcionée acte 5 sc. 2 (Lydie) p. 134, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  21. On peut plaindre sans honte, et même avec estime
    Ce qu'on ne peut aimer, et sans honte, et sans crime.

    (Alcionée acte 5 sc. 3 (Lydie) p. 135, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     
  22. Qui trahit par la voix peut trahir par les pleurs.
    (Alcionée acte 5 sc. 5 (Lydie) p. 141, in Théâtre du XVIIe siècle T. II, Gallimard/Pléiade, 1986)
     

Charles Scott Richardson

  1. [...] avril, ce terrain glissant entre la maigreur de l'hiver et les rondeurs du printemps.
    (La fin de l'alphabet, trad. Sophie Voillot , p.11, Alto, 2007)
     
  2. Quand nous allions nous promener. Le soir, le long du fleuve, elle portait le même parfum. Elle était très sage, très intelligente, ma femme. Je ne sais qu'une chose, me disait-elle : un homme peut remarquer cent femmes, en désirer mille autres, mais c'est une odeur qui lui ouvrira les yeux et le coeur.
    (La fin de l'alphabet, trad. Sophie Voillot , p.91, Alto, 2007)
     
  3. Dans le jardin du sultan, Zip et Ambroise volèrent autant d'amour qu'ils l'osèrent. Il y eut plusieurs boutons défaits. Des bretelles doucement écartées. Le glissement de la main chaude. Des odeurs d'huile de bain et de savon parfumé, de peau frottée si fort qu'elle cuisait au toucher. Ils se dirent à voix basse de ne pas d'inquiéter.
    (La fin de l'alphabet, trad. Sophie Voillot , p.114, Alto, 2007)
     
  4. Q comme qu'est-ce que j'ai fait ? P comme qu'est-ce que je n'ai pas fait ? D comme qu'est-ce que j'aurais faire ?
    (La fin de l'alphabet, trad. Sophie Voillot , p.120, Alto, 2007)