Citations ajoutées le 18 mars 2006

Gustave Thibon

  1. Ce qui est éternel n'a pas besoin d'être rajeuni : il suffit de le ramener à son intégrité primitive. Le véritable aggiornamento consiste à souffler sur la poussière d'hier et non à la remplacer par la poussière d'aujourd'hui que balayera le vent de demain.
    (L'Échelle de Jacob, p.10, Boréal Express, 1984)
     
  2. Le plus sûr moyen d'échapper à l'immobilisme est de se laisser pénétrer par l'immuable.
    (L'Échelle de Jacob, p.11, Boréal Express, 1984)
     
  3. Qu'ai-je à faire d'un Dieu personnel ? Crois-tu que je gagne à être vu ? Que deviendrais-je si Pan n'était pas aveugle ? Là gît le grand obstacle à la foi en un Dieu personnel. On est prêt à diviniser n'importe quoi (Nature, Devenir, Matière, Race ou État...) pourvu que Dieu ait les yeux crevés.
    (L'Échelle de Jacob, p.25, Boréal Express, 1984)
     
  4. La noblesse d'un individu se reconnaît peut-être avant tout à l'hésitation et à la délicatesse avec lesquelles il cueille les joies qui s'offrent à lui. Il ose à peine. L'homme bas, lui, ose toujours. À la limite, il ne se sent que des droits.
    (L'Échelle de Jacob, p.27, Boréal Express, 1984)
     
  5. Il est deux sortes d'êtres qui sont incurablement privés de noblesse : ceux qui ont besoin d'être heureux pour être bons et ceux qui ont besoin d'être malheureux pour songer à Dieu. La douleur de l'être bas s'appelle vengeance, sa joie orgueil et oubli. L'homme noble est celui que la souffrance rend tendre et que le bonheur fait prier.
    (L'Échelle de Jacob, p.27, Boréal Express, 1984)
     
  6. Qu'est-ce que l'homme déteste le plus ? Non pas ce qui lui a toujours été refusé, mais ce qui lui a été donné une fois et qu'il n'a pas su retenir.
    (L'Échelle de Jacob, p.29, Boréal Express, 1984)
     
  7. D'un être aimé nous disons : je le porte dans mon coeur. Ainsi il ne pèse pas. Mais de celui que nous n'aimons pas et dont la présence nous pèse, nous disons : je l'ai sur le dos...
    (L'Échelle de Jacob, p.32, Boréal Express, 1984)
     
  8. L'abîme est vaste entre le sérieux et la profondeur. J'ai connu peu d'hommes dits sérieux qui ne soient aussi superficiels et, réciproquement, un homme profond a beaucoup de peine à rester sérieux en toute chose...
    (L'Échelle de Jacob, p.33, Boréal Express, 1984)
     
  9. [L'homme équilibré] est comme une montagne dont l'équilibre implique l'existence de deux versants. Et cette ampleur de base lui permet précisément, comme la montagne dont la cime se perd audacieusement dans le ciel, de s'engager à fond, de négliger les demi-mesures et les précautions ; il peut aller très loin et très haut sans péril pour son assiette intérieure, il est assez fort et assez riche pour être sainement excessif.
    (L'Échelle de Jacob, p.34, Boréal Express, 1984)
     
  10. Tu as le devoir d'aimer cet être, mais prends garde : tu n'as pas le droit d'avoir besoin de lui.
    (L'Échelle de Jacob, p.38, Boréal Express, 1984)
     
  11. Tu peux verser à boire à n'importe qui, mais, si tu ne veux pas voir ton amour tourner en poison, choisis sévèrement ceux devant qui tu as soif.
    (L'Échelle de Jacob, p.39, Boréal Express, 1984)
     
  12. Donnez peu à un être. Il trouvera que c'est trop. Mettez-vous à lui donner beaucoup : il trouvera que ce n'est pas assez. Ainsi s'expliquent la naissance et la mort de toutes les affections. L'amour commence par l'éblouissement d'une âme qui n'attendait rien et se clôt sur la déception d'un moi qui exige tout.
    (L'Échelle de Jacob, p.39, Boréal Express, 1984)
     
  13. L'enfer est le réceptacle des promesses tenues à demi.
    (L'Échelle de Jacob, p.40, Boréal Express, 1984)
     
  14. Il est toujours doux de se livrer, mais il est souvent amer de s'être livré.
    (L'Échelle de Jacob, p.42, Boréal Express, 1984)
     
  15. L'incapacité de nouer de nouvelles affections apparaît à nos anciens amis comme un gage de fidélité. Ils devraient plutôt s'en affliger, car c'est là le signe d'un épuisement affectif qui n'épargne pas notre attachement pour eux. L'être impuissant à créer de nouveaux liens n'est guère en état de maintenir vivantes ses anciennes affections, et sa « fidélité » ressemble beaucoup à celle du squelette au cercueil ou de la pierre au lieu qu'elle occupe.
    (L'Échelle de Jacob, p.43, Boréal Express, 1984)
     
  16. « Je ne peux juger ce que tu fais qu'à travers mon intuition de ce que tu es. »
    (L'Échelle de Jacob, p.44, Boréal Express, 1984)
     
  17. Il vaut mieux ne pas voir que de voir sans aimer...
    (L'Échelle de Jacob, p.46, Boréal Express, 1984)
     
  18. Définition du sacrifice. - C'est se précipiter totalement, sans calcul et sans recours, dans ce qu'on aime. C'est la transmutation du moi en amour.
    (L'Échelle de Jacob, p.48, Boréal Express, 1984)
     
  19. Je n'aime pas que toi. Mais j'aime toute chose en toi et je t'aime en toute chose. Tu n'es pas l'être qui usurpe et voile pour moi le monde, tu es le lien qui m'unit au monde. L'amour intégral exclut l'amour exclusif : je t'aime trop pour n'aimer que toi.
    (L'Échelle de Jacob, p.49, Boréal Express, 1984)
     
  20. La terre deviendrait vite inhabitable si chacun cessait de faire par politesse ce qu'il est incapable de faire par amour. Inversement, le monde serait presque parfait si chacun arrivait à faire par amour tout ce qu'il fait par politesse.
    (L'Échelle de Jacob, p.52, Boréal Express, 1984)
     
  21. Devenir fruit d'automne. Sentir naître en soi l'âme fondante du fruit : cette douceur, cette transparence dorée et cette soif de tomber.
    Se détacher, non par orgueil ou par lassitude, mais par excès de pesanteur et de sucs. Se détacher comme un fruit d'automne.

    (L'Échelle de Jacob, p.55, Boréal Express, 1984)
     
  22. Le caméléon est gris tant qu'il marche sur le sable ; s'il passe sous un arbre, il se colore en vert ; il n'est ni plus sincère ni plus hypocrite dans un endroit que dans l'autre : il n'est partout qu'un caméléon. Les hommes vraiment méchants sont aussi rares que les hommes vraiment bons, mais il y a beaucoup d'impuissants qui miment, suivant le souffle extérieur qui les agite, tantôt le bien et tantôt le mal.
    (L'Échelle de Jacob, p.57, Boréal Express, 1984)
     
  23. Un homme est grand dans la mesure où, placé entre l'illusion et la douleur, il choisit la douleur.
    (L'Échelle de Jacob, p.63, Boréal Express, 1984)
     
  24. Tout ce qui en toi refuse de mourir est indigne de vivre.
    (L'Échelle de Jacob, p.63, Boréal Express, 1984)
     
  25. Car l'avortement n'est jamais une délivrance, et le fruit vert arraché se survit dans les entrailles par une plaie qu'on n'arrache pas.
    (L'Échelle de Jacob, p.66, Boréal Express, 1984)
     
  26. Le mot talion n'a qu'une signification strictement matérielle et extérieure : il n'est pas d'arme plus imprécise que la vengeance.
    (L'Échelle de Jacob, p.70, Boréal Express, 1984)
     
  27. [Le scepticisme est le] refus de porter sur les événements et les hommes des jugements définitifs.
    (L'Échelle de Jacob, p.79, Boréal Express, 1984)
     
  28. La façon la plus radicale de s'abandonner au mal est de refuser d'en prendre conscience.
    (L'Échelle de Jacob, p.86, Boréal Express, 1984)
     
  29. Marcher est un acte harmonieux où chaque partie du corps a sa part : on marche avec tout son être, mais on ne tombe que d'un côté.
    (L'Échelle de Jacob, p.91, Boréal Express, 1984)
     
  30. Pour certains êtres épris de perfection et d'achèvement, il y a quelque chose de pire qu'une faute : c'est une imperfection. Plus que d'échouer, ces êtres ont peur de mal réussir, plus que de tomber, de boiter.
    (L'Échelle de Jacob, p.92, Boréal Express, 1984)
     
  31. C'est une des grandes tares de l'humanité que d'exalter, en cataloguant ses grands hommes, le brillant au détriment du solide et ce qui enivre plutôt que ce qui nourrit.
    (L'Échelle de Jacob, p.99, Boréal Express, 1984)
     
  32. Que ton idéal soit le reflet de ton âme, l'émanation de ton être intérieur, ton témoignage. Et non pas ton alibi.
    (L'Échelle de Jacob, p.102, Boréal Express, 1984)
     
  33. Je ne crois pas à la chirurgie morale : elle fait des plaies qui s'infectent...
    (L'Échelle de Jacob, p.103, Boréal Express, 1984)
     
  34. La vérité est un organisme, et ta vérité fait corps avec l'ensemble des vérités. Un membre coupé est un membre mort et si, pour mieux adorer ta petite vérité, tu l'isoles, tu ne tiendras plus qu'un mensonge entre tes doigts.
    (L'Échelle de Jacob, p.107, Boréal Express, 1984)
     
  35. Les vérités suprêmes manquent d'arguments. Elles savent se donner, elles ne savent pas plaider leur cause. Nos certitudes les plus intimes, les plus nourricières sont aussi les plus vulnérables sur le terrain dialectique. Les défendre, c'est déjà les trahir. Leur innocence, leur fraîcheur, leur magnétisme divins étouffent sous la cuirasse des arguments.
    (L'Échelle de Jacob, p.109, Boréal Express, 1984)
     
  36. L'ironie, forme agressive de la pudeur...
    (L'Échelle de Jacob, p.110, Boréal Express, 1984)
     
  37. Les gens très loyaux sont souvent les pires menteurs. Celui qui aime les « situations nettes » et qui se fait un point d'honneur de parler rond et franc, de « jouer cartes sur table », déforme et trahit ridiculement les sentiments qu'il veut exprimer ; il les simplifie si bien qu'il les déguise ! En négligeant le côté obscur, complexe et polymorphe de la vie intérieure, en interprétant celle-ci d'une façon absolument précise et monovalente, la sincérité s'achète chez lui au prix de la vérité...
    (L'Échelle de Jacob, p.113, Boréal Express, 1984)
     
  38. Éloquence. - Ce qu'on appelle ainsi n'est, dans la plupart des cas, que la sincérité du mensonge, une espèce d'aisance, de spontanéité et de naturel dans l'art d'exprimer ce qu'on ne vit pas...
    (L'Échelle de Jacob, p.114, Boréal Express, 1984)
     
  39. Il faut partir de l'absolu dans la pensée pour réaliser le relatif dans l'action.
    (L'Échelle de Jacob, p.119, Boréal Express, 1984)
     
  40. Il faut choisir : rester fleur et se faner - ou mourir et devenir fruit.
    (L'Échelle de Jacob, p.122, Boréal Express, 1984)
     
  41. Je le sais : tu es seul et tu as soif, mais est-ce une raison pour boire à n'importe quelle coupe ? Il est une chose plus importante encore que de te désaltérer, c'est de respecter ta soif.
    (L'Échelle de Jacob, p.130, Boréal Express, 1984)
     
  42. Il ne faut pas lutter contre les passions en tant que moteur, il faut simplement leur ôter le gouvernail.
    (L'Échelle de Jacob, p.132, Boréal Express, 1984)
     
  43. Constater une analogie n'est pas établir une identité.
    (L'Échelle de Jacob, p.133, Boréal Express, 1984)
     
  44. Progrès ? - Le monde, depuis un siècle, évolue à pas de géant. Tout se précipite : le vent du progrès nous coupe la face. Amer symptôme : l'accélération continue est le propre des chutes plutôt que des ascensions.
    (L'Échelle de Jacob, p.139, Boréal Express, 1984)
     
  45. Limites de la réceptivité - Voici des gens pendus à toutes les radios, avides de toutes les nouvelles, réceptifs à toutes les idées. On appelle cela sensibilité, ouverture. C'est une qualité que je n'envie pas. Je serais plutôt porté à considérer comme un signe de santé et d'unité intérieures l'existence de larges zones d'indifférence. Une réceptivité universelle implique, exception faite de quelques esprits extraordinaires, une passivité dangereuse. L'écho vibre à tous les sons, mais la bouche choisit ses paroles.
    (L'Échelle de Jacob, p.141, Boréal Express, 1984)
     
  46. Les gens n'ont plus de conversation, ils s'ennuient en société et ne savent que se dire. C'est précisément parce qu'ils ne savent plus se taire : le silence seul féconde le verbe.
    (L'Échelle de Jacob, p.145, Boréal Express, 1984)
     
  47. Dès qu'un mot devient trop à la mode (je songe à l'engouement actuel pour la pureté, la gratuité, l'engagement, la présence, etc.), il faut se demander ce qu'il recouvre plutôt que ce qu'il signifie. Et c'est en général son contraire. La mode sort du manque. La chose « se porte » quand elle n'est plus ; elle devient vêtement lorsqu'elle a cessé d'être corps.
    (L'Échelle de Jacob, p.146, Boréal Express, 1984)
     
  48. Sois circonspect avant de couper la plante que tu n'as pas la force d'arracher.
    (L'Échelle de Jacob, p.157, Boréal Express, 1984)
     
  49. [...] nous sommes toujours prêts à venger sur l'être faible qui nous aime les outrages que nous inflige l'être fort que nous haïssons.
    (L'Échelle de Jacob, p.157, Boréal Express, 1984)
     
  50. L'ami vrai, ce n'est pas celui qui sait se pencher avec pitié sur notre souffrance, c'est celui qui sait regarder sans envie notre bonheur.
    (L'Échelle de Jacob, p.158, Boréal Express, 1984)
     
  51. Les médisances qui nous nuisent le plus sont celles où le médisant marie savamment le bien au mal et semble ne constater le mal qu'à regret. La divulgation du mal revêt ainsi une apparence d'objectivité douloureuse qui lui confère une force accrue de persuasion, et c'est là le sommet de l'art de médire.
    (L'Échelle de Jacob, p.160, Boréal Express, 1984)
     
  52. Le génie consiste à donner à l'universel, la vie, la plénitude, le frisson intime et irréductible du particulier. Chaque homme de génie qui paraît sur la terre est comme un nouveau rédempteur de l'abstraction.
    (L'Échelle de Jacob, p.165, Boréal Express, 1984)
     
  53. Les choses profondes sont toujours préparées et enveloppées par une certaine obscurité : les étoiles n'apparaissent que dans la nuit.
    (L'Échelle de Jacob, p.166, Boréal Express, 1984)
     
  54. [Un auteur] doit illuminer et non démontrer, nous donner une impulsion, mais non pas nous conduire jusqu'au bout par la main.
    (L'Échelle de Jacob, p.167, Boréal Express, 1984)
     
  55. Tout bonheur qui n'enfante pas un devoir amoindrit ou corrompt.
    (L'Échelle de Jacob, p.177, Boréal Express, 1984)
     

Maxime Chattam

  1. [...] la machine à voyager dans le temps existe. C'est la magie.
    Et la magie existe bien. Dans les mots.

    (Le sang du temps (Préface), p.9, Michel Lafon, 2005)
     
  2. La paranoïa est un virus qu'il suffit de transmettre dans les bonnes circonstances pour qu'il se développe tout seul.
    (Le sang du temps, p.23, Michel Lafon, 2005)
     
  3. Le désert c'était l'infini mis à la portée des hommes.
    (Le sang du temps, p.132, Michel Lafon, 2005)
     
  4. C'est ça vieillir, ma chère, c'est oublier, ou confondre. Ou ne plus avoir la force d'aller loin dans les efforts de la mémoire. Alors on rabâche ce qu'il nous reste.
    (Le sang du temps, p.153, Michel Lafon, 2005)
     
  5. - Tous les êtres du monde ne sont pas forcément gris [...]
    - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Nous n'avons aucune couleur, nous prenons celle de nos pensées, de nos actions. Et celles-ci sont aussi changeantes et diversifiées que la palette du peintre.

    (Le sang du temps, p.228, Michel Lafon, 2005)
     
  6. Le mal est-il une affection que nous contractons du fait de notre vécu, semblable à une maladie de l'âme, d'une certaine manière similaire à la mélancolie, ou bien est-il cette force mystérieuse qui habite nos cellules dès les premières étincelles de notre création ? Deux visions distinctes de l'essence maléfique. Voilà ce qu'est la fêlure du mal. Un débat éternel sur l'existence du bien et du mal, ou sur la nature incolore et caméléonesque de l'homme.
    (Le sang du temps, p.230, Michel Lafon, 2005)
     
  7. Par expérience, je dis que le mal est autant une essence dans le cosmos qu'une fièvre dans notre société.
    (Le sang du temps, p.231, Michel Lafon, 2005)
     

Fernand Vandérem

  1. L'amour des lettres est le seul amour où l'on puisse aimer passionnément, sans perdre, envers l'objet aimé, ni liberté d'esprit, ni clairvoyance.
    (La Littérature, p.9, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  2. La littérature est une industrie de luxe, ayant pour objet d'extraire et de façonner les éléments de poésie, d'émotion ou de comique que recèle l'univers.
    (La Littérature, p.10, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  3. [...] bien des obscurités ne sont que les filles du moindre effort.
    (La Littérature, p.11, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  4. La misère n'est pas la mère du génie. Elle n'en est que la marâtre. La gêne n'est par l'éperon du talent. Elle n'en est que la banderille.
    (La Littérature, p.13, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  5. La faim fait sortir le loup du bois et l'écrivain de l'art.
    (La Littérature, p.13, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  6. Le génie littéraire se traduit sous deux formes : la poésie et l'esprit.
    L'observation, la réflexion, la finesse, la logique ne relèvent que du talent.

    (La Littérature, p.17, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  7. La poésie est le plus périlleux des arts, car le poète n'y a le choix qu'entre le sublime et le ridicule. S'il ne transporte pas, il fait rire, et s'il fait rire, il est perdu.
    (La Littérature, p.17, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  8. Comme la musique, la poésie couvre de son grand nom toutes sortes d'artistes. Il convient donc, comme en musique, d'y distinguer les compositeurs, les virtuoses et les simples exécutants. Les premiers créent les nouveaux thèmes, les nouveaux rythmes et montrent une sensibilité nouvelle. Les seconds se livrent à des variations sur l'oeuvre des premiers. Les derniers répètent les autres.
    (La Littérature, p.18, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  9. La poésie ressemble à un arbre immense où, depuis des siècles, des milliers d'oiseaux se dépenseraient au même éternel concert. Mais, tous ces oiseaux varient de qualité ou d'espèce, et si l'on y rencontre des aigles et des rossignols, combien, aussi, de serins et de perroquets !
    (La Littérature, p.18, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  10. On juge souvent une femme sur l'homme à qui elle se livre. On la jugerait peut-être mieux sur l'auteur qui la fait rire.
    (La Littérature, p.21, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  11. N'oublions jamais que si le rire est le propre de l'homme, la gravité est celui des bêtes.
    (La Littérature, p.22, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  12. Lus et relus, chaque jour, pendant des années, dans la presse, sur des titres de volumes, certains noms, avec l'âge, finissent par prendre un semblant de lustre. Mais ce lustre rappelle celui des étoffes usées. Les grands noms brillent. Les noms âgés ne font que reluire.
    (La Littérature, p.43, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  13. Avec tant d'écrivains notoires, pourquoi l'éclat de la gloire littéraire nous semble-t-il aujourd'hui en décroissance ? En raison de cette loi qui veut que toute lumière trop divisée s'achemine lentement aux ténèbres.
    (La Littérature, p.43, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  14. La critique, écrit Brunetière, a été la première forme de l'envie. Il serait plus exact de dire : la première forme du toupet.
    (La Littérature, p.44, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  15. Qui a dit que la critique était nécessaire ? La critique.
    Qui a dit que la critique était une création ? La critique.

    (La Littérature, p.44, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  16. Sans être absolument indispensable, la critique répond, dans une certaine mesure, aux besoins de trois classes de citoyens : les lecteurs, auxquels elle fournit des informations ; les auteurs, auxquels elle fournit de la réclame ; les critiques, auxquels elle fournit de la copie.
    (La Littérature, p.45, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  17. La plupart des critiques n'en croient pas moins au caractère sacré de leurs oracles. Et, quand deux augures ne pouvaient se regarder sans rire, deux critiques, en se contemplant, peuvent conserver tout leur sérieux.
    (La Littérature, p.46, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  18. La métaphysique se targue de connaître et de dire le mot de toutes les énigmes qui nous entourent ou nous dépassent. Inutile d'ajouter que, depuis des siècles, de tous ces mots, il n'y en a pas un de vrai, puisque, sur les divers problèmes qu'il prétend résoudre, le métaphysicien n'en sait pas plus que vous et moi.
    (La Littérature, p.49, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  19. J'appelle pensée pure celle qui ne doit rien qu'à elle-même. Malheureusement, on ne la rencontre que chez des gens peu estimés des philosophes : les poètes et les moralistes.
    J'appelle repensée la pensée qui doit tout aux autres. Or, la plupart des penseurs ne sont, hélas ! que des repenseurs.

    (La Littérature, p.51, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  20. Des faits, le sociologue tire des lois, l'historien des leçons. À quoi sert le penseur ? À fournir de pensée ceux qui ne pensent pas. Autant dire alors que l'industrie de la pensée sera toujours prospère.
    (La Littérature, p.51, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  21. Pourquoi admirez-vous ce penseur ?
    - Parce que j'y trouve exprimées des choses que vaguement je pensais.
    - Et cela ne vous inquiète pas ?

    (La Littérature, p.51, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  22. Sauf les cas de génie, ce qu'on nomme les jeunes, c'est, tous les dix ans, une cinquantaine de débutants nouveaux sur lesquels, dix ans plus tard, une quinzaine surnagera peut-être et trois ou quatre peut-être se seront détachés.
    (La Littérature, p.53, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  23. Mais, dès qu'un rite dispose de certaines ressources, les marchands envahissent le temple, la publicité les suit et la foi nouvelle tourne à l'affaire.
    (La Littérature, p.54, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  24. Souvenons-nous, en outre, que, dans les lettres, beaucoup de vieux imbéciles ont commencé par être de jeunes nigauds.
    (La Littérature, p.55, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  25. Pourquoi supposer que demain aura plus de jugement qu'aujourd'hui et que les siècles usent la sottise ?
    (La Littérature, p.59, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  26. La même postérité qui réhabilite certains méconnus est peut-être en train d'en faire d'autres.
    (La Littérature, p.59, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  27. Ce qu'on appelle parfois la postérité, ce n'est qu'un critique en quête d'un sujet d'article ou un professeur en quête d'un sujet de thèse, qui selon leur humeur ou leur intérêt, tantôt vous porteront aux nues, tantôt vous traîneront dans la boue.
    (La Littérature, p.59, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)
     
  28. Combien comptent peu auprès de la postérité les antécédents moraux, sociaux ou honorifiques de ses justiciables !
    Dans les jugements qu'elle prononce, que lui chaut que Villon ait été un tire-laine, Verlaine un inverti, Flaubert un épileptique, Musset un alcoolique ? Et que lui importent les galons, les croix, les uniformes, portés par tant d'autres ?
    Qui sait maintenant, de Pascal, La Fontaine, La Rochefoucauld, Molière, ou de Voltaire, Lesage, Marivaux, Diderot, lesquels furent de l'Académie et lesquels restèrent à sa porte ? Et qui même songe à le vérifier ?

    (La Littérature, p.60, Librairie Hachette (Notes et maximes), 1927)