Citations ajoutées le 13 février 2015

Eugène Marbeau

  1. Au premier jour d'un deuil, on pense à celui qu'on aimait et qui n'a plus la joie de vivre : on est ému et on pleure.
    PIus tard onpense à soi, à l'affection qu'on a perdue, à l'appui que cette affection nous donnait dans les misères de la vie : la tristesse succède aux larmes, à l'émotion le découragement.
    Puis la vie reprend son cours, les habitudes se creusent un nouveau lit. Le disparu n'a pas cessé de nous être cher, mais nous n'avons plus sans cesse devant les yeux l'image effrayante de la mort, ni dans le coeur le déchirement de la séparation. Le temps a fait son oeuvre: nous sommesconsolé.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  2. On ne se console pas, on oublie.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  3. Quand nous avons perdu l'être adore; notre douleur est notre vie même : elle est tout ce qui nous reste du bonheur d'avoir aimé.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  4. Les joies qui satisfont la conscience sont les seules que puisse supporter un coeur en deuil : toute autre joie lui semble une insulte à sa douleur, un outrage à l'être pleuré.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  5. La plus douce consolation pour un coeur meurtri est de transformer sa douleur en bienfaits. Ses'larmes sont moins amères quand il sèche d'autres pleurs.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  6. Les grandes joies et les grandes douleurs ouvrent le coeur à la compassion. Mais les bonheurs sont trop fugitifs pour laisser sur notre âme une empreinte durable : ce sont les deuils qui inspirent les réels sacrifices et les longs dévouements.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  7. Il était déjà bon celui que le chagrin rend meilleur.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  8. Le malheur ne passe jamais indifférent sur une âme : il la brise ou il la bronze.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  9. Il est doux de se rappeler le bonheur à jamais évanoui. Il est cruel de revoir seul les lieux témoins de ce bonheur.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  10. L'anxiété de l'inquiétude est plus poignante encore que l'angoisse de la douleur.
    Quand le malheur est accompli, l'irréparable nous courbe sous la soumission.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  11. Celui qui se croit malheureux souffre autant que celui qui l'est réellement; mais parfois une caresse suffit pour le guérir.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  12. Un grand malheur nous cause plus de souffrance qu'un grand bonheur ne nous apporte de joie. C'est qu'un malheur nous enlève à jamais un bien ou une espérance, tandis qu'un bonheur, après avoir réalisé pour un instant un de nos désirs, nous laisse, comme auparavant, à toutes les misères de notre destinée.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  13. Plus le malheur nous frappe, plus nous rêvons au bonheur.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  14. Le découragement et la résignation terminent également la lutte de l'âme contre le malheur : l'une est la défaite, l'autre. est la victoire.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  15. Tout être est un moi qui voit autour de lui graviter l'univers.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  16. C'est en nous que réside l'intérêt des choses, c'est de nous que sort tout ce que nous sentons dans la vie.
    Le moi est la source de toutes nos impressions, la flamme qui donne sa couleur à tout ce qu'elle éclaire.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  17. Notre moi déborde jusque dans nos bienfaits.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  18. C'est pour soi qu'on donne.
    Nous tenons à faire un cadeau distinct et personnel, pour en avoir le bénéfice.
    Nous prétendons que celui qui le reçoit en fasse usage, non comme il le voudrait, mais comme nous le voulons pour lui.
    Nous exigeons qu'il conserve, et non qu'il donne à son tour ce que nous lui avons donné. Donner n'est que prêter.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  19. C'est pour soi qu'on aime.
    Nous voulons que l'objet de notre affection impérieuse soit heureux, non selon ses goûts, mais selon les nôtres.
    Nous souffrons quand il est heureux sans nous, ou par un autre que nous.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  20. C'est pour soi qu'on se sacrifie.
    On prétend choisir et mesurer soi-même son sacrifice.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  21. Pour obliger, l'un donne plus volontiers son argent, l'autre son temps, ou sa peine, ou son crédit.
    Chacun fait le sacrifice qui lui coûte le moins, ou qui le flatte davantage.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  22. Se dévouer à un principe, c'est se dévouer à soi-même. On se personnifie dans l'idole que l'on s'est créée, et on lui sacrifie tout et tous, même soi.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  23. Nous n'imaginons guère l'amour sans jalousie, tant nous sentons qu'aimer avec ardeur, c'est aimer pour soi.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  24. Le jaloux aime mal, l'autre n'aime pas assez : chacun des deux aime pour lui et n'aime que lui.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  25. Tel qui ferait tous ses efforts pour aider à notre succès ne nous pardonne pas un succès obtenu sans lui.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  26. Ce qui me charme dans l'être adoré, ce n'est pas lui, c'est l'idéal que je me suis fait de lui.
    Ce que j'aime dans cet être que je crois aimer plus que moi-même, c'est l'amour que j'ai pour lui.
    L'idole, c'est moi.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  27. L'être aimé croit m'enivrer de son amour ;c'est mon amour pour lui qui seul m'enivre.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  28. Plus nous aimons notre ami, plus nous sentons qu'il nous serait moins douloureux de le voir souffrir que de souffrir par lui.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  29. Demander à un ami de nous consoler, c'est lui demander de partager notre douleur. Plus il affectera d'en souffrir, plus la consolation sera douce à notre égoïsme.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  30. Nous compatissons mieux au malheur de notre ami quand il dérange nos habitudes.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  31. La peine du voisin nous est douce. Elle nous distrait de la nôtre, et elle nous donne juste assez d'émotion pour nous persuader à nous même que nous avons du coeur.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  32. Chacun sent suivant son caractère, même les peines de son ami.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  33. La perpétuelle tristesse et la perpétuelle gaîté révèlent l'une et l'autre l'indifférence à tout ce qui n'est pas soi.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  34. On trouve toujours une théorie pour justifier son penchant.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  35. L'homme se trompe parce qu'il se trouble, et il se trouble parce qu'il est préoccupé de soi.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  36. Il est assez ordinaire de voir un homme se glorifier précisément de ce que le monde lui reproche : l'avare est fier de son économie, l'intrigant de son habileté, le poltron de sa prudence.
    Chacun, en obéissant à son instinct, prétend obéir à la raison.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  37. Nous comprenons mal les sentiments qui sont trop au-dessus ou trop au-dessous des nôtres.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  38. Notre sympathie instinctive est comme un verre coloré à travers lequel notre raison +entrevoit les hommes. Aussi notre jugement sur eux est-il toujours un portrait flatté ou une caricature : c'est une étude où l'on retrouve plus encore le peintre que le modèie.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  39. On voit mal quand on regarde à travers le rire ou à travers les larmes.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  40. Notre infatuation est si naïve que nous sommes sincère en doutant de la bonne foi ou du bon sens de qui pense autrement que nous.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  41. Chacun sent les coups qu'il reçoit, ne sent pas ceux qu'il porte, et accuse son adversaire d'avoir eu tous les torts.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  42. La faute du prochain est toujours grave ; la nôtre toujours excusable.
    Notre malheur nous semble toujours intolérable, celui du voisin toujours facile à supporter.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  43. Le sage est toujours préparé à la mort de son prochain.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  44. Un tort est à nos yeux sans excuse quand c'est contre nous qu'on a péché.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  45. Toute épreuve, celle du succès comme celle de l'adversité, secoue un homme et fait tomber son masque.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  46. Une émotion forte rend l'homme à la nature et efface la convention sociale. Dans une grande joie ou dans une grande douleur, le plus hautain écoute avec reconnaissance les félicitations ou les condoléances de son plus humble subalterne.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  47. Le timide oublie sa timidité, le vaniteux son orgueil, le misérable sa misère, dès qu'il est assez occupé d'un autre pour s'oublier soi-même.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  48. Le timide, comme le fat, se figure que tout le monde le regarde. Celui-ci croit qu'on l'admire, et il fait la roue ; celui-là tremble qu'on ne le critique, et il se terre.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  49. Le plus modeste employé, mis à la retraite, se demande de bonne foi si le ministère pourra marcher sans lui.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  50. Ne consultons jamais un confrère sur notre oeuvre. En regardant la nôtre, c'est à la sienne qu'il pense.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  51. La musique d'amateurs ravit ceux qui l'exécutent et fait souffrir ceux qui l'entendent. L'exécutant écoute avec son imagination, les auditeurs avec leurs oreilles.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  52. En jugeant le voisin, nous blâmons surtout le défaut qui nous gène, nous vantons la qualité qui peut nous servir.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  53. Quand on ne doute pas de soi, on peut ne pas faire bien, mais on fait quelque chose. Quand on se défie de soi, on ne fait rien.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  54. Il est relativement facile de réussir un pastiche ou une parodie : toute négligence y passe pour une malice et est mise sur le compte du modèle.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  55. Un homme qui nous ressemble nous parait notre caricature.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  56. Au moral comme au physique, nul n'est degoûté de soi-même.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  57. Une idée nous est plus chère quand nous croyons l'avoir conçue nous-même. Nous la défendons, non seulement avec conviction, mais avec tendress.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  58. On se fait le parrain et l'avocat de la pièce dont on a par hasard vu la première représentation, du livre dont on a entrevu le manuscrit.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  59. J'aime à lire le compte rendu de la séance à laquelle j'ai assisté. C'est ma séance, et je recherohe dans le journal, non pas l'orateur que j'ai entendu, mais moi qui l'ai écouté.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  60. Deux personnes se sont brouillées. Pour nous, celle qui a raison, c'est celle que le hasard a placée un jour sur notre chemin. Notre moi s'étend sur elle et la protège.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  61. Nous nous soumettons plus volontiers aux devoirs artificiels qu'aux devoirs naturels : c'est nous qui les avons créés.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  62. Nous n'observons que ce qui se greffe sur notre pensée.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  63. Le moraliste ne note pas tout ce qu'il voit, mais seulement ce qu'il regarde.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  64. On aime à retrouver ses idées dans un livre plutôt qu'à y découvrir des idées nouvelles.
    On ne lit pas l'auteur, on se lit soi-même.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  65. Le poète croit nous enivrer de son rêve : il ne fait qu'éveiller le nôtre.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  66. Lire un livre, c'est broder sur le thème proposé par l'auteur des variations que l'on tire de soi, et qui seules font l'intérêt de la lecture.
    Les livres dont il faut s'assimiler les données sans y rien ajouter de soi, on les consulte, on ne les lit pas.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  67. Nous sommes si pénétré de notre opinion que nous en trouvons la justification jusque dans le livre qui la condamne.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  68. Les contemporains jugent un ouvrage comme un auteur juge son oeuvre en s'y recherchant eux-mêmes.
    Ils s'y plaisent s'ils s'y retrouvent.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  69. Un livre peut réussir par ses défauts ; il ne survit que par ses qualités.
    Il plait aux contemporains s'il les reflète ; il ne plait à la postérité que s'il reflète l'homme de tous les temps.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  70. Retoucher une page écrite de verve, c'est mettre une pièce à une étoffe. La reprise se voit presque toujours.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  71. Dire sa joie est un bonheur : confier sa peine est un soulagement. Heureux ou malheureux, on a besoin d'occuper les autres de soi.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  72. Parler de soi c'est révéler à la fois ce qu'on est et ce qu'on voudrait être.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  73. Nous faire connaître est un de nos plus grands plaisirs : voilà l'attrait des nouvelles amitiés.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  74. «Ce qui fait, dit La Rochefoucauld, que les amants et les maîtresses ne s'ennuient pas d'être ensemble, c'est qu'ils se parlent toujours d'eux-mêmes. »
    Quand les amants et les maîtresses se sont tout dit sur eux-mêmes, ils peuvent s'aimer encore, mais la lune de miel a cessé.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  75. L'homme qui s'adresse au public une fois par hasard touche à cent questions étrangères à son sujet : il profite de l'occasion pour produire sa personne.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  76. Dans un salon d'hôtel, où !e hasard rassemble des gens qui ne s'étaient jamais vus et qui ne se reverront jamais, l'un raconte ce qu'il est, l'autre ce qu'il a, le plus intelligent ou le mieux élevé ce qu'il sait ; mais chacun parle de soi : chacun, à sa manière, fait la roue.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  77. Rien n'égale l'importance que nous attachons aux menus faits de notre vie, si ce n'est l'indifférence avec laquelle nos meilleurs amis en écoutent le récit.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  78. Aller à confesse, c'est accomplir un devoir, en se livrant à cette occupation délicieuse : parler de soi.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  79. Une confession : «Je ne le ferai plus »
    Une confidence : « Je voudrais bien le faire encore ! »

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  80. Dans une confession on raconte ses pechés; dans une confidence on raconte ceux des autres.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  81. Il est si doux de parler de soi qu'il suffit d'expliquer sa maladie à son médecin pour se sentir momentanément soulagé.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  82. Un malade est flatté et presque consolé si on lui persuade que son infirmité est un cas extraordinaire.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  83. Dire du mal de soi est le seul moyen de parler de soi sans ennuyer les autres.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  84. On ne nous pardonne de nous mettre en scène dans un récit que si nous prenons soin d'y donner à notre rôle quelque nuance de ridicule. L'amour-propre de l'auditeur cesse d'être jaloux si le nôtre semble un peu sacrifié.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  85. L'orgueil, c'est la conscience exaltée par l'idée du Moi.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  86. La conscience sans Dieu, c'est l'orgueil.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  87. L'orgueil est un flatteur, la conscience est un juge.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  88. Il faut rendre justice à l'orgueil: s'il n'inspire pas des vertus, il épargne au moins des bassesses.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  89. L'orgueilleux se préoccupe moins d'être supérieur aux autres que de ne pas être inférieur à son idéal.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  90. L'orgueil est sincère, c'est la vanité qui ment.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  91. La vanité rend l'homme content de soi; l'orgueil le rend difficile à contenter.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  92. L'orgueilleux peut se suffire à lui-même ; le vaniteux a besoin de l'admiration des autres.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  93. Il entre toujours dans l'orgueil un peu de vanité.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  94. L'orgueilleux le plus convaincu de sa supériorité se plait encore à s'entendre louer par un sot.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  95. L'homme de génie dédaigne la foule, et c'est pour obtenir le suffrage de la foule qu'il sacrifie sa vie à son génie.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  96. Nous montrer flatté, c'est laisser voir qu'au fond nous ne croyons pas mériter l'hommage qui nous flatte.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  97. Se vanter d'avoir des amis haut placés, c'est avouer qu'on ne se juge pas l'égal de ses amis.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  98. Par vanité on accepte des siluations humiliantes. Pour approcher un personnage en vue, on se fait son complaisant ou son valet.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  99. Prendre la livrée d'un grand, c'est montrer plus de vanité que d'orgueil.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  100. L'envie naît de l'impuissance de la vanité.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  101. L'envie a sa source dans le coeur qui l'éprouve: l'homme le plus comblé peut la ressentir, le plus disgracié peut l'inspirer.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  102. L'envie est la plus involontaire et la plus flatteuse des flatteries.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  103. L'homme est encore plus fier d'inspirer l'envie que l'affection : il lui semble qu'on le traite en égal quand on l'aime, en supérieur quand on l'envie.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  104. L'envieux s'attaque surtout à ses égaux. Plus grand ou plus petit que lui, on l'offusque moins : il songe moins à se comparer.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  105. L'amour-propre est l'orgueil appliqué aux petites choses qui se voient.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  106. On n'a pas d'amour-propre vis-à-vis de soi-même : on sait trop à quoi s'en tenir !
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  107. On confesse volontiers les péchés flatteurs.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  108. Une confidence est difficile à garder quand elle flatte notre amour-propre.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  109. Pavé de l'ours : le compliment qui s'adresse à notre voisin.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  110. Un compliment nous caresse toujours, même et surtout quand nous sentons qu'il n'est pas tout à fait mérité.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  111. On est crédule autant de fois qu'on rencontre un flatteur.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  112. Le flatteur n'est pas seul coupable; il a le flatté pour complice.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  113. Tous les plaideurs protestent qu'ils défendent leur dignité plus que leur bourse.
    L'amour-propre parait un mobile plus avouable que l'intérêt.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  114. Nous acceptons plus facilement les privations qu'impose la ruine quand elles sont secrètes. Notre amour-propre, que nous qualifions de dignité, nous tient au coeur plus que notre bien-être.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  115. On affecte volontiers la résignation quand le malheur est immérité : elle ne coûte rien à l'amour-propre.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  116. Une blessure au coeur altère moins la bonne humeur qu'une blessure à l'amour-propre.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  117. Notre amour-propre accepte avec moins de déplaisir la haine que la pitié.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  118. Nos torts nous irritent plus que ceux d'autrui.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  119. Juger, c'est se poser en supérieur.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  120. Chacun, dit-on, est seul juge de son honneur. Seul, en effet, chacun sent ce que son amour-propre ne lui pardonnerait pas d'avoir supporté.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  121. Le succès d'un ami nous flatte et nous blesse : notre amour-propre prend sa part d'une gloire née près de nous, et s'étonne qu'elle ne soit pas tombée sur nous.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  122. Ce qui tient le plus au coeur de l'homme, plus que l'intérêt, plus même que la joie d'être heureux, c'est la gloire d'avoir raison.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  123. Nous éprouvons une sorte de dépit de ne pas voir se réaliser le malheur que nous avons prédit.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  124. S'il nous plait de nous critiquer nous-même, nous sommes froissé d'être contredit.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  125. Prouver à son interlocuteur qu'on a raison n'est qu'une joie : lui prouver qu'il a tort est un triomphe.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  126. « C'est un devoir de dire la vérité à ses amis. » Telle est la devise de chacun de nous quand c'est lui qui fait la leçon à son ami.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  127. Que de gens se plaisent à faire le bien parce que, pour eux, faire le bien n'est qu'une occasion de faire la leçon à celui qu'ils secourent !
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  128. Le moraliste découvre l'égoïsme dans toutes les actions des hommes, et il s'en console par le plaisir de le décrire.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  129. L'égoïste n'est pas l'homme qui pense à lui, mais celui qui ne pense qu'à lui.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  130. L'égoïsme nous est si profondément naturel que tout l'exalte en nous : le malheur, la prospérité, même l'affection, même le sacrifice.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  131. Nos intérêts dictent nos opinions et inspirent notre conduite. L'honnête homme ne se l'avoue pas ; le fripon le sait et passe outre.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  132. Le sentiment que l'on éprouve pour soi-même n'est pas de l'affection : c'est une sorte de dévouement sans borne et sans frein.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  133. L'homme qui professe le plus ouvertement l'égoïsme n'oserait pas l'enseigner à un enfant.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  134. L'égoïste n'aime pas les lectures tristes : il ne consent à s'attendrir que sur ses propres douleurs.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  135. Le bonheur rend bon ; la prospérité rend égoïste.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  136. L'homme à qui tout a réussi croit volontier que la vie est facile.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  137. Il ne suffit pas à notre égoïsme que notre voisin nous sacrifie ses désirs et ses goûts nous exigeons encore qu'il y renonce avec bonne grâce. Nous voulons ignorer qu'il se sacrifie.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  138. Donner tout notre coeur à un seul être, ce n'est pas anéantir en nous l'égoïsme, c'est le transformer.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  139. Preférer à soi celui de qui l'on attend le bonheur, c'est encore de l'égoïsme.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  140. Il n'est pas d'égoïsme plus implacable que celui que l'on étend à ce qui n'est pas soi.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  141. Il y a des vertus égoïstes, celles qui ne servent qu'à soi, et à ceux qu'aime soi.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  142. Une mauvaise passion devient irrésistible quand elle peut se masquer sous l'apparence d'un bon sentiment.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  143. Le devoir de mon voisin, c'est le sacrifice que j'attends de lui pour me servir. Mon devoir, c'est le sacrifice que je consens à faire, parce qu'il me servira.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  144. La loyauté désire du respect de soi-même : la délicatesse suppose en outre le respect des autres.
    L'égoïste pourra être loyal rarement il sera délicat.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  145. L'égoïste pose en axiome que « faire le bien est un métier de dupe ». L'axiome est vrai pour lui, qui, dans le service rendu, voit uniquement le profit ou la reconnaissance qu'il en attend.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  146. Prendre un peu de peine pour en épargner beaucoup aux autres est un effort que la charité, l'affection, la reconnaissance obtiennent difficilement du plus serviable, quand il ne s'y joint pas un léger intérêt personnel.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  147. Les heureux, qui ont près d'eux tout ce qu'ils aiment, et les égoïstes qui n'aiment qu'eux attendent le facteur avec indifférence.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  148. Que peut-il manquer à ma femme? Elle a tout ce qu'il me faut.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  149. Pour se débarrasser de l'égoïste, lui parler de soi.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  150. Que l'égoïste est heureux ! il possède sans partage l'affection absolue du seul être qui lui est cher.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  151. Nos instincts sont égoïstes ils viennent de la bête, qui lutte pour vivre, et qui sait qu'elle doit mourir.
    Nos élans sont généreux ils viennent de l'ange, qui est prisonnier dans la bête, et qui sent qu'il doit survivre.
    C'est l'honneur de la volonté de faire obéir l'instinct à l'élan, la bête à l'ange.

    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)
     
  152. L'égoïsme peut donner la jouissance ; l'élan généreux peut seul donner le bonheur.
    (Remarques et Pensées, Société d'éditions littéraires et artistiques, Paris, 1901)