Henri Boucher
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  1. La langue a été si profondément troublée par les équivoques de l'incrédulité et de la mauvaise foi qu'elle ne fournit plus aucun terme pour désigner, dans l'ordre moral, intellectuel et politique, l'orgueil légitime, l'imagination vraie et la liberté sans licence.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.131, 1866)
     
  2. Le dictionnaire est un lien d'iniquité, une sorte de bagne où chaque vertu est attachée avec le vice qui lui est contraire sous la même casaque et sous le même nom.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.131, 1866)
     
  3. Nul n'est grand, s'il l'ignore.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.132, 1866)
     
  4. Les hautes natures, alors qu'elles paraissent briguer nos applaudissements, ne songent qu'à nous offrir un idéal.
    Elles ne demandent rien, elles donnent.

    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.132, 1866)
     
  5. Quand vient la fortune, les petits hommes se redressent, les grands hommes se penchent.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.132, 1866)
     
  6. La confiance, c'est la bravoure de l'âme.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.132, 1866)
     
  7. II faut se défier de toute vertu qui tend à nous fermer la bouche ou à nous retenir la main.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.132, 1866)
     
  8. Si violentes qu'elles soient, les passions contraires s'équilibrent dans une grande âme comme les mondes emportés s'équilibrent dans l'univers.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.132, 1866)
     
  9. « Un homme haut et ardent, inflexible dans le malheur, facile dans le commerce, extrême dans ses passions, humain par-dessus toutes choses avec une liberté sans bornes dans l'esprit et dans le cœur. »
    Tel était l'idéal de Vauvenargues.
    Je laisse deviner à ceux qui pensent comme lui auquel de nos contemporains ce portrait s'applique le mieux.

    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.132, 1866)
     
  10. La colère des grandes âmes contre le criminel triomphant est sans bornes comme leur compassion pour le criminel vaincu.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.132, 1866)
     
  11. Plus un homme a de vertus, moins on lui passe de faiblesses. Plus un écrivain a de beautés, moins on lui passe de défauts.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.133, 1866)
     
  12. La critique est l'art d'admirer.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.133, 1866)
     
  13. L'esprit est fréquent chez les enthousiastes, l'enthousiasme est rare chez les gens d'esprit.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.133, 1866)
     
  14. On a bien raison de dire que les auteurs de génie manquent de tact et de discernement, car ils supposent toujours un peu de génie à leur public.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.133, 1866)
     
  15. Les génies modernes ne sont peut-être pas plus grands que ceux de l'antiquité, mais ils sont plus développés.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.133, 1866)
     
  16. Plus on a de vanité, plus on en croit voir chez les autres.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.133, 1866)
     
  17. D'où vient que l'on ne trouve jamais trop orgueilleux l'homme que l'on admire ?
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.133, 1866)
     
  18. L'orgueil coupable ne se mesure pas à l'estime que l'on a de soi, mais au mépris que l'on a des autres.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.133, 1866)
     
  19. II y a des gens dont toute la modestie se dépense à railler l'orgueil de leurs rivaux.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.133, 1866)
     
  20. La vanité est l'ennemie jurée du légitime orgueil.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.133, 1866)
     
  21. Nous ne pouvons endurer qu'un homme s'estime plus grand que nous ne l'estimons nous-mêmes.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.134, 1866)
     
  22. Pour qu'un grand artiste s'enivrât complètement des acclamations de la foule, il ne faudrait pas qu'il fût condamné à voir au-dessus du tableau qu'il a fait le tableau qu'il avait rêvé.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.134, 1866)
     
  23. L'admiration est plus sagace que la haine.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.134, 1866)
     
  24. On juge mieux d'un homme par ses admirations que par ses antipathies.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.134, 1866)
     
  25. L'homme supérieur sait les discours de ses adversaires et ses adversaires ne savent pas les siens.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.134, 1866)
     
  26. Ceux qui connaissent le moins un grand homme, ce sont ses connaissances.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.134, 1866)
     
  27. La vie des écrivains s'éclaire surtout par leurs ouvrages.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.134, 1866)
     
  28. Les gens simples s'imaginent que, pour être naturel, il faut nécessairement leur ressembler.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.134, 1866)
     
  29. Pour ne rien affecter, l'homme renonce à être sincère.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.134, 1866)
     
  30. La pureté, le désintéressement, la grandeur d'âmes arrivées à leur perfection n'ont aucun besoin de se cacher ; lorsqu'un homme est parvenu à les fondre dans sa nature, les plus surprenantes vertus n'ont plus à craindre l'indiscrétion.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.134, 1866)
     
  31. Le voile des vertus, ce n'est pas l'humilité, c'est le naturel.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.135, 1866)
     
  32. Tout est science, même la conscience.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.135, 1866)
     
  33. II n'y a pas d'émeraude qui embellisse un front comme la louange. C'est un présent magnifique que le plus pauvre peut toujours offrir à ceux qu'il aime.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.135, 1866)
     
  34. La flatterie est infâme, elle ment et elle mendie. La louange est auguste, elle dit vrai.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.135, 1866)
     
  35. Le plus grand bien que l'homme puisse faire à l'homme, c'est de sonder doucement les blessures de son amour-propre et de son coeur.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.135, 1866)
     
  36. On ne saurait trop prendre en pitié les blessures de l'amour-propre, lorsque celui qui les éprouve a de la justesse dans l'esprit et de la justice dans le cœur.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.135, 1866)
     
  37. La source des émotions est en nous et non pas dans les événements qui les provoquent. Plaignons celui qui verse des pleurs sincères, que ce soit sur un chien, comme Byron, ou sur une giroflée prête à mourir, comme Charney. ,
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.135, 1866)
     
  38. Certaines douleurs sont comme des portes hautes ; il n'y a que les grands fronts qui s'y meurtrissent.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.135, 1866)
     
  39. II en est des sombres découragements comme de ces voûtes qui traversent aujourd'hui les montagnes. C'est au milieu des plus épaisses ténèbres que l'on commence à revoir le jour.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.135, 1866)
     
  40. L'invention est une fleur merveilleuse qui éclôt d'ordinaire sur une tige méprisée.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.136, 1866)
     
  41. Le poète n'entend pas Dieu lui parler avec une voix humaine, mais il l'entend parler avec sa voix divine.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.136, 1866)
     
  42. Les preuves que la raison troublée vous refuse, cherchez-les dans le sentiment et dans l'impression.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.136, 1866)
     
  43. Voulez-vous une image de l'union de l'âme et du corps ? Prenez une larme et essayez d'y séparer, par l'analyse, ce qui est physique de ce qui est moral.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.136, 1866)
     
  44. Tout despote a l'âme d'un insubordonné.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.136, 1866)
     
  45. Le génie est un aiguillon. Il n'y a point d'homme de génie flegmatique.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.136, 1866)
     
  46. II ne suffit pas de mettre son idéal dans la charité, il faut mettre la charité dans la lutte.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.136, 1866)
     
  47. L'homme ne cède pas toujours lorsqu'on l'a convaincu. Pareil à un soldat russe frappé de mort, il faut encore le pousser pour qu'il tombe.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.136, 1866)
     
  48. Entrer dans une corporation, c'est échanger la liberté contre la puissance.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.136, 1866)
     
  49. On n'a pas plus tôt fermé ses volets à la lumière du dehors que la lumière du dedans s'évanouit. L'esprit d'exclusion est un esprit de ténèbres.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.136, 1866)
     
  50. L'âme qui s'abandonne à l'approfondissement de la nature ne connaît bientôt plus que deux états : l'épouvante et l'extase.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.137, 1866)
     
  51. Dieu nous a donné l'instinct de l'autre vie et il ne nous en a pas donné l'imagination. Sans cela, la vie ne serait pas la vie, ce serait une intolérable attente.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.137, 1866)
     
  52. L'absolu désintéressement est un luxe que les âmes les plus fières ne peuvent pas toujours se procurer.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.137, 1866)
     
  53. Le doute plane au-dessus des actions muettes. Grave une devise sur ton épée.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.137, 1866)
     
  54. II faut presque toujours croire le mal qu'un homme dit de lui-même.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.137, 1866)
     
  55. Pour avoir le droit de tout soupçonner, il faudrait se sentir la force de tout expliquer.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.137, 1866)
     
  56. C'est souvent une garantie contre le soupçon que d'être coupable.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.137, 1866)
     
  57. La culpabilité, c'est le rapport de l'acte à la conscience. Le juge connaît le premier terme du rapport, Dieu seul connaît le second.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.137, 1866)
     
  58. La dureté du destin encourage celle des hommes.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.137, 1866)
     
  59. II y a entre la vaillance et le goût du sang exactement le même rapport qu'entre l'amour et la débauche.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.137, 1866)
     
  60. Quand il est entré dans la bataille, le soldat doit être un héros, sous peine d'être un assassin.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.138, 1866)
     
  61. Avec une vertu de plus, le mépris du danger, par exemple, combien d'honnêtes gens en réputation deviendraient de parfaits misérables.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.138, 1866)
     
  62. On s'imagine avoir le caractère de sa philosophie, alors qu'on n'a le plus souvent que la philosophie de son caractère.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.138, 1866)
     
  63. La fortune, à ce que dit La Fontaine, vient quelquefois nous chercher dans notre lit, mais nous serions bien fous d'y attendre la justice.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.138, 1866)
     
  64. II est aussi impossible à un homme public de mettre une suite et une harmonie complètes dans sa vie qu'il le serait à un peintre d'esquisser une composition sur une toile immense qui se roulerait au fur et à mesure sur elle-même et ne le laisserait juger d'aucun ensemble.
    C'est beaucoup qu'à l'heure du déroulement, on puisse à travers le flottement et l'enchevêtrement des lignes deviner quelques intentions principales et un vigoureux effort d'enchaînement.

    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.138, 1866)
     
  65. L'homme d'honneur passe sa vie à chercher un ensemble de principes, une devise sincère qui puisse expliquer toutes ses actions et concilier tous ses instincts. Tant qu'il n'a pas trouvé ce balancier de son équilibre moral, il est obligé, pour ne pas être inconséquent à ses propres yeux, de résister aux penchants les meilleurs de sa nature. Et quand il l'a trouvé, il est souvent bien tard pour s'en servir.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.138, 1866)
     
  66. II ne faut pas juger les hommes aux fautes qu'ils commettent, mais à la façon dont ils les reconnaissent et dont ils les réparent.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.138, 1866)
     
  67. Les remords impuissants sont le supplice des âmes faibles.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.139, 1866)
     
  68. Après le combat, un bon général ne compte pas ses morts, il compte les soldats qui lui restent.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.139, 1866)
     
  69. Chacun peut jusqu'à un certain point répondre de soi parce qu'il a à peu près la mesure de ce qu'est son organisation et de ce que sera sa destinée ; mais quel homme oserait affirmer qu'en passant par toutes les organisations et toutes les destinées possibles il se conserverait pur de faiblesse, de mensonge, de trahison et de cruauté ?
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.139, 1866)
     
  70. Il n'y a de beauté morale accomplie que celle qui parfois sent la rougeur d'elle-même.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.139, 1866)
     
  71. Est-il un seul homme de coeur qui n'ait pas au fond de sa conscience le remords de quelque omission monstrueuse?
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.139, 1866)
     
  72. L'honnête homme ne peut se faire place au milieu de notre société corrompue qu'en employant toute sa finesse à dissimuler sa loyauté.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.139, 1866)
     
  73. II faut craindre de confier au premier venu les soulèvements indignés de son coeur ; trop souvent on prend pour juge d'un hypocrite un plus hypocrite encore. Lorsqu'un malfaiteur nous renverse en courant dans la rue, gardons-nous d'accepter le bras du complice officieux qui s'avance.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.139, 1866)
     
  74. Si vous ne voulez tromper personne, ne dites jamais de l'homme le meilleur qu'il est bon. Dites seulement : il a plusieurs genres de bonté.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.139, 1866)
     
  75. Quand on part pour une bonne action, le ciel est souvent douteux ; il faut s'attendre à ne voir briller le soleil qu'à moitié de la route.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.140, 1866)
     
  76. Les bonnes actions dont le souvenir réchauffe le plus notre cœur sont celles que nous avons entreprises avec incertitude, presque avec remords.
    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.140, 1866)
     
  77. Qui n'a remarqué dans la campagne ces roues gigantesques dressées verticalement à l'orifice des carrières et qu'un ouvrier fait mouvoir en grimpant de bâton en bâton, toujours s'élevant et toujours retombant ?
    On dirait qu'elles offrent une image de la vie. À peine l'ouvrier a-t-il gravi quelques échelons qu'il se sent redescendre. « L'homme est à peine né qu'il est déjà passé, » dit le poète. Un autre le remplace et, en apparence, sans mieux réussir. Vous êtes tenté de le prendre en pitié, presque en dérision. Attendez ! l'ouvrier ne monte pas, il est vrai, mais en bas, dans la nuit, son œuvre monte, elle monte lentement, et à une heure donnée, qui n'est peut-être pas loin, elle sortira des entrailles de la terre. Cette roue qui grince, qui a l'air de se dérober sous l'homme haletant et qui ressemble de loin à un instrument de torture, c'est la roue même de la civilisation à laquelle les générations sont cramponnées tour à tour. Le grand architecte sait bien à quel monument est destinée chaque pierre qu'elle élève. Travailleurs obscurs, ne désespérez pas.

    (Pensées et réflexions, in Revue Moderne, vol. 39, p.140, 1866)