Jean-Auguste-Dominique Ingres
1780-1876
  1. Tout braver avec courage, ne travailler que pour plaire d'abord à sa bonne conscience, puis à peu de monde : voilà le devoir d'un artiste, car l'art n'est pas seulement une profession, c'est aussi un apostolat. Tous ces efforts courageux ont tôt ou tard leur récompense. J'aurai la mienne. Après tant de jours ténébreux, arrivera la lumière.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.94, H. Plon, 1870)
     
  2. Vivre sagement, borner ses désirs et se croire heureux, c'est l'être véritablement. Vive la médiocrité ! c'est le meilleur état de la vie. Le luxe corrompt les qualités du coeur, car il est malheureusement vrai que plus on a, plus on veut avoir, et moins on croit avoir. Sans la stupide dissipation de ce qu'on appelle le monde, on vit avec un petit nombre d'amis que l'on s'est faits par l'inclination et par l'expérience ; on exerce délicieusement les beaux-arts ; les lettres, les connaissances humaines peuvent occuper tous vos instants et vous rendent un autre homme que le vulgaire. Les sources de ces jouissances sont inépuisables. Voilà donc, selon moi, l'homme heureux, le vrai sage, la vraie philosophie.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.94, H. Plon, 1870)
     
  3. Je compte beaucoup sur ma vieillesse : elle me vengera !
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.96, H. Plon, 1870)
     
  4. Il ne faut pas croire que l'amour exclusif que j'ai pour ce peintre (Raphaël) me fasse son singe : chose d'ailleurs si difficile, ou mieux, impossible. Je pense que je saurai être original en imitant. Eh ! qui, dans les grands, qui n'a pas imité ? On ne fait rien de rien, et c'est en se rendant les inventions des autres familières que l'on en fait de bonnes. Les hommes qui cultivent les lettres et les arts sont tous enfants d'Homère.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.96, H. Plon, 1870)
     
  5. Il n'y a pas deux arts, il n'y en a qu'un : c'est celui qui a pour fondement le beau éternel et naturel. Ceux qui cherchent ailleurs se trompent, et de la manière la plus fatale. Qu'est-ce que veulent dire ces prétendus artistes qui prêchent la découverte du « nouveau » ? Y a-t-il rien de nouveau ? Tout est fait, tout est trouvé. Notre tâche n'est pas d'inventer mais de continuer, et nous avons assez à faire en nous servant, à l'exemple des maîtres, de ces innombrables types que la nature nous offre constamment, en les interprétant dans toute la sincérité de notre coeur, en les ennoblissant par ce style pur et ferme sans lequel nulle oeuvre n'a de beauté. Quelle absurdité que de croire que les dispositions et les facultés naturelles peuvent être compromises par l'étude, par l'imitation même des oeuvres classiques ! Le type original, l'homme, reste toujours là : nous n'avons qu'à le consulter pour savoir si les classiques ont eu tort ou raison, et si, en employant les mêmes moyens qu'eux, nous mentons ou nous disons vrai.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.112, H. Plon, 1870)
     
  6. On n'a plus à découvrir les conditions, les principes du beau. Il s'agit de les appliquer sans que le désir d'inventer nous les fasse perdre de vue. La beauté pure et naturelle n'a pas besoin de surprendre par la nouveauté : c'est assez qu'elle soit la beauté. Mais l'homme est amoureux du changement, et le changement dans l'art est bien souvent la cause de la décadence.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.112, H. Plon, 1870)
     
  7. N'étudiez le beau qu'à genoux.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.114, H. Plon, 1870)
     
  8. On n'arrive dans l'art à un résultat honorable qu'en pleurant. Qui ne souffre pas, ne croit pas.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.114, H. Plon, 1870)
     
  9. Ayez de la religion pour votre art. Ne croyez pas qu'on produise rien de bon, d'à peu près bon même, sans élévation dans l'âme. Pour vous former au beau, ne voyez que le sublime. Ne regardez ni à droite, ni à gauche, encore moins en bas. Allez la tête levée vers les cieux, au lieu de la courber vers la terre comme les porcs qui cherchent dans la boue.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.114, H. Plon, 1870)
     
  10. L'art vit de hautes pensées et de nobles passions. Du caractère, de la chaleur ! On ne meurt pas de chaud, mais on meurt de froid.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.115, H. Plon, 1870)
     
  11. Ce que l'on sait, il faut le savoir l'épée à la main. Ce n'est qu'en combattant qu'on acquiert quelque chose, et, dans l'art, le combat, c'est la peine qu'on se donne.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.115, H. Plon, 1870)
     
  12. Dessine, peins, imite surtout, fût-ce de la nature morte. Toute chose imitée de la nature est une oeuvre, et cette imitation mène à l'art.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.115, H. Plon, 1870)
     
  13. Les chefs-d'oeuvre ne sont pas faits pour éblouir. Ils sont faits pour persuader, pour convaincre, pour entrer en nous par les pores.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.115, H. Plon, 1870)
     
  14. Dans les images de l'homme par l'art, le calme est la première beauté du corps, de même que dans la vie, la sagesse est la plus haute expression de l'âme.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.116, H. Plon, 1870)
     
  15. Tâchons de plaire pour mieux imposer le vrai. Ce n'est pas avec du vinaigre qu'on prend les mouches, c'est avec du miel et du sucre.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.116, H. Plon, 1870)
     
  16. L'art n'est jamais à un aussi haut degré de perfection que lorsqu'il ressemble si fort à la nature qu'on peut le prendre pour la nature elle-même. L'art ne réussit jamais mieux que quand il est caché.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.116, H. Plon, 1870)
     
  17. Il faut trouver le secret du beau par le vrai. Les anciens n'ont pas créé, ils n'ont pas fait : ils ont reconnu.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.117, H. Plon, 1870)
     
  18. Le laid : on le pratique parce qu'on ne voit pas assez le beau.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.117, H. Plon, 1870)
     
  19. Malheur à qui joue avec son art ! Malheur à l'artiste qui n'a pas l'esprit sérieux !
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.118, H. Plon, 1870)
     
  20. Ne vous occupez pas d'autrui, ne vous occupez que de votre besogne ; ne songez qu'à la faire de votre mieux. Voyez la fourmi qui porte son oeuf : elle chemine sans s'arrêter, puis, quand elle est arrivée, elle se retourne pour regarder où en sont les autres. Quand vous serez vieux, alors vous pourrez faire de même et comparer ce que vous aurez produit avec les productions de vos rivaux. Alors, mais alors seulement, vous regarderez tout sans danger et vous apprécierez tout à sa juste valeur.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.118, H. Plon, 1870)
     
  21. Plus on est convaincu et fort, plus il faut être bienveillant envers les hésitants et les faibles. La bienveillance est une des grandes qualités du génie.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.118, H. Plon, 1870)
     
  22. Le malheur des grands artistes, celui qui n'est connu que d'eux seuls et dont ils ne se plaignent qu'entre eux, c'est de n'être pas assez sentis. Il y a un effet total qui constate le succès ; mais ces détails de la perfection, mais cette foule de traits précieux ou par tout ce qu'ils ont coûté ou parce qu'ils n'ont rien coûté du tout, voilà ce dont quelques connaisseurs jouissent seuls et dans le secret, ce que les applaudissements publics ne disent pas, ce que l'envie dissimule toujours, ce que l'ignorance ne peut jamais entendre et ce qui, s'il était bien connu, serait la première récompense des vrais talents.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.119, H. Plon, 1870)
     
  23. « II ne s'est presque jamais rien fait de grand dans le monde que par le génie et la fermeté d'un seul homme qui lutte contre les préjugés de la multitude ou qui lui en donne. » (Voltaire.) — Oui, si le génie est bon, tant mieux; mais s'il est mauvais, comme a été le sien, où cela conduit-il ? À la barbarie, au désaveu absurde de ce qui est à jamais le beau, le vrai, au dessèchement de l'âme et du cœur, au rien, au vide, au calme affreux d'une terre inhabitée.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.119, H. Plon, 1870)
     
  24. Le temps fait justice de tout. Des ouvrages absurdes ont pu surprendre, tromper un siècle par des traits faux, mais éblouissants, parce qu'en général les hommes jugent rarement par eux-mêmes, parce qu'ils suivent le torrent et que le goût pur est presque aussi rare que le talent. Le goût ! Il consiste moins encore à apprécier le bien là où il se montre, qu'à le reconnaître sous l'épaisseur des défauts qui le cachent. Les commencements informes de certains arts ont quelquefois au fond plus de perfection que l'art perfectionné.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.119, H. Plon, 1870)
     
  25. Il y a plus d'analogie qu'on ne pense entre le bon goût et les bonnes mœurs. Le bon goût est un sentiment exquis des convenances que donne un heureux naturel et que développe une éducation libérale.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.120, H. Plon, 1870)
     
  26. Ce n'est guère que le bas style dans les arts, tant en peinture qu'en poésie et en musique, qui plaît naturellement à la multitude. Les plus sublimes efforts de l'art n'affectent point les esprits incultes. Un goût fin et délicat est le fruit de l'éducation et de l'expérience. Nous recevons seulement en naissant la faculté de nous donner ce goût et de le cultiver, ainsi que nous naissons avec la disposition de recevoir les lois de la société ou de nous conformer à ses usages. C'est jusqu'à ce point, mais pas plus loin, qu'on peut dire que le goût nous est naturel.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.120, H. Plon, 1870)
     
  27. Le peuple ignorant montre aussi peu de goût dans ses jugements sur l'effet ou sur le caractère d'un tableau qu'en face des objets animés. Dans la vie, il s'extasiera devant la violence ou l'emphase ; dans l'art, il préférera toujours des attitudes forcées ou guindées et des couleurs brillantes à une noble simplicité, à une grandeur tranquille, telles que nous les voyons représentées dans les tableaux des anciens.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.120, H. Plon, 1870)
     
  28. Peut-on jamais assez aimer, assez admirer le beau suprême ? Quelle fleur, entre les plus belles fleurs, peut égaler la rose, et parmi les oiseaux du firmament, quel est celui que l'on pourrait comparer à l'aigle de Jupiter ? De même est-il rien de comparable aux oeuvres d'Homère, à une statue de Phidias, à un tableau de Raphaël, à une tragédie lyrique de Gluck, à un quatuor ou à une sonate d'Haydn ? Est-il rien de plus beau, de plus divin et, par conséquent, de plus digne d'amour ?
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.120, H. Plon, 1870)
     
  29. La louange pâle d'une belle chose est une offense.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.121, H. Plon, 1870)
     
  30. Il faut continuellement former son goût sur les chefs-d'œuvre de l'art : c'est perdre son temps que de s'occuper à d'autres recherches. On peut jeter les yeux sur les beautés inférieures, mais non les étudier, encore moins les imiter.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.121, H. Plon, 1870)
     
  31. Quand les anciens voyageaient, quand ils allaient à la campagne, ils emportaient toujours avec eux des objets d'art, des tableaux, des petits bronzes. L'empereur Tibère voyageait invariablement avec un tableau de Zeuxis ou d'Apelles représentant un prêtre de Cybèle. Nous, quand nous sommes hors des lieux où nous vivons d'ordinaire, ayons toujours sous les yeux nos gravures, nos croquis d'après les maîtres pour entretenir notre goût, pour nous aider à comprendre les choses nouvelles ou pour nous prémunir contre les séductions.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.121, H. Plon, 1870)
     
  32. Il est naturel de voir ses amis en beau, excepté cependant lorsqu'ils tombent dans le faux. Alors il est de la vraie amitié, de la charité (car celle-ci n'est pas seulement de donner dans la main), d'assister, de fortifier, de redresser l'âme et le cœur par des conseils éclairés et sincères sur tout ce qui est bon, beau et profitable. La louange d'un fat ou d'un ignorant, bien loin de nous encourager, doit au contraire nous donner l'éveil de quelque faute.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.121, H. Plon, 1870)
     
  33. Pour tirer du fruit de la critique de nos amis, il est bien nécessaire que nous sachions, par la connaissance de leur caractère, de leur goût, de leurs habitudes d'esprit, distinguer jusqu'à quel point leurs observations peuvent avoir leur raison d'être.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.122, H. Plon, 1870)
     
  34. La même sagacité qui fait qu'un homme excelle dans son art doit l'amener à faire un usage convenable du jugement des savants et des gens ineptes.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.122, H. Plon, 1870)
     
  35. Pour être un bon critique du grand art et du grand style, il faut être doué du même goût épuré qui a guidé l'artiste et présidé à la confection de son œuvre.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.122, H. Plon, 1870)
     
  36. Il y a peu de personnes, soit instruites, soit même ignorantes, qui, si elles disaient librement leurs pensées sur les ouvrages des artistes, ne pourraient pas leur être utiles. Les seules opinions dont on ne peut tirer aucun fruit sont celles des demi-connaisseurs.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.122, H. Plon, 1870)
     
  37. Le dessin est la probité de l'art.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.123, H. Plon, 1870)
     
  38. Dessiner ne veut pas dire simplement reproduire des contours, le dessin ne consiste pas simplement dans le trait : le dessin c'est encore l'expression, la forme intérieure, le plan, le modelé. Voyez ce qui reste après cela ! Le dessin comprend les trois quarts et demi de ce qui constitue la peinture. Si j'avais à mettre une enseigne au-dessus de ma porte, j'écrirais : École de dessin, et je suis sûr que je ferais des peintres.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.123, H. Plon, 1870)
     
  39. Le dessin comprend tout, excepté la teinte.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.123, H. Plon, 1870)
     
  40. Il faut toujours dessiner, dessiner des yeux quand on ne peut dessiner avec le crayon. Tant que vous ne ferez pas marcher l'inspection avec la pratique, vous ne ferez rien de vraiment bon.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.123, H. Plon, 1870)
     
  41. Le peintre qui se fie à son compas s'appuie sur un fantôme.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.123, H. Plon, 1870)
     
  42. Qu'on ne passe pas un seul jour sans tracer une ligne, disait Apelles. Il voulait dire par là, et je vous répète, moi : La ligne, c'est le dessin, c'est tout.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.123, H. Plon, 1870)
     
  43. Si je pouvais vous rendre tous musiciens, vous y gagneriez comme peintres. Tout est harmonie dans la nature : un peu trop, un peu moins dérange la gamme et fait une note fausse. Il faut arriver à chanter juste avec le crayon ou le pinceau aussi bien qu'avec la voix; la justesse des formes est comme la justesse des sons.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.123, H. Plon, 1870)
     
  44. En étudiant la nature, n'ayez d'yeux d'abord que pour l'ensemble. Interrogez-le et n'interrogez que lui. Les détails sont des petits importants qu'il faut mettre à la raison. La forme large et encore large ! La forme : elle est le fondement et la condition de tout ; la fumée même doit s'exprimer par le trait.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.124, H. Plon, 1870)
     
  45. En traçant une figure attachez-vous avant tout à en déterminer, à en bien caractériser le mouvement. Je ne saurais trop vous le répéter, le mouvement c'est la vie.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.124, H. Plon, 1870)
     
  46. Ne plaignons ni notre temps ni nos peines pour arriver à la pureté de l'expression, à la perfection du style. Servons-nous, pour nous corriger sans cesse, même de la facilité que nous pouvons avoir. Malherbe, dit-on, travaillait avec une lenteur prodigieuse : oui, parce qu'il travaillait pour l'immortalité.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.124, H. Plon, 1870)
     
  47. Il faut faire disparaître les traces de la facilité ; ce sont les résultats et non les moyens employés qui doivent paraître. La facilité : il faut en user en la méprisant, mais, malgré cela, quand on en a pour cent mille francs, il faut encore s'en donner pour deux sous.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.125, H. Plon, 1870)
     
  48. Plus les lignes et les formes sont simples, plus il y a de beauté et de force. Toutes les fois que vous partagez les formes, vous les affaiblissez. Il en est de cela comme du fractionnement en toutes choses.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.125, H. Plon, 1870)
     
  49. Il ne faut pas essayer d'apprendre à faire le beau caractère : il faut le trouver dans son modèle.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.125, H. Plon, 1870)
     
  50. Il faut donner de la santé à la forme.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.126, H. Plon, 1870)
     
  51. Dessinez longtemps avant de songer à peindre. Quand on construit sur un solide fondement, on dort tranquille.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.127, H. Plon, 1870)
     
  52. Ils sont tous mes amis, ces muscles : mais je ne sais aucun d'eux par son nom.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.130, H. Plon, 1870)
     
  53. La lumière est comme l'eau ; elle se fait, bon gré, mal gré, sa place, et prend à l'instant son niveau.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.137, H. Plon, 1870)
     
  54. Celui qui ne voudra mettre à contribution aucun autre esprit que le sien même se trouvera bientôt réduit à la plus misérable de toutes les imitations, c'est-à-dire à celle de ses propres ouvrages.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.141, H. Plon, 1870)
     
  55. Homère est le principe et le modèle de toute beauté, dans les arts comme dans les lettres.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.143, H. Plon, 1870)
     
  56. Qu'on ne me parle plus de cette maxime absurde : « Il faut du nouveau, il faut suivre son siècle, tout change, tout est changé. » Sophisme que tout cela ! Est-ce que la nature change, est-ce que la lumière et l'air changent, est-ce que les passions du cœur humain ont changé depuis Homère ? « Il faut suivre son siècle » : mais si mon siècle a tort ? Parce que mon voisin fait le mal, je suis donc tenu de le faire aussi ? Parce que la vertu, aussi bien que la beauté, peut être méconnue par vous, il faut que je la méconnaisse à mon tour, il faut que je vous imite !
    Il y a eu sur le globe un petit coin de terre qui s'appelait la Grèce, où, sous le plus beau ciel, chez des habitants doués d'une organisation intellectuelle unique, les lettres et les beaux-arts ont répandu sur les choses de la nature comme une seconde lumière, pour tous les peuples et pour toutes les générations à venir. Homère a le premier débrouillé par la poésie les beautés naturelles, comme Dieu a organisé la vie en la démêlant du chaos. Il a pour jamais instruit le genre humain, il a mis le beau en préceptes et en exemples immortels. Tous les grands bommes de la Grèce, poètes, tragiques, historiens, artistes de tous les genres, peintres, sculpteurs, architectes, tous sont nés de lui : et, tant que la civilisation grecque a duré, tant que Rome, après elle, a régné sur le monde, on a continué de mettre en pratique les mêmes principes une fois trouvés. Plus tard, aux grandes époques modernes, les hommes de génie ont refait ce qu'on avait fait avant eux. Homère et Phidias, Raphaël et Poussin, Gluck et Mozart, ont dit en réalité les mêmes choses.
    Erreur donc, erreur que de croire qu'il n'y a de santé pour l'art que dans l'indépendance absolue ; que les dispositions naturelles courent le risque d'être étouffées par la discipline des anciens; que les doctrines classiques gênent ou arrêtent l'essor de l'intelligence. Elles en favorisent au contraire le développement, elles en rassurent les forces et en fécondent les aspirations ; elles sont une aide et non une entrave. D'ailleurs il n'y a pas deux arts, il n'y en a qu'un ; c'est celui qui est fondé sur l'imitation de la nature, de la beauté immuable, infaillible, éternelle. Qu'est-ce que vous voulez dire, qu'est-ce que vous venez me prêcher avec vos plaidoyers en faveur du « neuf» ? En dehors de la nature il n'y a pas de neuf, il n'y a que du baroque ; en dehors de l'art tel que l'ont compris et pratiqué les anciens, il n'y a, il ne peut y avoir que caprice et divagation. Croyons ce qu'ils ont cru, c'est-à-dire la vérité, la vérité qui est de tous les temps. Traduisons-la autrement qu'eux, si nous pouvons, dans l'expression, mais sachons comme eux la reconnaître, l'honorer, l'adorer en esprit et en principe, et laissons crier ceux qui nous jettent comme une insulte la qualification d'« arriérés ».

    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.146, H. Plon, 1870)
     
  57. Le talent ! de notre temps il court les rues, mais c'est à dégoûter du talent.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.166, H. Plon, 1870)
     
  58. En musique, comme dans tous les autres arts, il n'y a pas de grâce sans la force.
    (Notes et pensées in « Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine » par H. Delaborde, p.167, H. Plon, 1870)