Boris Cyrulnik
1937
  1. Toute vie est possédée.
    (L'Ensorcellement du monde, p.9, Odile Jacob n°67)
     
  2. Car être seul, ce n'est pas être. Nous ne pouvons qu'être ensorcelés, possédés pour devenir nous-mêmes.
    (L'Ensorcellement du monde, p.9, Odile Jacob n°67)
     
  3. Tout organisme invente le milieu qu'il habite.
    (L'Ensorcellement du monde, p.13, Odile Jacob n°67)
     
  4. L'homme est deux fois ensorcelé : par l'évolution qui façonne son monde et suscite la pensée qui façonne son monde.
    (L'Ensorcellement du monde, p.13, Odile Jacob n°67)
     
  5. Tout organisme pour s'adapter doit innover, tenter une aventure hors de la norme, engendrer de l'anormalité afin de voir si ça marche, car vivre, c'est prendre un risque.
    (L'Ensorcellement du monde, p.29, Odile Jacob n°67)
     
  6. Le statut naturel de l'alimentation permet aux êtres vivants de structurer l'altérité. L'homme, qui en est le champion interespèces, imprègne ses aliments d'affectivité, de symboles, de civilisation et de récits. Si bien que, lorsque nous passons à table, c'est un mythe de plusieurs siècles que nous trouvons dans nos assiettes.
    (L'Ensorcellement du monde, p.33, Odile Jacob n°67)
     
  7. Satisfaire désespère, quand on se précipite.
    (L'Ensorcellement du monde, p.42, Odile Jacob n°67)
     
  8. [...] Monsieur Neandertal, avec trente grognements signifiants, dix consonnes et trois voyelles, pourrait aujourd'hui faire une carrière politique.
    (L'Ensorcellement du monde, p.64, Odile Jacob n°67)
     
  9. L'association de ces deux mots, « organe » et « pensée », pose un problème philosophique fondamental. La pensée peut exister sans cerveau dans le quatrième monde, celui de la planète des signes, de l'écriture ou d'Internet. Quand un individu n'est pas là pour penser, sa pensée existe quand même, en dehors de lui.
    (L'Ensorcellement du monde, p.76, Odile Jacob n°67)
     
  10. [...] on ne sait voir que ce que l'on a appris à voir.
    (L'Ensorcellement du monde, p.79, Odile Jacob n°67)
     
  11. La clinique des lobotomies nous conduit à un douloureux paradoxe de la condition humaine : sans angoisse et sans souffrance, l'existence perdrait son goût.
    Ceux qui prétendent organiser une culture sécuritaire qui détruirait l'angoisse et nous offrirait des distractions incessantes pour lutter contre l'ennui nous proposent-ils autre chose qu'une lobotomie culturelle ?

    (L'Ensorcellement du monde, p.81, Odile Jacob n°67)
     
  12. Car l'angoisse nous contraint à la créativité, et la culpabilité nous invite au respect. Sans angoisses, nous passerions notre vie couchés. Et sans culpabilité, nous resterions soumis à nos pulsions.
    L'angoisse n'est digne d'éloge que lorsqu'elle est source de création. Elle nous pousse à lutter contre le vertige du vide en le remplissant de représentations. Elle devient source d'élan vers l'autre ou de recherche de contact sécurisant comme lors des étreintes anxieuses. La culpabilité ne nous invite au respect que lorsque la représentation du temps permet d'éprouver les fautes passées, de craindre les fautes à venir, afin de préserver le monde de l'autre et de ne pas lui nuire.

    (L'Ensorcellement du monde, p.83, Odile Jacob n°67)
     
  13. Plus le développement des individus les mène à l'empathie, plus l'intelligence collective invente des mondes virtuels et plus nous éprouvons le malheur des autres et l'angoisse de l'inconnu. Nous pouvons donc prévoir en toute certitude le développement mondial de l'angoisse et de la dépression.
    (L'Ensorcellement du monde, p.83, Odile Jacob n°67)
     
  14. Il ne faut pas négliger cette intelligence du corps, les hommes s'en servent chaque jour. Lorsqu'un enfant apprend à rouler à vélo, il n'a pas besoin d'un seul mot d'explication. Son corps éprouve dans les muscles du dos, dans les mollets, les bras et son système labyrinthique les lois de l'attraction terrestre, de la cinétique et même de la chute des corps ! Un mathématicien qui voudrait lui apprendre à rouler à vélo grâce à ses formules l'empêcherait d'apprendre. De plus, le matheux ne pourrait même pas formuler les lois du virage de la bicyclette qui sont incalculables. Et pourtant, elle tourne !
    (L'Ensorcellement du monde, p.84, Odile Jacob n°67)
     
  15. Le grand piège de la pensée, c'est de croire que l'individu est un être compact.
    [...]
    L'individu est un objet à la fois indivisible et poreux, suffisamment stable pour rester le même quand le biotope varie et suffisamment poreux pour se laisser pénétrer, au point de devenir lui-même un morceau du milieu.

    (L'Ensorcellement du monde, p.89, Odile Jacob n°67)
     
  16. [...] vivre dans le monde de la peur contraint à agir, alors que vivre dans le monde de l'angoisse contraint à comprendre et à parler.
    (L'Ensorcellement du monde, p.99, Odile Jacob n°67)
     
  17. [...] l'influence caractérise tout organisme, quelles que soient sa forme et sa complexité. Un homme sans influence n'apprendrait rien de l'humanité. Il resterait à l'état de promesse et n'en tiendrait aucune. Cet homme virtuel existe : c'est l'enfant abandonné ! Tous les organismes sont poreux, même au niveau biologique élémentaire, c'est l'échange avec le monde extérieur qui leur permet de vivre, de se développer et de tenter de devenir eux-mêmes.
    (L'Ensorcellement du monde, p.100, Odile Jacob n°67)
     
  18. Le développement variable de cette aptitude à se représenter le monde des autres peut donner deux stratégies de la connaissance. Ceux qui aiment découvrir dans chaque homme un continent mental nouveau et adoptent une attitude individualiste. Et ceux qui, au contraire, préfèrent une attitude holistique pensent qu'il n'y a qu'une seule manière d'être humain et qu'une seule théorie pour la représenter. Les individualistes, curieux de la différence entre les hommes, sont amusés par les diverses théories qui pourraient les expliquer. Ils sont accusés de cafouillis intellectuel. Alors que les holistes, rigoureux, consacrent leurs efforts à renforcer une théorie de plus en plus cohérente et de plus en plus difficile à déstabiliser, même quand elle finit par ne plus être adéquate au réel. Les individualistes explorateurs de théories et de situations humaines, sont difficiles à suivre car ils sont imprévisibles. Alors que les holistes, renforçateurs d'une seule conception du monde, deviennent inébranlables et parfaitement prévisibles.
    (L'Ensorcellement du monde, p.104, Odile Jacob n°67)
     
  19. Tout créateur sort de la norme. Toute innovation est anormale.
    (L'Ensorcellement du monde, p.113, Odile Jacob n°67)
     
  20. La non-intégration des individus désorganise le fonctionnement du groupe. Mais une trop bonne intégration charpente une groupe stéréotypé. Peut-être une intégration imparfaite serait-elle parfaite ?
    (L'Ensorcellement du monde, p.113, Odile Jacob n°67)
     
  21. C'est la pensée collective qui crée ce qu'elle observe.
    (L'Ensorcellement du monde, p.125, Odile Jacob n°67)
     
  22. Le nom qu'on choisit pour un autre révèle notre disposition d'esprit envers un être d'attachement et la mission qu'on lui assigne pour l'inscrire dans une filiation.
    (L'Ensorcellement du monde, p.136, Odile Jacob n°67)
     
  23. Le problème de l'observation directe devient brûlant. Les phrases habituelles : « C'est évident... C'était pas la peine de faire une expérience pour arriver à ça... Il suffisait de demander aux mères... Y a qu'à voir... » sont des stéréotypes qui empêchent de voir.
    (L'Ensorcellement du monde, p.145, Odile Jacob n°67)
     
  24. Quant tout vaut tout, rien n'a de valeur.
    (L'Ensorcellement du monde, p.153, Odile Jacob n°67)
     
  25. [...] tous les sens participent à la parole et [...] nous sommes piégés par nos mots quand, sous prétexte que notre langue distingue cinq sens, nous croyons qu'ils sont séparés dans le réel.
    (L'Ensorcellement du monde, p.155, Odile Jacob n°67)
     
  26. À peine arrivé au monde, un nouveau-né hérite du problème de ses parents. La condition des bébés humains est ainsi faite que c'est presque toujours le problème d'un autre qu'ils auront à porter !
    (L'Ensorcellement du monde, p.160, Odile Jacob n°67)
     
  27. Peut-être est-ce la fonction de l'ennui de rendre un organisme avide d'aventures ?
    (L'Ensorcellement du monde, p.183, Odile Jacob n°67)
     
  28. Un organisme parfaitement adapté s'éliminerait à la moindre variation du milieu. Par bonheur, la souffrance et la frayeur lui offrent la survie.
    (L'Ensorcellement du monde, p.184, Odile Jacob n°67)
     
  29. On ne peut qu'être-avec, et la souffrance de l'autre nous altère... quand on la perçoit.
    (L'Ensorcellement du monde, p.186, Odile Jacob n°67)
     
  30. Inventez une charlatanerie, n'importe laquelle, vous trouverez toujours des hommes qui diront que ça marche, tant notre besoin d'illusion est intense.
    (L'Ensorcellement du monde, p.196, Odile Jacob n°67)
     
  31. Car les utopies sont à la pensée ce que les robes sont à Claudia Schiffer, elles expriment et donnent forme à nos désirs les plus profonds.
    (L'Ensorcellement du monde, p.200, Odile Jacob n°67)
     
  32. Ce qui crée le sentiment de soi, c'est essentiellement la manière dont nos souvenirs construisent notre identité.
    (L'Ensorcellement du monde, p.211, Odile Jacob n°67)
     
  33. [...] quand on invoque Dieu pour résoudre un problème d'immobilier, autant dire qu'on prépare la guerre.
    (L'Ensorcellement du monde, p.221, Odile Jacob n°67)
     
  34. Le mensonge et la comédie réalisent les performances suprêmes de l'empathie.
    (L'Ensorcellement du monde, p.232, Odile Jacob n°67)
     
  35. Quand nous appuyons sur un bouton de télécommande, et que nous voyons ce qui se passe à l'autre bout du monde, le « Sésame, ouvre-toi », aujourd'hui, s'est fait zappeur.
    (L'Ensorcellement du monde, p.250, Odile Jacob n°67)
     
  36. La technique et les mots, en donnant vie à l'imperçu, engendrent la magie du quotidien. Allez ne pas croire à la sorcellerie après ça !
    (L'Ensorcellement du monde, p.253, Odile Jacob n°67)
     
  37. Un savoir non partagé humilie ceux qui n'y ont pas accès.
    (L'Ensorcellement du monde, p.255, Odile Jacob n°67)
     
  38. [...] plus on utilise l'autre, moins on s'y attache.
    (L'Ensorcellement du monde, p.257, Odile Jacob n°67)
     
  39. [...] les deux ensorcellements fondamentaux de la condition humaine : l'art et la religion.
    (L'Ensorcellement du monde, p.267, Odile Jacob n°67)
     
  40. L'homme par nature n'est pas une biologie, un corps et un cerveau auquel il suffirait d'ajouter une pincée de culture, de parole et d'âme pour faire jaillir la condition humaine. L'homme est par nature un être de culture.
    (L'Ensorcellement du monde, p.278, Odile Jacob n°67)
     
  41. [...] on arrive à la conclusion que l'homme seul ne peut plus penser seul, qu'il est obligé de s'entourer d'une équipe.
    (Dialogue sur la nature humaine (avec E. Morin), p.11, Éd. de l'Aube, 2000)
     
  42. [...] dès l'instant où l'on devient capable d'habiter le monde virtuel - qu'on invente avec nos récits - on peut très bien se haïr et désirer logiquement se tuer, pour l'idée qu'on se fait de l'autre et non pas pour la connaissance que l'on en a. À cet instant, on échappe aux mécanismes régulateurs de la nature et l'on devient complètement soumis au monde qu'on crée. Et c'est alors le plus moralement et le plus logiquement du monde, qu'on fabrique et constitue des génocides.
    (Dialogue sur la nature humaine (avec E. Morin), p.27, Éd. de l'Aube, 2000)
     
  43. [...] le principal organe de la vision, c'est la pensée. On voit avec nos idées...
    (Dialogue sur la nature humaine (avec E. Morin), p.29, Éd. de l'Aube, 2000)
     
  44. La pensée est [...] une organisatrice de la perception du réel.
    (Dialogue sur la nature humaine (avec E. Morin), p.30, Éd. de l'Aube, 2000)
     
  45. Car le plus sûr moyen d'assassiner une idée, c'est de la vénérer. À force de la répéter, on la transforme en stéréotype, au point que l'on peut la réciter en pensant au dernier match France Angleterre ! Faire vivre une idée, c'est au contraire la débattre, la combattre, chercher à tuer certains éléments qui la composent.
    (Dialogue sur la nature humaine (avec E. Morin), p.36, Éd. de l'Aube, 2000)
     
  46. Dès l'instant où des scientifiques, des politiciens, des philosophes, etc. répètent et habitent la même théorie, ils s'adorent entre eux, mais haïssent ceux qui en récitent une autre. La théorie prend une fonction de clan et non plus de pensée.
    (Dialogue sur la nature humaine (avec E. Morin), p.40, Éd. de l'Aube, 2000)
     
  47. Cette nouvelle humanité qui est en train de naître doit être une humanité de débat. Cela est très fatigant mais très passionnant, c'est la source de la vie.
    (Dialogue sur la nature humaine (avec E. Morin), p.41, Éd. de l'Aube, 2000)
     
  48. Les délirants disent toujours qu'il faut être fou pour ne pas voir ce qu'ils voient. Les seuls à avoir des certitudes sont les délirants. L'évidence est certainement le plus grand piège de la pensée.
    (Dialogue sur la nature humaine (avec E. Morin), p.42, Éd. de l'Aube, 2000)
     
  49. Éduquer, c'est conduire hors de soi.
    (Dialogue sur la nature humaine (avec E. Morin), p.65, Éd. de l'Aube, 2000)