Gustave Thibon
1903-2001
  1. Dans l'ordre économique, les affamés cherchent la nourriture ; dans l'ordre spirituel, c'est la nourriture, étalée à profusion, qui s'offre en vain aux affamés.
    (L'ignorance étoilée (Avant-propos), p.X Fayard)
     
  2. Les révolutions sont des balbutiements suivis de très près par le radotage...
    (L'ignorance étoilée (Avant-propos), p.XI Fayard)
     
  3. Les musiques guerrières sont des musiques toniques, gonflées de force et d'espérance : les crimes collectifs ne se sont jamais commis aux accents des marches funèbres...
    (L'ignorance étoilée (Avant-propos), p.XVII Fayard)
     
  4. Il est malaisé de composer avec le monde sans se laisser décomposer par le monde.
    (L'ignorance étoilée (Avant-propos), p.XXI Fayard)
     
  5. Deux sortes d'êtres que je ne peux pas supporter : ceux qui ne cherchent pas Dieu et ceux qui s'imaginent l'avoir trouvé.
    (L'ignorance étoilée, p.1 Fayard)
     
  6. Il n'est pas de plus folle et de plus vorace idole que la déesse Raison.
    (L'ignorance étoilée, p.3 Fayard)
     
  7. [...] le croyant et l'athée peuvent coexister dans le même individu - et l'athéisme vécu par les saints sous le nom de nuit des sens ou de l'esprit va plus loin dans la négation et le désespoir que celui des incrédules.
    (L'ignorance étoilée, p.10 Fayard)
     
  8. Justifier Dieu, c'est justifier une certaine conception qu'on a de Dieu et c'est, par conséquent, se justifier soi-même.
    (L'ignorance étoilée, p.11 Fayard)
     
  9. Question à creuser : dans quelle mesure le savant moderne, fabricant, aux yeux des foules, de prodiges et de miracles, prolonge-t-il et remplace-t-il le prêtre en tant que magicien ?
    (L'ignorance étoilée, p.13 Fayard)
     
  10. L'étoile divine est intérieure et invisible ; elle éclaire l'âme du voyageur et non le chemin où il marche ; elle nous donne assez de foi pour aller au-delà de tout, mais elle ne dispense de rien.
    (L'ignorance étoilée, p.25 Fayard)
     
  11. La rancune est une espèce de fidélité empoisonnée où l'offensé noue des liens indissolubles avec l'offense et l'offenseur. Et quand elle cesse d'être une passion, elle devient une habitude et un devoir : exactement comme le mariage.
    (L'ignorance étoilée, p.26 Fayard)
     
  12. Seuls les morts savent aimer : j'apprends cela à mesure que la mort pénètre en moi.
    (L'ignorance étoilée, p.32 Fayard)
     
  13. Le péché contre l'Esprit réside dans l'abus et la prostitution de la lumière.
    (L'ignorance étoilée, p.38 Fayard)
     
  14. Il faudrait [...] distinguer deux sortes de vices : les péchés commis sans plaisir et les vertus pratiquées sans amour.
    (L'ignorance étoilée, p.38 Fayard)
     
  15. Sois dissimulé, tu paraîtras mystérieux, et ton prestige croîtra en fonction de ta réserve, car les hommes imaginent des merveilles derrière toutes les portes fermées. Tout vide voilé leur fait l'effet d'un trésor caché.
    (L'ignorance étoilée, p.39 Fayard)
     
  16. Je sens que tout est vain à mesure que je m'aperçois que tout me ressemble.
    (L'ignorance étoilée, p.41 Fayard)
     
  17. Le cynique est insupportable à l'idéaliste, non parce qu'il l'abaisse en réalité, mais parce qu'il lui présente un miroir où il se voit sans masque : la bassesse lucide et étalée éclaire douloureusement la bassesse voilée...
    (L'ignorance étoilée, p.42 Fayard)
     
  18. Un orgueil vrai trouve aussi peu sa pâture dans les fumées de l'opinion que l'avarice dans l'entassement de fausse monnaie.
    (L'ignorance étoilée, p.44 Fayard)
     
  19. Parenté entre la débauche et l'ascétisme : l'esprit, dans les deux cas, s'épuise en performances charnelles.
    (L'ignorance étoilée, p.45 Fayard)
     
  20. L'esprit philosophique consiste à préférer aux mensonges qui font vivre les vérités qui font mourir.
    (L'ignorance étoilée, p.45 Fayard)
     
  21. Le mensonge est un hommage à la vérité comme l'hypocrisie est un hommage à la vertu.
    (L'ignorance étoilée, p.46 Fayard)
     
  22. Dans l'ordre matériel, on ne peut donner que ce qu'on a ; dans l'ordre spirituel, on peut aussi donner ce qu'on n'a pas : la crédulité du partenaire suffit !
    (L'ignorance étoilée, p. Fayard)
     
  23. Ceux qui nous jugent ne peuvent nous condamner que du dehors, mais ceux qui ne nous jugent pas nous forcent à nous condamner nous-mêmes du dedans.
    (L'ignorance étoilée, p.50 Fayard)
     
  24. L'amour est un dieu qui ment, mais c'est un dieu qui parle, qu'on voit et qu'on touche : or un mensonge dit de si près a plus de chaleur et d'éclat humain qu'une vérité qui nous arrive par les canaux réfrigérants et décolorants des sermons et des livres.
    (L'ignorance étoilée, p.51 Fayard)
     
  25. [...] l'âme, à la différence du corps, se nourrit de sa faim.
    (L'ignorance étoilée, p.58 Fayard)
     
  26. Croire à l'espace plus qu'à l'aile. Ainsi, sans courir après rien, on possède tout. Les choses fuient celui qui les cherche, elles viennent à celui qui ne bouge pas.
    (L'ignorance étoilée, p.58 Fayard)
     
  27. Et tout ce qui peut être évalué, ou bien n'a pas de valeur, ou bien représente le côté le plus extérieur et le moins précieux de l'objet qu'on évalue [...].
    (L'ignorance étoilée, p.61 Fayard)
     
  28. Plus une âme est éloignée du mystère originel, plus elle est condamnée à se nourrir de chiffres : l'inventaire remplace pour elle l'invention...
    (L'ignorance étoilée, p.62 Fayard)
     
  29. L'étoile se donne aux regards, non aux ailes. Et quand l'oeil est pur, quel que soit l'objet qu'il regarde, il voit Dieu.
    (L'ignorance étoilée, p.65 Fayard)
     
  30. La distraction est un remède à l'ennui et, comme tous les remèdes, elle est inutile à deux espèces d'hommes : les bien-portants et les incurables.
    (L'ignorance étoilée, p.66 Fayard)
     
  31. Tant d'efforts pour éblouir son prochain et pour n'aboutir en fait qu'à susciter chez les médiocres l'envie et chez les meilleurs la pitié.
    (L'ignorance étoilée, p.68 Fayard)
     
  32. [...] il n'y a pas de pire humiliation que de se sentir ignoré par celui qu'on déteste de tout son coeur.
    (L'ignorance étoilée, p.68 Fayard)
     
  33. On peut toujours apprendre ce qu'on ne sait pas, non ce qu'on croit savoir.
    (L'ignorance étoilée, p.71 Fayard)
     
  34. Faire rêver les hommes est souvent le moyen le plus sûr de les tenir endormis - précisément parce que le rêve leur donne l'illusion d'être éveillés.
    (L'ignorance étoilée, p.72 Fayard)
     
  35. [...] il faut beaucoup de bon sens pour discerner les circonstances où il convient de le perdre.
    (L'ignorance étoilée, p.73 Fayard)
     
  36. Le jour où tu comprendras que tout le monde a raison à son niveau et dans ses limites, ce jour-là tout le monde te donnera tort. Toutes les portes se ferment devant celui qui est ouvert à tout. N'ayant plus de complices, il n'a que des ennemis.
    (L'ignorance étoilée, p.74 Fayard)
     
  37. Mon âme est à l'amour ce que les poumons sont à l'air : l'air est inépuisable et ne se refuse jamais le premier : seuls les poumons peuvent défaillir et cesser de respirer.
    (L'ignorance étoilée, p.77 Fayard)
     
  38. Qu'es-tu donc, toi qui m'aimes ? Le miroir où je me regarde ou l'abîme où je me perds ?
    (L'ignorance étoilée, p.79 Fayard)
     
  39. Accepter de ne plus rien recevoir de toi. Puis consentir à ne plus rien te donner. Et t'aimer encore.
    (L'ignorance étoilée, p.80 Fayard)
     
  40. Que cherche-t-on dans l'amour ? Une habitude qui reste une nouveauté, un breuvage qui apaise la soif en tant que vide et souffrance et qui la dilate en tant que capacité et désir - en un mot l'inépuisable dans le monde de la limite, l'impossible.
    (L'ignorance étoilée, p.81 Fayard)
     
  41. On aime non dans la mesure où l'on possède mais dans la mesure où l'on attend.
    (L'ignorance étoilée, p.85 Fayard)
     
  42. Tu es plus que ma vie, tu es ce qui la fait déborder au-delà d'elle-même. Toi par qui j'ai honte de n'être que moi...
    (L'ignorance étoilée, p.87 Fayard)
     
  43. Être détaché de tout - première condition pour n'être indifférent à rien.
    (L'ignorance étoilée, p.90 Fayard)
     
  44. La foi et le doute se prêtent mutuellement des forces : la foi creuse le doute et le doute purifie la foi.
    (L'ignorance étoilée, p.91 Fayard)
     
  45. Il faut avoir pour règle de vie de penser et d'agir comme si ce qui est le plus beau était aussi le plus vrai.
    (L'ignorance étoilée, p.94 Fayard)
     
  46. La docilité de la cire, indifférente à toutes les formes...
    (L'ignorance étoilée, p.96 Fayard)
     
  47. Il ne prie pas vraiment, celui qui demande à la prière ce que les athées attendent de l'action.
    (L'ignorance étoilée, p.98 Fayard)
     
  48. Car que sert à l'homme de gagner l'univers si son âme reste inégale à l'univers possédé ?
    (L'ignorance étoilée, p.99 Fayard)
     
  49. Et les hommes ne demandent qu'à croire - à condition qu'on leur mente. Ils croient celui qui affirme et non celui qui sait. Car, précisément, celui qui sait n'ose rien affirmer...
    (L'ignorance étoilée, p.99 Fayard)
     
  50. Celui qui sait pour quoi il vit n'a pas besoin de se demander pourquoi il vit.
    (L'ignorance étoilée, p.100 Fayard)
     
  51. [...] le doute est un poison pour la conviction et un aliment pour la foi.
    (L'ignorance étoilée, p.101 Fayard)
     
  52. La lumière, qui fait voir toute chose, se voit elle-même comme un néant...
    (L'ignorance étoilée, p.108 Fayard)
     
  53. Règle de vie : toujours essayer de réduire mes propres souffrances à ce qu'elles ont d'universel et d'anonyme, et considérer celles des autres comme uniques et irréductibles.
    (L'ignorance étoilée, p.110 Fayard)
     
  54. Il y a quelque chose de plus important que ce qu'on affirme ou que ce qu'on nie : c'est la qualité de l'esprit qui affirme ou qui nie. Je me sens plus près d'un athée profond que d'un croyant superficiel. Une rose en papier est plus loin d'une vraie rose qu'un chardon réel.
    (L'ignorance étoilée, p.111 Fayard)
     
  55. Nommer, c'est en un sens éterniser, c'est tirer la chose exprimée hors du chaos où tout se confond et du temps où tout se succède.
    (L'ignorance étoilée, p.116 Fayard)
     
  56. La déception ne doit pas être un mur qui nous renvoie à nous-mêmes, mais un fleuve qu'il faut franchir pour passer du côté temporel au côté éternel des choses.
    (L'ignorance étoilée, p.123 Fayard)
     
  57. Bien vieillir : gagner en transparence ce qu'on perd en couleur.
    (L'ignorance étoilée, p.123 Fayard)
     
  58. J'ai peur que nous ne marchions vers une espèce de paradis à ras de terre où, nos pieds ne rencontrant plus d'obstacles, nos ailes n'auront plus d'emploi.
    (L'ignorance étoilée, p.125 Fayard)
     
  59. [...] faire d'un homme un automate, c'est accomplir ce qui ne devrait jamais être. La pire menace du néant ne vient pas du côté de la mort.
    (L'ignorance étoilée, p.133 Fayard)
     
  60. Il faut que chaque génération croie voguer sur une terre vierge aux promesses fabuleuses. Qui donc aurait le courage d'appareiller s'il voyait sur la mer les traces du naufrage des vaisseaux qui l'ont précédé ?
    (L'ignorance étoilée, p.74 Fayard)
     
  61. Certains moralistes acharnés à compliquer la vie des âmes simples ressemblent à je ne sais quels agents sanitaires sans discernement qui voudraient javelliser l'eau de roche...
    (L'ignorance étoilée, p.145 Fayard)
     
  62. [...] rien de ce qui arrive dans le temps n'est vraiment une arrivée : la mort seule fait le joint entre l'événement et l'être.
    (L'ignorance étoilée, p.148 Fayard)
     
  63. Automne canadien. Ardente et transparente agonie des feuillages : le baiser du soleil après la morsure du gel. Puisse notre mort ressembler à celle de ces feuilles d'érable : se laisser successivement briser par la douleur et transfigurer par la grâce...
    (L'ignorance étoilée, p.148 Fayard)
     
  64. [...] la naissance est à la mort ce qu'est la promesse des fiançailles à la nuit de noce : c'est la mort qui consomme (dans les deux sens du mot : parfaire et détruire) le mariage entre l'âme et le temps.
    (L'ignorance étoilée, p.150 Fayard)
     
  65. L'unique voeu qui surnage en moi est que ma mort ne ressemble pas à ma vie : qu'elle soit sans mensonge.
    (L'ignorance étoilée, p.151 Fayard)
     
  66. Il faut que l'arbre soit à demi arraché pour que ses racines - plongées habituellement dans la nuit - deviennent conscientes et sensibles.
    (L'ignorance étoilée, p.152 Fayard)
     
  67. Vieillesse qui avance. Mourrai-je par rupture ou par usure ? Par la lumière qui se dérobe ou par le regard qui s'éteint ? Je préfère voir l'univers mourir brutalement pour moi que lentement en moi.
    (L'ignorance étoilée, p.153 Fayard)
     
  68. L'amour sans éternité s'appelle angoisse : l'éternité sans amour s'appelle enfer.
    (L'ignorance étoilée, p.154 Fayard)
     
  69. [...] la mort est l'aspect temporel de l'éternité.
    (L'ignorance étoilée, p.155 Fayard)
     
  70. Il est difficile de ne pas idéaliser le passé quand l'être aimé est mort. Il est encore plus difficile de ne pas calomnier le passé quand l'être aimé a trahi.
    (L'ignorance étoilée, p.155 Fayard)
     
  71. Il n'y a rien, rien, rien. Mais s'il n'y a rien, quelle est donc cette lumière qui me révèle le rien ?
    (L'ignorance étoilée, p.160 Fayard)
     
  72. L'homme ne sait pas ce qu'il veut, mais il sait très bien qu'il ne veut pas ce qu'il a.
    (L'ignorance étoilée, p.160 Fayard)
     
  73. On aime la lumière à cause des objets qu'elle éclaire. Il faudrait arriver à aimer les objets éclairés à cause de la lumière.
    (L'ignorance étoilée, p.180 Fayard)
     
  74. Présente, tu tiens dans tes limites, tu n'es que toi-même et le reste de l'univers me distrait de toi. Absente, tu es partout comme Dieu ; rien ne te contient et tout t'évoque. Cela m'aide à comprendre l'absence omniprésente de Dieu.
    (L'ignorance étoilée, p.183 Fayard)
     
  75. [...] la difficulté de trouver l'aliment grandit en fonction de la pureté de la faim.
    (L'ignorance étoilée, p.184 Fayard)
     
  76. Les saints sont ceux qui vivent, éveillés, la beauté et l'amour que les autres n'entrevoient qu'en songe...
    (L'ignorance étoilée, p.195 Fayard)
     
  77. Plus le troupeau est troupeau, plus le pasteur est seul. Il faut que, de temps en temps, une brebis s'égare pour qu'une solitude vienne parler à la sienne.
    (L'ignorance étoilée, p.197 Fayard)
     
  78. Le premier devoir du philosophe est de dépoussiérer les vérités premières...
    (L'équilibre et l'harmonie, p.X, Fayard, 1976)
     
  79. La fameuse loi d'Auguste Comte - à savoir que l'énergie des mobiles est inversement proportionnelle à leur qualité - [...]
    (L'équilibre et l'harmonie, p.4, Fayard, 1976)
     
  80. La pléthore de l'avoir a pour rançon l'anémie de l'être.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.8, Fayard, 1976)
     
  81. La mode - cette dictature de l'éphémère qui s'exerce sur les transfuges de l'éternel - remplace la tradition abolie ; la variation tient lieu de variété et la diversion fleurit sur le tombeau de la diversité. Ainsi les engouements collectifs se succèdent sans laisser de traces : la feuille morte voltige d'un lieu à l'autre, mais tous les lieux se valent pour elle, car son unique patrie est dans le vent qui l'emporte...
    (L'équilibre et l'harmonie, p.14, Fayard, 1976)
     
  82. [...] le progrès technique doit nous apparaître comme une question posée par la science à la conscience. Et la réponse n'est ni dans la lune ni dans les prodigieuses machines qui nous y conduisent : elle est en nous.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.24, Fayard, 1976)
     
  83. C'est toujours un grand mal que de juger dépassé ce qui est irremplaçable.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.39, Fayard, 1976)
     
  84. Le bien et le mal, la joie et la peine étant indissolublement liés ici-bas, le vrai problème n'est pas d'être heureux ou malheureux : c'est d'être l'un et l'autre au niveau le plus élevé de soi-même.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.51, Fayard, 1976)
     
  85. Chaque journée, chaque année est comme un jardin dont la culture nous est confiée : ne pouvant en élargir la surface, notre tâche est de choisir les bonnes semences et de sarcler les herbes parasites.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.55, Fayard, 1976)
     
  86. Le mythe des « lendemains qui chantent » attire les foules comme la lampe les papillons. L'avenir étant muet, rien n'est plus facile que de lui faire chanter la chanson qu'on veut : aucun risque de démenti dans l'immédiat...
    (L'équilibre et l'harmonie, p.59, Fayard, 1976)
     
  87. « Le plus important, me disait un jour un pharmacien, c'est de lire attentivement la notice jointe au remède et de croire tout ce qu'elle dit ».
    Mais l'espérance est aussi une faiblesse, car, poussée trop loin, elle obscurcit le jugement et paralyse la volonté.

    (L'équilibre et l'harmonie, p.60, Fayard, 1976)
     
  88. Ce qui fait l'ennui, ce n'est pas le manque de nourriture, mais l'inappétence. Et ce qui crée l'inappétence, c'est la satiété. L'ennui est comme une toxine sécrétée par l'abondance mal assimilée.
    La pire misère de l'homme, ce n'est pas de ne rien avoir, mais de ne rien désirer.

    (L'équilibre et l'harmonie, p.65, Fayard, 1976)
     
  89. Ne se sentir heureux que par comparaison, c'est se condamner à n'être jamais vraiment heureux, car il faut toujours se démener pour rejoindre ou pour dépasser quelqu'un.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.81, Fayard, 1976)
     
  90. N'oublions pas que ce n'est pas le nombre et la longueur de ses branches, mais la profondeur et la santé de ses racines qui font la vigueur d'un arbre.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.106, Fayard, 1976)
     
  91. On se croise, on se suit, on se dépasse, on ne se rencontre pas (sauf sous la forme brutale de la collision) et l'aimable coup de chapeau fait place au furieux coup de klaxon. Ce chauffeur qui, sur une route sinueuse, roule trop lentement devant nous, ce n'est plus notre prochain mais un obstacle ambulant, une cause d'embouteillage, un mangeur de moyenne, etc. - tout sauf un être humain auquel on concède le droit d'admirer le paysage...
    (L'équilibre et l'harmonie, p.118, Fayard, 1976)
     
  92. L'homme qui ne sait pas se taire est incapable d'une vraie conversation et là où il n'y a plus de solitaires, il ne reste que des isolés.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.130, Fayard, 1976)
     
  93. Hugo écrivait à l'adresse des pessimistes de son époque : « Vous voyez l'ombre, et moi je contemple les astres  Chacun a sa façon de regarder la nuit... »
    (L'équilibre et l'harmonie, p.149, Fayard, 1976)
     
  94. Mais une réaction excessive est souvent un remède pire que le mal. Est-ce rendre service à un aveugle, qui frôle le fossé de droite, que de le pousser si fort qu'il tombe dans le fossé de gauche ?
    (L'équilibre et l'harmonie, p.152, Fayard, 1976)
     
  95. On revient toujours à la grande parole de Chesterton, si tragiquement vérifiée dans le monde réel : « Otez le surnaturel, il ne reste plus que ce qui n'est pas naturel. »
    (L'équilibre et l'harmonie, p.178, Fayard, 1976)
     
  96. On oublie trop que c'est par ce dressage des automatismes que se forgent les ressorts futurs de la liberté. Pour qu'un homme apprenne à choisir, il faut qu'un autre homme choisisse d'abord à sa place. Non pas certes pour étouffer ses goûts et ses dons réels, mais pour lui permettre d'en prendre conscience à la lumière et sous le choc d'une expérience authentique.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.180, Fayard, 1976)
     
  97. [...] rien ne prédispose plus au conformisme que le manque de formation.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.180, Fayard, 1976)
     
  98. Le seul moyen de rester jeune en vieillissant, c'est de renoncer à le paraître. [...] À n'accorder de valeur qu'au printemps, on fausse le rythme des quatre saisons, à commencer par le printemps lui-même qu'on fait avorter en l'adorant.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.183, Fayard, 1976)
     
  99. Être de son temps, pour un vieillard, c'est vivre déjà au-delà du temps : c'est se détacher de tout ce qui meurt pour s'ouvrir à la lumière et à l'amour qui ne meurent pas. Par là, quelles que soient les épreuves de la vieillesse, l'homme âgé reste présent et accueillant à tous les êtres et à tous les âges et, quand sonne sa dernière heure, il meurt vivant.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.189, Fayard, 1976)
     
  100. Mal savoir ne vaut pas mieux que tout ignorer...
    (L'équilibre et l'harmonie, p.200, Fayard, 1976)
     
  101. Toutes les chutes appellent la compassion et le pardon, sauf celles qui se déguisent en ascensions.
    (L'équilibre et l'harmonie, p.210, Fayard, 1976)
     
  102. Connaissez-vous beaucoup d'hommes qui attribuent leurs échecs à leur incapacité ?
    (L'équilibre et l'harmonie, p.233, Fayard, 1976)
     
  103. [...] le pauvre humilié voit la vérité de celui qui l'humilie. Mais le riche flatté a plus de peine à discerner le mensonge de celui qui le flatte. D'un côté la nudité, de l'autre le déguisement. Le pauvre se heurte à la dure réalité, le riche s'enlise dans une molle illusion...
    (L'équilibre et l'harmonie, p.243, Fayard, 1976)
     
  104. Le mystère n'est pas un mur où l'intelligence se brise c'est un océan où l'intelligence se perd.
    (Destin de l'homme, p.10, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  105. La liberté n'est pas l'ennemie de la nécessité, elle en est la cime et la profondeur ; la liberté vit en nous comme une nécessité plus intime et plus pure. Il ne s'agit pas de la floraison d'un monde unique. La fleur ne contredit pas la tige, mais la tige se condense et se dépasse dans la fleur. La liberté est comme l'explosion d'une nécessité trop riche qui jaillit hors d'elle-même ; elle est la nécessité suprême et la fleur du destin...
    (Destin de l'homme, p.12, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  106. Tu veux conquérir le dernier, l'unique trésor. Ne totalise ni tes efforts ni tes conquêtes. La richesse éternelle ne s'acquiert pas par addition. Le chiffre le plus voisin de l'infini se nomme zéro. Repars à zéro chaque matin.
    (Destin de l'homme, p.18, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  107. Toute connaissance profonde est aussi un privilège.
    (Destin de l'homme, p.18, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  108. Il ne suffit pas de sentir le fruit prêt à tomber, il faut encore savoir si celui qui guette sous les branches est prêt pour le ramasser.
    (Destin de l'homme, p.19, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  109. L'absence absolue d'ésotérisme est des plus profondes faiblesses de la pensée occidentale.
    (Destin de l'homme, p.19, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  110. Les révélations profondes ressemblent aux éclairs. Une « vérité » vérifiable en tout temps et en tout lieu mérite à peine d'être connue...
    (Destin de l'homme, p.20, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  111. Dis-moi ce que tu hais, je te dirai ce que tu es.
    (Destin de l'homme, p.20, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  112. Il est pour l'homme deux solitudes : celle du désert et celle de la prison. L'une délivre et l'autre étouffe. La solitude ouverte du désert sépare l'homme de ce qui n'est pas pour en faire le témoin de ce qui est, la solitude fermée de la prison l'isole dans son propre néant et ne laisse à son désir d'autre issue que la fausse porte du rêve et du mensonge. L'âme du psychopathe est à la fois vide et fermée.
    (Destin de l'homme, p.24, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  113. Le christianisme prend tout au sérieux, il ne prend rien au tragique.
    (Destin de l'homme, p.27, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  114. Trop d'harmonie dans la créature entraîne parfois l'oubli du créateur. Il faut que le pendule se détraque pour qu'on songe à l'horloger.
    (Destin de l'homme, p.28, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  115. Un grand homme est non seulement le témoin, mais aussi le juge de son époque. Il vit simultanément en elle et au-dessus d'elle, il est comme un coin d'éternité planté dans le temps.
    (Destin de l'homme, p.31, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  116. On renverse l'échelle qu'on n'a pu gravir ; cela certes ne fait pas descendre le toit sur le sol, mais cela brouille les distances, cela permet de se croire en haut. Celui qui n'a rien nie la propriété des autres (pour s'en emparer), celui dont la raison est impuissante et boursouflée nie le domaine spécifique de la raison, où sa misère éclaterait trop, pour promener sa raison partout, pour laisser sur toute chose la trace visqueuse de sa raison désossée !
    (Destin de l'homme, p.33, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  117. N'est-ce pas trahir la goutte d'eau que de l'arracher à l'immensité marine et de s'écrier : voici l'océan ! tandis que le soleil dissipe déjà au creux de nos mains cette pauvre fraîcheur exilée ?
    (Destin de l'homme, p.39, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  118. La part de l'âme a reculé de plus en plus dans l'invention : tandis que la technique ancienne éduquait la matière, le machinisme moderne tend à la violenter.
    (Destin de l'homme, p.41, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  119. L'homme est plus loin de ce qui le nourrit que de ce qui le dévore.
    (Destin de l'homme, p.49, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  120. L'idéalisme n'arrive jamais à nous prouver autre chose que cette évidence : tout ce que je connais, c'est moi qui le connais - On ne peut pas sortir de soi-même. Soit. Mais Dieu et le monde peuvent entrer en nous.
    (Destin de l'homme, p.52, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  121. L'ère moderne est caractérisée par la montée de l'homo juridicus, de l'homme qui a des droits, qui ne pense qu'à ses droits, et dont l'orgueilleuse platitude, assise en reine sur l'univers a désappris, pour jamais peut-être cette extase héroïque de l'être qui reçoit ou qui conquiert quelque chose de gratuit, de mystérieux et de vierge. Cet instinct du droit tue l'amour : elle en tarit la source la plus profonde, qui est la gratitude.
    (Destin de l'homme, p.60, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  122. Ce qui scandalise les petits - ceux que la joie dans la platitude et le péché rassasie - c'est un Dieu si dur pour l'homme ; ce qui scandalise les grands, c'est un Dieu si attentif pour l'homme !
    (Destin de l'homme, p.61, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  123. Profondeurs des masques : Cet homme était méconnaissable à force d'être redevenu lui-même.
    (Destin de l'homme, p.63, Ed. Desclée, de Brouwer, 1941)
     
  124. L'étonnement, la révélation naissent pour moi de la rencontre de deux regards sur le même objet.
    (Vous serez comme des dieux [Amanda, Acte I scène 3], p.37, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  125. ASTRID : Ils t'ont laissée seule ?
    AMANDA : On n'est pas seule quand on attend...

    (Vous serez comme des dieux [Acte I scène 5], p.42, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  126. L'ennui, c'est le quotidien réduit à lui-même.
    (Vous serez comme des dieux [Simon, Acte II scène 1], p.63, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  127. [...] l'ennui, ce vieux cancer du bonheur.
    (Vous serez comme des dieux [Simon, Acte II scène 2], p.76, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  128. La fleur passe, la beauté demeure.
    (Vous serez comme des dieux [Amanda, Acte III scène 3], p.94, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  129. Il y a la vérité du dehors qui est celle de la science et la vérité du dedans qui est celle de l'amour.
    (Vous serez comme des dieux [Amanda, Acte III scène 3], p.96, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  130. J'aime mieux rêver mon âme que vivre ma vie.
    (Vous serez comme des dieux [Amanda, Acte IV scène 1], p.129, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  131. La respiration d'une âme, c'est la prière.
    (Vous serez comme des dieux [Amanda, Acte IV scène 2], p.130, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  132. [...] l'esprit vit de ce qu'il prend, l'âme de ce qu'elle reçoit...
    (Vous serez comme des dieux [Amanda, Acte IV scène 2], p.132, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  133. Au-delà de l'histoire, il n'y a rien. Le temps est l'étoffe de l'être.
    (Vous serez comme des dieux [Stella, Acte IV scène 3], p.137, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  134. Demain est à vous, mais la suite innombrable des demains ne fait pas un toujours. Vous avez conquis l'illimité, vous avez perdu l'infini.
    (Vous serez comme des dieux [Hélios, Acte V scène 3], p.163, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  135. [...] une victoire n'est parfaite que si elle transforme le vaincu en allié.
    (Vous serez comme des dieux [Weber, Acte V scène 4], p.168, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  136. Je ne veux pas exister, je veux être !
    (Vous serez comme des dieux [Amanda, Acte V scène 4], p.171, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  137. [...] une âme est une plaie intérieure qui saigne du côté de Dieu...
    (Vous serez comme des dieux [Amanda, Acte V scène 5], p.176, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  138. Le doute est de la foi meurtrie.
    (Vous serez comme des dieux [Hélios, Acte V scène 6], p.187, Librairie Arthème Fayard, 1959)
     
  139. Ce qui est éternel n'a pas besoin d'être rajeuni : il suffit de le ramener à son intégrité primitive. Le véritable aggiornamento consiste à souffler sur la poussière d'hier et non à la remplacer par la poussière d'aujourd'hui que balayera le vent de demain.
    (L'Échelle de Jacob, p.10, Boréal Express, 1984)
     
  140. Le plus sûr moyen d'échapper à l'immobilisme est de se laisser pénétrer par l'immuable.
    (L'Échelle de Jacob, p.11, Boréal Express, 1984)
     
  141. Qu'ai-je à faire d'un Dieu personnel ? Crois-tu que je gagne à être vu ? Que deviendrais-je si Pan n'était pas aveugle ? Là gît le grand obstacle à la foi en un Dieu personnel. On est prêt à diviniser n'importe quoi (Nature, Devenir, Matière, Race ou État...) pourvu que Dieu ait les yeux crevés.
    (L'Échelle de Jacob, p.25, Boréal Express, 1984)
     
  142. La noblesse d'un individu se reconnaît peut-être avant tout à l'hésitation et à la délicatesse avec lesquelles il cueille les joies qui s'offrent à lui. Il ose à peine. L'homme bas, lui, ose toujours. À la limite, il ne se sent que des droits.
    (L'Échelle de Jacob, p.27, Boréal Express, 1984)
     
  143. Il est deux sortes d'êtres qui sont incurablement privés de noblesse : ceux qui ont besoin d'être heureux pour être bons et ceux qui ont besoin d'être malheureux pour songer à Dieu. La douleur de l'être bas s'appelle vengeance, sa joie orgueil et oubli. L'homme noble est celui que la souffrance rend tendre et que le bonheur fait prier.
    (L'Échelle de Jacob, p.27, Boréal Express, 1984)
     
  144. Qu'est-ce que l'homme déteste le plus ? Non pas ce qui lui a toujours été refusé, mais ce qui lui a été donné une fois et qu'il n'a pas su retenir.
    (L'Échelle de Jacob, p.29, Boréal Express, 1984)
     
  145. D'un être aimé nous disons : je le porte dans mon coeur. Ainsi il ne pèse pas. Mais de celui que nous n'aimons pas et dont la présence nous pèse, nous disons : je l'ai sur le dos...
    (L'Échelle de Jacob, p.32, Boréal Express, 1984)
     
  146. L'abîme est vaste entre le sérieux et la profondeur. J'ai connu peu d'hommes dits sérieux qui ne soient aussi superficiels et, réciproquement, un homme profond a beaucoup de peine à rester sérieux en toute chose...
    (L'Échelle de Jacob, p.33, Boréal Express, 1984)
     
  147. [L'homme équilibré] est comme une montagne dont l'équilibre implique l'existence de deux versants. Et cette ampleur de base lui permet précisément, comme la montagne dont la cime se perd audacieusement dans le ciel, de s'engager à fond, de négliger les demi-mesures et les précautions ; il peut aller très loin et très haut sans péril pour son assiette intérieure, il est assez fort et assez riche pour être sainement excessif.
    (L'Échelle de Jacob, p.34, Boréal Express, 1984)
     
  148. Tu as le devoir d'aimer cet être, mais prends garde : tu n'as pas le droit d'avoir besoin de lui.
    (L'Échelle de Jacob, p.38, Boréal Express, 1984)
     
  149. Tu peux verser à boire à n'importe qui, mais, si tu ne veux pas voir ton amour tourner en poison, choisis sévèrement ceux devant qui tu as soif.
    (L'Échelle de Jacob, p.39, Boréal Express, 1984)
     
  150. Donnez peu à un être. Il trouvera que c'est trop. Mettez-vous à lui donner beaucoup : il trouvera que ce n'est pas assez. Ainsi s'expliquent la naissance et la mort de toutes les affections. L'amour commence par l'éblouissement d'une âme qui n'attendait rien et se clôt sur la déception d'un moi qui exige tout.
    (L'Échelle de Jacob, p.39, Boréal Express, 1984)
     
  151. L'enfer est le réceptacle des promesses tenues à demi.
    (L'Échelle de Jacob, p.40, Boréal Express, 1984)
     
  152. Il est toujours doux de se livrer, mais il est souvent amer de s'être livré.
    (L'Échelle de Jacob, p.42, Boréal Express, 1984)
     
  153. L'incapacité de nouer de nouvelles affections apparaît à nos anciens amis comme un gage de fidélité. Ils devraient plutôt s'en affliger, car c'est là le signe d'un épuisement affectif qui n'épargne pas notre attachement pour eux. L'être impuissant à créer de nouveaux liens n'est guère en état de maintenir vivantes ses anciennes affections, et sa « fidélité » ressemble beaucoup à celle du squelette au cercueil ou de la pierre au lieu qu'elle occupe.
    (L'Échelle de Jacob, p.43, Boréal Express, 1984)
     
  154. « Je ne peux juger ce que tu fais qu'à travers mon intuition de ce que tu es. »
    (L'Échelle de Jacob, p.44, Boréal Express, 1984)
     
  155. Il vaut mieux ne pas voir que de voir sans aimer...
    (L'Échelle de Jacob, p.46, Boréal Express, 1984)
     
  156. Définition du sacrifice. - C'est se précipiter totalement, sans calcul et sans recours, dans ce qu'on aime. C'est la transmutation du moi en amour.
    (L'Échelle de Jacob, p.48, Boréal Express, 1984)
     
  157. Je n'aime pas que toi. Mais j'aime toute chose en toi et je t'aime en toute chose. Tu n'es pas l'être qui usurpe et voile pour moi le monde, tu es le lien qui m'unit au monde. L'amour intégral exclut l'amour exclusif : je t'aime trop pour n'aimer que toi.
    (L'Échelle de Jacob, p.49, Boréal Express, 1984)
     
  158. La terre deviendrait vite inhabitable si chacun cessait de faire par politesse ce qu'il est incapable de faire par amour. Inversement, le monde serait presque parfait si chacun arrivait à faire par amour tout ce qu'il fait par politesse.
    (L'Échelle de Jacob, p.52, Boréal Express, 1984)
     
  159. Devenir fruit d'automne. Sentir naître en soi l'âme fondante du fruit : cette douceur, cette transparence dorée et cette soif de tomber.
    Se détacher, non par orgueil ou par lassitude, mais par excès de pesanteur et de sucs. Se détacher comme un fruit d'automne.

    (L'Échelle de Jacob, p.55, Boréal Express, 1984)
     
  160. Le caméléon est gris tant qu'il marche sur le sable ; s'il passe sous un arbre, il se colore en vert ; il n'est ni plus sincère ni plus hypocrite dans un endroit que dans l'autre : il n'est partout qu'un caméléon. Les hommes vraiment méchants sont aussi rares que les hommes vraiment bons, mais il y a beaucoup d'impuissants qui miment, suivant le souffle extérieur qui les agite, tantôt le bien et tantôt le mal.
    (L'Échelle de Jacob, p.57, Boréal Express, 1984)
     
  161. Un homme est grand dans la mesure où, placé entre l'illusion et la douleur, il choisit la douleur.
    (L'Échelle de Jacob, p.63, Boréal Express, 1984)
     
  162. Tout ce qui en toi refuse de mourir est indigne de vivre.
    (L'Échelle de Jacob, p.63, Boréal Express, 1984)
     
  163. Car l'avortement n'est jamais une délivrance, et le fruit vert arraché se survit dans les entrailles par une plaie qu'on n'arrache pas.
    (L'Échelle de Jacob, p.66, Boréal Express, 1984)
     
  164. Le mot talion n'a qu'une signification strictement matérielle et extérieure : il n'est pas d'arme plus imprécise que la vengeance.
    (L'Échelle de Jacob, p.70, Boréal Express, 1984)
     
  165. [Le scepticisme est le] refus de porter sur les événements et les hommes des jugements définitifs.
    (L'Échelle de Jacob, p.79, Boréal Express, 1984)
     
  166. La façon la plus radicale de s'abandonner au mal est de refuser d'en prendre conscience.
    (L'Échelle de Jacob, p.86, Boréal Express, 1984)
     
  167. Marcher est un acte harmonieux où chaque partie du corps a sa part : on marche avec tout son être, mais on ne tombe que d'un côté.
    (L'Échelle de Jacob, p.91, Boréal Express, 1984)
     
  168. Pour certains êtres épris de perfection et d'achèvement, il y a quelque chose de pire qu'une faute : c'est une imperfection. Plus que d'échouer, ces êtres ont peur de mal réussir, plus que de tomber, de boiter.
    (L'Échelle de Jacob, p.92, Boréal Express, 1984)
     
  169. C'est une des grandes tares de l'humanité que d'exalter, en cataloguant ses grands hommes, le brillant au détriment du solide et ce qui enivre plutôt que ce qui nourrit.
    (L'Échelle de Jacob, p.99, Boréal Express, 1984)
     
  170. Que ton idéal soit le reflet de ton âme, l'émanation de ton être intérieur, ton témoignage. Et non pas ton alibi.
    (L'Échelle de Jacob, p.102, Boréal Express, 1984)
     
  171. Je ne crois pas à la chirurgie morale : elle fait des plaies qui s'infectent...
    (L'Échelle de Jacob, p.103, Boréal Express, 1984)
     
  172. La vérité est un organisme, et ta vérité fait corps avec l'ensemble des vérités. Un membre coupé est un membre mort et si, pour mieux adorer ta petite vérité, tu l'isoles, tu ne tiendras plus qu'un mensonge entre tes doigts.
    (L'Échelle de Jacob, p.107, Boréal Express, 1984)
     
  173. Les vérités suprêmes manquent d'arguments. Elles savent se donner, elles ne savent pas plaider leur cause. Nos certitudes les plus intimes, les plus nourricières sont aussi les plus vulnérables sur le terrain dialectique. Les défendre, c'est déjà les trahir. Leur innocence, leur fraîcheur, leur magnétisme divins étouffent sous la cuirasse des arguments.
    (L'Échelle de Jacob, p.109, Boréal Express, 1984)
     
  174. L'ironie, forme agressive de la pudeur...
    (L'Échelle de Jacob, p.110, Boréal Express, 1984)
     
  175. Les gens très loyaux sont souvent les pires menteurs. Celui qui aime les « situations nettes » et qui se fait un point d'honneur de parler rond et franc, de « jouer cartes sur table », déforme et trahit ridiculement les sentiments qu'il veut exprimer ; il les simplifie si bien qu'il les déguise ! En négligeant le côté obscur, complexe et polymorphe de la vie intérieure, en interprétant celle-ci d'une façon absolument précise et monovalente, la sincérité s'achète chez lui au prix de la vérité...
    (L'Échelle de Jacob, p.113, Boréal Express, 1984)
     
  176. Éloquence. - Ce qu'on appelle ainsi n'est, dans la plupart des cas, que la sincérité du mensonge, une espèce d'aisance, de spontanéité et de naturel dans l'art d'exprimer ce qu'on ne vit pas...
    (L'Échelle de Jacob, p.114, Boréal Express, 1984)
     
  177. Il faut partir de l'absolu dans la pensée pour réaliser le relatif dans l'action.
    (L'Échelle de Jacob, p.119, Boréal Express, 1984)
     
  178. Il faut choisir : rester fleur et se faner - ou mourir et devenir fruit.
    (L'Échelle de Jacob, p.122, Boréal Express, 1984)
     
  179. Je le sais : tu es seul et tu as soif, mais est-ce une raison pour boire à n'importe quelle coupe ? Il est une chose plus importante encore que de te désaltérer, c'est de respecter ta soif.
    (L'Échelle de Jacob, p.130, Boréal Express, 1984)
     
  180. Il ne faut pas lutter contre les passions en tant que moteur, il faut simplement leur ôter le gouvernail.
    (L'Échelle de Jacob, p.132, Boréal Express, 1984)
     
  181. Constater une analogie n'est pas établir une identité.
    (L'Échelle de Jacob, p.133, Boréal Express, 1984)
     
  182. Progrès ? - Le monde, depuis un siècle, évolue à pas de géant. Tout se précipite : le vent du progrès nous coupe la face. Amer symptôme : l'accélération continue est le propre des chutes plutôt que des ascensions.
    (L'Échelle de Jacob, p.139, Boréal Express, 1984)
     
  183. Limites de la réceptivité - Voici des gens pendus à toutes les radios, avides de toutes les nouvelles, réceptifs à toutes les idées. On appelle cela sensibilité, ouverture. C'est une qualité que je n'envie pas. Je serais plutôt porté à considérer comme un signe de santé et d'unité intérieures l'existence de larges zones d'indifférence. Une réceptivité universelle implique, exception faite de quelques esprits extraordinaires, une passivité dangereuse. L'écho vibre à tous les sons, mais la bouche choisit ses paroles.
    (L'Échelle de Jacob, p.141, Boréal Express, 1984)
     
  184. Les gens n'ont plus de conversation, ils s'ennuient en société et ne savent que se dire. C'est précisément parce qu'ils ne savent plus se taire : le silence seul féconde le verbe.
    (L'Échelle de Jacob, p.145, Boréal Express, 1984)
     
  185. Dès qu'un mot devient trop à la mode (je songe à l'engouement actuel pour la pureté, la gratuité, l'engagement, la présence, etc.), il faut se demander ce qu'il recouvre plutôt que ce qu'il signifie. Et c'est en général son contraire. La mode sort du manque. La chose « se porte » quand elle n'est plus ; elle devient vêtement lorsqu'elle a cessé d'être corps.
    (L'Échelle de Jacob, p.146, Boréal Express, 1984)
     
  186. Sois circonspect avant de couper la plante que tu n'as pas la force d'arracher.
    (L'Échelle de Jacob, p.157, Boréal Express, 1984)
     
  187. [...] nous sommes toujours prêts à venger sur l'être faible qui nous aime les outrages que nous inflige l'être fort que nous haïssons.
    (L'Échelle de Jacob, p.157, Boréal Express, 1984)
     
  188. L'ami vrai, ce n'est pas celui qui sait se pencher avec pitié sur notre souffrance, c'est celui qui sait regarder sans envie notre bonheur.
    (L'Échelle de Jacob, p.158, Boréal Express, 1984)
     
  189. Les médisances qui nous nuisent le plus sont celles où le médisant marie savamment le bien au mal et semble ne constater le mal qu'à regret. La divulgation du mal revêt ainsi une apparence d'objectivité douloureuse qui lui confère une force accrue de persuasion, et c'est là le sommet de l'art de médire.
    (L'Échelle de Jacob, p.160, Boréal Express, 1984)
     
  190. Le génie consiste à donner à l'universel, la vie, la plénitude, le frisson intime et irréductible du particulier. Chaque homme de génie qui paraît sur la terre est comme un nouveau rédempteur de l'abstraction.
    (L'Échelle de Jacob, p.165, Boréal Express, 1984)
     
  191. Les choses profondes sont toujours préparées et enveloppées par une certaine obscurité : les étoiles n'apparaissent que dans la nuit.
    (L'Échelle de Jacob, p.166, Boréal Express, 1984)
     
  192. [Un auteur] doit illuminer et non démontrer, nous donner une impulsion, mais non pas nous conduire jusqu'au bout par la main.
    (L'Échelle de Jacob, p.167, Boréal Express, 1984)
     
  193. Tout bonheur qui n'enfante pas un devoir amoindrit ou corrompt.
    (L'Échelle de Jacob, p.177, Boréal Express, 1984)