Thomas S. Kuhn
1922-1996
  1. [...] les paradigmes, c'est-à-dire les découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un temps, fournissent à une communauté de chercheurs des problèmes types et des solutions.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.11, Champs/Flammarion n°115)
     
  2. L'observation et l'expérience peuvent et doivent réduire impitoyablement l'éventail des croyances scientifiques admissibles, autrement il n'y aurait pas de science.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.21, Champs/Flammarion n°115)
     
  3. [...] une nouvelle théorie, quelque particulier que soit son champ d'application, est rarement ou n'est jamais un simple accroissement de ce que l'on connaissait déjà. Son assimilation exige la reconstruction de la théorie antérieure et la réévaluation de faits antérieurs, processus intrinsèquement révolutionnaire qui est rarement réalisé par un seul homme et jamais du jour au lendemain.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.24, Champs/Flammarion n°115)
     
  4. [...] apprendre une théorie est un processus qui dépend de l'étude de ses applications et de la résolution de problèmes pratiques, aussi bien avec un papier et un crayon qu'avec des instruments de laboratoire. Si, par exemple, un individu étudiant la dynamique d'après les lois de Neewton découvre un jour le sens de termes comme force, masse, espace et temps, ce sera moins parce qu'il en aura trouvé dans son texte des définitions (incomplètes mais souvent utiles) que parce qu'il aura observé en y participant lui-même, l'application de ces concepts à la solution de problèmes.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.76, Champs/Flammarion n°115)
     
  5. La période antérieure à la formation d'un paradigme, en particulier, est régulièrement marquée par des discussions fréquentes et profondes sur les méthodes légitimes, les problèmes, les solutions acceptables, bien que cela serve plus à définir des écoles qu'à rallier l'unanimité.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.77, Champs/Flammarion n°115)
     
  6. La découverte commence avec la conscience d'une anomalie, c'est-à-dire l'impression que la nature, d'une manière ou d'une autre, contredit les résultats attendus dans le cadre du paradigme qui gouverne la science normale.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.83, Champs/Flammarion n°115)
     
  7. [...] la découverte d'un type nouveau de phénomènes est forcément un événement complexe, qui implique le fait de reconnaître à la fois qu'il y a quelque chose et ce que c'est.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.87, Champs/Flammarion n°115)
     
  8. Dans le processus habituel de découverte, même la résistance au changement a une utilité [...].
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.99, Champs/Flammarion n°115)
     
  9. Il en est des sciences comme de l'industrie - le renouvellement des outils est un luxe qui doit être réservé aux circonstances qui l'exigent. La crise signifie qu'on se trouve devant l'obligation de renouveler les outils.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.113, Champs/Flammarion n°115)
     
  10. Décider de rejeter un paradigme est toujours simultanément décider d'en accepter un autre, et le jugement qui aboutit à cette décision implique une comparaison des deux paradigmes par rapport à la nature et aussi de l'un par rapport à l'autre.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.115, Champs/Flammarion n°115)
     
  11. Rejeter un paradigme sans lui en substituer simultanément un autre, c'est rejeter la science elle-même. C'est un acte qui déconsidère non le paradigme mais l'homme. Celui-ci apparaîtra inévitablement à ses collègues comme « l'ouvrier qui s'en prend à ses outils ».
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.117, Champs/Flammarion n°115)
     
  12. Mais les étudiants en science acceptent les théories à cause de l'autorité de leur professeur et des manuels, et non à cause des preuves. Que pourraient-ils faire d'autre étant donné leurs compétences ? Les applications décrites dans les manuels ne sont pas là pour servir de preuves mais parce que leur connaissance fait partie de la connaissance du paradigme, fondement du travail habituel.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.118, Champs/Flammarion n°115)
     
  13. Les révolutions politiques commencent par le sentiment croissant, parfois restreint à une fraction de la communauté politique, que les institutions existantes ont cessé de répondre d'une manière adéquate aux problèmes posés par un environnement qu'elles ont contribué à créer. De semblable manière, les révolutions scientifiques commencent avec le sentiment croissant, souvent restreint à une petite fraction de la communauté scientifique, qu'un paradigme a cessé de fonctionner de manière satisfaisante pour l'exploration d'un aspect de la nature sur lequel ce même paradigme a antérieurement dirigé les recherches. Dans le développement politique comme dans celui des sciences, le sentiment d'un fonctionnement défectueux, susceptible d'aboutir à une crise, est la condition indispensable des révolutions.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.133, Champs/Flammarion n°115)
     
  14. Est-il vraiment si étonnant que le prix d'un progrès scientifique significatif soit un engagement qui risque d'être une erreur ?
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.145, Champs/Flammarion n°115)
     
  15. [...] le passage de la mécanique de Newton à celle d'Einstein montre, avec une clarté particulière, la révolution scientifique comme un déplacement du réseau conceptuel à travers lequel les hommes de science voient le monde.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.147, Champs/Flammarion n°115)
     
  16. [...] les changements de paradigmes font que les scientifiques, dans le domaine de leurs recherches, voient tout d'un autre oeil. Dans la mesure où ils n'ont accès au monde qu'à travers ce qu'ils voient et font, nous pouvons être amenés à dire qu'après une révolution, les scientifiques réagissent à un monde différent.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.157, Champs/Flammarion n°115)
     
  17. [...] quelque chose qui ressemble à un paradigme est indispensable à la perception elle-même. Ce que voit un sujet dépend à la fois de ce qu'il regarde et de ce que son expérience antérieure, visuelle et conceptuelle, lui a appris à voir. En l'absence de cet apprentissage, il ne peut y avoir, selon le mot de William James, qu'« une confusion bourdonnante et foisonnante ».
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.160, Champs/Flammarion n°115)
     
  18. La concurrence entre paradigmes n'est pas le genre de bataille qui puisse se gagner avec des preuves.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.204, Champs/Flammarion n°115)
     
  19. [...] la transition entre deux paradigmes concurrents ne peut se faire par petites étapes, poussée par la logique et l'expérience neutre. [...] il doit se produire d'un coup (mais pas forcément en un instant), ou pas du tout.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.207, Champs/Flammarion n°115)
     
  20. [Il faut réévaluer le jugement selon lequel] les scientifiques, étant seulement des hommes, ne peuvent pas toujours admettre leurs erreurs, même en face de preuves absolues. Je soutiendrais plutôt que dans ce domaine, il ne s'agit ni de preuve ni d'erreur. Quand on adhère à un paradigme, en accepter un autre est une expérience de conversion qui ne peut être imposée de force.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.208, Champs/Flammarion n°115)
     
  21. Celui qui adopte un nouveau paradigme à un stade précoce doit souvent le faire au mépris des preuves fournies par les résolutions de problème. Autant dire qu'il lui faut faire confiance au nouveau paradigme pour résoudre les nombreux et importants problèmes qui sont posés, en sachant seulement l'incapacité de l'ancien à en résoudre quelques-uns. Une décision de ce genre ne relève que de la foi.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.216, Champs/Flammarion n°115)
     
  22. Au début, un nouveau candidat au titre de paradigme n'a parfois que quelques partisans et dont les motifs peuvent même être suspects. Néanmoins, s'ils sont compétents, ils l'amélioreront, exploreront ses possibilités et donneront une idée de ce que ce serait que d'appartenir à un groupe guidé par lui. En même temps, si le paradigme est de ceux qui sont destinés à vaincre, le nombre et la valeur des arguments en sa faveur augmenteront; ses adhérents se feront donc plus nombreux et l'étude du nouveau paradigme se poursuivra.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.217, Champs/Flammarion n°115)
     
  23. L'une des règles les plus strictes, quoique non écrite, de la vie scientifique est l'interdiction de faire appel, en matière de science, aux chefs d'État ou à la masse du public.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.230, Champs/Flammarion n°115)
     
  24. Nous sommes tous profondément habitués à voir la science comme la seule entreprise qui se rapproche toujours plus d'un certain but fixé d'avance par la nature.
    Mais ce but est-il nécessaire ? Ne pouvons-nous pas rendre compte de l'existence de la science comme de son succès en termes d'évolution, à partir de l'état des connaissances du groupe à n'importe quel moment? Est-il vraiment utile d'imaginer qu'il y a une manière complète, objective et vraie de voir la nature, le critère approprié de la réussite scientifique étant la mesure dans laquelle elle nous rapproche de ce but ultime? Si nous pouvions apprendre à substituer l'évolution-à-partir-de-ce-que-nous-savons à l'évolution-vers-ce-que-nous-désirons-savoir, un certain nombre de problèmes agaçants disparaîtraient chemin faisant.

    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.233, Champs/Flammarion n°115)
     
  25. [...] l'interprétation commence là où cesse la perception. Les deux processus ne sont pas les mêmes, et ce que la perception laisse compléter à l'interprétation dépend éminemment de la nature et de l'étendue de la formation et de l'expérience préalables.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.269, Champs/Flammarion n°115)
     
  26. Il n'y a pas d'algorithme neutre pour le choix d'une théorie, pas de procédure systématique de décision, qui, appliquée à bon escient, doive conduire chaque individu du groupe à la même décision.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.271, Champs/Flammarion n°115)
     
  27. La pratique de la science normale dépend de la capacité, acquise à partir d'exemples, de gouper des objets et des situations en ensembles semblables, qui sont primitifs en ce sens que le groupement est effectué sans répondre à la question : « Semblable par rapport à quoi ? » L'un des aspects principaux de toute révolution est donc que certains des rapports de similitude changent.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.272, Champs/Flammarion n°115)
     
  28. [...] comme nombre de ceux qui ont pour la première fois rencontré la relativité, par exemple, ou la théorie des quanta, au milieu de leur vie, on s'aperçoit que l'on est pleinement persuadé de la justesse de la nouvelle théorie, mais néanmoins incapable de l'intérioriser de se sentir à l'aise dans le monde qui en découle. Un homme, dans ce cas-là a fait son choix sur le plan intellectuel, mais la conversion nécessaire lui échappe en réalité.
    (La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer , p.277, Champs/Flammarion n°115)