Marcel Proust
1871-1922
  1. La lecture est au seuil de la vie spirituelle ; elle peut nous y introduire : elle ne la constitue pas.
    (Sur la lecture, p.35, Éd. Mille et une nuits, 1994)
     
  2. Tant que la lecture est pour nous l'initiatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous n'aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire.
    (Sur la lecture, p.38, Éd. Mille et une nuits, 1994)
     
  3. Il semble que le goût des livres croisse avec l'intelligence, un peu au-dessous d'elle, mais sur la même tige, comme toute passion s'accompagne d'une prédilection pour ce qui entoure son objet, a du rapport avec lui, dans l'absence lui en parle encore.
    (Sur la lecture, p.42, Éd. Mille et une nuits, 1994)
     
  4. De ce que les hommes médiocres sont souvent travailleurs et les intelligents souvent paresseux, on n'en peut pas conclure que le travail n'est pas pour l'esprit une meilleure discipline que la paresse.
    (Sur la lecture, p.43, Éd. Mille et une nuits, 1994)
     
  5. [...] la lecture est une amitié.
    (Sur la lecture, p.46, Éd. Mille et une nuits, 1994)
     
  6. La puissance de notre sensibilité et de notre intelligence, nous ne pouvons la développer qu'en nous-mêmes, dans les profondeurs de notre vie spirituelle. Mais c'est dans ce contrat avec les autres esprits qu'est la lecture, que se fait l'éducation des " façons " de l'esprit.
    (Sur la lecture, p.50, Éd. Mille et une nuits, 1994)
     
  7. On aime toujours un peu à sortir de soi, à voyager, quand on lit.
    (Sur la lecture, p.52, Éd. Mille et une nuits, 1994)
     
  8. En parlant de l'imparfait de l'indicatif :
    [...] ce temps cruel qui nous présente la vie comme quelque chose d'éphémère à la fois et passif, qui, au moment même où il retrace nos actions, les frappe d'illusion, les anéantit dans le passé sans nous laisser comme le parfait la consolation de l'activité.

    (Sur la lecture, p.57, Éd. Mille et une nuits, 1994)
     
  9. [...] la lecture [...] cette jouissance à la fois ardente et rassise [...]
    (Sur la lecture, p.57, Éd. Mille et une nuits, 1994)
     
  10. Peut-être l'immobilité des choses autour de nous leur est-elle imposée par notre certitude que ce sont elles et non pas d'autres, par l'immobilité de notre pensée en face d'elles.
    (Du côté de chez Swann, p.12, Folio n°821)
     
  11. L'influence anesthésiante de l'habitude ayant cessé, je me mettais à penser, à sentir, choses si tristes.
    (Du côté de chez Swann, p.17, Folio n°821)
     
  12. [...] déjà homme par la lâcheté, je faisais ce que nous faisons tous, une fois que nous sommes grands, quand il y a devant nous des souffrances et des injustices : je ne voulais par les voir  [...]
    (Du côté de chez Swann, p.20, Folio n°821)
     
  13. [...] notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres.
    (Du côté de chez Swann, p.28, Folio n°821)
     
  14. Ce que je reproche aux journaux, c'est de nous faire faire attention tous les jours à des choses insignifiantes, tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les livres où il y a des choses essentielles.
    (Du côté de chez Swann, p.36, Folio n°821)
     
  15. J'aurais dû être heureux : je ne l'étais pas.
    (Du côté de chez Swann, p.50, Folio n°821)
     
  16. Mais quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.
    (Du côté de chez Swann, p.61, Folio n°821)
     
  17. [...] mon temps n'est pas si cher ; celui qui l'a fait ne nous l'a pas vendu.
    (Du côté de chez Swann, p.71, Folio n°821)
     
  18. [...] l'âge où l'on croit qu'on crée ce qu'on nomme.
    (Du côté de chez Swann, p.112, Folio n°821)
     
  19. Nous sommes très longs à reconnaître dans la physionomie particulière d'un nouvel écrivain le modèle qui porte le nom de " grand talent " dans notre musée des idées générales. Justement parce que cette physionomie est nouvelle, nous ne la trouvons pas tout à fait ressemblante à ce que nous appelons talent. Nous disons plutôt originalité, charme, délicatesse, force ; et puis un jour nous nous rendons compte que c'est justement tout cela le talent.
    (Du côté de chez Swann, p.122, Folio n°821)
     
  20. Que nous croyions qu'un être participe à une vie inconnue où son amour nous ferait pénétrer, c'est, de tout ce qu'exige l'amour pour naître, ce à quoi il tient le plus, et qui lui fait faire bon marché du reste.
    (Du côté de chez Swann, p.123, Folio n°821)
     
  21. [...] il vient dans la vie une heure [...] où les yeux las ne tolèrent plus qu'une lumière, celle qu'une belle nuit comme celle-ci prépare et distille avec l'obscurité, où les oreilles ne peuvent plus écouter de musique que celle que joue le clair de lune sur la flûte du silence.
    (Du côté de chez Swann, p.154, Folio n°821)
     
  22. [...] nous ne connaissons jamais que les passions des autres, et que ce que nous arrivons à savoir des nôtres, ce n'est que d'eux que nous avons pu l'apprendre.
    (Du côté de chez Swann, p.157, Folio n°821)
     
  23. Ce qui avait commencé pour elle [...], c'est ce grand renoncement de la vieillesse qui se prépare à la mort, s'enveloppe dans sa chrysalide, et qu'on peut observer, à la fin des vies qui se prolongent tard, même entre les amis unis par les liens les plus spirituels, et qui à partir d'une certaine année cessent de faire le voyage ou la sortie nécessaire pour se voir, cessent de s'écrire et savent qu'ils ne communiqueront plus en ce monde.
    (Du côté de chez Swann, p.173, Folio n°821)
     
  24. L'amour physique, si injustement décrié, force tellement tout être à manifester jusqu'aux moindres parcelles qu'il possède de bonté, d'abandon de soi, qu'elles resplendissent jusqu'aux yeux de l'entourage immédiat.
    (Du côté de chez Swann, p.178, Folio n°821)
     
  25. Il n'est peut-être pas une personne, si grande que soit sa vertu, que la complexité des circonstances ne puisse amener à vivre un jour dans la familiarité du vice qu'elle condamne le plus formellement [...].
    (Du côté de chez Swann, p.178, Folio n°821)
     
  26. Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n'ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir, et une avalanche de malheurs ou de maladies dans une famille ne la fera pas douter de la bonté de son Dieu ou du talent de son médecin.
    (Du côté de chez Swann, p.179, Folio n°821)
     
  27. [...] c'est assommant, quelque chose insignifiante qu'on fasse, de penser que des yeux nous voient.
    (Du côté de chez Swann, p.194, Folio n°821)
     
  28. [...] il n'y a guère que le sadisme qui donne un fondement dans la vie à l'esthétique du mélodrame.
    (Du côté de chez Swann, p.196, Folio n°821)
     
  29. [...] il peut quelquefois suffire pour que nous aimions une femme qu'elle nous regarde avec mépris [...].
    (Du côté de chez Swann, p.213, Folio n°821)
     
  30. [...] ce n'est pas à un autre homme intelligent qu'un homme intelligent aura peur de paraître bête [...].
    (Du côté de chez Swann, p.231, Folio n°821)
     
  31. Autrefois on rêvait de posséder le coeur de la femme dont on était amoureux ; plus tard, sentir qu'on possède le coeur d'une femme peut suffire à nous en rendre amoureux.
    (Du côté de chez Swann, p.237, Folio n°821)
     
  32. De tous les modes de production de l'amour, de tous les agents de dissémination du mal sacré, il est bien l'un des plus efficaces, ce grand souffle d'agitation qui parfois passe sur nous. Alors l'être avec qui nous nous plaisons à ce moment-là, le sort en est jeté, c'est lui que nous aimerons. Il n'est même pas besoin qu'il nous plût jusque-là plus ou même autant que d'autres. Ce qu'il fallait, c'est que notre goût pour lui devînt exclusif. Et cette condition-là est réalisée quand - à ce moment où il nous a fait défaut - à la recherche des plaisirs que son agrément nous donnait, s'est brusquement substitué en nous un besoin anxieux, qui a pour objet cet être même, un besoin absurde, que les lois de ce monde rendent impossible à satisfaire et difficile à guérir - le besoin insensé et douloureux de le posséder.
    (Du côté de chez Swann, p.276, Folio n°821)
     
  33. [...] ce regard avec lequel, un jour de départ, on voudrait emporter un paysage qu'on va quitter pour toujours.
    (Du côté de chez Swann, p.279, Folio n°821)
     
  34. Les êtres nous sont d'habitude si indifférents que, quand nous avons mis dans l'un d'eux de telles possibilités de souffrance et de joie pour nous, il nous semble appartenir à un autre univers, il s'entoure de poésie, il fait de notre vie comme une étendue émouvante où il sera plus ou moins rapproché de nous.
    (Du côté de chez Swann, p.282, Folio n°821)
     
  35. [...] il avait cette curiosité, cette superstition de la vie qui, unie à un certain scepticisme relatif à l'objet de leurs études, donne dans n'importe quelle profession, à certains hommes intelligents, médecins qui ne croient pas à la médecine, professeurs de lycée qui ne croient pas au thème latin, la réputation d'esprits larges, brillants, et même supérieurs.
    (Du côté de chez Swann, p.299, Folio n°821)
     
  36. Que de bonheurs possibles dont on sacrifie ainsi la réalisation à l'impatience d'un plaisir immédiat !
    (Du côté de chez Swann, p.326, Folio n°821)
     
  37. [...] dans la multitude des gestes, des propos, des petits incidents qui remplissent une conversation, il est inévitable que nous passions, sans y rien remarquer qui éveille notre attention, près de ceux qui cachent une vérité que nos soupçons cherchent au hasard, et que nous nous arrêtions au contraire à ceux sous lesquels il n'y a rien.
    (Du côté de chez Swann, p.332, Folio n°821)
     
  38. Comme tous ceux qui possèdent une chose, pour savoir ce qui arriverait s'il cessait un moment de la posséder, il avait ôté cette chose de son esprit, en y laissant tout le reste dans le même état que quand elle était là. Or l'absence d'une chose, ce n'est pas que cela, ce n'est pas un simple manque partiel, c'est un bouleversement de tout le reste, c'est un état nouveau qu'on ne peut prévoir dans l'ancien.
    (Du côté de chez Swann, p.362, Folio n°821)
     
  39. Savoir ne permet pas toujours d'empêcher, mais du moins les choses que nous savons, nous les tenons, sinon entre nos mains, du moins dans notre pensée où nous les disposons à notre gré, ce qui nous donne l'illusion d'une sorte de pouvoir sur elles.
    (Du côté de chez Swann, p.373, Folio n°821)
     
  40. Elle faisait partie d'une de ces deux moitiés de l'humanité chez qui la curiosité qu'a l'autre moitié pour les êtres qu'elle ne connaît pas est remplacée par l'intérêt pour les êtres qu'elle connaît.
    (Du côté de chez Swann, p.396, Folio n°821)
     
  41. On n'est jamais aussi malheureux qu'on croit.
    [...] il se dit qu'on ne connaît pas son malheur, qu'on n'est jamais si heureux qu'on croit.

    (Du côté de chez Swann, p.418, Folio n°821)
     
  42. C'est si calmant de se représenter les choses ! Ce qui est affreux c'est ce qu'on ne peut pas imaginer.
    (Du côté de chez Swann, p.430, Folio n°821)
     
  43. Comme les différents hasards qui nous mettent en présence de certaines personnes ne coïncident pas avec le temps où nous les aimons, mais, le dépassant, peuvent se produire avant qu'il commence et se répéter après qu'il a fini, les premières apparitions que fait dans notre vie un être destiné plus tard à nous plaire, prennent rétrospectivement à nos yeux une valeur d'avertissement, de présage.
    (Du côté de chez Swann, p.448, Folio n°821)
     
  44. Les intérêts de notre vie sont si multiples qu'il n'est pas rare que dans une même circonstance les jalons d'un bonheur qui n'existe pas encore soient posés à côté de l'aggravation d'un chagrin dont nous souffrons.
    (Du côté de chez Swann, p.449, Folio n°821)
     
  45. [...] on n'aime plus personne dès qu'on aime.
    (Du côté de chez Swann, p.472, Folio n°821)
     
  46. [...] le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant ; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas ! comme les années.
    (Du côté de chez Swann, p.504, Folio n°821)