François Mauriac
1885-1970
  1. Plus j'y songe et plus je crois que le Christ m'est apparu comme celui qui départage entre deux impossibilités.
    (Ce que je crois, p.19, Éd. Grasset, 1962)
     
  2. Un miracle que nous ne voyons même plus tellement il est commun, c'est qu'aucun visage humain, autant qu'il en existe et qu'il en ait existé, n'en reproduit un autre.
    (Ce que je crois, p.34, Éd. Grasset, 1962)
     
  3. Ce n'est pas la peur au sens où l'entendait le vieux Lucrèce qui enfante les dieux, mais l'horreur du néant, ou plutôt de son absurdité : l'être pensant ne consent pas à ne pas avoir été pensé, le coeur aimant ne consent pas à ne pas avoir été aimé.
    (Ce que je crois, p.52, Éd. Grasset, 1962)
     
  4. Quand on a passé le cap des tempêtes et trouvé le port, on est mal venu de vouloir faire la leçon à ceux qui se débattent encore, à ceux qui commencent à peine à se débattre.
    (Ce que je crois, p.69, Éd. Grasset, 1962)
     
  5. Il faut que la vieillesse soit sainte, sinon elle est obsédée.
    (Ce que je crois, p.70, Éd. Grasset, 1962)
     
  6. Nous possédons à jamais la créature à laquelle nous avons renoncé.
    (Ce que je crois, p.78, Éd. Grasset, 1962)
     
  7. [...] il est vrai que tout parti pris théologique comporte une attitude politique.
    (Ce que je crois, p.98, Éd. Grasset, 1962)
     
  8. [...] nous confondons souvent haine et exaspération. Ce sont deux états bien différents. Nous nous exaspérons les uns les autres, durant toute notre vie, il est vrai, parce que nous ne tenons pas compte de nos raisons mutuelles. Et puis, au soir de la vie, lorsque la poussière des anciens combats est retombée, il arrive que nous rencontrions un adversaire d'autrefois. Alors, nous nous étonnons de ce plaisir à être ensemble, à parler des luttes passées, des amis ou des ennemis du temps de notre jeunesse et qui ne sont plus là.
    (Ce que je crois, p.110, Éd. Grasset, 1962)
     
  9. Croire, c'est aimer.
    (Ce que je crois, p.188, Éd. Grasset, 1962)
     
  10. Paris est une solitude peuplée ; une ville de province est un désert sans solitude.
    (La Province, p.7, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  11. Un provincial intelligent souffre à la fois d'être seul et d'être en vue. Il est le fils un Tel, sur le trottoir de la rue provinciale, il porte sur lui, si l'on peut dire, toute sa parenté, ses relations, le chiffre de sa dot et de ses espérances. Tout le monde le voit, le connaît, l'épie ; mais il est seul. Non qu'il n'existe en Province des hommes intelligents et des hommes d'esprit ; mais comment se rencontreraient-ils ? la Province n'a jamais su abattre les cloisons.
    (La Province, p.8, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  12. Paris détruit les types que la Province accuse.
    La Province cultive les différences : nul n'y songe à rougir de ses accents, de ses manies.
    Paris nous impose un uniforme ; il nous met, comme ses maisons, à l'alignement ; il estompe les caractères, nous réduit tous à un type commun.

    (La Province, p.19, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  13. Un homme intelligent, curieux des choses de l'esprit et qui n'a jamais quitté sa campagne, s'enlise presque toujours dans une spécialité, se borne, se limite à un sujet local. Sans ressources extérieures, sans instrument de travail, il vit sur son propre fonds, s'épuise ; la somnolence universelle le gagne. Celui-là n'a pas besoin d'opium. Pour sa commodité, il arrête l'histoire à une certaine époque et ne veut rien connaître au-delà. Quel péril, pour un homme intelligent, que l'absence de témoins ! L'homme le plus attentif ne se voit bien que dans les yeux des autres. À la campagne, un homme cultivé sait qu'on le moque pour ce qu'il a de supérieur ; mais rien ne l'avertit de ses vrais ridicules que nul ne lui dénonce.
    (La Province, p.48, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  14. Autrefois, le chemineau faisait horreur ; le saltimbanque était méprisé : Les sédentaires se jugeaient supérieurs aux errants. Aujourd'hui, l'homme immobile regarde l'homme bolide écraser sa volaille et disparaître dans une poussière de gloire.
    (La Province, p.55, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  15. Même sans y participer, nous pensons à la vie nocturne de Paris avec une grande satisfaction. Notre sommet est un choix : Paris est le lieu du monde où nous nous sentons le plus libres, où nous pourrions toujours faire autre chose que ce que nous faisons.
    (La Province, p.75, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  16. La Province est peuplée d'emmurés, d'êtres qui n'imaginent pas que se puisse jamais réaliser leur désir.
    (La Province, p.77, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  17. Une femme désirée et possédée nous enrichit de clartés, certes, mais sur notre propre coeur, par tout ce qu'elle déchaîne : elle-même risque de nous demeurer indéchiffrable ; car la possession charnelle n'est pas le vrai moyen de connaissance : elle est créatrice de mirages ; le désir, l'assouvissement tour à tour transforment et déforment l'être aimé.
    (La Province, p.92, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  18. Ce qui distingue un romancier, un dramaturge, du reste des hommes, c'est justement le don de voir de grands arcanes dans les aventures les plus communes. Toutes les aventures sont communes, mais non leurs secrets ressorts.
    (La Province, p.94, Hachette (Notes et maximes), 1964)