Lucien Arréat
1841-1922
  1. Primum vivere, ou primum philosophari ? Je répondrais volontiers que vivre et philosopher sont même chose.
    (Réflexions et maximes, p.1, Félix Alcan, 1911)
     
  2. Le désir et l'aversion règlent la balance de la vie.
    (Réflexions et maximes, p.1, Félix Alcan, 1911)
     
  3. La meilleure raison de préférer est toujours « que l'on préfère ».
    (Réflexions et maximes, p.1, Félix Alcan, 1911)
     
  4. Le moral peut former une sympathie, et le physique la détruire. Mais le cas contraire est plus fréquent, ou plus remarqué.
    (Réflexions et maximes, p.1, Félix Alcan, 1911)
     
  5. J'en entendu une femme sur l'âge, distinguée et parfaitement saine, dire d'un visiteur : « J'ai de l'estime pour lui, mais je ne voudrais pas le recevoir familièrement, son corps me déplaît. »
    (Réflexions et maximes, p.2, Félix Alcan, 1911)
     
  6. Il faut avoir vu beaucoup d'hommes pour juger qu'ils sont les mêmes ; il faut en étudier quelques-uns pour les trouver différents.
    (Réflexions et maximes, p.2, Félix Alcan, 1911)
     
  7. Les passions sont des états où chaque individu entre avec son propre caractère ; il les fait siennes, et elles sont lui.
    (Réflexions et maximes, p.2, Félix Alcan, 1911)
     
  8. Combien d'hommes se composent un sujet de vanité du génie d'atrui !
    (Réflexions et maximes, p.3, Félix Alcan, 1911)
     
  9. Les épines disaient à la rose « Sans toi, nous serions fleur ou feuille, car la même sève nous nourrit. Mais tu la dépenses pour te faire belles. »
    - « Ingrates, repartit la rose, si je n'avais couleur et parfum, les poètes n'eussent pas chanté vos dards en si jolis vers. »

    (Réflexions et maximes, p.3, Félix Alcan, 1911)
     
  10. Plus son art est futile, plus l'artiste en tire vanité.
    (Réflexions et maximes, p.3, Félix Alcan, 1911)
     
  11. Le vaniteux a soif de louanges ; l'orgueilleux, de domination : il n'affecte d'être modeste qu'en rabaissant à la fois les autres hommes.
    (Réflexions et maximes, p.3, Félix Alcan, 1911)
     
  12. Le choc de deux orgueils est parfois tragique ; la dispute de deux vanités n'est que ridicule.
    (Réflexions et maximes, p.3, Félix Alcan, 1911)
     
  13. Il se mêle souvent à la vanité une sorte de naïveté qui la rend inoffensive ; à l'orgueil, une réserve qui l'adoucit ou une fierté qui le relève.
    (Réflexions et maximes, p.4, Félix Alcan, 1911)
     
  14. La timidité dont s'accompagne si souvent un juste orgueil, c'est toujours la crainte, au fond, de ne pas paraître à la hauteur de l'estime qu'on fait de soi-même.
    (Réflexions et maximes, p.4, Félix Alcan, 1911)
     
  15. Le contentement de soi produit ce miracle, qu'on ne s'avoue pas les défauts mêmes qu'on se connaît.
    (Réflexions et maximes, p.4, Félix Alcan, 1911)
     
  16. Voyez ces femmes qui balancent la tête, dans la rue, d'un mouvement satisfait. Elles n'ont oublié que de s'attacher au cou une sonnette.
    (Réflexions et maximes, p.4, Félix Alcan, 1911)
     
  17. Quand l'homme se compare à l'animal, il le calomnie, ou il se vante.
    (Réflexions et maximes, p.4, Félix Alcan, 1911)
     
  18. « Connaissez-vous, demandait à l'abeille le papillon indiscret, le nom de ce poète plein de lui-même dont certains vantent l'esprit ? - Non, répondit l'abeille en retirant d'une fleur sa langue fine, mais les commères ses voisines bourdonnent quand il passe, et c'est peut-être cela qui le rend si glorieux. »
    (Réflexions et maximes, p.5, Félix Alcan, 1911)
     
  19. La jalousie, en son fond, c'est la crainte d'une diminution du moi : elle reste, quelle qu'en soit la matière, une expression directe, primitive, universelle, de l'instinct de la conservation.
    (Réflexions et maximes, p.5, Félix Alcan, 1911)
     
  20. Le jaloux que sa passion prend tout entier croit sentir sans cesse l'ombre de quelqu'un passer sur lui, et l'obsession pénible qu'il en a peut grandir jusqu'à la fureur ou à la haine.
    (Réflexions et maximes, p.5, Félix Alcan, 1911)
     
  21. Nos haines révèlent peut-être le moi profond mieux que nos amours.
    (Réflexions et maximes, p.5, Félix Alcan, 1911)
     
  22. Une passion, en elle-même, n'est pas plus une folie qu'un appétit robuste n'est une indigestion ; elle y peut servir, et c'est tout ce qu'il faut dire.
    (Réflexions et maximes, p.6, Félix Alcan, 1911)
     
  23. « Ce que je ne comprends pas n'existe pas », a écrit Mme de Staël. C'est son mot de raison, ou un mot d'orgueil, selon les gens.
    (Réflexions et maximes, p.6, Félix Alcan, 1911)
     
  24. Si l'on ne prend plus tant, avec l'âge, certaines choses au sérieux, une des raisons en est peut-être qu'on s'attribue moins d'importance à soi-même.
    (Réflexions et maximes, p.6, Félix Alcan, 1911)
     
  25. Pauvres auteurs qui rêvent du plaisir qu'ils auront à voir leur gloire, une fois en terre ! Ils jouent « à être morts », comme les enfants.
    (Réflexions et maximes, p.6, Félix Alcan, 1911)
     
  26. Les convictions si fermes de bien des gens n'ont d'autre fondement que le vain souci de rester dans leur erreur.
    (Réflexions et maximes, p.6, Félix Alcan, 1911)
     
  27. « Connais-toi toi-même » disent les sages. Le conseil en est perfide, car, à se connaître mieux, chacun ne s'estimerait plus guère.
    (Réflexions et maximes, p.7, Félix Alcan, 1911)
     
  28. L'esprit et la bêtise sont de proches voisins, mais des voisins qui ne se fréquentent pas.
    (Réflexions et maximes, p.7, Félix Alcan, 1911)
     
  29. Il est un genre de sottise où les hommes se rencontrent de bien loin : celle des sots qui pensent avoir du mérite, et des gens d'esprit qui n'estiment que leur esprit.
    (Réflexions et maximes, p.7, Félix Alcan, 1911)
     
  30. Rester naïf, c'est plus qu'on ne croit, un signe de force.
    (Réflexions et maximes, p.7, Félix Alcan, 1911)
     
  31. On ne jette pas en l'air une bêtise, qu'un badaud ne la rattrape.
    (Réflexions et maximes, p.7, Félix Alcan, 1911)
     
  32. L'âne a les oreilles longues, mais ce sont les siennes.
    (Réflexions et maximes, p.8, Félix Alcan, 1911)
     
  33. « Dieu ne fait pas tous les pauvres », dit un proverbe. - Oui, mais il fait tous les imbéciles.
    (Réflexions et maximes, p.8, Félix Alcan, 1911)
     
  34. Le plaisir des yeux est cruel toute la vie.
    (Réflexions et maximes, p.8, Félix Alcan, 1911)
     
  35. L'âge attendrit les méchants, comme il fait des viandes dures, mais sans les rendre meilleurs.
    (Réflexions et maximes, p.8, Félix Alcan, 1911)
     
  36. Nous sommes les jouets de nous-mêmes, parfois aussi nos propres comédiens ; et cela si naturellement, que nous ne le voyons pas.
    (Réflexions et maximes, p.8, Félix Alcan, 1911)
     
  37. En général, les femmes affectent de bien connaître les hommes, les hommes de mal connaître les femmes. Il semble que ce soit un refuge que se ménage l'amour-propre de chacun des sexes : pour les femmes, une revanche de leur faiblesse ; pour les hommes, un adoucissement à leurs infortunes.
    (Réflexions et maximes, p.8, Félix Alcan, 1911)
     
  38. Si mêlés sont nos sentiments, nos besoins, nos appétits, que des états respectables peuvent paraître choquants et des états douloureux presque comiques.
    (Réflexions et maximes, p.9, Félix Alcan, 1911)
     
  39. Telle veuve qui n'aimait pas son mari songe à se remarier dans l'année ; telle autre qui aimait le sien, dans la quinzaine.
    (Réflexions et maximes, p.9, Félix Alcan, 1911)
     
  40. Souvent, parmi nos motifs d'action, il en est un plus puissant que tous les autres : c'est celui qu'on ne dit pas.
    (Réflexions et maximes, p.9, Félix Alcan, 1911)
     
  41. À l'ordinaire, bon sens passe bon coeur.
    (Réflexions et maximes, p.9, Félix Alcan, 1911)
     
  42. Compte sur la pitié qui vient de la raison ; celle qui vient du sentiment est plus variable.
    (Réflexions et maximes, p.10, Félix Alcan, 1911)
     
  43. Pitié banale, celle que fait naître la vue d'une plaie saignante. Pitié plus rare, celle qui s'emploie à garder autrui d'une souffrance.
    (Réflexions et maximes, p.10, Félix Alcan, 1911)
     
  44. La bonté active confine à la domination ; la bonté passive, à l'indifférence.
    (Réflexions et maximes, p.10, Félix Alcan, 1911)
     
  45. Une personne tendre a toujours du coeur, et en fait dépense pour les autres ; une personne aimable semble en avoir, et peut en manquer ; une personne bonne n'en manque jamais, mais elle ne le montre pas toujours.
    (Réflexions et maximes, p.10, Félix Alcan, 1911)
     
  46. Les belles âmes, en ce pauvre monde, ne sont pas toujours les mieux logées. Mais la beauté qui est dans le coeur met sur le visage une lumière, qui brille plus vive aussitôt qu'on la cherche avec sympathie.
    (Réflexions et maximes, p.10, Félix Alcan, 1911)
     
  47. Un enfant qui allait pieds nus voulut écraser le chaume, et se blessa. « Oh! s'écria-t-il avec colère, la méchante paille ! » Et cependant il mordait dans le pain que ce champ de blé avait donné.
    (Réflexions et maximes, p.11, Félix Alcan, 1911)
     
  48. Plus d'une fois la secrète indifférence prend le vêtement d'un chaud discours.
    (Réflexions et maximes, p.11, Félix Alcan, 1911)
     
  49. Un de mes camarades d'enfance, aimable causeur, m'exprimait un jour son plaisir d'être avec moi. « C'est que je t'écoute volontiers », lui répondis-je. Je n'y voyais pas de malice, tant c'était vrai !
    (Réflexions et maximes, p.11, Félix Alcan, 1911)
     
  50. Dès qu'on s'arrête un moment à regarder courir les autres, le monde vous offre un spectacle misérable. On découvre peu de beaux joueurs dans cette cohue, et les lourdauds y soulèvent tant de poussière qu'on en reste suffoqué.
    (Réflexions et maximes, p.11, Félix Alcan, 1911)
     
  51. On m'a confié que le roi Louis XVIII, sortant de visiter le cadavre du duc de Berry, demanda bonnement à l'un de ses familiers : « Comment trouvez-vous le temps ? - Je le trouve... comme ça, dit le courtisan. -  Comment, reprit aigrement le roi, comme ça ! mais il fait un froid de tous les diables ! »
    (Réflexions et maximes, p.12, Félix Alcan, 1911)
     
  52. Oui, non : la façon de dire ces deux mots exprime tout un caractère.
    (Réflexions et maximes, p.12, Félix Alcan, 1911)
     
  53. M. Charles Mismer (1832-1904) m'a répété bien des fois avec sa grande expérience de la vie : « Le mot le plus difficiel à dire en toute langue, c'est non ».
    (Réflexions et maximes, p.12, Félix Alcan, 1911)
     
  54. L'homme qui est un caractère peut n'avoir pas toutes les habiletés, mais il ne fait point de ces chutes honteuses par où finissent tant d'autres dont on nous vantait l'intelligence.
    (Réflexions et maximes, p.13, Félix Alcan, 1911)
     
  55. Il est difficile de rester parfaitement honnête homme à qui ne sait pas souvent se contenter de sa propre estime.
    (Réflexions et maximes, p.13, Félix Alcan, 1911)
     
  56. Notre vie est traversée par la fortune, mais elle est gouvernée par notre industrie et par notre caractère.
    (Réflexions et maximes, p.13, Félix Alcan, 1911)
     
  57. Pour qui a bien placé son orgueil, mieux vaut rompre que plier.
    (Réflexions et maximes, p.13, Félix Alcan, 1911)
     
  58. Malheureux celui qui, tombant de haut, ne se brise pas du coup contre l'écueil !
    (Réflexions et maximes, p.13, Félix Alcan, 1911)
     
  59. Notre conduite devant la mort ne dépend pas tant de nos croyances que de notre caractère.
    (Réflexions et maximes, p.14, Félix Alcan, 1911)
     
  60. Rien n'est tragique avec les petites âmes. La tragédie ne vient pas de l'événement, mais du héros.
    (Réflexions et maximes, p.14, Félix Alcan, 1911)
     
  61. Magnanine : un mot qui n'a plus guère de sens ni d'emploi dans notre société.
    (Réflexions et maximes, p.14, Félix Alcan, 1911)
     
  62. Nous avons créé les intellectuels. Il est clair qu'ils ne sont pas des intelligents.
    (Réflexions et maximes, p.14, Félix Alcan, 1911)
     
  63. Si l'on notait avec attention les mots qui entrent dans une langue, et ceux qui en sortent, on aurait un assez juste moyen de comparaison entre les temps.
    (Réflexions et maximes, p.14, Félix Alcan, 1911)
     
  64. Vivre et laisser vivre : que ce soit là votre règle, avec les tempéraments nécessaires.
    (Réflexions et maximes, p.15, Félix Alcan, 1911)
     
  65. À ne vouloir être que soi, on finit pas être moins que soi.
    (Réflexions et maximes, p.15, Félix Alcan, 1911)
     
  66. Il ne faut pas trop regarder dans les coins avec les personnes que l'on fréquente : il s'y trouve toujours un peu de poussière.
    (Réflexions et maximes, p.15, Félix Alcan, 1911)
     
  67. Commence par estimer les hommes à qui tu parles. Il sera toujours temps de les mépriser.
    (Réflexions et maximes, p.15, Félix Alcan, 1911)
     
  68. N'exigez pas trop de vertus des gens qui vous servent. Si on ne leur restait supérieur, quel droit aurait-on de leur commander ?
    (Réflexions et maximes, p.15, Félix Alcan, 1911)
     
  69. L'indulgence véritable aux fautes d'autrui est un heureux profit de la sévérité envers soi-même.
    (Réflexions et maximes, p.15, Félix Alcan, 1911)
     
  70. Ne faisons pas état du bien ou du mal qu'on dit d'un homme, que nous ne l'ayons nous-même pratiqué.
    (Réflexions et maximes, p.16, Félix Alcan, 1911)
     
  71. Sachons gré à certaines gens de nous estimer assez pour être ingrats.
    (Réflexions et maximes, p.16, Félix Alcan, 1911)
     
  72. L'impatience des vifs vient de leur mobilité ; l'impatience des lents, de leur paresse.
    (Réflexions et maximes, p.16, Félix Alcan, 1911)
     
  73. Le courage est une monnaie d'argent, le sang-froid une monnaie d'or.
    (Réflexions et maximes, p.16, Félix Alcan, 1911)
     
  74. On ne dispute guère pour s'entendre, on s'accorde pour disputer.
    (Réflexions et maximes, p.16, Félix Alcan, 1911)
     
  75. La colère est une faiblesse qui humilie, quand elle n'est pas une erreur que l'on regrette.
    (Réflexions et maximes, p.16, Félix Alcan, 1911)
     
  76. Demander à la vie ce qu'elle ne peut nous donner ; oublier que demain arrive toujours : deux façons de préparer son malheur.
    (Réflexions et maximes, p.17, Félix Alcan, 1911)
     
  77. Bien téméraire l'homme qui se repose sur sa constante fortune ! Napoléon lui-même, malgré son génie, était le joueur qui finit toujours par perdre contre la banque tenue par le destin.
    (Réflexions et maximes, p.17, Félix Alcan, 1911)
     
  78. L'action a une vertu en elle-même : elle fortifie nos bonnes tendances, ou aggrave nos mauvaises.
    (Réflexions et maximes, p.17, Félix Alcan, 1911)
     
  79. Ce qui est un défaut dans la pensée peut aussi être une qualité dans l'action.
    (Réflexions et maximes, p.17, Félix Alcan, 1911)
     
  80. Ce que la langue dépense, l'action ou la réflexion le perd.
    (Réflexions et maximes, p.1, Félix Alcan, 1911)
     
  81. Répéter des lieux communs parce qu'ils vous semblent justes, c'est la marque d'un esprit vulgaire, qui peut d'ailleurs être un esprit droit. Afficher une opinion nouvelle parce qu'on la trouve rare, c'est le signe d'un esprit mal fait et sans plus d'originalité que l'autre. Mieux vaut une pièce usée qu'une pièce fausse.
    (Réflexions et maximes, p.18, Félix Alcan, 1911)
     
  82. Trop de sagesse empêche parfois de faire de grandes choses.
    (Réflexions et maximes, p.18, Félix Alcan, 1911)
     
  83. Ce que bien des gens nomment leur expérience n'est que la lassitude de l'action.
    (Réflexions et maximes, p.18, Félix Alcan, 1911)
     
  84. L'homme est beau quand il travaille ; il est presque toujours laid quand il s'amuse.
    (Réflexions et maximes, p.18, Félix Alcan, 1911)
     
  85. Rien ne crie l'ennui de l'homme comme ses plaisirs.
    (Réflexions et maximes, p.18, Félix Alcan, 1911)
     
  86. Qui de nous n'a rencontré quelque débauché dont on pouvait dire : « Il est si laid qu'on ne compte plus ses bonnes fortunes ! »
    (Réflexions et maximes, p.19, Félix Alcan, 1911)
     
  87. On ne change pas le coeur de l'homme en changeant la coupe de ses habits. Cependant l'habit contribue à faire le moine.
    (Réflexions et maximes, p.19, Félix Alcan, 1911)
     
  88. Si misérable furent certains hommes, que notre oubli leur est plus miséricordieux que notre mémoire.
    (Réflexions et maximes, p.19, Félix Alcan, 1911)
     
  89. Défions-nous des renégats et de toutes gens qui tournent à leur contraire. Si jamais les moutons devenaient loups, ils feraient un carnage épouvantable.
    (Réflexions et maximes, p.19, Félix Alcan, 1911)
     
  90. Les hommes de tous pays s'entretiennent encore, après des siècles, des batailleurs qui remuèrent le monde. N'est-ce donc rien que d'avoir désennuyé l'espère humaine ?
    (Réflexions et maximes, p.19, Félix Alcan, 1911)
     
  91. Je ne blâme pas qu'on ait le souci de laisser un bon renom. Mais que peuvent bien faire à de grands morts les histoires que content sur eux de petits hommes vivants ?
    (Réflexions et maximes, p.20, Félix Alcan, 1911)
     
  92. Rien de plus frappant que les contrastes dans le caractère ; mais ils sont parfois plus apparents que réels ; ils signifient, à l'ordinaire, un conflit de l'intelligence avec le tempérament, ou de l'éducation avec les instincts, des désirs et du vouloir avec le pouvoir.
    (Réflexions et maximes, p.20, Félix Alcan, 1911)
     
  93. Tel qui est avare se montre prodigue par ostentation ou par orgueil : sa prodigalité ne sert que lui-même et exclut générosité. Ainsi le caractère vrai se masque souvent sous des figures diverses, et quelque trait plus profond y apparaît comme coefficient de tous les autres.
    (Réflexions et maximes, p.20, Félix Alcan, 1911)
     
  94. Vices ou défaut, l'habitude du mensonge emporte une diminution de soi. Et l'on voit pourtant des hommes qui s'abaissent à mentir constamment par vanité.
    (Réflexions et maximes, p.21, Félix Alcan, 1911)
     
  95. L'égoïsme est notre fond, si l'on veut. Mais il y a bien des nuances. J'ai connu l'égoïste indulgent, l'égoïste indifférent et l'égoïste féroce. Je sais même des gens tellement assurés d'être altruistes, qu'ils ne se donnent plus la peine de l'être.
    (Réflexions et maximes, p.21, Félix Alcan, 1911)
     
  96. Grâce à la mémoire, je me sens autre, sans cesser d'être moi-même.
    (Réflexions et maximes, p.22, Félix Alcan, 1911)
     
  97. Ils s'abordent, ils se nomment, et ne se retrouvent point. Les deux enfances ont joué ensemble, mais leur moi d'aujourd'hui n'y était pas.
    (Réflexions et maximes, p.22, Félix Alcan, 1911)
     
  98. « Tous les hommes sont mortels », affirme le syllogisme classique. Nul ne le conteste, mais chacun, pour soi-même, n'y croit pas.
    (Réflexions et maximes, p.22, Félix Alcan, 1911)
     
  99. La grande illusion est celle qu'on a, dans la jeunesse, de vivre toujours.
    (Réflexions et maximes, p.23, Félix Alcan, 1911)
     
  100. La jeunesse se plaît aux changements, qui égaient sa vie ; la vieillesse les redoute, parce qu'ils la menacent.
    (Réflexions et maximes, p.23, Félix Alcan, 1911)
     
  101. Les vieillards, nous dit-on, sont des enfants. Mais ils sont des enfants qui vont mourir. Cela change tout.
    (Réflexions et maximes, p.23, Félix Alcan, 1911)
     
  102. Ce qui importe dans la ferveur de l'adolescence, ce n'est pas le sujet de l'émotion, mais l'émotion elle-même.
    (Réflexions et maximes, p.23, Félix Alcan, 1911)
     
  103. Ce que les jeunes gens aiment vraiment dans la société présente, ce n'est pas cette société, mais leur jeunesse. Ils n'en regretteront plus tard que ce qu'ils y auront laissé d'eux-mêmes.
    (Réflexions et maximes, p.23, Félix Alcan, 1911)
     
  104. Les jours ne nous attendent point ; ils sont déjà passés avant que nous les ayons remplis.
    (Réflexions et maximes, p.24, Félix Alcan, 1911)
     
  105. On ne jalonne pas la vie avec ses joies, mais avec ses deuils.
    (Réflexions et maximes, p.24, Félix Alcan, 1911)
     
  106. C'est une grande tristesse de perdre un ami, de quitter un lieu pour n'y jamais revenir. Nous ne sommes rien que par nos rapports avec les autres êtres et avec les choses ; leur ruine nous laisse comme mutilés et appauvris de ce qui était nous-mêmes.
    (Réflexions et maximes, p.24, Félix Alcan, 1911)
     
  107. Nos pensées pénibles sont comme les mouches : on les chasse, mais elles reviennent.
    (Réflexions et maximes, p.24, Félix Alcan, 1911)
     
  108. La pire misère est qu'on se console de la mort de ceux qu'on a aimés.
    (Réflexions et maximes, p.24, Félix Alcan, 1911)
     
  109. Nous souffrons de ne pas aimer, et tous nos attachements finissent dans la douleur.
    (Réflexions et maximes, p.25, Félix Alcan, 1911)
     
  110. Bien fous sont les pessimistes de crier après le moulin à vent pour l'empêcher de tourner ! Le même vent qui les fait crier continue à faire aller le moulin, et c'est là le train raisonnable de ce monde.
    (Réflexions et maximes, p.25, Félix Alcan, 1911)
     
  111. L'optimisme et le pessimisme sont une même expression des choses : on l'affecte du signe plus ou du signe moins, selon son tempérament.
    (Réflexions et maximes, p.25, Félix Alcan, 1911)
     
  112. Les rêves dorés de notre enfance fuient sous la main qui veut les saisir. Qui pourra attraper ces oiseaux rares et leur mettre sur la queue le grain de sel ?
    (Réflexions et maximes, p.25, Félix Alcan, 1911)
     
  113. La caresse d'un être aimé, le contact d'une chose douce endorment notre douleur mieux que tous les raisonnements du monde.
    (Réflexions et maximes, p.25, Félix Alcan, 1911)
     
  114. La poésie est encore ce qu'on a trouvé de plus pratique, l'essentiel en ce monde n'étant pas d'avoir du pain, mais de se plaire à la vie.
    (Réflexions et maximes, p.26, Félix Alcan, 1911)
     
  115. C'était la ville et son bruit ; c'est maintenant une allée ombreuse de chênes et de pins, le soleil qui joue les troènes, des stellaires luisant parmi les herbes, un merle qui siffle sur la branche ; et voilà que mes sentiments ont pris un nouveau cours. Quelle tristesse à la fois et quel repos dans ce rajeunissement de la nature !
    (Réflexions et maximes, p.26, Félix Alcan, 1911)
     
  116. Pour l'homme qui a quelque chose de grand dans le caractère, la vie telle que la rêvent les petits ambitieux d'honneurs ou de richesses ne vaudrait pas la peine d'être vécue.
    (Réflexions et maximes, p.26, Félix Alcan, 1911)
     
  117. Les naïfs soufflent dans le vent pour le pousser ; les habiles, pour qu'il les pousse.
    (Réflexions et maximes, p.27, Félix Alcan, 1911)
     
  118. Il est curieux de voir combien d'hommes se déconsidèrent pour parvenir à une position considérée.
    (Réflexions et maximes, p.27, Félix Alcan, 1911)
     
  119. À force de compliquer notre vie, nous ne savons plus jouir de la vie.
    (Réflexions et maximes, p.27, Félix Alcan, 1911)
     
  120. Que de peines pour un hochet !... Enrubannez-vous : mort le tigre ou l'âne, il ne vaut plus que sa peau.
    (Réflexions et maximes, p.27, Félix Alcan, 1911)
     
  121. La chasse aux palmes et aux rubans, dans notre mêlée sociale, provoque peut-être certains services gratuits, mais elle favorise singulièrement l'abaissement des caractères.
    (Réflexions et maximes, p.27, Félix Alcan, 1911)
     
  122. Je vois des gens qui font cent démarches pour obtenir un ruban rouge ou porter l'habit académique. Quand l'heure dernière a sonné, tout revient au même.
    (Réflexions et maximes, p.28, Félix Alcan, 1911)
     
  123. Si je me mêle à la vie, j'en exagère l'importance ; et si je m'en éloigne, l'insignifiance.
    (Réflexions et maximes, p.28, Félix Alcan, 1911)
     
  124. Comment un généreux désir nous emporte-t-il si haut, quand la cruelle observation nous tire si bas !
    (Réflexions et maximes, p.28, Félix Alcan, 1911)
     
  125. Les moeurs ne sont jamais aussi artificielles qu'on le dit. Il a été dans notre nature de produire notre culture.
    (Réflexions et maximes, p.28, Félix Alcan, 1911)
     
  126. Nous vivons dans des conventions de toute sorte ; et, sans ces conventions, il n'y aurait pas de société possible. À revenir à la nature, on reculerait jusqu'à l'existence des cavernes.
    (Réflexions et maximes, p.28, Félix Alcan, 1911)
     
  127. J'ai rencontré dans la forêt une harde de biches. Le mâle est venu se placer en avant, la tête droite sous son bois majestueux, ses femelles rangées derrière lui : c'est le vivant tableau du rapport des sexes, dans la nature et dans la société. Nous avons licence d'y corriger, mais non pas d'y contredire.
    (Réflexions et maximes, p.29, Félix Alcan, 1911)
     
  128. À l'égard des relations sexuelles, l'homme s'est élevé un peu au-dessus du chien ; mais il ne cesse d'accuser les préjugés qui l'empêchent de redescendre au-dessous.
    (Réflexions et maximes, p.29, Félix Alcan, 1911)
     
  129. La mouche murmure dans l'air tiède, la fourmi court sur une brindille, le ver rampe sous le gazon ; tout ce petit monde, autour de nous, s'agite, s'accouple et travaille pour remplir la grande fonction où s'emploie toute créature, et qui est de perpétuer la vie.
    (Réflexions et maximes, p.29, Félix Alcan, 1911)
     
  130. Si la nature n'eût fait d'elle une nourrice, la femme ne serait pas toute la femme.
    (Réflexions et maximes, p.30, Félix Alcan, 1911)
     
  131. Une fleur de dahlia se vantait d'être stérile. « En suis-je moins belle, repartit la fleur du grenadier, pour la beauté de mon fruit ? »
    (Réflexions et maximes, p.30, Félix Alcan, 1911)
     
  132. Sans les délicats, l'espèce humaine ne porterait pas sa fleur ; avec les seuls délicats, elle décherrait bientôt.
    (Réflexions et maximes, p.30, Félix Alcan, 1911)
     
  133. À quel niveau inférieur ne retomberaient pas nos civilisations, une fois dépouillées de ce qu'on nomme avec dédain les « vertus inutiles » !
    (Réflexions et maximes, p.30, Félix Alcan, 1911)
     
  134. Charmantes fleurs de l'illusion, à qui trancherait le fil léger qui vous lie à notre terre il ne resterait bientôt plus, dans le voyage de la vie, qu'une obscurité morne et la lourde fatigue du chemin.
    (Réflexions et maximes, p.30, Félix Alcan, 1911)
     
  135. La vie du coeur tient entre ces deux moments, - attendre, se souvenir.
    (Réflexions et maximes, p.31, Félix Alcan, 1911)
     
  136. La mélancolie des jeunes gens n'est que l'appétit du bonheur ; celle des vieillards en est le regret.
    (Réflexions et maximes, p.31, Félix Alcan, 1911)
     
  137. Chère et noble figure qui disparaissez dans le passé, vous possédiez ces qualités éminentes qui furent la fleur de notre haute culture, la distinction, le sens de l'art, le jugement sain et la divine bonté. La vieillesse même, en déformant votre corps délicat, ne sut pas vous les ravir. De votre personne émanait ce charme qui ne se définit point, cette grâce discrète, supérieure aux dons bruyants de la renommée, qui laisse je ne sais quoi de meilleur à ce qui l'approche, qui agit comme une force bienfaisante dans l'âme de ceux qu'elle traverse ou qu'elle a touchés seulement à son passage en ce monde. Vous nous quittez dans la paix, ayant reçu la faveur dernière de rester aimable jusqu'à cette heure d'angoisse où s'éteint la vie, et tristement je regarde, en cette continuelle destruction et transformation des choses humaines, s'en aller avec vous un des beaux exemples d'une éducation qui finit et d'une société qui meurt.
    (Réflexions et maximes, p.31, Félix Alcan, 1911)
     
  138. Ne disputons par sur la valeur relative des grands hommes. Les variétés du génie sont le génie.
    (Réflexions et maximes, p.33, Félix Alcan, 1911)
     
  139. On cite des hommes considérables qui furent des « dégénérés ». Plus commune est encore l'espèce des fous qui pensent avoir du génie.
    (Réflexions et maximes, p.33, Félix Alcan, 1911)
     
  140. Les grands hommes commencent à vivre quand ils meurent.
    (Réflexions et maximes, p.33, Félix Alcan, 1911)
     
  141. L'excès de louange, c'est une brèche à la gloire.
    (Réflexions et maximes, p.33, Félix Alcan, 1911)
     
  142. Ni tous les vivants ne méritent leur renommée, ni tous les morts leur oubli.
    (Réflexions et maximes, p.34, Félix Alcan, 1911)
     
  143. De l'or dans les poches, du paillon dans la tête, voilà le bilan de maint auteur à la mode.
    (Réflexions et maximes, p.34, Félix Alcan, 1911)
     
  144. Parmi nos hommes « célèbres » combien il s'en trouve qui n'ont jamais pensé à rien ! Combien d'autres qui s'agitent sans avancer ! Ils sont des machines qui brûlent beaucoup de charbon, mais la roue ne tourne pas.
    (Réflexions et maximes, p.34, Félix Alcan, 1911)
     
  145. Quel encombrement de petites gloires faites par de petits esprits !
    (Réflexions et maximes, p.34, Félix Alcan, 1911)
     
  146. L'admiration est une émotion autant qu'un jugement.
    (Réflexions et maximes, p.34, Félix Alcan, 1911)
     
  147. Admirer, c'est créer soi-même la beauté dans les choses par un mensonge inconscient, à peu près semblable au mensonge du poète dans la création volontaire de son oeuvre.
    (Réflexions et maximes, p.35, Félix Alcan, 1911)
     
  148. Si le souvenir n'imaginait pas, il ne vivrait pas. - Je prête quelque chose de moi-même aux scènes qui sont passées, aux figures évanouies, aux voix qui ne parlent plus.
    (Réflexions et maximes, p.35, Félix Alcan, 1911)
     
  149. L'imagination poétique, dans l'artiste, est comme la fiction d'une vie seconde, infiniment variée, qui prend existence et forme selon l'occasion ou le moment.
    (Réflexions et maximes, p.35, Félix Alcan, 1911)
     
  150. Le défaut de mesure donne parfois l'impression de la puissance ; il marque plus souvent une faiblesse.
    (Réflexions et maximes, p.35, Félix Alcan, 1911)
     
  151. L'art, quel qu'il soit, transfigure le sentiment qu'il exprime ; et c'est par là que les divers arts restent voisins l'un de l'autre, tandis qu'ils semblent si différents, par leurs moyens d'expression, par leur langage.
    (Réflexions et maximes, p.36, Félix Alcan, 1911)
     
  152. L'émotion la plus aiguë, la plus violente est comme allégée et purifiée en passant par la vision de l'artiste : elle affecte un caractère d'idéal, d'éloignement, qui en relève la dignité et ne la laisse pas être douloureuse.
    (Réflexions et maximes, p.36, Félix Alcan, 1911)
     
  153. L'artiste a sa façon d'être ému, qui peut n'être pas la vôtre. Il a fourni l'aliment, donné le choc dont les âmes vibreront ; le reste n'est pas son affaire.
    (Réflexions et maximes, p.36, Félix Alcan, 1911)
     
  154. Tout ce que j'écris me semble pauvre et sans couleur auprès de ce que je pense ; les mots font voir le squelette de l'idée, ils ne traduisent pas l'émotion qui est sa chair et sa vie.
    (Réflexions et maximes, p.36, Félix Alcan, 1911)
     
  155. L'intuition, c'est la vision anticipée d'une vérité : hypothèse pour le savant, rêverie pour le poète.
    (Réflexions et maximes, p.37, Félix Alcan, 1911)
     
  156. Le savant passe de l'émotion à la connaissance ; le poète fait le contraire. Mais l'homme n'est pas complet, s'il n'est l'un et l'autre.
    (Réflexions et maximes, p.37, Félix Alcan, 1911)
     
  157. Léonard de Vinci reste plus grand pour avoir été un homme de science. Les Kepler et les Pascal nous saisissent par un cri venu de leur âme de poète.
    (Réflexions et maximes, p.37, Félix Alcan, 1911)
     
  158. Quiconque veut créer, en art, doit oublier beaucoup et redevenir naïf.
    (Réflexions et maximes, p.37, Félix Alcan, 1911)
     
  159. Certaines gens veulent enseigner à faire des chefs-d'oeuvre. Il ne faut qu'avoir du génie ; avec cet ingrédient, tous les procédés sont bons.
    (Réflexions et maximes, p.37, Félix Alcan, 1911)
     
  160. Beaucoup de talent, mais littérature de gens mal élevés, telle est l'impression que me laissent bien des oeuvres d'aujourd'hui.
    (Réflexions et maximes, p.38, Félix Alcan, 1911)
     
  161. « J'admire, disait un critique désabusé, que puisse venir aux jeunes gens qui fréquentent nos théâtres l'idée de se marier. - On ne les décourage point, reprit un confrère, on les prépare. »
    (Réflexions et maximes, p.38, Félix Alcan, 1911)
     
  162. « En quelle langue, me demandait un lettré chinois, est donc écrit ce roman qui a porté, me dit-on, son auteur à l'Académie ? - Mais, Monsieur, en langue française, je suppose. - C'est étrange, je ne l'ai pas reconnue. »
    (Réflexions et maximes, p.38, Félix Alcan, 1911)
     
  163. « Que vouliez-vous qu'il fasse contre trois ? - Qu'il meure !... » Voilà comment on accommoderait Corneille.
    (Réflexions et maximes, p.38, Félix Alcan, 1911)
     
  164. Irrémédiable vulgarité : de ce juste mot un écrivain délicat1 a flétri un romancier trop vanté, dont le nom ne viendra plus sous ma plume.
    1. Maurice Barrès

    (Réflexions et maximes, p.38, Félix Alcan, 1911)
     
  165. Tels poètes acclamés sur nos théâtres et portés par l'art du comédien ne sont, à bien voir, que des « barbares ».
    (Réflexions et maximes, p.39, Félix Alcan, 1911)
     
  166. .Un jeune médecin me disait, en parlant de Lamartine, ce mot que j'ai retenu : « Il n'est jamais ridicule. »
    (Réflexions et maximes, p.39, Félix Alcan, 1911)
     
  167. Un de ses jeunes amis [Pène-Siefert] demandait à Chenavard : « Que pensez-vous de Victor Hugo, vous qui le connaissez bien ? - Euh ! fit le peintre de sa voix enrouée, c'est un animal énorme... »
    (Réflexions et maximes, p.39, Félix Alcan, 1911)
     
  168. Je viens de lire la correspondance d'un poète aimé et d'une femme célèbre. Avec quoi l'homme compose sa poésie ! De quel fond d'impuretés il tire son idéal ! Toujours autour de nous flotte la bienfaisante illusion qui ennoblit nos rêves et purifie même la boue de nos souvenirs.
    (Réflexions et maximes, p.39, Félix Alcan, 1911)
     
  169. Il est des pages qu'on regrette d'avoir écrites. On les renie, on ne les efface point : elles restent comme le témoin des drames de notre vie intérieure.
    (Réflexions et maximes, p.40, Félix Alcan, 1911)
     
  170. La beauté réside plutôt dans la forme, la grâce dans les mouvements, le charme dans l'expression. Ni le peintre ni le statuaire ne les confondent. Le génie grec ne les assemblait point dans une même divinité de l'Olympe. L'amour ne leur parle pas le même langage.
    (Réflexions et maximes, p.40, Félix Alcan, 1911)
     
  171. Il n'est point de beauté qui n'appelle l'idée, la représentation, de son contraire ou de son exprès, et ces contrastes cachés aident à la rendre plus sensible.
    (Réflexions et maximes, p.40, Félix Alcan, 1911)
     
  172. La perfection absolue m'apparaît comme le dernier terme, irréalisé autant qu'il est irréalisable, d'une série de valeurs construite par l'intellect : abstraction pure, concept idéal, dont le rôle est de satisfaire à ce besoin des contrastes sans lesquels nos sentiments comme nos pensées n'auraient ni expression ni vie.
    (Réflexions et maximes, p.41, Félix Alcan, 1911)
     
  173. J'entends parler d'arts qu'on ne pourrait dépasser ni rajeunir. Mais où donc finit la perfection ?
    (Réflexions et maximes, p.41, Félix Alcan, 1911)
     
  174. La moralité de l'art, c'est la beauté. Mais la beauté a ses degrés et ses conditions.
    (Réflexions et maximes, p.41, Félix Alcan, 1911)
     
  175. Ce que nous demandons à l'art, c'est le mensonge de la vie ; et peut-être rien n'est-il si beau dans l'histoire que le mensonge de l'histoire.
    (Réflexions et maximes, p.41, Félix Alcan, 1911)
     
  176. Le bienfait de l'art est de nous tromper sur notre misère, d'embellir jusqu'à nos laideurs, de masquer ou de relever jusqu'à nos appétits et à nos vices.
    (Réflexions et maximes, p.42, Félix Alcan, 1911)
     
  177. L'art nous associe dans une même recherche de la beauté, dans un même effort vers une existence noble. Son office est plus grand encore : il rattache le présent au passé lointain, il crée la société des hommes à travers le temps ; par lui nous deviennent intelligibles et respectables les moeurs, les croyances qui ne sont plus les nôtres, et ce qui fut hier revit pour une heure dans la pensée inquiète d'aujourd'hui.
    (Réflexions et maximes, p.42, Félix Alcan, 1911)
     
  178. Il se peut que l'artiste affecte des façons révolutionnaires ; l'art n'en demeure pas moins une puissance conservatrice.
    (Réflexions et maximes, p.42, Félix Alcan, 1911)
     
  179. Quel péché contre l'art que de toucher d'une main grossière à ces pures figures, à ces créations rares où s'est attachée la poésie de nos pères, et dont la beauté illumine le chemin douloureux de notre histoire !
    (Réflexions et maximes, p.42, Félix Alcan, 1911)
     
  180. Triples cuistres et fâcheux insupportables ceux qui se donnent pour être des marchands de vérités !
    (Réflexions et maximes, p.43, Félix Alcan, 1911)
     
  181. Tel peuple qui enfanta les plus beaux génies aux temps de son ignorance n'en possède plus aux temps de son savoir.
    (Réflexions et maximes, p.43, Félix Alcan, 1911)
     
  182. Il ne suffit pas que la science soit, pour que l'art soit. La beauté de l'oeuvre, la richesse de la production viennent de ce que l'artiste apporte au monde de force créatrice et de sentiments, de ce qu'il y trouve de croyance, de chaleur, de volonté, de motifs d'aimer ou même de haïr, non de ce qu'il possède de connaissances scientifiques ou de ce qu'il rencontre en son milieu de progrès matériels.
    (Réflexions et maximes, p.43, Félix Alcan, 1911)
     
  183. Je l'ai vu par quelques exemples, et je le conclus de bien des aveux : le pur rationalisme dessèche l'art comme il dessèche la religion et l'amour.
    (Réflexions et maximes, p.44, Félix Alcan, 1911)
     
  184. Il convient que l'artiste vise haut. On atteint où l'on peut ; mais les pensées nobles laissent toujours leur empreinte.
    (Réflexions et maximes, p.44, Félix Alcan, 1911)
     
  185. La source de toute poésie, c'est le sentiment profond de ce qui est inexprimable.
    (Réflexions et maximes, p.44, Félix Alcan, 1911)
     
  186. Il faut dix minutes pour bâtir un faux raisonnement, et dix ans pour le détruire.
    (Réflexions et maximes, p.45, Félix Alcan, 1911)
     
  187. On peut observer exactement et juger faux, comme faire de mauvaise cuisine avec des provisions de premier choix.
    (Réflexions et maximes, p.45, Félix Alcan, 1911)
     
  188. Une faible compréhension fait toute la force de beaucoup d'hommes. La pauvreté d'idées est à l'intelligence ce que l'entêtement est au caractère.
    (Réflexions et maximes, p.45, Félix Alcan, 1911)
     
  189. Les esprits absolus ont le plus de chance de se faire des disciples : leur philosophie a des thèses d'une effrayante simplicité, elle ne connaît ni l'espace ni le temps. Ils semblent nés avec des oeillères qui les bornent et marchent droit devant eux, fût-ce vers un précipice. Ceux qui les suivent ne voient pas le péril ; il suffit à leur confiance et à leur paresse qu'on les mène sans faire de détours.
    (Réflexions et maximes, p.46, Félix Alcan, 1911)
     
  190. N'être pas l'homme de son métier, ou n'être que l'homme de son métier, deux situations où le plus habile se dimininue, quand il ne s'abêtit pas.
    (Réflexions et maximes, p.46, Félix Alcan, 1911)
     
  191. Que de gens, parmi les humbles, valent mieux que leur renommée !
    (Réflexions et maximes, p.46, Félix Alcan, 1911)
     
  192. L'illéttré qui est un héros du coeur est supérieur à tous les habiles de ce monde.
    (Réflexions et maximes, p.46, Félix Alcan, 1911)
     
  193. La grande majorité des hommes ignorent encore que la terre tourne, et ils ne s'en trouvent pas plus malheureux.
    (Réflexions et maximes, p.47, Félix Alcan, 1911)
     
  194. Les humbles d'esprit ont cette compensation, qu'ils profitent des bienfaits de la science en gardant le bénéfice de leur ignorance.
    (Réflexions et maximes, p.47, Félix Alcan, 1911)
     
  195. Les hommes positifs, qui mesurent toute chose, restent incapables de rien entendre à l'indifférence des rêveurs. Que 4 et 7 fassent 12, ou fassent 9, je sais des artistes à qui cela est bien égal !
    (Réflexions et maximes, p.47, Félix Alcan, 1911)
     
  196. Un savoir spécial fait le savant, la supériorité générale fait un homme.
    (Réflexions et maximes, p.47, Félix Alcan, 1911)
     
  197. La vraie science ne tient pas dans le bagage des cuistres ; elle signifie l'expérience humaine tout entière. Savoir les livres doit aboutir à savoir la vie.
    (Réflexions et maximes, p.47, Félix Alcan, 1911)
     
  198. Il est noble de cultiver la science en vue des services matériels qu'elle nous promet. Son objet supérieur n'en reste pas moins l'accroissement de l'intelligence et l'enrichissement de l'âme : sans ce haut dessein, le savant ne serait plus tout le savant.
    (Réflexions et maximes, p.48, Félix Alcan, 1911)
     
  199. Si vous versez à la jeunesse le vin pur de sa science, faites briller une flamme au bord de la coupe !
    (Réflexions et maximes, p.48, Félix Alcan, 1911)
     
  200. Une culotte usée sur les bancs de l'école ne fait pas un savant.
    (Réflexions et maximes, p.48, Félix Alcan, 1911)
     
  201. À force de pédagogie subtile, il deviendra plus difficile de faire manger sa soupe à un marmot que de gouverner les empires.
    (Réflexions et maximes, p.48, Félix Alcan, 1911)
     
  202. On ne fait pas l'éducation d'un enfant avec le savoir qu'on a, mais avec son caractère.
    (Réflexions et maximes, p.49, Félix Alcan, 1911)
     
  203. Écoutez parler ces petits bonshommes qui sortent de la classe. L'école ne réussit pas même à corriger les locutions vicieuses d'un enfant, et vous croyez qu'elle changera sitôt le tempérament moral d'un peuple ! Nous vivons sur de bien étranges préjugés.
    (Réflexions et maximes, p.49, Félix Alcan, 1911)
     
  204. Le demi-savoir, qui exalte chez les uns la vanité naturelle de la bêtise, n'augmente chez tant d'autres infiniment peu le léger bagage de leurs connaissances qu'au préjudice de leur modeste bon sens.
    (Réflexions et maximes, p.49, Félix Alcan, 1911)
     
  205. Un peu d'observation vaut mieux que vingt lectures. Un éducateur digne de ce nom nous servirait mieux que vingt collèges.
    (Réflexions et maximes, p.49, Félix Alcan, 1911)
     
  206. Faites la différence de l'éducation qui forme l'esprit en l'appliquant à ce qu'il peut entendre, et de celle qui le déforme en conduisant à raisonner sur ce qu'on ignore.
    (Réflexions et maximes, p.50, Félix Alcan, 1911)
     
  207. La pire ignorance est celle qui vient d'un peu de science.
    (Réflexions et maximes, p.50, Félix Alcan, 1911)
     
  208. « Je ne sais pas. » Un mot que ne savent pas les imbéciles.
    (Réflexions et maximes, p.50, Félix Alcan, 1911)
     
  209. Ne désertons pas l'étude des lettres anciennes, mais ne craignons pas d'en faire un privilège. La faute n'est pas de garder le culte des « humanités », elle est de les faire descendre de leur rang. Ne soufflons jamais sur la lampe des sanctuaires.
    (Réflexions et maximes, p.50, Félix Alcan, 1911)
     
  210. Ce n'était pas assez des droits de l'homme. Voici qu'on nous parle des droits de l'enfant, au nom de l'État maître d'école !
    (Réflexions et maximes, p.51, Félix Alcan, 1911)
     
  211. Un État de philosophes serait une confusion ; une philosophie d'État ne saurait être qu'une borne.
    (Réflexions et maximes, p.51, Félix Alcan, 1911)
     
  212. La nature et la nécessité font les hommes inégaux et dissemblables. Nos pédagogues les voudraient égaux ou les supposent pareils. Quels monstres sortiraient de leurs mains, si la vie ne passait bientôt sur leurs erreurs un large coup d'éponge !
    (Réflexions et maximes, p.51, Félix Alcan, 1911)
     
  213. « La pédagogie ? disait confidemment Taine. Une des plus grosses sottises de ce temps. Mais, ajoutait-il, ne le disons pas trop haut ; il y a tant de gens qui en vivent ! »
    (Réflexions et maximes, p.51, Félix Alcan, 1911)
     
  214. Nos défauts et nos qualités se tiennent. Affaire de degré et de moment. Un vice, a-t-on dit, c'est de la vertu mal employée.
    (Réflexions et maximes, p.52, Félix Alcan, 1911)
     
  215. Il faut savoir faire à  temps ce qu'on aura le devoir de faire un jour.
    (Réflexions et maximes, p.52, Félix Alcan, 1911)
     
  216. On se flatte de laisser sa faute derrière soi, mais on la retrouve devant soi.
    (Réflexions et maximes, p.52, Félix Alcan, 1911)
     
  217. Combien d'hommes se dispensent d'un devoir par une grimace !
    (Réflexions et maximes, p.52, Félix Alcan, 1911)
     
  218. Celui-ci abat la tête d'un jeune sapin ; celui-là  endommage l'écorce d'un chêne. Pour l'amusement d'une seconde, on anéantit une utilité de plusieurs siècles.
    (Réflexions et maximes, p.53, Félix Alcan, 1911)
     
  219. On nous prà´ne sur nos théâtres une nouvelle morale de l'amour : elle ne serait que la vieille permission de l'impudicité.
    (Réflexions et maximes, p.53, Félix Alcan, 1911)
     
  220. Conforme à  la nature, contre la nature : expressions commodes et vagues. Est-ce que toute vertu n'est pas, à  quelque degré, un effort sur notre nature ?
    (Réflexions et maximes, p.53, Félix Alcan, 1911)
     
  221. On dénonce l'inégal avancement de la science et de la moralité. C'est que la science a nos passions pour complices ; et la morale, pour antagonistes.
    (Réflexions et maximes, p.53, Félix Alcan, 1911)
     
  222. Les lois ne sont pas l'expression de droits absolus ou de devoirs mystérieux ; elles sont des compromis entre des intérêts opposés.
    (Réflexions et maximes, p.54, Félix Alcan, 1911)
     
  223. Les devoirs naissent de la vie sociale ; l'obligation se fonde sur l'habitude. Ne négligeons donc rien de ce qui aide à  former cette habitude !
    (Réflexions et maximes, p.54, Félix Alcan, 1911)
     
  224. L'acte de foi qui donne leur force aux religions a pris naissance en des circonstances historiques qu'il n'est pas possible de répéter artificiellement. De là , la difficulté d'une morale indépendante du dogme. N'ayant pas le moyen de créer la foi qui la ferait vivre, il nous faut recourir aux démonstrations de la raison : trop fragile appui auprès de la majorité des hommes !
    (Réflexions et maximes, p.54, Félix Alcan, 1911)
     
  225. Une morale sans obligation ni sanction se discute, elle ne s'enseigne pas.
    (Réflexions et maximes, p.54, Félix Alcan, 1911)
     
  226. En morale, l'habitude crée une sorte de foi, l'action retentissant, à  chaque coup, sur notre raison.
    (Réflexions et maximes, p.54, Félix Alcan, 1911)
     
  227. L'habitude peut prendre la force d'une contrainte morale : mais elle n'arriverait guère à  s'imposer, si elle n'était soutenue par le châtiment, qu'il vienne des hommes ou de la nature.
    (Réflexions et maximes, p.55, Félix Alcan, 1911)
     
  228. Si inégalement que se répartissent les effets de nos actes, la vie nous offre une moyenne de réactions qui sont une sorte de réalité morale, analogue aux réalités physiques, et les règles de la moralité se fondent au moins sur la constance de ces réactions, à  défaut d'une autre origine.
    (Réflexions et maximes, p.55, Félix Alcan, 1911)
     
  229. La moralité se conserve, comme elle se forme, par le jeu de nos tendances profondes, de nos intérêts, de nos passions, de nos désirs... Le tout n'est pas d'affirmer quelques principes ; il s'agit d'en régler l'application, qui offre bien des cas possibles. En morale comme en politique, la vie crée, la philosophie commente.
    (Réflexions et maximes, p.55, Félix Alcan, 1911)
     
  230. Nous pouvons vouloir que notre vie ait une valeur morale, mais nous ne pouvons pas faire que la morale que nous concevons soit la destination de la vie elle-même. Imposer à  notre vie une certaine fin, et vouloir que cette fin soit celle de la nature, ce sont là  deux situations très différentes et qu'il ne faut pas confondre.
    (Réflexions et maximes, p.56, Félix Alcan, 1911)
     
  231. Comment faire même, dans le domaine des moeurs, le juste départ de ce qui demeure et de ce qui change ?
    (Réflexions et maximes, p.56, Félix Alcan, 1911)
     
  232. Le sentiment, c'est-à -dire cet ensemble si complexe de tendances acquises ou héritées, d'émotions, de pensées, de volontés, qui sont le fond de nous-mêmes : point de mot plus vague, et point d'état plus réel. S'il était possible d'en faire pour chacun de nous l'histoire et l'analyse, quelle lumière en rejaillirait sur tant de questions où la philosophie s'embrouille, sur la nature et l'origine des idées religieuses et des idées morales, sur les conflits de l'individu et de la société !
    (Réflexions et maximes, p.56, Félix Alcan, 1911)
     
  233. Comment ne pas sourire de la prétention des gens d'école à  changer le cours du monde, et peut-être aussi le coeur de l'homme, selon qu'ils ont assigné tel ou tel principe à  la conduite et arrangé à  leur mode les événements moraux ? Qu'il nous plaise à  nous, philosophes de cabinet, d'invoquer l'égoïsme ou l'altruisme, le désir de puissance ou la sympathie, l'utilité ou le bonheur, le plaisir du risque ou l'impératif catégorique, nous n'aurons refait pour cela ni l'âme humaine ni les conditions de l'existence. Nos doctrines restent dans l'abstrait ; la vie réelle, la vie vécue ne les connaît pas.
    (Réflexions et maximes, p.57, Félix Alcan, 1911)
     
  234. Les véritables révolutionnaires, en morale, ce ne sont pas les théoriciens, mais les hommes d'entreprise.
    (Réflexions et maximes, p.57, Félix Alcan, 1911)
     
  235. La grande affaire est de vivre : il faut bien que tous nos systèmes s'en arrangent.
    (Réflexions et maximes, p.57, Félix Alcan, 1911)
     
  236. Bons moralistes, il ne sert de rien d'attacher la chèvre, si le piquet ne tient pas.
    (Réflexions et maximes, p.58, Félix Alcan, 1911)
     
  237. Quel troublant spectacle que celui de ce criminel qui se repent et livre sa tête au bourreau sans une plainte ! La loi qui l'épargnerait lui serait peut-être aussi cruelle que la peine qui le frappe.
    (Réflexions et maximes, p.58, Félix Alcan, 1911)
     
  238. Nulle peinture, fût-ce la Vengeance céleste poursuivant le Crime1, ne remplacera la figure du Christ dans nos prétoires. Elle signifiait à  la fois l'expiation et le pardon. Nous frappons, mais nous ne pardonnons plus.
    1Prudhon.

    (Réflexions et maximes, p.58, Félix Alcan, 1911)
     
  239. La pénalité s'était adoucie sous l'influence du sentiment, à  la faveur du « moralisme » chrétien ou métaphysique. Cette garde étant tombée, une réaction en sens contraire s'annonce ; la sévérité des peines redeviendra, pour un temps, une condition d'existence des sociétés nouvelles.
    (Réflexions et maximes, p.58, Félix Alcan, 1911)
     
  240. Quel mélange singulier de sentiment et d'inconscience, de vouloir et de fatum, dans les événements humains !
    (Réflexions et maximes, p.59, Félix Alcan, 1911)
     
  241. Ne nous laissons pas aller à  disputer sur ces mots, le bien, le mal, expressions trop abrégées de la réalité vivante. « Pourquoi le mal, pourquoi la mort ? » s'écrie le poète. Autant demander : « Pourquoi quelque chose ? » Mais cela n'a point de sens.
    (Réflexions et maximes, p.59, Félix Alcan, 1911)
     
  242. La dernière leçon de la vie, c'est la bonté et le sacrifice de soi-même à  ce qu'on sent être son devoir.
    (Réflexions et maximes, p.59, Félix Alcan, 1911)
     
  243. Je m'étonne de la quantité de choses auxquelles peut croire un homme qui dit ne croire à  rien.
    (Réflexions et maximes, p.60, Félix Alcan, 1911)
     
  244. Libre pensée, libre croyance : même illusion psychologique.
    (Réflexions et maximes, p.60, Félix Alcan, 1911)
     
  245. De tous ces gens qui se flattent d'être des libres-penseurs, combien pensent vraiment par eux-mêmes ? Ils en appellent à  la parole de celui-ci, à  l'écriture de celui-là , ils ordonnent des processions pour fêter leurs saints, portent des bannières aux devises mirifiques, enfoncent avec fracas des portes ouvertes, insultent à  autrui à  dessein de cultiver la fraternité, se poussent dans la servitude sous le nom de liberté et répètent les pires bêtises de la Révolution, à  défaut des crimes, laissant à  quiconque les observe de sang-froid l'impression de déments où de pantins.
    (Réflexions et maximes, p.60, Félix Alcan, 1911)
     
  246. Ce qui rend un homme intolérant, ce n'est pas la qualité de sa doctrine, mais l'assurance qu'il a de posséder la vérité. À quels excès ne vient point un « libre-penseur », dès qu'il a foi en lui-même e si peu qu'il ait quelque âcreté dans le sang !
    (Réflexions et maximes, p.61, Félix Alcan, 1911)
     
  247. L'irréligion a son dogmatisme. Comment n'aurait-elle pas son fanatisme ?
    (Réflexions et maximes, p.61, Félix Alcan, 1911)
     
  248. Je ne suis pas un croyant, mais la confiance présomptueuse des négateurs me fait pitié ou m'irrite. Se sont-ils jamais demandé ce qu'il peut y avoir de vérité dans l'attitude des hommes religieux ? N'ont-ils jamais soupçonné qu'il entre sans doute plus d'erreur dans la passion irréligieuse que dans l'autre ? Ces gens se piquent de philosophie et ne sont que la caricature des philosophes.
    (Réflexions et maximes, p.61, Félix Alcan, 1911)
     
  249. Railler des croyances qui étaient celles de personnes que j'ai aimées ou honorées, je ne m'en donne pas la permission et je n'en ai pas le goût.
    (Réflexions et maximes, p.62, Félix Alcan, 1911)
     
  250. Les fanatiques de l'irréligion expliquent et justifient l'attitude religieuse par cette façon de réaction violente qui est l'irrespect et la fureur anarchique.
    (Réflexions et maximes, p.62, Félix Alcan, 1911)
     
  251. Le respect comporte l'estime de soi-même autant que le sentiment de la dignité d'autrui ; l'irrespect s'accompagne plus qu'on ne croit de servilité et de platitude.
    (Réflexions et maximes, p.62, Félix Alcan, 1911)
     
  252. Il semble que nous travaillions en France à  tuer le respect. Ignorons-nous donc qu'il est une condition de la dignité des personnes autant qu'il est une force sociale ?
    (Réflexions et maximes, p.62, Félix Alcan, 1911)
     
  253. Les religions sont l'expression de la détresse humaine : là  surtout est leur vérité et leur force.
    (Réflexions et maximes, p.63, Félix Alcan, 1911)
     
  254. On est religieux avec sa crainte, avec son amour, avec son désir du beau, avec son intelligence ; on n'est jamais religieux tout simplement. Il semble que ce sentiment, en son haut état, soit fait de toutes les forces du désir comme des plus pures et des plus constantes aspirations de l'âme.
    (Réflexions et maximes, p.63, Félix Alcan, 1911)
     
  255. Le fétichisme apparaît au fond de tous les cultes. Il préside à  la naissance des religions, il les accompagne dans leur triomphe et survit à  leur ruine.
    (Réflexions et maximes, p.63, Félix Alcan, 1911)
     
  256. À défaut de religion, les hommes garderaient encore des superstitions, aussi longtemps qu'il y aura devant eux de l'inconnu.
    (Réflexions et maximes, p.63, Félix Alcan, 1911)
     
  257. Religions, institutions, doctrines ne sont déjà  plus que choses décomposées, qu'elles nous semblent toujours solides et résistantes. Tel un organisme détruit, que son squelette soutient quelque temps encore : mais le squelette même s'écroule à  la fin, en emportant cette apparence de vie.
    (Réflexions et maximes, p.64, Félix Alcan, 1911)
     
  258. Ce qui doit périr périra. Le temps suffit à  faire les ruines où notre main a si grande hâte de s'employer.
    (Réflexions et maximes, p.64, Félix Alcan, 1911)
     
  259. Nous ne pouvons nous défendre d'un sentiment de tristesse devant tout ce qui finit.
    (Réflexions et maximes, p.64, Félix Alcan, 1911)
     
  260. Les grandes créations de la vie restent dans la vie ; rien ne meurt tout à  fait dans l'âme humaine de ce qui a pu y naître.
    (Réflexions et maximes, p.64, Félix Alcan, 1911)
     
  261. Religieux, irréligieux : deux classes d'hommes qui ont toujours existé.
    (Réflexions et maximes, p.65, Félix Alcan, 1911)
     
  262. Un simple croyant risque de perdre toute religion en cessant de croire. Celui qui est religieux par tempérament ne cesse pas d'être religieux en perdant sa foi particulière.
    (Réflexions et maximes, p.65, Félix Alcan, 1911)
     
  263. La foi berce le doute pour l'endormir ; mais le doute a le sommeil léger, il s'éveille et crie quand elle balance le berceau trop rudement.
    (Réflexions et maximes, p.65, Félix Alcan, 1911)
     
  264. Un point faible dans l'esprit, un point douloureux sur la peau : à  ces signes correspond un certain état de la croyance.
    (Réflexions et maximes, p.65, Félix Alcan, 1911)
     
  265. Héroïsme avec les forts, l'humilité chrétienne n'est couardise et la résignation chrétienne lâcheté qu'avec les faibles. Ainsi de bien des leçons, que l'inégalité des natures fait mentir.
    (Réflexions et maximes, p.66, Félix Alcan, 1911)
     
  266. Il est un grand catholicisme, comme il en est un petit.
    (Réflexions et maximes, p.66, Félix Alcan, 1911)
     
  267. Dans leur ardeur à  combattre l'à‰glise catholique, les églises protestantes ne voient pas qu'elles s'abîmeraient elles-mêmes sous ses ruines. Le protestantisme est une négation ; il ne se maintient que par l'affirmation qui est le catholicisme.
    (Réflexions et maximes, p.66, Félix Alcan, 1911)
     
  268. Le danger, pour une religion, ne vient pas des assauts qu'elle subit, mais de ses propres erreurs, du tour nouveau des intelligences, de l'usure séculaire qui attaque, transforme ou détruit toutes les institutions humaines.
    (Réflexions et maximes, p.66, Félix Alcan, 1911)
     
  269. Le plus souvent, les partis, comme les peuples vaincus, ne meurent pas des coups qu'on leur porte, mais des fautes qu'ils commettent ; ils s'appliquent encore, dans leur défaillance, à  consommer leur ruine.
    (Réflexions et maximes, p.67, Félix Alcan, 1911)
     
  270. Croyances et institutions se transforment ou périssent. Mais les politiques passionnés ou brouillons ne savent pas attendre l'heure des événements : ils s'imaginent, à  la façon des enfants, tromper le temps en poussant les aiguilles de leur montre ; ils veulent achever l'histoire dans l'espace de leur courte vie.
    (Réflexions et maximes, p.67, Félix Alcan, 1911)
     
  271. Pour notre doctrine pour notre parti, souhaitons le succès, jamais le triomphe !
    (Réflexions et maximes, p.67, Félix Alcan, 1911)
     
  272. Les changements qui se font dans la pensée et les sentiments des foules dépendent, plus qu'on ne croit, des inventions matérielles.
    (Réflexions et maximes, p.67, Félix Alcan, 1911)
     
  273. La philosophie passe moins aisément dans les faits, que les faits ne passent dans la philosophie.
    (Réflexions et maximes, p.68, Félix Alcan, 1911)
     
  274. La machine a cette puissance de transformer et multiplier l'espèce de mouvement qui était donné dans l'idée qu'elle réalise.
    (Réflexions et maximes, p.68, Félix Alcan, 1911)
     
  275. De Kant ou de Fulton, lequel a contribué le plus à  changer la face du monde ?
    (Réflexions et maximes, p.68, Félix Alcan, 1911)
     
  276. Du jour où les pèlerins se rendraient à  La Mecque en cab électrique ou en voiture à  pétrole, l'islamisme aurait une autre figure.
    (Réflexions et maximes, p.68, Félix Alcan, 1911)
     
  277. Les uns s'attendent à  la religion, les autres à  l'art, les autres à  la science. Mais ce sont des forces qui agissent toujours ensemble, et il ne paraît pas que les transformations sociales aient jamais dépendu ou doivent dépendre exclusivement d'une seule idée ou d'un seul fait.
    (Réflexions et maximes, p.68, Félix Alcan, 1911)
     
  278. Sous le décor variable des civilisations on retrouve à  peu près les mêmes personnages, comme les mêmes héros reparaissent sur le théâtre à  tous les actes d'une pièce.
    (Réflexions et maximes, p.69, Félix Alcan, 1911)
     
  279. Une philosophie, une religion, un idéal, c'est la toile peinte dont chacun de nous recouvre comme il peut le mur nu où sa destinée est de se briser le front.
    (Réflexions et maximes, p.69, Félix Alcan, 1911)
     
  280. Pour le joug, contre le joug : nous suivons tour à tour ces deux devises, en religion, en amour, en politique.
    (Réflexions et maximes, p.70, Félix Alcan, 1911)
     
  281. Sacrement selon la religion, contrat selon la loi, d'où le mariage reçoit-il le plus de dignité ?
    (Réflexions et maximes, p.70, Félix Alcan, 1911)
     
  282. La facilité du divorce aura fait plus de blessures qu'elle n'en aura guéries.
    (Réflexions et maximes, p.70, Félix Alcan, 1911)
     
  283. À chaque famille qui s'éteint, c'est une force sociale qui se perd ; à chaque clocher qu'on abat, une puissance de ralliement qu'on détruit.
    (Réflexions et maximes, p.70, Félix Alcan, 1911)
     
  284. Renan avait raison : on ne sait pas assez le grave dommage qu'ont fait à la famille française nos lycées d'internes et nos casernes des villes. Mais que dire de la femme à l'atelier, de la femme arrachée à la maison, un des plus monstrueux méfaits de notre temps ! Nos sociétés s'usent à guérir les maux qu'elles engendrent.
    (Réflexions et maximes, p.71, Félix Alcan, 1911)
     
  285. On nous parle de durer dans la mémoire de nos fils, et je ne trouve presque personne qui sache rien de ses ascendants au-delà de son grand-père !
    (Réflexions et maximes, p.71, Félix Alcan, 1911)
     
  286. Il semble que l'ignorance ou le dédain de nos origines augmente avec notre mode de culture. Le commun des hommes n'ignore pas moins ses ascendants que les lapins ou les chevaux n'ignorent les leurs : ils ne sont que des apparitions d'un jour, une ombre qui passe et qui ne sait ni le lieu d'où elle vient ni même l'espace qu'elle couvre.
    (Réflexions et maximes, p.71, Félix Alcan, 1911)
     
  287. Nous avons besoin de beauté : nous créons chaque jour de la laideur. Nous avons soif de liberté : nous vivons dans de monstrueuses bâtisses, piqués à notre rang comme des papillons sur un morceau de liège dans la boîte du collectionneur.
    (Réflexions et maximes, p.72, Félix Alcan, 1911)
     
  288. Force est bien de nous régler sur l'expérience du passé ; mais l'expérience de l'avenir n'est pas encore faite.
    (Réflexions et maximes, p.72, Félix Alcan, 1911)
     
  289. Il est vain d'accuser le temps où l'on vit, puisqu'on n'en peut pas sortir.
    (Réflexions et maximes, p.72, Félix Alcan, 1911)
     
  290. Les anciens recherchaient le loisir, la dignité du repos ; les modernes vantent l'activité et la peine. Cette ambition a sa grandeur : encore ne faut-il pas se proposer pour dernier exemple la vie du cheval de fiacre ou l'agitation monotone de la machine. Nous ne trouvons même plus le temps pour l'amitié, ce sentiment délicat dont on a parlé autrefois avec tant de charme.
    (Réflexions et maximes, p.72, Félix Alcan, 1911)
     
  291. Comment ne pas exagérer l'importance du temps où nous vivons ? Le présent est pour nous le premier plan du paysage. Ainsi de la religion qui est liée à notre histoire, et de l'art qui a formé notre tradition.
    (Réflexions et maximes, p.73, Félix Alcan, 1911)
     
  292. Est-il aucun moment de l'histoire où personne voulût vraiment revenir ? L'opposition que nous faisons du présent au jour d'hier n'est qu'une façon de renouer les temps l'un à l'autre et de les continuer. Notre désir n'est jamais que d'imposer à ce qui sera quelques traits de ce qui fut, et notre imagination nous porte vers le futur quand nous croyons retourner vers le passé.
    (Réflexions et maximes, p.73, Félix Alcan, 1911)
     
  293. En politique, il n'est point de gens plus pressés de marcher que ceux qui ne savent où ils vont.
    (Réflexions et maximes, p.74, Félix Alcan, 1911)
     
  294. Que de gens, dans notre société française, semblent avoir atteint la limite jusqu'où l'on peut déraisonner sans passer pour être complètement fou !
    (Réflexions et maximes, p.74, Félix Alcan, 1911)
     
  295. Ce n'est pas toujours le fait même qui a de l'importance dans les choses politiques, mais le roman que l'on bâtit sur les faits.
    (Réflexions et maximes, p.74, Félix Alcan, 1911)
     
  296. Conservation ou révolution, dit-on. Dans l'attelage social, c'est tantôt le limonier qui soutient, et tantôt les chevaux de volée qui tirent.
    (Réflexions et maximes, p.74, Félix Alcan, 1911)
     
  297. Les révolutions exaltent un moment les passions, mais elles abaissent bientôt les caractères.
    (Réflexions et maximes, p.74, Félix Alcan, 1911)
     
  298. Les faiseurs de révolutions détestent moins les abus mêmes que les gens qui en profitent. C'est pourquoi, après les avoir dépossédés, ils font tourner à leur avantage les vieilles pratiques mises sous de nouveaux noms. Les abus sont comme le tonneau de la fable : on le perce quand on est en bas, on l'emplit quand on est en haut.
    (Réflexions et maximes, p.75, Félix Alcan, 1911)
     
  299. Un mot significatif d'un de nos jacobins prébendés et enrubannés : « Il n'y a pas de modérés, Monsieur, il n'y a que des réactionnaires ».
    (Réflexions et maximes, p.75, Félix Alcan, 1911)
     
  300. L'aboutissement de nos sophismes dans les faits sociaux y trouve la complicité de nos préjugés et de nos haines ; nos impulsions y deviennent des raisons, nos chimères des réalités.
    (Réflexions et maximes, p.75, Félix Alcan, 1911)
     
  301. En matière de gouvernement, nous n'avons guère de choix qu'entre le mauvais et le passable.
    (Réflexions et maximes, p.75, Félix Alcan, 1911)
     
  302. Notre parlementarisme : un régime qui flotte entre les appétits de plusieurs et l'ambition d'un seul, entre l'incohérence d'une foule et l'idée fixe d'un dictateur de passage. Notre suffrage universel : un mode d'élection où la voix de quelques chefs de fils, qui peuvent être de basse qualité, est comptée autant de fois qu'ils ont rallié d'amis, de clients intéressés, d'ignorants ou d'imbéciles.
    (Réflexions et maximes, p.76, Félix Alcan, 1911)
     
  303. Si le vote universel existait dans la république des plantes, les orties en banniraient les roses et les lis.
    (Réflexions et maximes, p.76, Félix Alcan, 1911)
     
  304. La plupart des discours politiques sont faits de lieux communs qui ne touchent guère le philosophe. Contre une foule, il suffit de tirer ; contre un homme seul, il faut tirer juste.
    (Réflexions et maximes, p.76, Félix Alcan, 1911)
     
  305. Des hommes d'État, des soldats, des gens pratiques ont eu par surcroît de l'éloquence. Les purs orateurs ne sont que des joueurs de flûte.
    (Réflexions et maximes, p.76, Félix Alcan, 1911)
     
  306. « Le ministre a bien parlé. » Voilà nos gens satisfaits ! Ils dînent du bruit des fourchettes dans les assiettes.
    (Réflexions et maximes, p.77, Félix Alcan, 1911)
     
  307. Effacer les différences de nationalité, de religion, de langue, de classe, d'école, de fortune, de costume, tout égaliser et unifier, imposer la même toison à tous les moutons de leur bergerie, c'est le rêve des idéologues d'aujourd'hui. Ils auront beau s'y évertuer, les hommes d'énergie sortiront toujours du troupeau pour s'en faire les bergers ou les chiens.
    (Réflexions et maximes, p.77, Félix Alcan, 1911)
     
  308. Hors du troupeau, chacun dit : « Tout à moi, et rien pour tous. » Comme bête du troupeau : « Tout à tous, et rien pour soi. »
    (Réflexions et maximes, p.77, Félix Alcan, 1911)
     
  309. Nulle société sans une élite. Il est des hommes faits pour commander, et d'autres pour obéir. Ni le climat ni l'état social ne changent rien à cette loi de nature.
    (Réflexions et maximes, p.77, Félix Alcan, 1911)
     
  310. Ni la solidarité ni la justice ne supposent ou n'exigent l'égalité, qui n'existe pas. L'égalité ! Tous les faits nous disent le contraire. Est-ce qu'on parie jamais contre un pur-sang pour une rosse ?
    (Réflexions et maximes, p.78, Félix Alcan, 1911)
     
  311. « La nature est aristocrate. » N'hésitons pas à le redire après Shopenhauer. À un essai de démocratie niveleuse correspondrait une diminution de toutes les valeurs humaines. Gouvernement et ordre des valeurs sociales, non pas étatisme ou démocratisme.
    (Réflexions et maximes, p.78, Félix Alcan, 1911)
     
  312. Le même homme ne saurait être à la fois le mousse et le capitaine. Vérité banale qui offusque les brouillons.
    (Réflexions et maximes, p.78, Félix Alcan, 1911)
     
  313. Que le violon ne se plaigne de l'archet : sans lui, il ne rendrait point de son.
    (Réflexions et maximes, p.79, Félix Alcan, 1911)
     
  314. Une société nivelée serait inféconde, comme une Terre aplanie serait desséchée.
    (Réflexions et maximes, p.79, Félix Alcan, 1911)
     
  315. Sans l'avantage espéré d'un plus grand effort, nulle civilisation.
    (Réflexions et maximes, p.79, Félix Alcan, 1911)
     
  316. La première qualité de gouvernement, c'est l'autorité morale, et c'est celle qui fait le plus défaut.
    (Réflexions et maximes, p.79, Félix Alcan, 1911)
     
  317. À voir agir nos hommes politiques, il semblerait que l'histoire fût la plus inutile des études : ils recommencent les fautes qui n'ont jamais réussi et ne prévoient pas mieux la suite des événements que leur action a préparés, que l'oiseau ne connaît la graine qu'il sème et le terrain où elle tombe.
    (Réflexions et maximes, p.79, Félix Alcan, 1911)
     
  318. On ne cesse d'en appeler à la Déclaration des droits de l'homme, à l'esprit de la Révolution, aux décrets de la Convention... Toujours une Bible et des conciles !
    (Réflexions et maximes, p.80, Félix Alcan, 1911)
     
  319. L'histoire politique, vue d'un certain biais, revient à ceci : défaire ce qu'on avait fait.
    (Réflexions et maximes, p.80, Félix Alcan, 1911)
     
  320. Dans la vie politique, les régimes les plus contraires se justifient l'un l'autre, en succédant l'un à l'autre.
    (Réflexions et maximes, p.80, Félix Alcan, 1911)
     
  321. Les présents maîtres de la France ont accompli ce miracle de réhabiliter à peu près le Second Empire. Nous avions rêvé d'être une République, nous ne sommes qu'une monarchie en désordre.
    (Réflexions et maximes, p.80, Félix Alcan, 1911)
     
  322. Rien n'est efficace, pour nous détacher d'une opinion ou d'un parti, comme de voir au gouvernement les hommes qu'il y porte.
    (Réflexions et maximes, p.81, Félix Alcan, 1911)
     
  323. On ne se lasse pas de changer les institutions, ne pouvant pas changer les hommes.
    (Réflexions et maximes, p.81, Félix Alcan, 1911)
     
  324. Le bois dont la boulette est faite ne décide pas de la valeur du berger.
    (Réflexions et maximes, p.81, Félix Alcan, 1911)
     
  325. C'est grande tristesse de revoir toujours mêmes bassesses, mêmes violences, de n'attendre que de ses lâchetés ou de ses mensonges ce qu'on nomme le progrès. La vilenie humaine vient gâter les meilleures causes ; elle corrompt jusqu'à la raison et en dégrade toutes les victoires.
    (Réflexions et maximes, p.81, Félix Alcan, 1911)
     
  326. Les petites raisons n'expliquent pas toujours les grands événements. L'accident influe en quelque mesure sur la destinée d'un peuple, mais il ne règle ni ne détermine l'allure principale de l'histoire.
    (Réflexions et maximes, p.82, Félix Alcan, 1911)
     
  327. Les digues se rompent, le torrent coule toujours.
    (Réflexions et maximes, p.82, Félix Alcan, 1911)
     
  328. Ce n'est pas en 1871 que nous avons perdu l'Alsace et la Lorraine, c'est le 24 février 1848. Mais nous ne voulons pas voir les conséquences de nos révolutions désordonnées.
    (Réflexions et maximes, p.82, Félix Alcan, 1911)
     
  329. L'amour de l'humanité, sans parler des crimes qu'on couvre de ce beau nom, n'est bien souvent qu'un prétexte à se dispenser de ses plus prochains devoirs. Merci pour la France, Messieurs les idéologues, d'être le fumier sur lequel pousserait la fleur d'une civilisation plus belle ! Les patries en sont encore les instruments nécessaires, et je ne vois pas très clairement l'avantage qu'il y aurait à tuer la nôtre.
    (Réflexions et maximes, p.83, Félix Alcan, 1911)
     
  330. La patrie matérielle, c'est le goût du pain, la couleur du ciel, la musique du langage ; la patrie morale, c'est le génie que chacun porte en soi, l'oeuvre commune à laquelle il participe, la force et la dignité qui le maintiennent.
    (Réflexions et maximes, p.83, Félix Alcan, 1911)
     
  331. Conservons, Messieurs, les formes de notre langage ! Une langue est comme une plante : coupez ses racines, elle ne tient plus au sol.
    (Réflexions et maximes, p.83, Félix Alcan, 1911)
     
  332. Le succès d'une langue suit la fortune politique du peuple qui la parle. Un peuple qui a le sentiment de sa force n'affecte jamais le dédain de sa propre langue ; il travaille au contraire à l'imposer ; il sait qu'elle est la marque de sa personnalité, qu'elle manifeste et perpétue son génie. Et ce n'est pas dans des congrès de grammairiens et de philosophes que se décidera la lutte entre les « parlers » des peuples modernes.
    (Réflexions et maximes, p.84, Félix Alcan, 1911)
     
  333. Les peuples en voie de désorganisation ressemblent à ces mauvais estomacs qui se fatiguent de tous les régimes.
    (Réflexions et maximes, p.84, Félix Alcan, 1911)
     
  334. Il est dangereux d'intervenir violemment dans l'ordre des sociétés, aussi bien que dans l'économie de la nature. Le troupeau dont on veut forcer la marche se débande ou piétine, mais n'avance pas.
    (Réflexions et maximes, p.84, Félix Alcan, 1911)
     
  335. Quand un peuple a modifié trop vite et trop profondément ses conditions d'existence, il se montre le plus souvent inhabile à en créer d'autres qui lui seraient favorables ; le succès lui échappe avec les institutions qui l'avaient pu garantir.
    (Réflexions et maximes, p.85, Félix Alcan, 1911)
     
  336. À mesure que ces temps s'éloignent de nous, l'éclat de la Révolution s'éteint dans l'ombre énorme de la guillotine.
    (Réflexions et maximes, p.85, Félix Alcan, 1911)
     
  337. Tant de femmes sous le couteau ! C'est une honte qu'on ne lavera jamais.
    (Réflexions et maximes, p.85, Félix Alcan, 1911)
     
  338. Depuis la Révolution, et malgré tant de génie et de gloire, la France se débat dans la plus étrange impuissance politique. Les différents gouvernements qu'elle s'est donnés ont été comme des crans d'arrêt, mais plus faibles à chaque fois, sur une pente fatale. Le régime de Juillet ne valut pas les années de la Restauration ; le Second Empire ne valut pas la Royauté de la branche cadette ; la présente République a glissé des mains plus expertes qui avaient guidé ses premiers pas en celles de politiciens médiocres ou misérables qui ont travaillé à fausser toute la machine. Et pourtant, que de ressources encore !
    (Réflexions et maximes, p.85, Félix Alcan, 1911)
     
  339. L'histoire de la Révolution qu'on enseigne aux petits Français, c'est l'histoire écrite, non point par des historiens, mais par des hagiographes.
    (Réflexions et maximes, p.86, Félix Alcan, 1911)
     
  340. Aux yeux des enfants, il n'est pas de raison pour que le dessin de la société change plutôt que le cours de la rivière ou le profil des montagnes à l'horizon. La plupart des hommes gardent cette illusion enfantine, et crient toujours à l'utopie. Cependant le monde change sans cesse, et tout arrive à la fin, même ce qui est raisonnable.
    (Réflexions et maximes, p.86, Félix Alcan, 1911)
     
  341. L'homme veut toujours plus de bien-être et moins de bienfaits.
    (Réflexions et maximes, p.87, Félix Alcan, 1911)
     
  342. L'industrie à outrance réaliserait ce paradoxe économique, de donner à quelque cent millions d'hommes un superflu misérable, en les privant chaque jour du nécessaire.
    (Réflexions et maximes, p.87, Félix Alcan, 1911)
     
  343. Les changements sociaux appellent toujours quelques regrets, et tout gain comporte quelque perte. À chaque nouveauté qui s'introduit dans la pensée ou dans l'action, dans les moeurs, dans l'éducation, dans le costume, dans la manière de voyager, de bâtir ou de combattre, c'est une coutume poétique ou une espérance que s'en va, une vertu qui s'efface, un beau site qu'on endommage, une laideur qui triomphe, une hâte que l'on impose à la vie. La croyance au progrès indéfini était la dernière qui nous restât, et je vois les jeunes gens les plus positifs en sourire doucement.
    (Réflexions et maximes, p.87, Félix Alcan, 1911)
     
  344. L'élévation des moyennes favorables semble être l'indice du progrès social. Cependant la grandeur d'une nation dépend moins de la qualité des hommes médiocres que de la valeur des hommes exceptionnels.
    (Réflexions et maximes, p.88, Félix Alcan, 1911)
     
  345. La supériorité militaire entraîne avec elle toutes les autres ; mais elle est d'abord l'expression des qualités qui priment toutes les autres, je veux dire l'intelligence et le caractère.
    (Réflexions et maximes, p.88, Félix Alcan, 1911)
     
  346. Individu ou peuple, l'affaire est de battre et de n'être point battu. Les coups que l'on donne sont toujours justes, ceux que l'on reçoit toujours injustes.
    (Réflexions et maximes, p.88, Félix Alcan, 1911)
     
  347. Une nation trouve son droit à la victoire dans la quantité d'énergie dont elle dispose.
    (Réflexions et maximes, p.88, Félix Alcan, 1911)
     
  348. Telle la poussière inerte que chasse le vent sur nos chemins, telles les nations vieillies : elles ne sont plus maîtresses de leurs destinées.
    (Réflexions et maximes, p.89, Alcan, 1911)
     
  349. La mort d'un peuple, c'est la mort de son génie.
    (Réflexions et maximes, p.89, Alcan, 1911)
     
  350. Une heure vient où les hommes assistent impuissants à la ruine de leur patrie. Plusieurs ont un vague soupçon de cette ruine ; à peine si quelques-uns en démêlent les causent d'une vue claire. Ainsi les grandes catastrophes de l'histoire ont pu passer à peu près inaperçues des contemporains : ils ne voyaient que les incidents du drame, sans en prévoir le dénouement ; les sentiments mêmes qui l'auraient pu rendre douloureux s'étaient affaiblis, et le troupeau humain suivait sa marche, insoucieux de ses destinées.
    (Réflexions et maximes, p.89, Alcan, 1911)
     
  351. Comment déclarer avec sûreté que les causes qui ont fait un peuple ce qu'il est continueront d'agir dans le même sens ou resteront également efficaces ? Comment préjuger l'action des circonstances prochaines ou possibles, dès qu'on regarde au-delà de l'heure présente ? On se plaît à pronostiquer la suite de l'histoire ; mais le futur ouvre une si longue perspective, que l'avenir n'est pour nous que le demain.
    (Réflexions et maximes, p.89, Alcan, 1911)
     
  352. Il se peut que les mêmes raisons qui font la décadence d'un peuple favorisent parfois l'avancement de l'espèce, et cela rend plus difficile aux contemporains un jugement équitable.
    (Réflexions et maximes, p.90, Alcan, 1911)
     
  353. Les difficultés sociales, jusqu'ici, n'ont guère été résolues d'un esprit calme. Il n'est des sérieux que les solutions tragiques. Ce n'est pas l'aspect le moins frappant de l'histoire humaine.
    (Réflexions et maximes, p.90, Alcan, 1911)
     
  354. On va répétant : « Nous vivons dans une période de transition, nous sommes à un tournant de l'histoire... » Mais chaque siècle est un tournant de l'histoire, et la transition dure toujours.
    (Réflexions et maximes, p.90, Alcan, 1911)
     
  355. Vue par ensembles, l'histoire apparaît soumise au hasard ou à la fatalité. Vue par parties, il s'y révèle les desseins et la volonté intelligente de l'homme. Mais les révolutions en sont dues à la rencontre de nombreuses séries de faits dont la marche dépasse le terme si court d'une vie humaine, et c'est pourquoi le meilleur mode de gouvernement est celui qui assure le mieux à un peuple, avec la compréhension de son action politique.
    (Réflexions et maximes, p.91, Alcan, 1911)
     
  356. Machiavel a pu inspirer quelques hommes politiques ; c'est le machiavélisme qui a inspiré Machiavel.
    (Réflexions et maximes, p.91, Alcan, 1911)
     
  357. Machiavel ou Washington ? La politique de Washington reste la plus estimée, celle de Machiavel la plus pratiquée.
    (Réflexions et maximes, p.91, Alcan, 1911)
     
  358. Protesterai-je contre cette formule, que « la force crée le droit » ? Il ne s'agit que de distinguer entre les emplois qu'on peut faire de la force, la force elle-même représentant les qualités d'énergie et d'intelligence auxquelles le succès appartient naturellement.
    (Réflexions et maximes, p.92, Alcan, 1911)
     
  359. On vante les bienfaits de la paix. Mais on vante aussi les avantages de la santé, et cela n'empêche point que l'on devienne malade.
    (Réflexions et maximes, p.92, Alcan, 1911)
     
  360. Pacifisme et antimilitarisme, au moins à l'heure présente, sont deux aspects d'une même infirmité.
    (Réflexions et maximes, p.92, Alcan, 1911)
     
  361. L'idéal ! - Celui des forts, ou celui des faibles ?
    (Réflexions et maximes, p.92, Alcan, 1911)
     
  362. Une définition que l'historien peut emprunter au biologiste, et qui reste vraie des peuples comme des individus : « Vivre, c'est vaincre. »
    (Réflexions et maximes, p.92, Alcan, 1911)
     
  363. Si le dernier mot n'est plus à la justice divine, il appartient à la force. Vouloir être un peuple athée, et consentir d'être un peuple faible, quelle contradiction !
    (Réflexions et maximes, p.93, Alcan, 1911)
     
  364. La première vertu d'un peuple est de ne jamais désespérer de ses destinées.
    (Réflexions et maximes, p.93, Alcan, 1911)
     
  365. Les petits hommes politiques se persuadent qu'ils ont l'éternité ! Ils ont l'illusion d'être au sommet de l'histoire ou d'en diriger la marche vers le but qu'ils lui auront assigné ! Tout au plus sont-ils la cordelette du fouet dont ils croient tenir la manche.
    (Réflexions et maximes, p.93, Alcan, 1911)
     
  366. Chacun veut voir dans son idéal particulier le dernier terme du développement historique. La vérité est que toutes nos idées entrent à leur tour, et pour leur part, dans le réseau complexe des conditions qui déterminent le mouvement des sociétés.
    (Réflexions et maximes, p.93, Alcan, 1911)
     
  367. Qui oserait affirmer que les institutions démocratiques, ou soi-disant telles, dont on espère des miracles, ne conduiront point, ici ou là, à quelque impérialisme ayant nouvelle figure ?
    (Réflexions et maximes, p.94, Alcan, 1911)
     
  368. Rien ne dure : une vérité qu'on oublie trop.
    (Réflexions et maximes, p.94, Alcan, 1911)
     
  369. Le progrès ne se fait qu'avec de l'ordre, et il modifie l'ordre continuellement.
    (Réflexions et maximes, p.94, Alcan, 1911)
     
  370. Le rêveur, impatient de progrès, met à l'avance les aiguilles de l'horloge ; mais l'événement, brusquement, les ramène à l'heure.
    (Réflexions et maximes, p.94, Alcan, 1911)
     
  371. Le progrès semble consister moins dans le changement de l'homme lui-même que dans la réforme des appareils de la civilisation ; il serait dans l'accroissement de l'héritage social et dans la richesse des habitudes acquises, plutôt que dans l'augmentation du pouvoir des individus et dans leur plus haute vertu, morale ou intellectuelle.
    (Réflexions et maximes, p.95, Alcan, 1911)
     
  372. Notre civilisation ne serait-elle pas faite de promesses plus que de réalités ?
    (Réflexions et maximes, p.95, Alcan, 1911)
     
  373. L'ordre que nous voyons dans la nature enferme une sorte de justice mécanique. À l'homme lui-même il appartient de créer une justice morale ; là se trouvent sa raison et sa grandeur.
    (Réflexions et maximes, p.95, Alcan, 1911)
     
  374. S'il est vrai que la nature ne semble ni juste ni morale, pour l'être intelligent et souffrant que nous sommes, l'homme qui conçoit la justice et qui la fonde existe pourtant, lui aussi, dans la nature ; les lois de son esprit sont comprises dans les lois du monde, et notre logique n'y peut soupçonner un désaccord. N'est-ce pas de quoi nous reposer et nous affermir ?
    (Réflexions et maximes, p.95, Alcan, 1911)
     
  375. Lisez bien l'histoire, a-t-on pu écrire, vous y verrez que « tout n'est pas permis ». Efforçons-nous cependant à faire que cela soit vrai !
    (Réflexions et maximes, p.96, Alcan, 1911)
     
  376. Du pain et de la justice, voilà le premier besoin de tous les peuples.
    (Réflexions et maximes, p.96, Alcan, 1911)
     
  377. Une solide érudition, une souple dialectique et tout l'appareil de la science ne suffisent pas à créer une idée juste. Essayez de faire passer dans la pratique avec toutes ses conséquences, au mépris des conditions de la nature, les idées égalitaires qu'on nous vante, et vous en constaterez bientôt la dangereuse faillite. Le bateau a belle apparence ; mais à peine y a-t-on posé le pied, qu'il fait eau de toutes parts.
    (Réflexions et maximes, p.96, Alcan, 1911)
     
  378. Concilier la liberté avec le déterminisme, l'autonomie avec l'autorité, l'individualisme avec l'étatisme ou le communisme, ce sont des jeux innocents où se plaisent les théoriciens : ils n'accordent ensemble que des mots et ne concilient que des situations imaginaires.
    (Réflexions et maximes, p.97, Alcan, 1911)
     
  379. Tel s'imagine combattre pour l'individu, qui travaille contre lui. Tout se tient dans une société, et lorsque les groupes que l'on dit nous asservir, religions, familles, classes, auraient disparu, il ne resterait de leur émiettement qu'une poussière humaine bientôt absorbée dans l'État omnipotent, dans l'État monstre. Puis viendrait le temps où ce pire asservissement paraîtrait insupportable, et leur misère pousserait les hommes à refaire les institutions protectrices qu'ils auraient détruites. Ainsi flotte le monde entre des termes extrêmes ou contradictoires, et nos révolutions humaines sont peut-être une manière de contre-épreuve des révolutions cosmiques.
    (Réflexions et maximes, p.97, Alcan, 1911)
     
  380. Le faux, le vrai ! La plupart des gens en parlent avec assurance. Je démêle quelquefois l'erreur, j'aperçois rarement la vérité.
    (Réflexions et maximes, p.99, Alcan, 1911)
     
  381. Les races jeunes, a-t-on dit, regardent la nature avec leurs yeux ; les races vieillies, avec leurs systèmes. Cependant les anciens la voyaient déjà à travers leurs inventions mythologiques, et nous n'avons fait, depuis, que changer de verres.
    (Réflexions et maximes, p.99, Alcan, 1911)
     
  382. Les hommes d'autrefois, dans leur ignorance, croyaient bonnement que le plaisir est aussi réel que la douleur, qu'il est doux de boire comme il est pénible d'avoir soif. Puis, des raisonneurs sont venus qui affirmaient juste le contraire. Combien de science il faudra dépenser pour rétablir quelques vérités de sens commun !
    (Réflexions et maximes, p.100, Alcan, 1911)
     
  383. Quand on prend le contre-pied d'une opinion admise, on a bien des chances de rencontrer une vérité : les exemples en abondent en psychologie, en philologie, en histoire, en politique. Il ne manque pas de faux érudits et de savants médiocres qui n'ont point d'autre procédé d'invention.
    (Réflexions et maximes, p.100, Alcan, 1911)
     
  384. Toute vérité, selon un vieil adage, n'est pas bonne à dire. Mais que l'utilité suffise à fonder la vérité, fût-elle l'expression d'une obscure volonté de vivre, il y faut pourtant quelques réserves.
    (Réflexions et maximes, p.100, Alcan, 1911)
     
  385. Nous créons les théories, nous ne créons pas les faits. Créer les faits n'est jamais que les reconnaître.
    (Réflexions et maximes, p.101, Alcan, 1911)
     
  386. Tantôt on proscrit le coeur, tantôt la tête. Qu'on me laisse donc être tout entier comme je suis ! Quel si pressant besoin d'humilier notre raison ou de rabaisser nos sentiments !
    (Réflexions et maximes, p.101, Alcan, 1911)
     
  387. Il est des gens renseignés à merveille. Tel auteur se flatte de rapporter la profession religieuse à la dégénérescence : non content d'en chercher les preuves dans les familles de Charles le Chauve et de Hugues Capet, il remonte jusqu'au prophète Élie, qu'il déclare fou. Ce prophète aurait même transmis sa folie à son disciple Élisée ! Dès qu'il s'agit d'un personnage mort depuis quelque mille ans, rien de plus simple que de débrouiller son cas. Avec un mort de la veille, ce serait déjà plus difficile.
    (Réflexions et maximes, p.101, Alcan, 1911)
     
  388. Les théories maniées par de petits savants sont comme des chevaux montés par de mauvais cavaliers ; elles exposent leur homme à quelque aventure dangereuse ou ridicule.
    (Réflexions et maximes, p.102, Alcan, 1911)
     
  389. Assimiler, ainsi qu'on l'a fait, la mort héroïque du soldat au suicide, et, partant, la fidélité au devoir à la folie, c'est une des conséquences les plus extravagantes où ait pu conduire l'usage immodéré de la pathologie.
    (Réflexions et maximes, p.102, Alcan, 1911)
     
  390. Hier, tout à la raison. Aujourd'hui, tout à l'inconscient : c'est le « tout à l'huile » de Fontenelle.
    (Réflexions et maximes, p.102, Alcan, 1911)
     
  391. On nous parle d'une « psychologie des atomes », d'une « physiologie des spiritualités ». Pourquoi pas une botanique des étoiles ? C'est un précieux moyen que l'analogie ; elle nous porte rapidement d'un domaine dans un autre, mais il arrive parfois qu'elle brûle toutes les stations.
    (Réflexions et maximes, p.102, Alcan, 1911)
     
  392. La dialectique ressemble à la danse des oeufs. Que l'on casse un oeuf dans ses passes, le tour est manqué.
    (Réflexions et maximes, p.103, Alcan, 1911)
     
  393. On a disputé si le syllogisme est un instrument de découvert. Mettons qu'il décèle, qu'il expose ou qu'il propose certaines relations entre les faits. Mais notre machine logique ne nous rend jamais que la farine du grain qu'on lui donne à moudre.
    (Réflexions et maximes, p.103, Alcan, 1911)
     
  394. En psychologie, il n'est pas de réactions qui soient pareilles. Tout exemplaire d'un type donné apparaît un original par quelque endroit.
    (Réflexions et maximes, p.103, Alcan, 1911)
     
  395. En tant que psychologue, je me regarde « devenir »; mais je suis déjà.
    (Réflexions et maximes, p.103, Alcan, 1911)
     
  396. Je suis, à chaque moment, tout ce que j'ai été, plus ce que je suis en l'instant rapide qui s'écoule et me fait déjà ce que je serai.
    (Réflexions et maximes, p.104, Alcan, 1911)
     
  397. Mon sentiment, mon instinct, n'est pas si muable que ma raison. Le jugement que j'énonce peut changer, mon opinion, ma croyance, mais non pas au même degré ma manière de sentir. Il semble que l'un soit plus profondément situé en moi que l'autre, et plus moi-même que l'autre.
    (Réflexions et maximes, p.104, Alcan, 1911)
     
  398. On réussit moins à classer les caractères que les éléments dont ils sont faits. Et quelle entreprise délicate, n'est-ce point de définir la composition des traits qui marquent une figure ! Comment estimer les justes rapports qui s'établissent, en chacun de nous, entre le bien et le mal, entre le gain et la perte, quand nous voyons tour à tour les détails et l'ensemble du portrait !
    (Réflexions et maximes, p.104, Alcan, 1911)
     
  399. On a le caractère de son tempérament, plutôt que celui de sa philosophie, et, quand on n'a pas choisi soi-même sa religion ou sa philosophie, on impose à la doctrine qu'on a reçue, à la religion où l'on est né, la marque profonde de son propre individu.
    (Réflexions et maximes, p.105, Alcan, 1911)
     
  400. Il existe des tempéraments intellectuels, comme des tempéraments physiologiques, et l'on ne peut pas dire que l'un dépende vraiment de l'autre, quelques infiltrations qui se produisent entre l'intelligence et le caractère.
    (Réflexions et maximes, p.105, Alcan, 1911)
     
  401. Il y a souvent disconvenance entre les impulsions de notre tempérament et celles de notre esprit. En même temps que notre intelligence remplit sa fonction, il arrive que notre machine physiologique suit sa pente, et, quand elles vont sans trop se contrarier ou se desservir, c'est une heureuse condition de santé morale et un favorable terrain pour l'optimisme.
    (Réflexions et maximes, p.105, Alcan, 1911)
     
  402. On n'a pas recherché encore, comme il l'eût fallu, à quel degré notre psychologie individuelle détermine ou influence nos théories, esthétiques ou morales, religieuses ou métaphysiques, quelque suite naturelle qui se puisse découvrir dans le développement et la critique des problèmes principaux.
    (Réflexions et maximes, p.106, Alcan, 1911)
     
  403. Il n'est pas rare qu'une santé précaire et la menace d'une fin prématurée disposent le philosophe au culte de la puissance, à la glorification de la vie, à une morale du plaisir optimiste et confiante. Il semble qu'on ajoute à son pouvoir par une affirmation de force et qu'on triomphe de sa misère avec ses désirs.
    (Réflexions et maximes, p.106, Alcan, 1911)
     
  404. Nous vivons tous plus ou moins de faits et de symboles. Mais chaque nature d'intelligence a ses avantages comme ses défauts. Les esprits abstraits, étendent la vérité, les esprits concrets la gardent.
    (Réflexions et maximes, p.106, Alcan, 1911)
     
  405. Aucun penseur a-t-il jamais vu bien clair dans sa pensée ? Lequel est resté constamment d'accord avec soi-même ?
    (Réflexions et maximes, p.107, Alcan, 1911)
     
  406. L'émotion fait que je pense ; mais elle trouble sans cesse ma pensée.
    (Réflexions et maximes, p.107, Alcan, 1911)
     
  407. Selon qu'on regarde les choses de trop loin ou de trop près, la plus petite prend de l'importance ou rien ne signifie rien. Selon le degré d'analyse où l'on s'arrête, tout semble divers, ou tout se réduit au même. Comment garder le juste milieu, être à la fois naïf autant qu'il le faut et savant autant qu'on le peut ?
    (Réflexions et maximes, p.107, Alcan, 1911)
     
  408. À peine dépassons-nous l'empirisme, que notre science de savant n'est plus que notre ignorance de philosophe.
    (Réflexions et maximes, p.108, Alcan, 1911)
     
  409. Bien des conjectures et des hypothèses m'avaient paru chimériques. Plus j'étudie, plus j'estime que tout est possible.
    (Réflexions et maximes, p.108, Alcan, 1911)
     
  410. Les peuples bataillent à conquérir un détroit de mer, un défilé de montagne. Il n'importe guère dans la nature si cette fourmi franchit une goutte d'eau sur un brin de paille ou sur une feuille morte.
    (Réflexions et maximes, p.108, Alcan, 1911)
     
  411. L'homme se console comme il peut de la pensée de ne plus être. Il recourt aux plus vaines imaginations afin de se donner le change, et, s'il n'y croit pas précisément, elles le distraient.
    (Réflexions et maximes, p.108, Alcan, 1911)
     
  412. Rien ne se perd, tout se transforme. Mais pour nous, changer, c'est finir.
    (Réflexions et maximes, p.109, Alcan, 1911)
     
  413. La vie humaine est l'enjeu de la plupart des conflits moraux, dans l'histoire comme dans la tragédie. Rien ne relève mieux que ces discordances de la culture et de l'instinct la vraie valeur de la vie, en justifiant la mort.
    (Réflexions et maximes, p.109, Alcan, 1911)
     
  414. Pourquoi sommes-nous ? - Pour être, et parce que nous sommes. La pauvreté de cette réponse montre l'inutilité de la question.
    (Réflexions et maximes, p.109, Alcan, 1911)
     
  415. Le philosophe est vraiment mal partagé. Il garde l'angoisse du doute et ne connaît guère les joies de la certitude. Un seul moyen lui reste d'être satisfait : se duper soi-même ; il en use quelquefois.
    (Réflexions et maximes, p.109, Alcan, 1911)
     
  416. La notion d'un ordre « voulu » dans la nature reste pour moi incertaine, la science insuffisante, et l'expérience interne décevante. Je suis un douteur ; mais je ne m'en vante pas.
    (Réflexions et maximes, p.110, Alcan, 1911)
     
  417. On a démontré mon rationalisme, alors que j'incline à cultiver les fleurs délicates de la vie intérieure. J'ai pu sembler un dogmatisant, quand je demeure un sceptique. Combien différente nous apparaîtrait la figure de certains philosophes, si nous avions le vrai fond de leur pensée !
    (Réflexions et maximes, p.110, Alcan, 1911)
     
  418. Les plus positifs des hommes se voient souvent partagés entre leur sentiment et leur raison, entre les riches expériences du coeur et les fécondes leçons des choses. Ce sont deux forces sorties du même fond et qui concourent également à la vie ; mais leur composante ne s'obtient qu'en nous sollicitant sans cesse en des directions contraires ou divergentes.
    (Réflexions et maximes, p.110, Alcan, 1911)
     
  419. Ce peut être une naïveté de croire, une faiblesse de douter ; mais c'est la marque assurée d'un esprit inquiet d'être incapable de la foi comme du doute.
    (Réflexions et maximes, p.111, Alcan, 1911)
     
  420. Je ne hais rien tant, aujourd'hui, que l'absolutisme, qu'il ait figure de religion ou de philosophie. Si l'affirmation d'autorité est une force, je n'en veux pas être l'instrument ni l'aveugle serviteur : il me plaît mieux de demeurer libre et tout à moi-même, selon ma naturelle disposition et convenance. Je ne suis pas assuré de ma vérité au point de ne vouloir pas entendre à celle d'autrui ; mais la vérité d'autrui ne m'impose pas à ce degré que mon esprit y laisse rien de sa propre critique et franchise.
    (Réflexions et maximes, p.111, Alcan, 1911)
     
  421. Le philosophe trop plein de son système ressemble au voyageur qui promènerait devant ses yeux la flamme de sa lanterne ; il en serait aveuglé et ne verrait plus sa route.
    (Réflexions et maximes, p.111, Alcan, 1911)
     
  422. Oh ! Sortir de son moi, de cette prison d'où l'on ne voit au-dehors qu'à travers la même vitre ! Entrer pour une heure dans le sentiment de ce poète, dans l'âme de ce mystique, dans la pensée de ce savant, dans le génie de ce musicien ou de ce peintre, dans la cervelle de n'importe qui ! Être un autre, et se souvenir ensuite ! Alors seulement on ferait de bonne esthétique, de vivante psychologie. Tous nos moi ont beau s'interroger et se raconter, on se retrouve soi-même dans autrui, on s'écoute dire, on se commente, on ne se pénètre pas.
    (Réflexions et maximes, p.112, Alcan, 1911)
     
  423. Toute notre philosophie ne serait-elle qu'un artifice élégant, l'art de définir et d'arranger d'une certaine façon dans notre tête les événements du monde, afin de nous donner l'illusion de les comprendre ?
    (Réflexions et maximes, p.112, Alcan, 1911)
     
  424. Les hommes sont comme ces grains de sable qui se meuvent et forment des figures sur la plaque d'expérience du physicien. Ils ont conscience des vibrations qui les agitent, mais ils ne connaissent pas l'archet dont le frottement les met en danse.
    (Réflexions et maximes, p.113, Alcan, 1911)
     
  425. Nos rêves de vie ressemblent à ces hautes montagnes qui apparaissent si belles dans l'éloignement et dans la brume argentée de l'horizon : à peine, hélas ! En gravit-on les sommets, qu'il faut se hâter d'en redescendre.
    (Réflexions et maximes, p.113, Alcan, 1911)
     
  426. Harmonies, contradictions, on trouve dans la nature ce qu'on y cherche.
    (Réflexions et maximes, p.113, Alcan, 1911)
     
  427. Cette vérité où je pensais m'établir, le doute la ronge ; cette espérance dont je croyais voir les signes, l'événement la dément. Le miroir de la vie ne m'en renvoie aujourd'hui que la grimace.
    (Réflexions et maximes, p.113, Alcan, 1911)
     
  428. Que suis-je, qu'un maigre tison qui brûle et laisse un peu de fumée et de cendre ?
    (Réflexions et maximes, p.114, Alcan, 1911)
     
  429. L'humble polype a son rôle dans la structure du monde. Comment l'homme n'y aurait-il pas le sien ?
    (Réflexions et maximes, p.114, Alcan, 1911)
     
  430. Quel penseur n'a redit à sa manière les mots de Pascal touchant la grandeur et la misère de l'homme ?
    (Réflexions et maximes, p.114, Alcan, 1911)
     
  431. On veut que nos esprits se délivrent de la vieille curiosité métaphysique. Mais la curiosité scientifique s'engendre de ses propres découvertes, et, tout objective qu'elle veuille demeurer, ne confine-t-elle point en quelque partie à celle-là ?
    (Réflexions et maximes, p.115, Alcan, 1911)
     
  432. On a dit que les mathématiques sont en nous ; on a dit non moins bien que nous sommes dans les mathématiques.
    (Réflexions et maximes, p.115, Alcan, 1911)
     
  433. La critique idéaliste, après avoir mis à nu le réalisme naïf, qui prend ce qu'il voit pour ce qui est, nous a laissés finalement dans la position d'être toujours des réalistes naïfs de mieux, en le sachant du moins et en le voulant.
    (Réflexions et maximes, p.115, Alcan, 1911)
     
  434. Le moi est comme le point de la machine où jaillira l'étincelle ; mais il faut le choc venu du dehors qui ouvre le courant.
    (Réflexions et maximes, p.116, Alcan, 1911)
     
  435. Si je proclame le phénoménisme, c'est-à-dire la réduction de toute réalité à de phénomènes du dehors, un génie malin place devant mes yeux un miroir qui me renvoie ma propre image ; et si je proclame l'idéalisme, la réduction des phénomènes à la pensée pure ou à l'état de conscience, le même génie place devant mes yeux une glace transparente à travers laquelle je vois le monde se peindre. Dans les deux cas, mon essai d'une synthèse échoue devant le dualisme de l'expérience sensible, et j'ai le sentiment de n'y pouvoir échapper que par le secours d'un artifice logique, d'un compromis dont je suis moi-même l'artisan.
    (Réflexions et maximes, p.116, Alcan, 1911)
     
  436. À propos des théories sur l'hyper-espace, c'est un fait hautement intéressant que notre logique puisse s'appliquer à construire un monde qui ne saurait point avoir de figure pour nos sens ; et nous en venons à nous demander quelle sorte de conditions justifierait l'accord de nos fictions mathématiques ou métaphysiques avec des réalités qui nous échappent, supposé qu'elles existent.
    (Réflexions et maximes, p.117, Alcan, 1911)
     
  437. L'ordre qui m'apparaît dans les choses, c'est la traduction qui se fait en moi des choses et que ma pensée transporte aux choses.
    (Réflexions et maximes, p.117, Alcan, 1911)
     
  438. Jetés dans l'océan mouvant de formes, nous imaginons des figures invariables ou des types éternels, et c'est assez qu'ils existent dans notre pensée pour nous servir à définir les choses que nos yeux voient et que nos mains peuvent toucher.
    (Réflexions et maximes, p.117, Alcan, 1911)
     
  439. Telles sont les conditions de mon être, que je ne saurais ni sentir ni penser que par l'opposition d'états, d'images, d'idées, dont les séries ou les gammes diverses composent le clavier de ma vie affective et de ma vie mentale. C'est par l'opposition de ces états que je prends connaissance du monde extérieur et renoue ensemble les moments de ma propre personnalité. Mais je n'ai nul droit d'attribuer aux derniers degrés supposés de ces séries une manière d'existence absolue, de réalité indépendante ou métaphysique : et cette simple remarque suffirait peut-être à éclairer bien des problèmes.
    (Réflexions et maximes, p.118, Alcan, 1911)
     
  440. Vous pouvez réduire, comme on l'a fait, la métaphysique à des dilemmes. L'esprit achoppe toujours à la difficulté de concevoir, soit comment il se produit dans le monde quelque chose de nouveau, soit comment des conditions, même relativement constantes, s'y retrouvent. La thèse ne semble pas moins nécessaire que l'antithèse, et la question reste à savoir si le choix est obligé, ou si même il est possible entre ces positions contradictoires.
    (Réflexions et maximes, p.118, Alcan, 1911)
     
  441. Est-ce moi qui suis la règle de l'univers ? Est-ce l'univers qui m'impose sa nécessité ? Il est singulier que l'homme accepte à la fois, sans y pouvoir échapper, ces deux situations, dont l'une contrarie sa raison, l'autre son instinct.
    (Réflexions et maximes, p.119, Alcan, 1911)
     
  442. Je vois bien, dans les rapports qu'on nous dit de l'objet et du sujet, comment la conscience est le miroir, comment la couche de cire du phonographe que serait notre cerveau est impressionnée par l'excitant matériel et par le courant nerveux, mais il me reste toujours à connaître comment il se forme un moi qui se regarde dans son miroir ou s'écoute dans son phonographe.
    (Réflexions et maximes, p.119, Alcan, 1911)
     
  443. Les mêmes questions reviennent sans cesse, en philosophie, sous des noms nouveaux. Il n'est que la manière de les poser qui diffère un peu.
    (Réflexions et maximes, p.119, Alcan, 1911)
     
  444. Le Destin, auquel les anciens soumettaient les dieux eux-mêmes, c'est la grande figure de l'Inconnu, et c'est à la fois l'idée du déterminisme universel. Nous n'avons guère fait, ici encore, que changer les noms, préciser un peu les termes.
    (Réflexions et maximes, p.120, Alcan, 1911)
     
  445. À force d'humilier la raison devant l'instinct et de dissoudre la volonté dans l'inconscience et l'automatisme, nous n'aurons fait qu'ajouter ou substituer au vieux fatalisme « du dehors » un pire fatalisme « du dedans »
    (Réflexions et maximes, p.120, Alcan, 1911)
     
  446. En même temps que nos théories les plus en faveur rabaissent à plaisir l'intelligence, elles glorifient dans nos appétits on ne sait quelle volonté confuse, et c'est ainsi que l'excès où elles viennent ajoute aux dangers de l'individualisme social qu'elles semblaient contredire.
    (Réflexions et maximes, p.120, Alcan, 1911)
     
  447. Nos philosophies nouvelles ne sont souvent à part les détails de la mise en scène, que des égouttures de pensées aussi vieilles que le monde.
    (Réflexions et maximes, p.121, Alcan, 1911)
     
  448. Ce que l'homme recherche dans la science le plus avidement, ce qui le flatte jusque dans l'horreur des lieux dévastés par son industrie, c'est le sentiment de sa puissance.
    (Réflexions et maximes, p.121, Alcan, 1911)
     
  449. Même quand l'homme aspire à créer un ordre opposé à celui de la nature, il reste dans la nature et manifeste l'« idée » de la nature.
    (Réflexions et maximes, p.121, Alcan, 1911)
     
  450. La finalité : un monstre qu'on pourchasse mais qu'on ne tue pas. Dès qu'on ne la veut voir nulle part, elle est partout. Queue et tète, sans lesquelles le corps n'a plus de forme.
    (Réflexions et maximes, p.121, Alcan, 1911)
     
  451. Ce que nous appelons cause et effet ne sont que des états particuliers dans le croisement de séries à l'infini où nous voyons le hasard et l'accident.
    (Réflexions et maximes, p.122, Alcan, 1911)
     
  452. Comment parler de « retour éternel », c'est-à-dire d'un même arrangement des choses, qui se trouveraient aussi être les mêmes, alors que tout flue et change sans cesse ?
    (Réflexions et maximes, p.122, Alcan, 1911)
     
  453. Quoiqu'il en semble à notre courte vue, le monde n'est pas fait pour la répétition, mais pour la variété. Rien ne s'y reproduit constamment dans le même nombre et sous la même figure. S'il y existe des périodicités, elles sont d'une ampleur qui déconcerte, et nous pouvons tout au plus imaginer des recommencements perpétuels offrant des arrangements toujours nouveaux, sous l'empire des mêmes lois générales, d'un même déterminisme qui réglerait sans cesse d'autres hasards.
    (Réflexions et maximes, p.122, Alcan, 1911)
     
  454. J'ai noté moi-même, et l'on a pu croire que j'acceptais à l'aveugle, l'hypothèse selon laquelle l'atome serait à la fois vie, esprit, matière. Cela est, il était donc possible que cela fût : telle en serait l'expression exacte. Mais comment cela est devenu, c'est ce que nous ne savons pas encore.
    (Réflexions et maximes, p.123, Alcan, 1911)
     
  455. La théorie d'un monde où l'intelligence deviendrait sans avoir été, et qui produirait toutes ses formes par le jeu fortuit d'énergies indéterminables, nous offre sans doute le moyen d'éliminer ou de réduire un premier et pressant problème ; elle ne le résout pas.
    (Réflexions et maximes, p.123, Alcan, 1911)
     
  456. La même fin qui gouverne le monde animal a porté l'homme à créer ses arrangements sociaux, et cette fin, c'est la vie, la satisfaction de tous les besoins de vivre. Mais nous voyons aussi comment, en société, il devient plus maître des conditions de son existence. Quelque chose d'original semble donc, par là, s'introduire dans la trame des événements ; à une plus grande complexité des faits correspond un accroissement de la contingence, qui trouve son maximum dans la volonté intelligente de l'homme : la nécessité, si j'ose dire, se transforme en acte libre et réfléchi en passant par notre conscience.
    (Réflexions et maximes, p.123, Alcan, 1911)
     
  457. Impossible serait une physique, s'il n'y avait des liaisons constantes dans la nature. Impossible une science de la vie, s'il n'existait pas une sorte d'ordonnance générale, un sens d'évolution, jusque dans les sociétés humaines, et c'est sur l'hypothèse d'un pareil ordre, spontanément sortie de l'observation commune, que se fonde la connaissance des faites psychologiques et des faits sociaux.
    (Réflexions et maximes, p.124, Alcan, 1911)
     
  458. Combien d'ébauches manquées dans l'histoire humaine, d'essais interrompus, de séries coupées, auprès de celles qui ont réussi ! Combien d'ébauches dans le monde animal, de types arrêtés, d'espèces qui ont reculé ou se sont éteintes ! Il m'a toujours paru impossible de ne pas accorder au hasard, à la rencontre de conditions infiniment diverses et mêlées, une part considérable dans l'avènement et le succès des formes vivantes. S'il n'est point de plan tracé d'avance dans la nature, et si l'évolution progressive n'est qu'un jeu des organismes vivants, encore serait-il loisible au métaphysicien impénitent d'accepter que l'Être se donne à soi-même le spectacle de ce jeu, et, pour singulière que soit une pareille conception, elle s'apparente à celles qui nous montrent la Vie s'élançant à la conquête de l'Intelligence et de l'Instinct.
    (Réflexions et maximes, p.124, Alcan, 1911)
     
  459. Dans le mécanisme, c'est l'enchaînement nécessaire des choses qui tient la place d'un dieu intelligent ; dans le finalisme, c'est une certaine force d'attraction ou de poussée ; dans le nouvel évolutionnisme « créateur », c'est l'activité et le temps, c'est l'élan vital et la durée. Si opposées que semblent être nos idées directrices, et tout inégale que puisse être leur efficacité critique, elles restent néanmoins, à certains égards, les substituts possibles l'une de l'autre : elles expriment ou symbolisent une synthèse des mêmes faits ; il n'est de différence que dans la place ou la valeur relative attribuée à chacun des éléments de cette synthèse par notre analyse.
    (Réflexions et maximes, p.125, Alcan, 1911)
     
  460. Tout n'est pas donné : il semble cependant que tout se fasse avec ce qui est donné.
    (Réflexions et maximes, p.126, Alcan, 1911)
     
  461. Nos plus récentes théories de la vie ne seraient-elles qu'un animisme discipliné ?
    (Réflexions et maximes, p.126, Alcan, 1911)
     
  462. Originale impulsion ou destinée, harmonieux élan ou conformité à un dessein, évolution spontanée ou plan d'ensemble, - c'est peut-être une pure question de perspective.
    (Réflexions et maximes, p.126, Alcan, 1911)
     
  463. Il existe une esthétique de la pensée, comme une esthétique des formes et des couleurs ; le choix même que nous faisons du point de vue d'où nous ordonnons les choses n'est qu'une affaire de goût.
    (Réflexions et maximes, p.126, Alcan, 1911)
     
  464. Matérialisme ou idéalisme, mécanisme ou finalisme, nulle doctrine n'a réussi à tenir devant une critique approfondie : chacune laisse échapper du filet une trop grosse part des faits qu'elle y ramasse. Mais la méthode sert plus ou moins bien.
    (Réflexions et maximes, p.127, Alcan, 1911)
     
  465. Un homme de science ne demande pas tant à ses théories d'être vraies que d'être commodes. Il se peut même que leur commodité plus grande mesure assez bien leur approchement de la vérité.
    (Réflexions et maximes, p.127, Alcan, 1911)
     
  466. Une erreur qui rend de bons offices offre les avantages d'une vérité. Mais elle ne saurait servir toujours ; il la faut savoir changer à temps.
    (Réflexions et maximes, p.127, Alcan, 1911)
     
  467. Je ne sais s'il existe de théorie vraie dans les sciences de l'homme Je vois seulement que telle méthode est plus sûre pour connaître les faits particuliers, tel point de vue mieux choisi pour les ordonner ensemble, et c'est cela que je tiens pour vérité suffisante et provisoire, faute d'une autre plus certaine et plus constante.
    (Réflexions et maximes, p.127, Alcan, 1911)
     
  468. Lois de la nature, lois de l'histoire : la plus trompeuse des métaphores que le langage ait portée dans la science et dans la philosophie. Les lois de la nature ne seraient-elles que des vues prises sur la réalité par notre intelligence, les lois de l'histoire des produits de notre psychologie ?
    (Réflexions et maximes, p.128, Alcan, 1911)
     
  469. Quel historien philosophe s'est jamais gardé de cette illusion presque invincible, qui est d'arrêter la marche des choses à l'heure présente, de considérer comme terminée la série d'événements que sa loi résume ? Nous restons inhabiles à la continuer et ne concevons guère d'état plus avant, à moins que la série ne recommence, marquée, si l'on veut, d'un coefficient nouveau.
    (Réflexions et maximes, p.128, Alcan, 1911)
     
  470. Les physiciens tendent à choisir pour principe explicatif le mouvement, les chimistes, l'énergie, les psychologues, la volonté. Mais on a pu dire que la volonté n'est qu'un état spécial de l'énergie, et l'énergie une relation entre les mouvements ; on a pu dire aussi que le mouvement n'est qu'un effet de l'énergie, et l'énergie un aspect de la volonté. Si bien que le choix dépendrait, en somme, de la valeur pratique du symbole, ou du principe, dans le groupe des faits considérés.
    (Réflexions et maximes, p.129, Alcan, 1911)
     
  471. Comment parler d'une philosophie qui serait « définitive », quand rien ne semble définitif dans les créations de l'homme ni de la nature ?
    (Réflexions et maximes, p.129, Alcan, 1911)
     
  472. Dès que le philosophe, dépassant l'empirisme, fait ses réserves sur la valeur purement positive ou pratique de la loi morale, de l'art et de la science, il met le pied dans la religion ou dans la métaphysique. À ce compte même, il est peu d'hommes qui ne soient religieux ou métaphysiciens par quelque endroit, et sans le savoir.
    (Réflexions et maximes, p.129, Alcan, 1911)
     
  473. Que reste-t-il, bien souvent, du plus brillant système de philosophie ? L'idée courante, sinon l'erreur spécieuse, d'où on l'a tiré. Mais l'esprit s'est affiné à la travailler, il s'est enrichi des mille aperçus de sa critique, et ce n'est pas là un résultat négligeable.
    (Réflexions et maximes, p.130, Alcan, 1911)
     
  474. Une « philosophie » n'est qu'un patient effort vers la certitude : le penseur s'y attache comme fait le matelot perdu dans la tempête au bois qui flotte sur la vaste mer. Survient une vague de fond qui brise ou emporte le bois et le naufragé.
    (Réflexions et maximes, p.130, Alcan, 1911)
     
  475. On me dit : « Vous parlez en intellectualiste. Mais l'intelligence n'est qu'un instrument d'une valeur limitée, bornée qu'elle est à saisir les rapports des choses, non les choses elles-mêmes. À la connaissance profonde on va par la volonté, par l'appétit, par l'instinct... » N'y aurait-il donc pas continuité de l'une à l'autre, et ne faudrait-il pas dire plutôt qu'il entre de l'instinct dans la raison, de la raison dans l'instinct ?
    (Réflexions et maximes, p.130, Alcan, 1911)
     
  476. Si bien armés que nous soyons de raisonnements et d'hypothèses, un moment vient où toute explication nous abandonne, et c'est peut-être le moment intéressant.
    (Réflexions et maximes, p.131, Alcan, 1911)
     
  477. ON demandait à Z... : « Croyez-vous que Dieu... » - « Si je le savais, se hâta-t-il de répondre, c'est moi qu'on adorerait. »
    (Réflexions et maximes, p.131, Alcan, 1911)
     
  478. Un philosophe a défini Dieu « la loi morale de la nature » ; j'ajouterais, « l'expression logique de l'univers ».
    (Réflexions et maximes, p.131, Alcan, 1911)
     
  479. La difficulté n'est pas de comprendre Dieu, puisque nous le formons à notre image ; elle est plutôt de comprendre l'homme. Les contradictions qui se révèlent dans l'idée de Dieu sont celles-là même qui sont inhérentes à notre logique, et nos longs débats touchant sa réalité ou sa nature ne font que traduire l'état de notre enquête sur les conditions premières de la connaissance.
    (Réflexions et maximes, p.131, Alcan, 1911)
     
  480. Les êtres, l'être : que de disputes dans l'entre-deux d'un pluriel et d'un singulier !
    (Réflexions et maximes, p.132, Alcan, 1911)
     
  481. L'infini : une situation de notre pensée, une valeur purement logique.
    (Réflexions et maximes, p.132, Alcan, 1911)
     
  482. Notre esprit est comme une pièce taillée dans l'étoffe du monde ; l'homme, comme un instrument accordé au diapason des choses.
    (Réflexions et maximes, p.132, Alcan, 1911)
     
  483. À quelque doctrine qu'on se range, et si fort qu'on se défie de toute métaphysique, la conscience ne saurait nous apparaître un pur accident, l'individu, une non-valeur, l'intelligence qui réfléchit le monde une lueur fugitive, et par là nos regards s'engagent dans les profondeurs d'un horizon qu'on ne peut fermer sans amoindrir de ce coup sa propre qualité d'homme pensant.
    (Réflexions et maximes, p.132, Alcan, 1911)
     
  484. Peut-être les mystiques, métaphysiciens ou religieux, ont-ils raison : ils ne s'attardent pas à prouver, ils « aspirent », ou ils aiment. Le malheur est que chacun d'eux n'a raison que pour soi-même.
    (Réflexions et maximes, p.133, Alcan, 1911)
     
  485. Tout est connaissable, je le veux bien ; mais il reste toujours de l'inconnu.
    (Réflexions et maximes, p.133, Alcan, 1911)
     
  486. Quel est le terme de toute philosophie ? Le point d'interrogation posé devant l'homme qui a touché le fond de sa science.
    (Réflexions et maximes, p.133, Alcan, 1911)
     
  487. Dans la pensée de tout homme qui prend la vie au sérieux, il y a une foi qu'il ne sait pas.
    (Réflexions et maximes, p.134, Alcan, 1911)