Citations ajoutées le 07 mars 2008

Christian Bobin

  1. La poésie est la fille infirme du ciel, la silencieuse défaite du monde et de sa science.
    (La dame blanche, p.8, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     
  2. L'écriture est à elle-même sa propre récompense.
    (La dame blanche, p.13, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     
  3. On ne connaît jamais mieux une chose que par son manque.
    (La dame blanche, p.17, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     
  4. Un jour arrive où plus personne ne vous est étranger. Ce jour-là, terrible, signe votre entrée dans la vie réelle.
    (La dame blanche, p.23, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     
  5. La colère des saintes est plus terrible que celle du diable.
    (La dame blanche, p.24, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     
  6. Les parents voient leurs enfants, jamais leurs âmes.
    (La dame blanche, p.28, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     
  7. Un poète, c'est joli quand un siècle a passé, que c'est mort dans la terre et vivant dans les textes. Mais quand c'est chez vous, un enfant épris d'absolu, bouclé dans sa chambre avec ses livres, comme un jeune fauve dans sa tanière enfumée par Dieu, comment l'élever ? Les enfants savent tout du ciel jusqu'au jour où ils commencent à apprendre des choses. Les poètes sont des enfants ininterrompus, des regardeurs de ciel, impossible à élever.
    (La dame blanche, p.35, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     
  8. Être saint c'est être vivant. Être vivant c'est être soi, seul dans son genre.
    (La dame blanche, p.49, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     
  9. Bien avant d'être une manière d'écrire, la poésie est une façon d'orienter sa vie, de la tourner vers le soleil levant de l'invisible.
    (La dame blanche, p.55, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     
  10. Le paradis est l'endroit où nous n'aurons plus besoin d'être rassurés.
    (La dame blanche, p.68, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     
  11. Certaines personnes sont si ardemment présentes à elles-mêmes que, devant elles, on se découvre douloureusement une âme.
    (La dame blanche, p.80, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     
  12. Il n'y a pas de plus grande joie que de connaître quelqu'un qui voit le même monde que nous. C'est apprendre que l'on n'était pas fou.
    (La dame blanche, p.104, Gallimard coll. L'un et l'autre, 2007)
     

Marcel Aymé

  1. Les metteurs en scène, quand ils piquent leur colère, plus ils ont du génie, plus ils sont grossiers et c'est forcé, parce que le vocabulaire leur vient facilement.
    (Les Maxibules (Bordeur, première partie), p.11, Gallimard/nrf, 1962)
     
  2. Les anachronismes, au théâtre, ça fait toujours très avant-garde.
    (Les Maxibules (Bordeur, première partie), p.12, Gallimard/nrf, 1962)
     
  3. Ce que je crois, c'est que les hommes sont fuyants comme du sable, comme de l'eau. Ménagez-leur une ouverture ; ils ne demandent qu'à s'échapper.
    (Les Maxibules (Yolande, première partie), p.27, Gallimard/nrf, 1962)
     
  4. Celui qui compose avec l'enfer se livre à l'enfer.
    (Les Maxibules (Yolande, première partie), p.36, Gallimard/nrf, 1962)
     
  5. Se contenter d'être heureux, c'est plafonner. Peut-être plafonner un peu bas.
    (Les Maxibules (Ludovic, première partie), p.70, Gallimard/nrf, 1962)
     

  
Henning Mankell

  1. La mer est un rêve qui ne rend pas les armes.
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.21, Seuil, 2008)
     
  2. Il n'y a pas de liberté sans lutte.
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.21, Seuil, 2008)
     
  3. Qui aura besoin d'un dieu, quand on pourra déterminer la position exacte d'un homme, quand sa position intérieure coïncidera avec sa position dans l'espace ? Tous ceux qui spéculent sur la religion et la superstition devront chercher un autre gagne-pain. Les charlatans et les hydrographes se trouvent irrévocablement de part et d'autre d'une invisible ligne de partage. Pas la ligne de changement de date, ou le méridien zéro, mais la ligne qui sépare ce qu'on peut mesurer de ce qui n'a pas de dimension, et qui par conséquent n'existe pas.
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.23, Seuil, 2008)
     
  4. On parle bien de la charge morte d'un navire. Le poids d'un homme peut aussi se convertir en unités mortes.
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.33, Seuil, 2008)
     
  5. Courage ou bêtise. Parfois c'est bien la même chose. Surtout chez les militaires.
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.57, Seuil, 2008)
     
  6. La guerre, au fond, est toujours une erreur. Ou le résultat d'hypothèses et de conclusions déraisonnables.
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.60, Seuil, 2008)
     
  7. Il est difficile d'avoir de la peine pour une personne de cent deux ans. Ces dix dernières années, elle ne m'a plus reconnu. Parfois elle m'a pris pour son défunt mari, mon propre père, donc... L'extrême vieillesse est pour l'âme un champ de bataille plongé dans de profondes ténèbres.
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.83, Seuil, 2008)
     
  8. Aucune guerre ne peut être gagnée sans un moment d'improvisation. De la même façon qu'il ne peut y avoir d'art sans la touche d'irrationnel qui est tout simplement le talent de l'artiste.
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.117, Seuil, 2008)
     
  9. Il resta longtemps éveillé, il savait qu'elle non plus ne dormait pas. Avait-il jamais existé une plus grande distance entre deux personnes couchées dans le même lit et faisant semblant de dormir ?
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.142, Seuil, 2008)
     
  10. Il y a des événements dont les mots aussi ont peur, qu'ils se refusent à traduire.
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.181, Seuil, 2008)
     
  11. Dans le voisinage de la mort, les hommes ne cherchent pas seulement à sauver leur vie, ils cherchent aussi à prendre la mort de vitesse.
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.202, Seuil, 2008)
     
  12. L'homme travaille sans relâche à rendre ses dieux superflus. C'est un être qui mesure toute chose, un jour il pourra peut-être mesurer et contrôler l'espace et le temps à des échelles encore inconnues. Le surnaturel n'est qu'un jeu d'ombres dansant sur les restes de nos peurs d'enfant.
    (Profondeurs, trad. Rémi Cassaigne , p.279, Seuil, 2008)
     

  
Georges Picard

  1. Il ne faudrait jamais faire porter nos jugements au-delà de la sphère délimitée par notre capacité d'action. Réserver notre perspicacité à notre entourage devrait suffire, encore que l'objet soit un peu trop près de nos yeux pour se détacher avec toute la clarté désirable.
    (Tous fous, p.13, José Corti, 2003)
     
  2. [...] il n'y a rien de plus fou que la Raison enivrée d'elle-même, décapée des scories de l'approximatisme, pure et tranchante comme un couperet.
    (Tous fous, p.18, José Corti, 2003)
     
  3. Tout individu qui a présidé une fois veut présider toujours.
    (Tous fous, p.21, José Corti, 2003)
     
  4. L'imagination est la seconde chance de la réalité quand celle-ci est à court de moyens.
    (Tous fous, p.25, José Corti, 2003)
     
  5. Être dans le flou ou être dans le fou, j'hésiterais si je devais choisir.
    (Tous fous, p.29, José Corti, 2003)
     
  6. [...] toute pensée personnelle tourne tout au plus autour de deux ou trois pivots, et [...] l'individu, aussi savant soit-il, ne peut pas se déprendre, dans l'intimité de sa réflexion, d'une simplification sans laquelle la réalité manquerait de prise.
    (Tous fous, p.30, José Corti, 2003)
     
  7. [...] le ridicule ne tue pas, car si cela était, une bonne partie de l'humanité actuelle aurait déjà disparu depuis longtemps.
    (Tous fous, p.32, José Corti, 2003)
     
  8. L'une des grandes faiblesses humaines est l'incapacité d'observer ses fous avec des yeux qui leur accordent un tant soit peu de raison, ou de s'observer soi-même par les yeux de ses fous sous l'angle où eux-mêmes ne s'admettent pas fous. En philosophie, la première maxime devrait être : ne termine jamais une partie sans avoir touché autant de fois le fou blanc que le fou noir.
    (Tous fous, p.40, José Corti, 2003)
     
  9. [...] qui est fou ? Le fou, c'est l'Autre, évidemment. Il est presque excitant de voir avec quelle habileté l'homme dénonce l'homme, chaque parti le parti adverse, et comment la bipolarisation (pour utiliser un mot à la mode) fonctionne merveilleusement dans presque tous les secteurs de l'activité humaine.
    (Tous fous, p.45, José Corti, 2003)
     
  10. Penser, c'est plus que jamais penser contre autrui. Une idée s'affirme d'autant plus puissamment qu'elle rencontre une résistance qui l'oblige à se blinder. Sans contradicteurs, nos idées se déliteraient dans le relativisme et l'incertitude. Nous finirions par nous lasser de nos plus intimes convictions.
    (Tous fous, p.46, José Corti, 2003)
     
  11. Un peu de folie sauve, alors que le refus buté de toute folie rend fou à coup sûr.
    (Tous fous, p.61, José Corti, 2003)
     
  12. Il vient un moment où l'on peut se demander si le refus d'être dupe n'a pas tourné à l'obsession, voire à la manie, au point de transformer un scepticisme naturel en ricanement systématique.
    (Tous fous, p.70, José Corti, 2003)
     
  13. [...] le seul acte vraiment purificateur, pour ne pas dire philosophique, c'est évidemment de tirer la langue à son propre reflet, double singulier de soi-même tout autant que figure allégorique de la clownerie humaine.
    (Tous fous, p.80, José Corti, 2003)
     
  14. Les réalistes ne sont pas moins fous que les irréalistes, ils le sont seulement de façon plus terne.
    (Tous fous, p.98, José Corti, 2003)
     
  15. Notre époque démocratique a ceci d'amusant, qu'elle fournit une pâture à peu près inépuisable à la mauvaise humeur des gens de bons sens. Mais elle a aussi ceci d'intéressant qu'elle donne à chacun la liberté d'y être indifférent.
    (Tous fous, p.103, José Corti, 2003)
     
  16. L'esprit est décidément géomètre. Il est arpenteur et comptable. Il ne peut se passer de mesures, de jauges, d'étalons et, pour finir, de podiums. Encore que l'on voie ce qu'il y a de faux, voire de ridicule, dans des classifications portant sur des matières inappréhendables en termes quantitatifs, c'est avec une sorte de passion maniaque que l'on s'y livre à la première occasion. Je me défends de trop classer, conscient de l'inanité d'établir des hiérarchies intellectuelles, non seulement soumises un jour ou l'autre à révision, mais dérisoires, mystificatrices et apportant un faux confort de l'esprit qui risque de réduire la pensée à une réitération de poncifs. Il n'est pas facile de résister à ce ridicule : si j'y réussis néanmoins, c'est par l'agacement de voir autour de moi des gens et les médias se livrer à la fureur de donner des notes, des appréciations, des numéros à tout, à tous et à tout propos. Si l'on objecte qu'il n'y a pas de folie à faire état de préférences, je veux bien l'admettre jusqu'au point au-delà duquel l'esprit, prenant la partie pour le tout, chavire dans une interprétation totalement subjective des valeurs, oubliant qu'il n'est pas dieu le père, mais un myrmidon perdu dans un univers humain dont il ne connaît pas la trillionième partie.
    (Tous fous, p.107, José Corti, 2003)
     
  17. Toute passion qui se projette exagérément épuise la complexité humaine, la schématise. Elle sacrifie la variété du présent à l'obsession unilatérale du désir. L'avidité de « réussir » tourne à la monomanie : combien de gens dans tous les secteurs de l'activité sociale sont des malades qui s'ignorent, rongés par un cancer d'envie, par une lèpre d'ambition que même la réussite, surtout si elle vient tard, n'est par sûre de guérir.
    (Tous fous, p.113, José Corti, 2003)
     
  18. Bien entendu, la finalité d'une collection n'est pas d'être exhaustive, mais de tendre vers l'exhaustivité en espérant secrètement ne jamais l'atteindre.
    (Tous fous, p.119, José Corti, 2003)
     
  19. Tout savoir de presque rien n'est pas plus satisfaisant que peu savoir de presque tout.
    (Tous fous, p.121, José Corti, 2003)
     
  20. Le collectionneur, l'érudit et le sage, trois visages d'une folie capable de défendre tour à tour, et très bien, ses raisons.
    (Tous fous, p.122, José Corti, 2003)
     
  21. Regardons le monde et ses saloperies, et remarquons en médecins lucides que, de ce côté-là, ça va, les choses sont comme elles ont toujours été, normalement répugnantes. Puis tournons-nous vers la bonté, la gentillesse, le dévouement, le désintéressement et poussons des cris d'étonnement en nous jurant de ne jamais chercher à guérir des difformités aussi intéressantes. Car pourquoi faudrait-il, au nom d'un rousseauisme plus ou moins conscient, continuer à croire que la bonté est originelle et naturelle ? Pourquoi le bien ne serait-il pas une perversion du mal, plutôt que le contraire - une perversion décidément inguérissable et désirable ?
    (Tous fous, p.126, José Corti, 2003)
     
  22. [...] je ne fais que constater qu'il n'y a rien de plus sérieux que le jeu, que nous sommes des joueurs impénitents dans les actes futiles comme dans les actions décisives de notre existence, et que ce qui donne le plus à rire n'est pas le jeu lui-même, mais le désir de le masquer derrière une mauvaise foi partagée. Car si, pour jouer, il faut être au moins deux, pour se livrer à cette dénégation du jeu qui veut en imposer, il est nécessaire de s'en faire accroire mutuellement. La maturité n'est que l'acceptation de cette face nécessaire.
    (Tous fous, p.132, José Corti, 2003)
     
  23. Tout individu ayant quelque sens métaphysique, c'est-à-dire sensible au tragique humain, est tenté, à un moment ou à un autre, de devenir fou exprès pour avoir le dernier mot.
    (Tous fous, p.144, José Corti, 2003)
     
  24. L'art des fous n'est ni plus ni moins fou que l'art tout court.
    (Tous fous, p.155, José Corti, 2003)
     
  25. Qui peut soutenir que pour vivre profondément il soit nécessaire de se débarrasser de toute futilité ? La profondeur existentielle, ce n'est pas l'unilatéralisme du Sérieux et de la Raison, c'est la capacité à faire coexister en soi de façon heureuse les contradictions de la personnalité et de l'esprit.
    (Tous fous, p.157, José Corti, 2003)
     
  26. Que serait un monde évacuant la Folie ? Un internat rébarbatif tenu par des pions exerçant leur discipline sur des cerveaux calibrés. Cette caserne de la Raison militarisée a été imaginée par des utopies philosophiques et réalisée par les dictatures communistes.
    (Tous fous, p.168, José Corti, 2003)
     
  27. « Nous ne savons pas, mais au moins nous savons de mieux en mieux ce que nous ne savons pas » : telle est, en substance, la vraie sagesse scientifique dont le prolongement rejoint sur l'horizon intellectuel cette Folie persévérante évoquée par William Blake.
    (Tous fous, p.182, José Corti, 2003)
     
  28. Il n'y a rien de plus profondément plaisant que de rire sans savoir pourquoi. C'est une grâce qui est refusée à ceux qui cherchent une cause à tout et finissent, tant pis, par la trouver. Ma philosophie du bonheur n'admet pas de cause. Être heureux parce que ceci ou parce que cela, ce n'est que du plaisir ou de la joie, ce n'est pas encore toucher par tous les pores de son être au bonheur gratuit d'être en vie.
    (Tous fous, p.188, José Corti, 2003)