Citations ajoutées le 18 février 2008

  
Georges Picard

  1. Je lis, donc je pense, mais ma pensée est un clignotement le long d'une autre. Pour être au clair avec soi-même, pour savoir de quoi sa propre pensée est réellement capable, l'épreuve de l'écriture me paraît cruciale. Peut-être publie-t-on trop, mais il n'est pas sûr que l'on écrive suffisamment. Tout le monde devrait écrire pour soi dans la concentration et la solitude : un bon moyen de savoir ce que l'on sait et d'entrevoir ce que l'on ignore sur le mécanisme de son cerveau, sur son pouvoir de captation et d'interprétation des stimuli extérieurs.
    (Tout le monde devrait écrire, p.12, José Corti, 2006)
     
  2. L'écriture est le plus ambigu et le plus solliciteur des miroirs. Après vingt ans d'écriture (ce qui est peu, finalement), je me demande quelle surprise j'attends encore de moi. Cette question, je me la pose avant chaque livre ; elle est mon meilleur stimulant.
    (Tout le monde devrait écrire, p.14, José Corti, 2006)
     
  3. Le plus beau de l'écriture, c'est cette tension entre ce qui est écrit et ce qui est à écrire, c'est l'usage d'une liberté qui prend ses risques en laissant ses traces.
    (Tout le monde devrait écrire, p.16, José Corti, 2006)
     
  4. C'est une sottise de croire qu'un charme puisse naître d'une volonté.
    (Tout le monde devrait écrire, p.22, José Corti, 2006)
     
  5. Les « grands écrivains » ne sont pas ceux que j'admire, ce sont ceux que j'aime.
    (Tout le monde devrait écrire, p.22, José Corti, 2006)
     
  6. [...] les lecteurs ont tout à gagner à aborder les livres sur le mode érotique, c'est-à-dire avec une passion sincère et inspirée. La première lecture me semble d'autant plus prometteuse qu'elle se place sous le signe presque exclusif du plaisir non prévenu. Lecture naïve, libre, jouissive : la lecture, comment l'oublier, consacre la pénétration d'une intimité par une autre.
    (Tout le monde devrait écrire, p.23, José Corti, 2006)
     
  7. Concilier l'inspiration et la maîtrise est le but poursuivi depuis toujours par les artistes et les écrivains ; aucune époque ne peut échapper à ce sempiternel questionnement.
    (Tout le monde devrait écrire, p.25, José Corti, 2006)
     
  8. On ne m'enlèvera pas de l'idée que, passé un certain niveau de profondeur, les notes valent mieux que les mots et que certaine qualité de silence touche plus au fond des choses que les plus beaux discours.
    (Tout le monde devrait écrire, p.38, José Corti, 2006)
     
  9. Écrire oblige à choisir parmi des amas d'idées initialement vagues celles qui trouveront leur densité dans les limites de la syntaxe et du style. Comme l'ont pensé maintes sociétés de tradition orale, l'écriture piège celui qui s'en sert - qui s'enserre, justement, dans une formulation dont il doit ensuite répondre, ne serait-ce qu'à l'égard de lui-même.
    (Tout le monde devrait écrire, p.40, José Corti, 2006)
     
  10. « J'écris, donc je suis » peut fonder une éthique de l'existence personnelle.
    (Tout le monde devrait écrire, p.48, José Corti, 2006)
     
  11. Mais qu'est-ce que la littérature sinon une manipulation morose ou heureuse de la réalité ?
    (Tout le monde devrait écrire, p.51, José Corti, 2006)
     
  12. Faut-il avoir quelque chose à dire pour écrire ? J'ai moi-même inversé le sens de la formule en commençant par noter qu'il faut plutôt écrire pour avoir quelque chose à dire.
    (Tout le monde devrait écrire, p.60, José Corti, 2006)
     
  13. Les moyens et la fin se conditionnent mutuellement dans l'écriture : style, vision du monde et tempérament sont les aperçus d'une même réalité, celle qui fait l'oeuvre et l'écrivain.
    (Tout le monde devrait écrire, p.61, José Corti, 2006)
     
  14. La diversité est le premier principe qui, selon moi, doit gouverner les arts et la littérature, ce qui suppose une tolérance presque excessive, rarement comprise par ceux qui exhaussent leur parti pris en dogme. Je sais ce que j'aime lire et ce qui m'ennuie ou me dégoûte, mais je serais terrorisé si tous les auteurs se mettaient à écrire selon mes préférences.
    (Tout le monde devrait écrire, p.69, José Corti, 2006)
     
  15. Si les hommes étaient immortels, le besoin de création se limiterait sans doute à celui du divertissement. Ce n'est pas seulement l'appétit de postérité du créateur qui donne à la grande oeuvre une allure presque surhumaine, bien qu'on ne puisse pas sous-estimer la force d'une telle ambition. C'est aussi, et principalement, l'illusion de recadrer le réel aux normes de la subjectivité - ce qui s'appelle donner un sens au monde en espérant faire coïncider sa singularité avec l'universel.
    (Tout le monde devrait écrire, p.76, José Corti, 2006)
     
  16. Ce que nous aimons ne doit pas se laisser partager trop aisément.
    (Tout le monde devrait écrire, p.79, José Corti, 2006)
     
  17. Quiconque touche à l'idéal de la culture pour tous (qui n'a peut-être jamais été aussi peu réalisé, ce pourquoi il est si frénétiquement proclamé) risque d'être caricaturé en « élitiste », injure décisive qui clôt tout débat. [...] Les pédagogues sincères ont la tâche impossible, coincés entre l'indifférence méprisante de publics qui revendiquent « leur » propre culture et l'édulcoration démagogique à laquelle ils sont obligés de se livrer s'ils veulent bousculer les frontières. Mieux vaut ne pas lire Rimbaud que le lire n'importe comment !
    (Tout le monde devrait écrire, p.81, José Corti, 2006)
     
  18. [...] Roland Barthes disait de façon peut-être prémonitoire : « J'imagine une sorte d'utopie où des textes écrits dans la jouissance pourraient circuler en dehors de toute instance mercantile [...]. Ces textes circuleraient dans de petits groupes, dans des amitiés, au sens phalanstérien du mot, et par conséquent, ce serait vraiment la circulation du désir d'écrire, de la jouissance d'écrire et de la jouissance de lire, qui ferait boule... ».
    (Tout le monde devrait écrire, p.96, José Corti, 2006)
     
  19. Je suis dérangé d'apprendre que quelqu'un que je n'estime pas s'est passionné pour l'un de mes ouvrages de prédilection, ressentant cette promiscuité de goût comme une sorte d'indécence. Inversement, il me faut faire un effort pour surmonter ma déception en constatant qu'une personne que j'aime ou que j'admire reste froide devant un texte à mes yeux important.
    (Tout le monde devrait écrire, p.98, José Corti, 2006)
     
  20. Créer du désir n'est certainement pas une tâche facile ; je ne vois pas pourtant comment on peut ouvrir autrement l'accès aux oeuvres. Dans ce domaine, la réussite repose sur une pédagogie par imitation, un objet devenant désirable par le truchement du désir d'un tiers (René Girard), il faut alors se rendre à l'évidence : les instituteurs et les professeurs sont rarement à la hauteur de cet enjeu affectif.
    (Tout le monde devrait écrire, p.113, José Corti, 2006)
     
  21. [...] au verdict, un peu fruste mais efficace, décidant qu'un livre est « ennuyeux » ou pas. À cette aune, neuf chefs-d'oeuvre sur dix ne passeraient pas la rampe chez neuf lecteurs sur dix, inconscients du fait que l'ennui réside généralement dans celui qui l'éprouve plutôt que dans sa cause supposée. En exagérant un peu, on pourrait soutenir qu'il n'existe pas de livres ennuyeux, mais seulement des lecteurs incapables de concentration suffisante. Un bon lecteur devrait relever le défi d'un texte jugé fastidieux en s'efforçant d'y pénétrer à coeur par des lectures renouvelées. C'est une sorte de devoir déontologique que l'on doit aux grands textes désignés par la postérité, et à tout texte ayant été aimé une fois par un lecteur sincère.
    (Tout le monde devrait écrire, p.131, José Corti, 2006)
     
  22. Je ne peux pas m'empêche d'avoir du mépris pour les gens qui craignent l'ennui intellectuel. Hors toute apologie, l'ennui est le vestibule des pensées et des arts difficiles qui, sans être forcément plus profonds que les autres, les pensées et les arts avenants et ouverts, sollicitent au moins le goût du défi.
    (Tout le monde devrait écrire, p.132, José Corti, 2006)
     
  23. On est plus naturellement dupe de la facilité que de l'austérité. Quand la difficulté est visible, on l'affronte, l'esprit tendu et sur ses gardes.
    (Tout le monde devrait écrire, p.133, José Corti, 2006)
     
  24. La parole est indigente par rapport à l'écrit. Nécessaire socialement, psychiquement et même biologiquement ; mais l'on s'en passe sans dommage quand on peut accéder directement aux livres.
    (Tout le monde devrait écrire, p.134, José Corti, 2006)
     
  25. La création, c'est l'inédit, l'unique. Certes, chaque personne est unique, mais rares sont celles qui en tirent les conséquences.
    (Tout le monde devrait écrire, p.142, José Corti, 2006)
     
  26. Si l'on veut écrire comme personne, mieux vaut commencer par écrire comme tout le monde. La personnalité n'est pas affaire de trucs ou de simagrées ; la singularité percera toujours, forcément.
    (Tout le monde devrait écrire, p.143, José Corti, 2006)
     
  27. Une écriture à usage strictement personnel, télégraphique, allusive, approximative, bref économique, risque de n'être qu'un brouillon d'écriture, donc un brouillon de pensée. La pensée écrite demande de la précision. La pensée, ce sont les nuances de la pensée ; on pense mal à grands traits.
    (Tout le monde devrait écrire, p.146, José Corti, 2006)
     
  28. [...] l'art n'est jamais simple ; en cela, il est plus proche de la vie que les approches fonctionnelles. Le préjugé selon lequel la vraie vie consiste à avoir les pieds sur terre, c'est-à-dire à privilégier la partie solide et animale qui est en nous, est une grossière réduction qui ignore ce qui fait la valeur et le charme de l'existence.
    (Tout le monde devrait écrire, p.150, José Corti, 2006)
     
  29. Rien n'allant de soi, sauf ce qui va à sa perte, et y va vite par les temps qui courent - je veux parler des formes les plus civilisées de l'échange -, l'écriture acharnée qui force à réfléchir reste l'une des armes les plus solides contre la sauvagerie ou l'impuissance. Chacun avec ses moyens propres peut facilement s'en emparer.
    (Tout le monde devrait écrire, p.152, José Corti, 2006)
     

  
Fernando Savater

  1. Entre les barèmes qui permettent de mesurer le développement humaniste d'une société, le premier est à mon avis le traitement et la considération que la société en question réserve à ses maîtres (le second serait son système pénitentiaire, comme une sorte de pendant obscur du premier).
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.12, Rivages poche n°314, 2000)
     
  2. L'éducation n'est pas une fatalité irréversible et nous pouvons tous nous remettre des mauvais côtés de la nôtre ; et cela ne nous rendra certainement pas indifférents à l'éducation que recevront nos enfants, au contraire. Peut-être une bonne éducation ne produit-elle pas toujours de bons résultats, de même qu'un amour partagé n'implique pas toujours une vie heureuse, mais personne ne me convaincra que l'une et l'autre ne sont pas préférables à un dressage obscurantiste ou au manque de tendresse...
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.18, Rivages poche n°314, 2000)
     
  3. [...] nous rendre intellectuellement dignes de nos perplexités est la seule voie qui nous permette de commencer à les dépasser.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.20, Rivages poche n°314, 2000)
     
  4. [...] la patience avec laquelle j'ai enduré, en de trop nombreuses occasions, le jargon de certaine pédagogie moderne, dont les pédants barbarismes, du genre « micro-séquence curriculaire », « dynamisation pragmatique », « segment de loisir » (la récré !), « contenus procédimentaux et attitudinaux », etc., sont un authentique martyre pour qui veut réellement s'informer.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.22, Rivages poche n°314, 2000)
     
  5. [...] ce que je prends aujourd'hui pour l'erreur d'un esprit supérieur n'est peut-être qu'une idée que je ne comprends pas ou que je ne comprends pas encore.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.23, Rivages poche n°314, 2000)
     
  6. [...] je n'aime pas changer la réflexion en lamentation. Mon attitude, qui n'a rien d'original après les stoïques, est tout l'opposé de la plainte : si ce qui nous offusque ou nous préoccupe peut être changé, nous devons mettre la main à la pâte ; et si c'est impossible, alors il est oiseux de le déplorer, parce que ce monde n'a pas prévu de livre de réclamations.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.24, Rivages poche n°314, 2000)
     
  7. Si vous répugnez à l'optimiste, laissez tomber l'enseignement. Renoncez même à penser l'éducation. Car éduquer, c'est croire à la perfectibilité de l'homme, à sa capacité innée d'apprendre et à ce désir de savoir qui le pousse. C'est croire qu'il y a des choses (des symboles, des techniques, des valeurs, des mémoires, des faits...) qui peuvent être sus et qui méritent de l'être, que les hommes peuvent s'amender les uns les autres par le moyen de la connaissance.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.25, Rivages poche n°314, 2000)
     
  8. La condition humaine est pour partie spontanéité naturelle et pour partie résolution artificielle : arriver à être tout à fait humain - bon ou mauvais - est toujours un art.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.31, Rivages poche n°314, 2000)
     
  9. Si la culture peut se définir, selon Jean Rostand, comme « ce que l'homme ajoute à l'homme », l'éducation est la marque concrète de l'humain apposée là où ce dernier n'était que virtuel.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.39, Rivages poche n°314, 2000)
     
  10. L'homme devient un homme par l'apprentissage.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.40, Rivages poche n°314, 2000)
     
  11. [...] le propre de l'homme, c'est moins d'apprendre que d'apprendre d'autres hommes, d'être enseignés par eux. Notre maître n'est pas le monde, ce ne sont pas les choses, les événements naturels, pas même cet ensemble de techniques et de rituels que nous appelons « culture ». Notre maître, c'est le lien intersubjectif que nous entretenons avec d'autres consciences.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.40, Rivages poche n°314, 2000)
     
  12. Vivre, pour un humain, cela consiste à habiter un monde dans lequel les choses ne sont pas seulement ce qu'elles paraissent : elles ont aussi un sens. Et être un humain, c'est comprendre que si la réalité, quelle qu'elle soit, ne dépend pas de nous, son sens dépend de notre compétence ; c'est notre problème et, dans une certaine mesure, notre choix. Par « sens » il ne faut pas entendre ici une qualité mystérieuse et intrinsèque des choses, mais la forme mentale que nous, humains, lui donnons pour nous mettre en relation les uns avec les autres par leur truchement.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.42, Rivages poche n°314, 2000)
     
  13. La véritable éducation ne consiste pas seulement à enseigner à penser, mais aussi à apprendre à penser sur ce qui se pense, et ce temps de réflexion - qui marque avec le plus de netteté notre saut évolutif par rapport à d'autres espèces - exige que nous prenions conscience de notre appartenance à une communauté d'êtres pensants.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.43, Rivages poche n°314, 2000)
     
  14. [...] la leçon essentielle [de la pédagogie] : voir la vie et les choses avec des yeux humains.
    Ceci est vrai à tel point que le premier objectif de l'éducation consiste à nous rendre conscients de la réalité de nos semblables.

    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.45, Rivages poche n°314, 2000)
     
  15. [...] la condition humaine est un concert de complicités nécessaires.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.46, Rivages poche n°314, 2000)
     
  16. Grâce à l'éducation, nous ne naissons pas au monde mais au temps.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.51, Rivages poche n°314, 2000)
     
  17. Moins les parents veulent être des parents, plus on exige de paternalisme de la part de l'État.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.81, Rivages poche n°314, 2000)
     
  18. Nous n'apprendrons jamais à nous libérer de la peur si nous n'avons jamais craint ni appris à raisonner sur cette peur.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.84, Rivages poche n°314, 2000)
     
  19. Mais le propre de la télévision c'est qu'elle agit quand les parents n'y sont pas, et souvent pour distraire des enfants dont les parents sont absents... Et quand ils sont là, ils restent aussi muets et béats devant l'écran que leurs enfants.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.91, Rivages poche n°314, 2000)
     
  20. [...] une des méthodes essentielles d'un enseignement progressiste est d'éveiller un certain scepticisme scientifique et de promouvoir une relative désacralisation des contenus transmis. Cette méthode antidogmatique permet d'obtenir un maximum de connaissances avec un minimum de préjugés. Tâche que les maîtres doivent mener à bien, non seulement à la place de la socialisation familiale, mais en compétition avec la socialisation télévisée, hypnotique et acritique, reçus peur leurs protégés.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.91, Rivages poche n°314, 2000)
     
  21. [Les Églises] ne deviennent tolérantes que quand elles voient diminuer leur autorité sociale.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.99, Rivages poche n°314, 2000)
     
  22. Supposer que l'information biologique en apprend suffisamment sur le sexe, cela revient à croire qu'il suffirait, pour comprendre la guerre, de connaître le mécanisme musculaire mis en jeu pour assener un coup de baïonnette et la manière de soigner ensuite le blessé...
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.100, Rivages poche n°314, 2000)
     
  23. À l'école, on ne peut enseigner que l'usage responsable de la liberté, on ne peut pas conseiller aux élèves d'y renoncer.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.104, Rivages poche n°314, 2000)
     
  24. Disons-le clairement, c'est-à-dire de manière pédagogique : une société humaine dépourvue de violence serait une société parfaitement inerte. C'est un fait fondamental que n'importe quel éducateur doit prendre en compte avant de commencer à traiter le sujet. Ce n'est pas un phénomène pervers, inexplicable et venu d'on ne sait quel monde diabolique, c'est une composante de notre condition, qui doit être rationnellement compensée et adoucie par l'usage de tendances non moins naturelles à la coopération, à la fraternité, à l'organisation pacifique du monde. De fait, la plus belle vertu de notre condition violente est qu'elle nous apprend à craindre la violence et à apprécier les institutions qui nous enjoignent d'y renoncer.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.107, Rivages poche n°314, 2000)
     
  25. Les maîtres doivent se souvenir, même si d'autres l'oublient, que l'école sert à former des gens de bon sens et non pas des saints. À force de vouloir des jeunes trop bien, on risque de ne pas leur enseigner à l'être suffisamment.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.109, Rivages poche n°314, 2000)
     
  26. Être libre c'est se libérer : de l'ignorance primordiale, du déterminisme génétique exclusif, modelé d'après notre entourage naturel et/ou social, d'appétits et de tendances instinctifs que la convivialité enseigne à contrôler.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.116, Rivages poche n°314, 2000)
     
  27. L'ignorance totale n'est pas curieuse, alors que savoir un peu ouvre l'appétit d'en savoir plus.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.118, Rivages poche n°314, 2000)
     
  28. [...] le meilleur maître ne peut qu'enseigner, c'est toujours l'enfant qui réalise l'acte génial d'apprendre.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.123, Rivages poche n°314, 2000)
     
  29. [...] la culture n'est pas une chose à consommer mais à assumer. Et on ne peut pas assumer la culture, ni comprendre son évolution et son sens, ou contrecarrer ceux qui voudraient en faire une simple marchandise, si on la déconnecte du travail créateur qui la produit et de la discipline indispensable pour s'y adonner.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.132, Rivages poche n°314, 2000)
     
  30. [...] que les enseignants sachent apprécier les vertus d'une certaine insolence chez les jeunes. L'insolence, cela n'a rien à voir avec l'arrogance ou la brutalité ; l'insolence est une affirmation tâtonnante de l'autonomie individuelle et la marque d'un esprit critique qui n'avale pas n'importe quoi comme une vérité révélée.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.136, Rivages poche n°314, 2000)
     
  31. [Le professeur] doit être capable de séduire sans hypnotiser.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.137, Rivages poche n°314, 2000)
     
  32. « Peu importe, à la limite, ce qu'on enseigne, pourvu que la curiosité, le goût d'apprendre aient été éveillés. Comment faire entrer des lobbies disciplinaires dans une telle logique ? Comment leur faire entendre que l'objectif visé est général et non pas spécialisé, que l'important n'est pas ce qu'on apprend mais la façon de l'apprendre, car il ne sert à rien de prouver que, dans l'absolu, telle ou telle science est formatrice, encore faut-il savoir si la façon de l'enseigner assure bien ce développement intellectuel, et cela tient autant à la manière qu'à la matière. Or les disciplines commencent par raisonner en termes d'heures, de coefficients et de postes. »
    (François de Closets, cité par Savater dans Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.145, Rivages poche n°314, 2000)
     
  33. Avant d'apprendre à savourer les plus belles réussites intellectuelles, il faut apprendre à aimer le plaisir intellectuel.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.154, Rivages poche n°314, 2000)
     
  34. Annoncer l'anéantissement de l'esprit à cause des ordinateurs est aussi stupide qu'attendre béatement de l'intelligence de ces appareils qu'elle pourvoie d'agilité mentale ceux qui en manquent.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.158, Rivages poche n°314, 2000)
     
  35. Il est une forme de racisme intellectuel qui croit louer ce qu'il discrimine : ainsi, certains prétendent que les Africains, les Orientaux, les Amérindiens, etc., ne pratiquent pas la raison comme les Occidentaux, parce qu'ils sont plus « naturels », qu'ils ont une « logique » différente, qu'ils écoutent davantage leur « coeur » et autres âneries du même tabac. Raison pour laquelle ils ne devraient pas recevoir d'éducation moderne : le truc consiste à baptiser oppresseur l'opprimé pour continuer à opprimer. On affirmait hier que les femmes ne devraient pas aller à l'université parce qu'elles y perdaient leur charme naturel...
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.162, Rivages poche n°314, 2000)
     
  36. Les humains ne sont pas des problèmes ou des équations, ce sont des histoires : des contes, pas des comptes.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.170, Rivages poche n°314, 2000)
     
  37. «La rencontre décisive entre l'enfant et les livres se produit sur les bancs de l'école. Si elle se produit dans une situation créative, où c'est la vie qui compte et non l'exercice scolaire, alors pourra naître le goût de la lecture, qui n'est pas inné, car ce n'est pas un instinct. Si au contraire elle se produit dans une situation bureaucratique, si le livre reste lettre morte parce que réduit au rôle de simple instrument d'exercices (passages recopiés, résumés, analyses grammaticales, etc.), étouffé par le mécanisme traditionnel "interrogation-appréciation", alors il ne pourra en sortir qu'une technique de la lecture, mais pas vraiment le goût de la lecture. Les enfants sauront lire, mais ils ne liront que par obligation. Et en dehors de cette obligation, ils se réfugieront dans les bandes dessinées - même s'ils seront capables de lectures plus complexes et plus riches - , sans doute pour l'unique raison que les bandes dessinées n'ont jamais été "contaminées" par l'école.»
    (Gianni Rodari (Grammaire de l'imagination) cité par Savater dans Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.172, Rivages poche n°314, 2000)
     
  38. [...] l'éducation est une antifatalité, pas une programmation visant à nous permettre de supporter notre sort - pour mieux te manger, dirait le loup pédagogiquement déguisé en grand-mère.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.186, Rivages poche n°314, 2000)
     
  39. Toutes les cultures peuvent fusionner les unes dans les autres, aucune ne surgit d'une essence idiosyncrasique qui ne doive ou ne puisse se mêler aux autres, les contaminer. Cette contagion des cultures les unes par les autres, c'est exactement ce qu'on appelle la civilisation ; et ce que l'éducation doit chercher à transmettre.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.194, Rivages poche n°314, 2000)
     
  40. [...] chaque demi-satisfaction obtenue donne naissance à une insatisfaction plus grande.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.208, Rivages poche n°314, 2000)
     
  41. [...] inlassablement, nous devons exiger une liberté complète, refuser les contraintes injustes qui nous sont imposées sous prétexte de soulager la misère générale, mais sans nous résigner à la misère sous prétexte d'échapper aux contraintes.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.208, Rivages poche n°314, 2000)
     
  42. Un des ingrédients les plus pervers de la misère [...] est l'ignorance.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.209, Rivages poche n°314, 2000)
     
  43. L'enfant va à l'école pour se mettre en contact avec le savoir de son époque, non pour voir confirmées les opinions de sa famille.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.212, Rivages poche n°314, 2000)
     
  44. Se poser la question du sens de l'éducation, ce n'est pas seulement se demander ce qu'est l'éducation. C'est plutôt se demander ce que nous en attendons. Et même, ce que nous devrions en exiger.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.215, Rivages poche n°314, 2000)
     
  45. Le sens de l'éducation, c'est de conserver et de transmettre l'amour intellectuel pour l'humain.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.216, Rivages poche n°314, 2000)
     
  46. [...] moins on possède une culture authentique plus on a besoin de dépenser de l'argent pour se divertir le week-end ou pendant les vacances. Si personne ne vous apprend à vous créer des joies de l'intérieur, vous devez tout acheter au-dehors. Vous tombez alors dans l'échec dénoncé il y déjà des siècles par un sage taoïste : « L'erreur des hommes est d'essayer de réjouir leur coeur avec des choses, quand ce qu'ils doivent faire c'est réjouir les choses avec leur coeur. »
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.220, Rivages poche n°314, 2000)
     
  47. Savez-vous quel est le plus remarquable effet de la bonne éducation ? Réveiller l'appétit pour plus d'éducation, de nouveaux apprentissages et de nouveaux enseignements. L'individu éduqué sait qu'il ne l'est jamais tout à fait mais qu'il l'est suffisamment pour vouloir l'être plus ; celui qui croit son éducation achevée à l'école ou à l'université n'a pas été réellement allumé par l'ardeur éducative, il n'a reçu qu'un vernis ou une seule couche de peinture.
    (Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert , p.221, Rivages poche n°314, 2000)