Citations ajoutées le 04 mars 2006

François Mauriac

  1. Paris est une solitude peuplée ; une ville de province est un désert sans solitude.
    (La Province, p.7, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  2. Un provincial intelligent souffre à la fois d'être seul et d'être en vue. Il est le fils un Tel, sur le trottoir de la rue provinciale, il porte sur lui, si l'on peut dire, toute sa parenté, ses relations, le chiffre de sa dot et de ses espérances. Tout le monde le voit, le connaît, l'épie ; mais il est seul. Non qu'il n'existe en Province des hommes intelligents et des hommes d'esprit ; mais comment se rencontreraient-ils ? la Province n'a jamais su abattre les cloisons.
    (La Province, p.8, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  3. Paris détruit les types que la Province accuse.
    La Province cultive les différences : nul n'y songe à rougir de ses accents, de ses manies.
    Paris nous impose un uniforme ; il nous met, comme ses maisons, à l'alignement ; il estompe les caractères, nous réduit tous à un type commun.

    (La Province, p.19, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  4. Un homme intelligent, curieux des choses de l'esprit et qui n'a jamais quitté sa campagne, s'enlise presque toujours dans une spécialité, se borne, se limite à un sujet local. Sans ressources extérieures, sans instrument de travail, il vit sur son propre fonds, s'épuise ; la somnolence universelle le gagne. Celui-là n'a pas besoin d'opium. Pour sa commodité, il arrête l'histoire à une certaine époque et ne veut rien connaître au-delà. Quel péril, pour un homme intelligent, que l'absence de témoins ! L'homme le plus attentif ne se voit bien que dans les yeux des autres. À la campagne, un homme cultivé sait qu'on le moque pour ce qu'il a de supérieur ; mais rien ne l'avertit de ses vrais ridicules que nul ne lui dénonce.
    (La Province, p.48, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  5. Autrefois, le chemineau faisait horreur ; le saltimbanque était méprisé : Les sédentaires se jugeaient supérieurs aux errants. Aujourd'hui, l'homme immobile regarde l'homme bolide écraser sa volaille et disparaître dans une poussière de gloire.
    (La Province, p.55, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  6. Même sans y participer, nous pensons à la vie nocturne de Paris avec une grande satisfaction. Notre sommet est un choix : Paris est le lieu du monde où nous nous sentons le plus libres, où nous pourrions toujours faire autre chose que ce que nous faisons.
    (La Province, p.75, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  7. La Province est peuplée d'emmurés, d'êtres qui n'imaginent pas que se puisse jamais réaliser leur désir.
    (La Province, p.77, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  8. Une femme désirée et possédée nous enrichit de clartés, certes, mais sur notre propre coeur, par tout ce qu'elle déchaîne : elle-même risque de nous demeurer indéchiffrable ; car la possession charnelle n'est pas le vrai moyen de connaissance : elle est créatrice de mirages ; le désir, l'assouvissement tour à tour transforment et déforment l'être aimé.
    (La Province, p.92, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     
  9. Ce qui distingue un romancier, un dramaturge, du reste des hommes, c'est justement le don de voir de grands arcanes dans les aventures les plus communes. Toutes les aventures sont communes, mais non leurs secrets ressorts.
    (La Province, p.94, Hachette (Notes et maximes), 1964)
     

Philippe Claudel

  1. La mort brutale prend les belles choses, mais les garde en l'état. C'est là sa vraie grandeur. On ne peut pas lutter contre.
    (Les âmes grises, p.46, Stock, 2003)
     
  2. [...] ça, c'est la grande connerie des hommes, on se dit toujours qu'on a le temps, qu'on pourra faire cela le lendemain, trois jours plus tard, l'an prochain, deux heures après. Et puis tout meurt. On se retrouve à suivre des cercueils [...]
    (Les âmes grises, p.78, Stock, 2003)
     
  3. La mémoire est curieuse : elle retient des choses qui ne valent pas trois sous. Pour le reste, tout passe à la grande fosse.
    (Les âmes grises, p.83, Stock, 2003)
     
  4. Il avait l'art de se servir des mots pour leur faire dire des choses auxquelles d'ordinaire ils n'étaient pas destinés.
    (Les âmes grises, p.110, Stock, 2003)
     
  5. La haine est une cruelle marinade : elle donne à la viande une saveur de déchet.
    (Les âmes grises, p.125, Stock, 2003)
     
  6. Les salauds, les saints, j'en ai jamais vu. Rien n'est ni tout noir, ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c'est pareil... T'es une âme grise, joliment grise, comme nous tous...
    (Les âmes grises, p.136, Stock, 2003)
     
  7. On tue beaucoup dans une journée, sans même s'en rendre compte vraiment, en pensée et en mots. Au regard de tous ces crimes abstraits, les assassinats véritables sont bien peu nombreux, si l'on y réfléchit. Il n'y a vraiment que dans les guerres que l'équilibre se fait entre nos désirs avariés et le réel absolu.
    (Les âmes grises, p.149, Stock, 2003)
     
  8. Le chagrin tue. Très vite. Le sentiment de la faute aussi, chez ceux qui ont un bout de morale.
    (Les âmes grises, p.155, Stock, 2003)
     
  9. Les bonnes gens partent vite. Tout le monde les aime bien, la mort aussi. Seuls les salauds ont la peau dure. Ceux-là crèvent vieux en général, et parfois même dans leur lit. Tranquilles comme Baptiste.
    (Les âmes grises, p.156, Stock, 2003)
     
  10. C'est curieux la vie. Ça ne prévient pas. Tout s'y mélange sans qu'on puisse y faire le tri et les moments de sang succèdent aux moments de grâce, comme ça. On dirait que l'homme est un de ces petits cailloux posés sur les routes, qui reste des jours entiers à la même place, et que le coup de pied d'un trimardeur parfois bouscule et lance dans les airs, sans raison. Et qu'est-ce que peut un caillou ?
    (Les âmes grises, p.172, Stock, 2003)
     
  11. Une foule, c'est quoi ? c'est rien, des pécores inoffensives si on leur cause yeux dans les yeux. Mais mis ensemble, presque collés les uns sur les autres, dans l'odeur des corps, de la transpiration, des haleines, la contemplation des visages, à l'affût du moindre mot, juste ou pas, ça devient de la dynamite, une machine infernale, une soupière à vapeur prête à péter à la gueule si jamais on la touche.
    (Les âmes grises, p.181, Stock, 2003)
     
  12. [...] quand on vit dans les fleurs, on ne pense pas à la boue.
    (Les âmes grises, p.247, Stock, 2003)
     
  13. On sait toujours ce que les autres sont pour nous, mais on ne sait jamais ce que nous sommes pour les autres.
    (Les âmes grises, p.259, Stock, 2003)
     

Jean Dell

  1. Bruno : Quand on commence une phrase par « c'est vrai que », ça signifie qu'on a déjà évoqué la chose avant, et qu'on en a la confirmation.
    (Un petit jeu sans conséquence, acte 1, scène 6, (co-auteur : Gérald Sibleyras) p.35, L'avant-scène|théâtre, 2002)
     
  2. Bruno : Il me semble qu'on fait régulièrement l'amour, si c'est ce dont tu veux parler.
    Claire : Voilà, tu l'as dit : régulièrement. L'adverbe à ne jamais utiliser quand on parle d'amour.

    (Un petit jeu sans conséquence, acte 1, scène 8, (co-auteur : Gérald Sibleyras) p.35, L'avant-scène|théâtre, 2002)