Citations ajoutées le 06 septembre 2004

  
Pascal Bruckner

  1. l'économie :[...] la dernière spiritualité du monde développé.
    (Misère de la prospérité, p.13, Livre de Poche, n°30025)
     
  2. La foi n'est jamais si dangereuse que dans les périodes de scepticisme quand l'esprit, désemparé, se saisit du premier objet pour y retrouver la fièvre perdue.
    (Misère de la prospérité, p.14, Livre de Poche, n°30025)
     
  3. L'économie était censée nous affranchir de la nécessité. Qui nous affranchira de l'économie ?
    (Misère de la prospérité, p.15, Livre de Poche, n°30025)
     
  4. À quoi servent les analystes financiers ? À rationaliser l'aléa, à rassurer, à donner à tout ce chaos une apparence de logique. L'économie, science de l'incertitude, devrait enseigner à ses étudiants la parole oraculaire : l'art de ne dire ni oui ni non, de ne rien préciser, de ne rien démentir, de noyer chaque proposition dans un flou salvateur. Quel aveu dans ce mot d'Alan Greenspan à des journalistes : « Si vous avez compris ce que je viens de dire, c'est que je me suis mal exprimé ! »
    (Misère de la prospérité, p.32, Livre de Poche, n°30025)
     
  5. La mondialisation, c'est d'abord la mondialisation du doute quant à ses bienfaits [...]
    (Misère de la prospérité, p.36, Livre de Poche, n°30025)
     
  6. [...] on ne devrait pas oublier toutefois que le pire ennemi de la vérité ce n'est pas « le mensonge mais les convictions » (Nietzsche).
    (Misère de la prospérité, p.48, Livre de Poche, n°30025)
     
  7. On a peut-être toujours une raison de se révolter, comme on disait jadis, mais on n'a pas raison sur tout quand on se révolte : cela ne justifie ni les injustices ni les crimes ni les attentats commis au nom des damnés de la terre.
    (Misère de la prospérité, p.57, Livre de Poche, n°30025)
     
  8. Seul ce qui nous résiste peut prétendre à une valeur : si une oeuvre d'art, un paysage nous émeuvent, c'est que nous n'en avons jamais fini avec eux.
    (Misère de la prospérité, p.69, Livre de Poche, n°30025)
     
  9. Pour toute réflexion guettée par le doute, le manichéisme reste la béquille idéale.
    (Misère de la prospérité, p.78, Livre de Poche, n°30025)
     
  10. Qu'est-ce que l'homme contemporain ? La somme de toutes les luttes qui l'ont façonné, la joyeuse cacophonie d'un progressiste et d'un réactionnaire, d'un nationaliste et d'un cosmopolite, d'un agnostique et d'un croyant qui tirent à hue et à dia ; un petit chaos d'idées adverses qui désire tout et son contraire, parcouru d'engouements passagers comme de convictions aléatoires.
    (Misère de la prospérité, p.89, Livre de Poche, n°30025)
     
  11. L'équation américaine : le bonheur pour tous plus l'optimisme historique. L'équation française : la culture des plaisirs plus le scepticisme raisonné. La première dégénère parfois en entreprise insensée, la seconde en paralysie.
    (Misère de la prospérité, p.101, Livre de Poche, n°30025)
     
  12. [...] les riches, derrière les hauts murs de leurs clubs, de leurs palaces, sont plus occupés à défendre leur statut qu'à jouir de leurs biens.
    (Misère de la prospérité, p.144, Livre de Poche, n°30025)
     
  13. Être aimé, c'est d'abord être choisi de façon indue par une adhésion, un acquiescement total. Aucune mesure ne pourra abolir cette part d'arbitraire qui fait d'un être le centre unique de mon attention au détriment de tous les autres.
    (Misère de la prospérité, p.164, Livre de Poche, n°30025)
     
  14. C'est la force du capitalisme que de s'appuyer sur les instincts les plus vils de l'homme pour les convertir en marchandises, en culture, en institutions. « L'économie, c'est la science du sordide, pas de la pureté » (Alfred Sauvy).
    (Misère de la prospérité, p.165, Livre de Poche, n°30025)
     
  15. À la question qu'est-ce que la télévision, Piet Hein, représentant au Portugal de la société Endemol, producteur de Loft Story et de Big Brother a répondu : «  C'est, entre chaque écran publicitaire, créer un contenu suffisamment attirant pour que les écrans pub aient des audiences. C'est tout. » Journal du Dimanche, 4.11.01.
    (Misère de la prospérité (Note de bas de page), p.166, Livre de Poche, n°30025)
     
  16. Le marché accompagne la définition de l'individu comme être essentiellement désirant. Désormais, nous sommes d'abord ce que nous désirons : des objets, des êtres, des styles de vie, des expériences.
    (Misère de la prospérité, p.169, Livre de Poche, n°30025)
     
  17. La conclusion logique de la société de marché, c'est la prostitution généralisée, la transformation du genre humain en prestataire ou clients, une armée de petites mains prodiguant des soins multiples aux prospères pressés. Mais c'est aussi la généralisation du soupçon puisqu'il n'est pas un sourire, un geste qui ne puisse être vu comme un calcul, ne soit chargé d'arrière-pensées mercenaires.
    (Misère de la prospérité, p.170, Livre de Poche, n°30025)
     
  18. Plus les rapports humains sont soumis à l'emprise du service, plus ils se dégradent, s'étiolent. C'est le revers de la médaille. Les autres ne sont pas que des serviteurs destinés à étancher toutes mes soifs, assouvir toutes mes lubies. À chacun de nous de savoir s'il veut habiter cette terre en petit maître ou en poète, en parasite ou en ami.
    (Misère de la prospérité, p.171, Livre de Poche, n°30025)
     
  19. La soif de publicité culmine dans le processus de l'épiphanie médiatique où il me suffit d'apparaître pour être : révélation instantanée qui me dispense de toute activité, de tout travail sur moi-même.
    (Misère de la prospérité, p.173, Livre de Poche, n°30025)
     
  20. Quelle tristesse pourtant que d'être soi, de coïncider avec son être ! Alors que la beauté de l'existence, c'est de s'échapper, de s'ouvrir à la multitude des destins possibles que nous portons en nous-mêmes. Plutôt que d'être quelqu'un, pourquoi ne pas vouloir être plusieurs ? Se connaître n'est utile que pour mieux s'oublier, n'être plus encombré de soi, se rendre disponible à la splendeur du monde.
    (Misère de la prospérité, p.175, Livre de Poche, n°30025)
     
  21. [...] si la paix favorise le commerce, le commerce n'a jamais garanti la paix.
    (Misère de la prospérité, p.190, Livre de Poche, n°30025)
     
  22. [...] la phrase lumineuse et troublante de Spinoza : « La liberté est l'intelligence de la nécessité. ».
    (Misère de la prospérité, p.191, Livre de Poche, n°30025)
     
  23. Il faut distinguer deux modes du désir : l'un, qui tente de tuer le manque par saturation ; l'autre, qui l'utilise comme un élément structurant, positif et ne redoute rien tant que la satiété.
    (Misère de la prospérité, p.207, Livre de Poche, n°30025)
     
  24. Paradoxe du multiple : plus nous disposons de centaines de chaînes de télévision et de radio, de produits et d'objets, plus ils tendent à se ressembler. Sous le bariolage de surface sévit une affligeante compétition dans la similitude. Dans l'univers de l'abondance l'ennui naquit un jour de la diversité. La consommation ne nous éduque à rien d'autre qu'à elle-même, ne nous « civilise » pas, fait de nous des usagers, c'est-à-dire des êtres exclusivement ancrés dans les facilités marchandes et qui ne savent parler que l'argent. Ce type de volupté nous délasse et nous distrait mais sa valeur pédagogique est nulle.
    (Misère de la prospérité, p.208, Livre de Poche, n°30025)
     
  25. L'étau monétaire et marchand s'est infiltré dans tous les interstices de la vie. « Événement aussi monstrueux, disait Péguy à propos de l'argent, que si l'horloge se mettait à être le temps. »
    (Misère de la prospérité, p.220, Livre de Poche, n°30025)
     
  26. La passion de l'argent pour l'argent n'est pas criminelle ou pathologique : elle est juste désolante quand elle n'est pas équilibrée par d'autres jouissances, d'autres passions plus délicates, plus précieuses. Misère de la prospérité quand elle n'est que matérielle, n'est animée d'aucun souffle, d'aucune noblesse, n'est pas réinvestie socialement, partagée au profit du plus grand nombre.
    (Misère de la prospérité, p.227, Livre de Poche, n°30025)
     
  27. Dans nos sociétés de grande vulnérabilité, tout est toujours possible, surtout le pire. Le risque est partout. Telle est la sagesse désenchantée de ce début de siècle : nous savons que nos avancées se paient de reculs terrifiants, que chaque conquête est aussi un terrain perdu, chaque démonstration de force un aveu de faiblesse. Et que l'humanité va simultanément et d'un même pas vers le meilleur et vers le pire.
    (Misère de la prospérité, p.235, Livre de Poche, n°30025)
     
  28. [...] être barbare, c'est se croire civilisé, rejeter les autres dans le néant. Alors qu'être civilisé, c'est se savoir barbare, connaître la fragilité des barrières qui nous séparent de notre propre ignominie et que le même monde porte en lui la possibilité de l'infamie et du sublime.
    (Misère de la prospérité [Excipit], p.246, Livre de Poche, n°30025)
     

J.-B. Pontalis

  1. Non, ce que j'aimais, ce que j'aime encore, c'est une langue assez souple pour se laisser indéfiniment renouveler, insensiblement séduire, détourner du droit chemin, assez docile pour qu'il n'y ait nul besoin rageur de la casser, assez contraignante pour qu'on n'oublie jamais son altérité, pour qu'en elle, dans les moments de grâce, je puisse me fondre et, après, comme comblé par le vide des mots, me ressaisir. Si la langue était mon idéal de femme !
    (L'amour des commencements, p.24, Folio, n°2571)
     
  2. Mais la psychanalyse m'assomme quand elle entre, sans y être invitée, en tout lieu, s'affirme comme interprétation de toutes les interprétations possibles. Je revendique pour tout un chacun non le refuge dans l'ininterprétable mais un territoire, aux frontières mouvantes, de l'ininterprété.
    (L'amour des commencements, p.27, Folio, n°2571)
     
  3. [...] celui qui sait dire « il y a » a d'un seul souffle vaincu la mort et gagné le langage à sa cause.
    (L'amour des commencements, p.32, Folio, n°2571)
     
  4. On ne renonce jamais à rien. Écrire, s'écrire, c'est ça : s'assurer qu'on n'a pas vraiment renoncé, qu'à travers la succession des illusions défaites, la chose en soi demeure, qu'elle a la vie plus dure que la vie !
    (L'amour des commencements, p.41, Folio, n°2571)
     
  5. [...] l'immobile a deux faces. Il y en a une qui rassure, comme le retour des saisons qui fait croire que le rythme de la vie humaine aussi échappe au temps qui passe, comme le café pris au comptoir avant d'aller travailler, comme le chien qui ne consent à dormir que sur ce coussin-là... Cette garantie de continuité m'est nécessaire. L'autre face, accablante, je la trouvais et je la trouve toujours quand, par exemple, au retour d'un voyage, le cendrier que j'ai oublié de vider avant le départ a gardé ses mégots, quand le manuscrit que j'ai cessé de lire, par fatigue ou ennui, est resté ouvert à la même page... Ah, ces restes de nos restes, cette perpétuation du déchet, cette retombée sans fin de ce qui fut vivant !
    (L'amour des commencements, p.42, Folio, n°2571)
     
  6. [...] dire ce qui se dit déjà sous mille formes ce n'est jamais que redire. Un rêve : pouvoir peindre l'inouï ! Peindre, pas traduire. La puissance d'un art tient à ce qu'il s'affronte à ce qui le nie : la musique au visible, la littérature au silence.
    (L'amour des commencements, p.53, Folio, n°2571)
     
  7. [...] je n'ai jamais pu me faire à l'idée qu'on ne pense qu'avec sa tête !
    (L'amour des commencements, p.57, Folio, n°2571)
     
  8. Parfois le quotidien, répété, discontinu, ne me semble être qu'un intervalle entre deux toiles peintes, entre deux rêves oubliés.
    (L'amour des commencements, p.65, Folio, n°2571)
     
  9. Je tiens pour un mort en sursis celui qui considère le temps passé à dormir pour du temps mort. Le sommeil m'est source.
    (L'amour des commencements, p.66, Folio, n°2571)
     
  10. D'où nous vient l'amour des commencements sinon du commencement de l'amour ? De celui qui sera sans suite et peut-être par là sans fin.
    (L'amour des commencements, p.70, Folio, n°2571)
     
  11. Je tiens pour suspecte une pensée qui, tout en s'en défendant, a réponse à tout et tient à l'écart sa propre incertitude.
    (L'amour des commencements, p.101, Folio, n°2571)
     
  12. [...] je me représente [l'âme] comme une ellipse, peut-on imaginer une âme carrée, rectangulaire ?
    (L'amour des commencements, p.103, Folio, n°2571)
     
  13. [...] vouloir se démarquer du troupeau, c'est encore subir la marque du berger.
    (L'amour des commencements, p.142, Folio, n°2571)
     
  14. Nous avons inventé les mots pour échapper à la loi de la pesanteur, pour retarder l'instant fatal de la chute.
    (L'amour des commencements, p.147, Folio, n°2571)
     
  15. La conversation sans objet, quel luxe !
    (L'amour des commencements, p.154, Folio, n°2571)
     
  16. Quelle ascèse plus efficace, pour qui voudrait être soi-même, que de savoir imiter ! Ainsi garde-t-on une chance, par le recours à des imitations conscientes et l'accentuation délibérée des traits du modèle, de ne pas être seulement l'écho de voix admirées.
    (L'amour des commencements, p.161, Folio, n°2571)
     
  17. Que ne perd-on pas quand le moment vient où on croit avoir acquis son identité, où on se félicite qu'elle ait cessé d'être flottante et de dériver au hasard des rencontres, au gré des jours et des nuits !
    (L'amour des commencements, p.176, Folio, n°2571)
     
  18. Mais qu'est-ce qu'une vie si on ne se la raconte pas ? Et, nous le savons, pour une seule vie, il y a cent biographies possibles.
    (L'amour des commencements, p.178, Folio, n°2571)
     
  19. [...] est venu un temps où, moins tourmenté de découvrir ce à quoi on tient vraiment, on se contente d'aimer ce qui vous tient : ceux auprès de qui on vit et qui paraissent trouver quelque plaisir à votre compagnie, le travail dont on ne se demande plus qu'elle est la raison d'être, l'assurance que chaque jour donne de quoi aimer.
    (L'amour des commencements, p.183, Folio, n°2571)
     
  20. Ce que je redoute toujours, c'est d'être réduit à un présent qui ne donnerait rien, à un présent muet - muet comme une carte d'identité, comme une pierre tombale. Les mots tuent quand ils nous désignent.
    (L'amour des commencements, p.185, Folio, n°2571)
     
  21. Quand le langage se fait politique, c'est toujours le politique qui gagne et qui, insidieusement, pervertit le destin des mots en les soumettant à ses propres lois : convaincre, argumenter, désigner l'adversaire et le réduire au silence, ne s'avouer jamais désarmé.
    (L'amour des commencements, p.192, Folio, n°2571)
     
  22. Ne plus rêver, c'est être à demi mort, c'est faire de la réalité sa seule loi.
    (L'amour des commencements, p.207, Folio, n°2571)
     
  23. Et, ne l'oublions pas, en ce temps où l'on vante à l'envi la créativité de tout un chacun, la poésie est une science exacte, la peinture un métier et la littérature un style !
    (L'amour des commencements, p.212, Folio, n°2571)
     
  24. Tant qu'il y aura des livres, personne, jamais, n'aura le dernier mot.
    (L'amour des commencements [Excipit], p.214, Folio, n°2571)
     

Dennis Lehane

  1. La politique, pour lui, c'était un peu comme une chouette cabane dans les arbres : une fois à l'intérieur avec les petits caïds du voisinage, il suffisait de retirer l'échelle pour laisser en bas tous les crétins.
    (Ténèbres prenez-moi la main, trad. Isabelle Maillet , p.94, Rivages/noir, n°424)
     
  2. Oh, je sais que la société nous incite à parler des drames que nous vivons, à en discuter avec des amis ou des inconnus compétents, et c'est peut-être réellement efficace. Mais je reste persuadé qu'on a tendance à trop en dire dans cette même société, qu'on attribue à la parole des vertus qui lui font souvent défaut, et qu'à force, on ne se rend plus compte de l'état de complaisance morbide dans lequel elle nous plonge forcément.
    (Ténèbres prenez-moi la main, trad. Isabelle Maillet , p.199, Rivages/noir, n°424)
     
  3. On ne comprend jamais vraiment les autres [...], on se contente de réagir à leur présence.
    (Ténèbres prenez-moi la main, trad. Isabelle Maillet , p.288, Rivages/noir, n°424)