Citations ajoutées le 20 juillet 2003

  
Joseph Joubert

  1. C'est une vérité cubique : c'est à dire une maxime vraie de quelque côté qu'on la tourne, sur quelque face qu'on la présente, sous quelque point de vue qu'on l'envisage.
    (Carnets t.2, p.378, nrf/Gallimard, 1994)
     
  2. Il faut être le juge et le censeur, mais non le législateur unique de soi-même. Quand notre volonté est notre règle, qu'est-ce qui peut servir de règle à la notre volonté ?
    Obligation imaginaire : ce qu'on se prescrit seul, on s'en dispense seul et quand on veut.

    (Carnets t.2, p.379, nrf/Gallimard, 1994)
     
  3. Il faut toujours avoir dans sa tête un coin ouvert et libre pour y donner une place aux opinions de nos amis et les y loger en passant. Il faut avoir enfin un coeur et un esprit hospitaliers. Il devient réellement insupportable de converser avec des hommes qui n'ont dans le cerveau que des cases où tout est pris.
    (Carnets t.2, p.379, nrf/Gallimard, 1994)
     
  4. Il y a des mots agréables à l'oeil (comme il y en a d'agréables à l'oreille). Par un heureux mélange des lettres dont ils sont formés ou par l'agrément de ces lettres. Car chaque lettre a sa figure.
    (Carnets t.2, p.380, nrf/Gallimard, 1994)
     
  5. Peu de livres peuvent plaire toute la vie. Il y en a dont on se dégoûte avec le temps et la sagesse ou le bon sens, comme des passions.
    Les beaux ouvrages n'ennivrent point, mais ils enchantent.

    (Carnets t.2, p.380, nrf/Gallimard, 1994)
     
  6. Le silence. - Délices du silence. - Il faut que les pensées naissent de l'âme et les paroles du silence. - Un silence attentif.
    (Carnets t.2, p.381, nrf/Gallimard, 1994)
     
  7. Tous les hommes d'esprit valent mieux que leurs livres. Les hommes de génie valent moins. (Peut-être les savants aussi.) Et c'est ainsi que le rossignol vaut moins que son chant, le ver à soie moins que son industrie : l'instinct enfin plus que la bête.
    (Carnets t.2, p.383, nrf/Gallimard, 1994)
     
  8. Opiniâtre, entêté. - L'entêté pense fortement tout ce qu'il pense. L'opiniâtre tient fortement à ses opinions faibles ou fortes.
    (Carnets t.2, p.383, nrf/Gallimard, 1994)
     
  9. L'âme est tout l'homme.
    (Carnets t.2, p.385, nrf/Gallimard, 1994)
     
  10. Rien n'est plus ennuyeux que la longue réfutation d'une erreur qui n'est ni la nôtre, ni celle de nos amis, ni celle de nos ennemis.
    (Carnets t.2, p.385, nrf/Gallimard, 1994)
     
  11. Ce n'est pas ce qui est le plus beau, mais ce qui fait naître en nous les belles idées, que nous aimons le mieux.
    (Carnets t.2, p.387, nrf/Gallimard, 1994)
     
  12. Il y a en effet souvent plus d'esprit et de perspicacité dans une erreur que dans une découverte.
    (Carnets t.2, p.390, nrf/Gallimard, 1994)
     
  13. L'ordre est à l'arrangement ce que l'âme est au corps, ce que l'esprit est à la matière. L'arrangement sans ordre est un corps sans âme.
    (Carnets t.2, p.392, nrf/Gallimard, 1994)
     
  14. Le ciel ne nous doit que ce qu'il nous donne et il nous donne souvent ce qu'il ne nous doit pas.
    (Carnets t.2, p.392, nrf/Gallimard, 1994)
     
  15. Le but de la dispute, ou de la discussion, ne doit pas être la victoire, mais l'amélioration.
    (Carnets t.2, p.393, nrf/Gallimard, 1994)
     
  16. Jardin qui sent le renfermé.
    (Carnets t.2, p.394, nrf/Gallimard, 1994)
     
  17. Il n'y a de bon dans les innovations que ce qui est développement, accroissement, achèvement.
    (Carnets t.2, p.395, nrf/Gallimard, 1994)
     
  18. Egregie fallitur. Il se trompe, mais noblement, mais savamment, mais avec grâce, avec esprit, avec sagesse et avec beaucoup de beauté.
    (Carnets t.2, p.395, nrf/Gallimard, 1994)
     
  19. Écrire. Pour bien écrire, il faut une facilité naturelle et une difficulté acquise - ou autrement - écrire facilement par nature et difficilement par art (par réflexion et par bon goût, etc.).
    (Carnets t.2, p.399, nrf/Gallimard, 1994)
     
  20. L'attention qu'on donne à la maison et aux meubles, distrait du maître et le temple distrait de dieu.
    (Carnets t.2, p.401, nrf/Gallimard, 1994)
     
  21. I. Un peu de tout, rien à souhait : grand moyen d'être modéré, d'être sage, d'être content.
    II. Ayez soin qu'il manque toujours à votre maison quelque chose dont la privation ne vous soit pas trop sensible et dont le désir vous soit agréable.
    III. Il faut se maintenir en tel état et en telle disposition qu'on ne puisse être ni rassasié ni insatiable.
    IV. Quand on a tout, on est trop plein.

    (Carnets t.2, p.401, nrf/Gallimard, 1994)
     
  22. La moitié de moi se moque de l'autre.
    (Carnets t.2, p.402, nrf/Gallimard, 1994)
     
  23. On se trompe par supériorité et par médiocrité.
    (Carnets t.2, p.402, nrf/Gallimard, 1994)
     
  24. « Il sait trop tout ce qu'il veut dire... » Voilà un blâme littéraire qui paraît d'abord singulier, mais qui a du sens. Il taxe ces jeunes esprits qui ne soupçonnent jamais rien de ce qui est au delà de leur portée et qui ne voient que ce qu'ils atteignent. Genre de mérite et de médiocrité incompatibles avec tout progrès et avec toute modestie.
    (Carnets t.2, p.402, nrf/Gallimard, 1994)
     
  25. De la vanité qui veut plaire et de celle qui veut dominer et qui consiste à se faire valoir. (Il vaut mieux se faire agréer.)
    (Carnets t.2, p.403, nrf/Gallimard, 1994)
     
  26. Je suis brouillé avec la trésorerie, parce que je regarde l'argent comme le fumier (comme un engrais) et qu'ils le regardent comme la récolte.
    (Carnets t.2, p.404, nrf/Gallimard, 1994)
     
  27. Raisonner avec assurance, avec hauteur, c'est raisonner avec orgueil.
    (Carnets t.2, p.407, nrf/Gallimard, 1994)
     
  28. Il faut mettre son honneur dans ses devoirs et ses devoirs dans son emploi.
    (Carnets t.2, p.408, nrf/Gallimard, 1994)
     
  29. Homère a peint la vie humaine. Chaque village a son Nestor, son Agamemnon, son Ulysse. Chaque paroisse a son Achille, son Diomède, son Ajax. Chaque siècle a son Priam, son Andromaque et son Hector.
    (Carnets t.2, p.408, nrf/Gallimard, 1994)
     
  30. Clarté d'un livre. Il y a des idées qui paraissent claires [...] et qui cessent de l'être quand on veut s'en ressouvenir. C'est qu'elles ne sont pas en harmonie avec les clartés de notre esprit. Elles ne sont que des clartés individuelles d'une vérité fantastique. C'est la lumière d'un tableau, une lumière feinte et peinte, une lumière artificielle.
    On trouve en effet dans certains livres des lumières artificielles, assez semblables à celles des tableaux et qui se font par la même sorte de mécanisme, en amoncelant les obscurités dans certaines parties, et en les délayant dans d'autres. Il naît de là une certaine magie de clair-obscur qui n'éclaire rien, mais qui paraît donner quelque clarté à la page où elle se trouve et qui serait plus véritablement éclairée si tout le papier était blanc.
    Ce qu'on appelle clair dans un tableau n'est pas du clair proprement dit, mais de l'obscur mis en opposition avec du sombre. On peut ainsi innocemment tromper l'esprit avec des paroles.

    (Carnets t.2, p.410, nrf/Gallimard, 1994)
     
  31. Ses pensées, l'un les crayonne, l'autre les peint, l'autre les grave, et quelquefois un autre les sculpte.
    (Carnets t.2, p.411, nrf/Gallimard, 1994)
     
  32. Prenons y garde et encore une fois souvenons nous en bien, l'éducation ne consiste pas seulement à orner la mémoire et à éclairer l'entendement : elle doit surtout s'occuper à éclairer la volonté.
    (Carnets t.2, p.413, nrf/Gallimard, 1994)
     
  33. En toutes choses, suis la règle, ou mieux encore, la raison de la règle, si tu la sais.
    (Carnets t.2, p.414, nrf/Gallimard, 1994)
     
  34. L'esprit doux. Il faut avoir l'esprit doux. L'esprit est feu. Quand le feu est doux, il attire ; s'il est trop ardent, on le fuit. Alors, il brûle, il blesse, il se fait craindre.
    (Carnets t.2, p.414, nrf/Gallimard, 1994)
     
  35. Faire tomber ce qu'on enseigne, sous le sens ou sous l'imagination.
    (Carnets t.2, p.414, nrf/Gallimard, 1994)
     
  36. [...] ce qui sert à nos erreurs sert aussi à notre savoir, et que ce qui nous égare peut aussi nous mener au but.
    (Carnets t.2, p.414, nrf/Gallimard, 1994)
     
  37. La foi est un miroir sacré.
    (Carnets t.2, p.415, nrf/Gallimard, 1994)
     
  38. Consulte les anciens, écoute les vieillards. L'homme qui n'est sage que de sa sagesse propre n'est pas sage.
    (Carnets t.2, p.415, nrf/Gallimard, 1994)
     
  39. Le beau est toujours sérieux. Le beau a toujours quelque calme, mais non toujours quelque sérénité.
    La douleur et ses équilibres. La tranquilité de la vie peut quelquefois balancer comme un contrepoids la désolation du moment.

    (Carnets t.2, p.420, nrf/Gallimard, 1994)
     
  40. [...] cette heureuse imbécillité qui nous porte aux choses sublimes.
    (Carnets t.2, p.414, nrf/Gallimard, 1994)
     
  41. Je ne puis faire bien qu'avec lenteur et avec une extrême fatique.
    Des moments de lumière sont tous des moments de bonheur. Quand il fait clair dans notre esprit, il fait beau.

    (Carnets t.2, p.421, nrf/Gallimard, 1994)
     

  
Daniel Pennac

  1. À un homme qui écoute, on ne demande rien.
    (Le dictateur et le hamac, p.16, Gallimard/nrf, 2003)
     
  2. Mais il en va de la cuisine comme des plus belles oeuvres de l'art : on ne sait rien d'un plat tant qu'on ignore l'intention qui l'a fait naître.
    (Le dictateur et le hamac, p.38, Gallimard/nrf, 2003)
     
  3. Qui aime les chiens se méfie de la chiennerie.
    (Le dictateur et le hamac, p.77, Gallimard/nrf, 2003)
     
  4. Que nous y croyions ou non, nous nous faisons de l'au-delà l'image d'un ici-bas revu et corrigé. Notre paradis intime est peuplé de ceux qui nous ont rendu l'existence supportable. Élus par l'idée que nous nous faisions d'eux, ils y trônent à la droite de notre absence, pour ce qu'il nous reste d'années à tirer.
    (Le dictateur et le hamac, p.85, Gallimard/nrf, 2003)
     
  5. Piètre mémoire [...], présence chancelante au monde, qui m'interdit de témoignage. D'où mon appétit de romancier, sans doute : l'imagination affamée de souvenirs s'acharne à recomposer la vie sur esquisses.
    (Le dictateur et le hamac, p.107, Gallimard/nrf, 2003)
     
  6. Le théâtre est la métaphore de la politique. [...] Côté scène, on joue à être roi, sans jamais oublier d'être soi ; côté salle, on feint de s'oublier sans jamais cesser d'être là...
    (Le dictateur et le hamac, p.127, Gallimard/nrf, 2003)
     
  7. La question du ton.
    Les mots ne sont que les mots, à peu près rien sans leur dessein que l'on confie au ton et qui transcende leur sens à jamais prisonnier des dictionnaires.

    (Le dictateur et le hamac, p.170, Gallimard/nrf, 2003)
     
  8. La communion dans l'erreur est un des inconvénients de l'amitié.
    (Le dictateur et le hamac, p.171, Gallimard/nrf, 2003)
     
  9. [...] dans la vie ce ne sont pas les signes qui manquent, c'est le code.
    (Le dictateur et le hamac, p.185, Gallimard/nrf, 2003)
     
  10. La vraie piste de danse, c'est l'oeil de celui qui ne danse pas, l'oeil exorbité de tous ceux que tu décourages.
    (Le dictateur et le hamac, p.185, Gallimard/nrf, 2003)
     
  11. Aux yeux du lecteur, les personnages ne « naissent » pas, ils existent dès leur apparition dans le texte. Pas de naissance, pas de croissance, pas d'apprentissage, une seule mission : être là d'entrée de jeu. Ils peuvent s'épaissir au fil des pages, bien sûr ; mais d'abord : « être là ». Or, un personnage n'est vraiment que s'il échappe à la péripétie qui a rendu son apparition nécessaire, à la fonction qui prétende le définir, en un mot aux ficelles que l'auteur croit tirer.
    (Le dictateur et le hamac, p.241, Gallimard/nrf, 2003)
     
  12. [...] le ton qui est la seule vérité du discours [...]
    (Le dictateur et le hamac, p.282, Gallimard/nrf, 2003)
     
  13. [...] une voix qui réclame la fin d'un peuple est une voix qui veut la fin de tous les peuples [...]
    (Le dictateur et le hamac, p.283, Gallimard/nrf, 2003)
     
  14. [...] rien ne nous rend plus seul, plus errant en nous-même que la conviction de notre ridicule.
    (Le dictateur et le hamac, p.289, Gallimard/nrf, 2003)
     
  15. On écrit pour en finir avec soi-même mais dans le désir d'être lu, pas moyen d'échapper à cette contradiction. C'est comme si on se noyait en criant : « Regarde, maman, je nage ! » Ceux qui hurlent le plus fort à l'authenticité se jettent du quizième étage, en faisant le saut de l'ange : « Voyez, je ne suis que moi ! » Quant à prétendre écrire sans vouloir qu'on vous lise (tenir un journal intime, par exemple), c'est pousser jusqu'au ridicule le rêve d'être à la fois l'auteur et le lecteur.
    (Le dictateur et le hamac, p.319, Gallimard/nrf, 2003)
     
  16. Selon elle, notre société tendait à produire de l'effet de vie au détriment du vivant, et ce dans tous les domaines possibles. Ses petits-fils en étaient la « preuve mourante », jeunes cadavres occupés à se décomposer devant des écrans où « ça » vivait à leur place.
    (Le dictateur et le hamac, p.328, Gallimard/nrf, 2003)
     
  17. [...] écrire à quelqu'un qu'on aime vous délivre du souci d'écrire...
    (Le dictateur et le hamac, p.335, Gallimard/nrf, 2003)
     
  18. Le hamac a dû être imaginé par un sage contre la tentation de devenir. Même l'espèce renonce à s'y reproduire. Il vous inspire tous les projets imaginables et vous dispense d'en accomplir aucun. Dans mon hamac j'étais le romancier le plus fécond et le plus improductif du monde. C'était un rectangle de temps suspendu dans le ciel.
    (Le dictateur et le hamac, p.336, Gallimard/nrf, 2003)
     

  
Henning Mankell

  1. Un cadavre était presque toujours le dernier maillon d'une chaîne d'événements longue et complexe. Parfois, on pouvait deviner d'emblée la nature de la chaîne.
    (Les chiens de Riga, trad. Anna Gibson, p.15, Seuil/policier, 2003)
     
  2. Son expérience lui avait appris au moins cela : il n'existait pas de meurtriers ; mais des êtres humains qui commettaient des meurtres.
    (Les chiens de Riga, trad. Anna Gibson, p.132, Seuil/policier, 2003)
     
  3. Bach n'a pas de patrie [...]. Sa musique est partout.
    (Les chiens de Riga, trad. Anna Gibson, p.142, Seuil/policier, 2003)