Citations ajoutées le 21 décembre 2003

  
Edgar Morin

  1. Platon dit: « Pour enseigner, il faut de l'éros. » L'éros est un mot grec qui signifie le plaisir, l'amour, la passion. Pour communiquer, il ne sert à rien de débiter du savoir en tranches, mais il faut aimer ce que l'on fait et aimer les gens qui sont en face de nous. L'enseignant est celui qui, à travers ce qu'il professe, peut vous aider à découvrir vos propres vérités.
    (Dialogue sur la connaissance, p.28, Édition de l'aube, 2002)
     
  2. Le but de l'école est d'aider à apprendre à vivre. Certains enseignements ne font pas partie des disciplines, mais permettent de les intégrer. Qu'est-ce qu'être humain ? [...] À mon sens, connaître notre nature humaine est donc essentiel. Et cela passe forcément par l'enseignement de l'incertitude. [...] L'incertitude fait partie du destin humain, mais nul n'est préparé à l'affronter. À mon avis, la réforme de l'enseignement doit d'abord aller dans ce sens.
    (Dialogue sur la connaissance, p.30, Édition de l'aube, 2002)
     
  3. En fait, on ne peut séparer l'économique, l'historique, le psychologique, le mythologique, etc. Einstein le montrait déjà à son époque. Il était un globaliste-mathématicien, penseur, ingénieur, quelqu'un qui essayait d'avoir des concepts. Il adorait jouer du violon, il « perdait son temps » à s'intéresser à l'art, à la politique... Les spécialistes, eux, se contentent de vérifier ses théories.
    (Dialogue sur la connaissance, p.35, Édition de l'aube, 2002)
     
  4. [...] accepter les choses, mais se révolter en les acceptant.
    (Dialogue sur la connaissance, p.41, Édition de l'aube, 2002)
     
  5. Au début, les idées paraissent toujours déviantes, utopiques ou irréalistes. Puis, dès qu'un certain nombre de personnes les prennent à coeur et les mettent dans leur esprit, elles deviennent des forces dans la société. Elles ont le bénéfice de répondre à l'état concret des connaissances et aux besoins réels des gens, c'est-à-dire aujourd'hui savoir affronter l'incertitude, être conscient de la complexité de ce qui nous entoure, se sentir citoyen de ce monde, être capable de compréhension d'autrui.
    (Dialogue sur la connaissance, p.53, Édition de l'aube, 2002)
     
  6. Le côté positif de l'individualisme moderne est de donner à chacun plus de responsabilité et d'autonomie ; son côté négatif est de dégrader les solidarités et d'accroître les solitudes.
    (Dialogue sur la connaissance, p.65, Édition de l'aube, 2002)
     

Claude Roy

  1. [...] journal intime [...] livret de caisse d'épargne du temps qui passe.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.12, Folio n°1700)
     
  2. Dans la vie publique, comme dans la vie personnelle, le même phénomène toujours me fascine : l'art qu'apportent les hommes à ne pas voir ce qui les blesserait, à ne pas savoir ce qui les dérangerait, à croire l'incroyable qui les arrange.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.12, Folio n°1700)
     
  3. Enfants, quand nous nous étonnons ou nous insurgeons, il y a toujours quelqu'un qui a vécu pour nous dire d'un ton suffisant ou apitoyé :« Tu verras plus tard. » Mais les gens qui ont réellement vécu, on s'aperçoit avec soulagement qu'ils non pas vu. Enfin pas ce qu'on leur annonçait.
    J'ai des doutes sur les vertus éducatives des épreuves. Si les gens qui en ont vu de toutes les couleurs devenaient tous d'excellents coloristes, ça se saurait.

    (Permis de séjour 1977-1982, p.18, Folio n°1700)
     
  4. J'ai allumé un feu
    Je m'y chauffe les mains
    Le feu s'éteindra

    Partir et ne rien dire.

    (Permis de séjour 1977-1982, p.33, Folio n°1700)
     
  5. Il vaut mieux que deux soient ensemble
    Et si possible toi et moi

    (Permis de séjour 1977-1982, p.35, Folio n°1700)
     
  6. Le miracle, somme toute, est la chose du monde la mieux partagée. Heureusement pour l'homme, précaire miracle.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.43, Folio n°1700)
     
  7. Les hommes ont beaucoup moins besoin d'avoir des lumières sur les âges révolus que d'utiliser la lumière qui peut venir du fond des âges éclairer leur présent.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.45, Folio n°1700)
     
  8. Un jour où il s'était surpris à être plus affirmatif qu'à l'accoutumée, Yves Bonnefoy murmure en souriant :« J'ai commis le péché de réponse. » Si tous ceux qui ont commis ce péché s'en accusaient, même à mi-voix, quel tumulte, quel grondement de tonnerre !
    (Permis de séjour 1977-1982, p.69, Folio n°1700)
     
  9. Tout ce qu'on pourrait conseiller, si les conseils avaient ici un sens, c'est d'aimer de préférence qui on aimera toujours lorsqu'on ne l'aimera plus. L'amour crée la tendresse, qui survit à l'amour.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.71, Folio n°1700)
     
  10. Un vivant, c'est une énigme qui se pose des questions, une devinette qui se pose des devinettes, un questionneur-questionné.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.72, Folio n°1700)
     
  11. J'écris comme je lis, pour essayer de vivre mieux, dans tous les sens du mot mieux : pour sentir plus de choses, et plus profondément, pour observer mieux et plus attentivement, pour comprendre mieux les gens et les choses, pour y voir plus clair et me tirer au clair, pour donner et recevoir, recevoir et donner, pour « faire passer », pour tenter de savoir vivre et pour apprendre à me tenir de mieux en mieux. [...] La passion d'écrire, ce n'est pas une façon de vivre un peu moins pour créer un peu plus. Cela devrait être un art d'éclairer (pour soi et les autres) un peu plus la vie, afin de vivre davantage.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.78, Folio n°1700)
     
  12. La dissertation (ou composition) française est l'art de remplir une copie avec des phrases sans intérêt, mais correctes et élégantes, sur un sujet qui n'intéresse absolument ni le scripteur ni le lecteur.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.80, Folio n°1700)
     
  13. Rien n'est plus vrai ni plus durable que la fragilité des sentiments, l'éphémère des émotions et les sensations fugitives.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.85, Folio n°1700)
     
  14. Permis de conduire
    Un examen pour le permis de conduire les peuples.

    (Permis de séjour 1977-1982, p.97, Folio n°1700)
     
  15. Car le besoin de ne pas croire la vérité quand elle est insoutenable est aussi fort que le besoin de croire l'illusion ou le mensonge quand ils sont « réconfortants ».
    (Permis de séjour 1977-1982, p.124, Folio n°1700)
     
  16. Schubert a le génie si modeste que les innocents et les savantissimes sont tentés de confondre en lui la merveilleuse facilité de l'art avec un art de la facilité.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.137, Folio n°1700)
     
  17. Revenir, bien plus vieux mais beaucoup plus libre, sur les lieux d'un très ancien malheur pourrait faire croire au bonheur de maintenant.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.153, Folio n°1700)
     
  18. Vieillir, c'est sûrement ça aussi : changer de peur.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.159, Folio n°1700)
     
  19. On se défait plus facilement qu'on se refait...
    (Permis de séjour 1977-1982, p.163, Folio n°1700)
     
  20. Rien n'est plus difficile cependant que la louange, et rien n'est plus périlleux que l'approbation.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.190, Folio n°1700)
     
  21. Si on aime vraiment, et si on sait rire vraiment, le résultat est le même : on s'oublie, ou du moins on s'efface. Le moi est haïssable, de qui n'aime que son moi. Le moi est haïssable, qui se prend au sérieux, parce qu'il ne voit que lui-même et sans aucune distance. L'amour rend gai, et souvent l'amour fou rejaillit en fou rire parce que les amants rient d'être libérés d'eux-mêmes - par l'autre.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.199, Folio n°1700)
     
  22. La vraie littérature est une exposition. L'écrivain s'expose, dans le sens où un soldat s'expose à la mort, et dans le sens où on expose une chose à la vue d'autrui.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.200, Folio n°1700)
     
  23. « La vérité est triste », disait Renan. Il a sûrement raison. Kostas était la preuve par un que si la vérité est généralement triste, la recherche de la vérité donne du bonheur malgré tout.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.225, Folio n°1700)
     
  24. La logique, c'est comme la loi : si on l'appliquait parfaitement, ce serait la mort.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.232, Folio n°1700)
     
  25. [La normalisation est] un mot qu'aiment les dictatures de bureaucrates.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.241, Folio n°1700)
     
  26. Ce qui est profond est rarement bien éclairé. [...] L'ennui, c'est que les prétentieux s'étant aperçus que ce qui est profond n'est pas immédiatement clair, se sont avisés souvent qu'en étant pas clairs ils risqueront de passer pour profonds.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.254, Folio n°1700)
     
  27. Les choses [de G. Perec], le livre le plus exact et profond sur le vertige contemporain de la consommation.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.255, Folio n°1700)
     
  28. L'histoire de la culture considérée comme une annexe de la généalogie, rien de plus sot.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.255, Folio n°1700)
     
  29. Regarder la vérité en face est un excellent programme. Mais si je veux être honnête, je constate que dans la situation la plus simple, par exemple une banale prise de sang, je suis incapable d'appliquer ce principe. Si je regarde en face l'aiguille qu'on m'introduit dans la veine et mon sang qui remplit lentement la seringue, il y a neuf chances sur dix pour que je « tombe dans les pommes ». Si je détourne obstinément ma vue de la petite opération, je sens qu'on dénoue le garrot de caoutchouc, c'est déjà fini, et je vais très bien. Qu'est-ce que que la mort, après tout ? Une prise de sang poussée jusqu'à ses conséquences extrêmes.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.260, Folio n°1700)
     
  30. Nos théâtres intérieurs n'ont jamais de problèmes de distribution : nous sommes toujours prêts à fournir dix personnages.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.263, Folio n°1700)
     
  31. Cette littérature de commentateurs, interprètes, glossateurs, herméneuticiens, sémiologues, si curieusement suffisants qu'ils finissent par croire qu'ils sont aussi les créateurs de l'oeuvre à partir de laquelle ils glosent et causent.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.331, Folio n°1700)
     
  32. L'enfer, ce n'est pas les autres : c'est le miroir qui au menteur fait douter de toute parole, au voleur craindre d'être volé, qui inspire à l'envieux l'angoisse de se voir envié par tous. L'enfer, c'est la part d'enfer qui est en nous.
    (Permis de séjour 1977-1982, p.332, Folio n°1700)
     
  33. Mais je découvre ce que je savais déjà : c'est mourir avant l'heure que de faire des économies de vie. Le bonheur (du moins le mien), ce n'est pas de gagner du temps : c'est de savoir le perdre. Pouvoir écouter patiemment la longue confidence d'un inconnu bavard. Se mettre en retard de son propre travail pour donner un coup de main ou d'esprit à quelqu'un qui en a besoin. Donner impulsivement l'objet qu'on aimait bien à quelqu'un à qui ça fait plus plaisir de l'avoir qu'à vous. Et (aussi) prendre son temps, muser dans l'air du temps, traîner gaiement, bayer aux corneilles (oiseaux charmants, d'ailleurs, dont je ne sais pourquoi les ignorants prétendent qu'ils « croassent », corneilles joueuses dont on a grand tort de dire du mal, voltigeurs joyeux qu'on calomnie trop aisément).
    Dans la biologie-physique-et-chimie de l'être humain, une saine économie, c'est de ne pas faire d'économies. Calculer sa dépense est un mauvais calcul. Qui craint de se dépenser se tarit.

    (Permis de séjour 1977-1982, p.359, Folio n°1700)